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Décisions

CA Angers, ch. com. A, 27 septembre 2016, n° 15-03241

ANGERS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Texier

Défendeur :

Cafpi (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Van Gampelaere

Conseillers :

Mmes Monge, Portmann

TGI Saintes, du 2 nov. 2012

2 novembre 2012

Faits et procédure

M. Bernard Texier était agent commercial de la société Capfi (la société) spécialisée dans le courtage de prêts immobiliers lorsque, par lettre du 28 décembre 2008, il a annoncé à son mandant sa décision de cesser son activité " pour cause de retraite ". Sa demande en paiement d'une indemnité de rupture ayant été rejetée par la société, il a assigné celle-ci devant le Tribunal de grande instance de Saintes.

Par jugement du 2 novembre 2012, le Tribunal a débouté M. Texier de l'ensemble de ses demandes et l'a condamné à verser à la société une indemnité de procédure de 1 500 euros, outre les dépens.

Sur appel de M. Texier, la Cour d'appel de Poitiers a, par arrêt du 26 novembre 2013, infirmé ce jugement et condamné la société à payer à M. Texier la somme de 105 996 euros majorée des intérêts au taux légal à compter du 1er janvier 2009, outre une indemnité de procédure de 3 000 euros et les dépens.

Par arrêt du 23 juin 2015, la Chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a cassé cet arrêt dans toutes ses dispositions au visa des articles L. 134-12 et L. 134-13 du Code de commerce et renvoyé la cause et les parties devant notre cour. La Cour de cassation retenait que la cour n'avait pas donné de base légale à sa décision en ne caractérisant pas en quoi l'âge et les circonstances de la situation personnelle de M. Texier qu'elle relevait étaient susceptibles de ne plus lui permettre raisonnablement de poursuivre son activité.

Selon déclaration du 5 novembre 2015, M. Texier a saisi notre cour.

Les parties ont toutes deux conclu.

Une ordonnance rendue le 23 mai 2016 a clôturé la procédure.

Moyens et prétentions des parties

Les dernières conclusions, respectivement déposées les 4 février 2016 pour M. Texier et 30 mars 2016 pour la société, auxquelles il conviendra de se référer pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, peuvent se résumer ainsi qu'il suit.

M. Texier demande à la cour de le recevoir en son appel, d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de grande instance de Saintes, de constater qu'il souffrait de graves problèmes de santé (urologiques et cardiaques) bien avant même la date de cessation de son activité d'agent commercial, de constater qu'à la date de la notification de sa décision de cessation d'activité, son état de santé ne lui permettait plus de poursuivre une quelconque activité professionnelle, en conséquence de dire qu'il justifiait de circonstances particulières établissant qu'une poursuite de son activité ne pouvait pas être raisonnablement exigée de lui alors même qu'il était âgé de 61 ans, de dire qu'il a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice qu'il subit du fait de la perte pour l'avenir des revenus tirés de l'exploitation de la clientèle commune à la société, en conséquence de condamner celle-ci à lui payer la somme de 105 996 euros avec intérêts au taux légal à compter du 1er janvier 2009, en tout état de cause, de condamner la société à lui payer une indemnité de procédure de 7 000 euros, outre les entiers dépens en ce compris les frais de cassation.

Il expose que le 2 avril 1998 a été conclu avec la société qui, souhaitant commercialiser ses produits dans le département de la Charente-maritime et en particulier à Saintes, l'avait approché. Il indique qu'il était chargé de négocier et de conclure pour ses clients des contrats de prêts immobiliers auprès des banques partenaires de la société et qu'il était rémunéré par des commissions rétrocédées par cette dernière, d'une part, et par des commissions générées par les commerciaux de l'agence dont il assurait la direction, d'autre part. Il fait valoir qu'au cours de l'année 2007, il a notifié à plusieurs reprises au directeur commercial et au directeur régional de la société son intention de cesser son activité. Il précise que le 1er janvier 2008, le directeur général, M. X, lui a nommé un successeur sans qu'il puisse négocier son portefeuille. Il explique qu'il a, par lettre du 28 décembre 2008, confirmé à M. X sa cessation d'activité à compter du 31 décembre suivant et que tout au long de l'année suivante il a, en vain, réclamé paiement de l'indemnité de rupture.

Il rappelle que l'indemnité compensatrice prévue à l'article L. 134-12 du Code de commerce n'est pas due, selon l'article L. 134-13 2° du même Code, lorsque la cessation résulte de l'initiative de l'agent à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant ou dues à l'âge, l'infirmité ou la maladie de l'agent commercial, par suite desquels la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée. Il soutient qu'aucune autre cause exonératrice ne peut être prise en compte. Il ajoute que la circonstance que n'ait pas été mentionnée l'existence de problèmes de santé lors de la demande d'indemnité n'empêche pas l'agent d'établir devant le juge saisi qu'à la date de cessation de ses fonctions, la poursuite de son activité ne pouvait plus être raisonnablement exigée du fait de son état de santé. Il relate qu'à partir de 2006, il a été placé sous surveillance médicale accrue en raison d'un taux d'antigène spécifique de la prostate très fluctuant, qu'il a fait, à plusieurs reprises, l'objet d'examens invasifs comme les biopsies et moins invasifs comme les IRM et que c'est épuisé physiquement et psychologiquement qu'il a pris la décision, âgé de 61 ans, de cesser son activité. Il fait valoir qu'un cancer de la prostate sera finalement diagnostiqué et qu'il devra également subir une intervention cardiaque. Il en déduit que son "départ à la retraite" n'était pas une simple décision de convenance personnelle mais était dicté par un état de santé préoccupant l'empêchant, physiquement et psychologiquement, de mener à bien ses activités nécessitant de nombreux déplacements.

S'agissant de son indemnité, il assure que l'article 8 du contrat d'agence ne peut s'appliquer comme étant contraire aux dispositions d'ordre public des articles L. 134-12 et L. 134-13 du Code de commerce. Il estime être fondé à réclamer une indemnité correspondant à deux années de commissions calculée sur la moyenne de ses trois derniers exercices, soit en l'occurrence la somme de 52 998 x 2 = 105 996 euros.

La société demande à la cour, à titre principal, de dire que M. Texier a mis fin à son contrat d'agent pour cause de prise de retraite, de dire que les circonstances de sa cessation d'activité excluent l'indemnisation de fin de contrat, en conséquence, de débouter M. Texier de toutes ses demandes, de confirmer le jugement de première instance en toutes ses dispositions et de condamner M. Texier à lui payer une indemnité de procédure de 4 000 euros, outre les dépens, à titre subsidiaire, pour le cas où la cour ferait droit au principe d'une indemnité, de fixer la moyenne annuelle des commissions perçues par M. Texier durant les trois derniers exercices 2006 à 2008 à la somme de 46 504 euros et de fixer l'indemnité de fin de contrat à 5 % de cette somme soit à 2 325,20 euros par application des dispositions de l'article 8 du contrat d'agent.

Elle relate que pendant 38 ans M. X a exercé en nom propre l'activité de courtier en prêts immobiliers sous son enseigne et constitué un réseau de près de 130 agences sur l'ensemble du territoire national avant de lui faire apport, en 2009, de son entreprise de courtage. Elle précise qu'elle a ainsi repris tous les mandats d'agents commerciaux qui y étaient attachés, parmi lesquels celui de M. Texier conclu en 1998. Elle s'étonne que M. Texier qui par courrier du 22 décembre 2008 lui a annoncé sa cessation d'activité n'ait réclamé son indemnité que 10 mois plus tard. Elle conteste que M. Texier rapporte la preuve de ce que son âge et les circonstances particulières de sa situation personnelle auraient été susceptibles de ne plus lui permettre raisonnablement de poursuivre son activité d'agent au jour de la notification de sa cessation d'activité. Elle souligne que le courrier du 22 décembre 2008 ne donnait aucune autre raison de la cessation d'activité que la volonté de M. Texier de faire valoir ses droits à la retraite. Elle explique que deux agents commerciaux et une assistante qui ont tous côtoyé M. Texier attestent qu'ils n'ont pas constaté ni entendu M. Texier évoquer des problèmes de santé. Elle insiste sur le fait que les différents examens pratiqués de 2004 à 2008 se sont tous révélés normaux. Elle observe que l'intervention cardiaque évoquée n'est intervenue qu'en 2011. Elle nie que M. Texier, dont le secteur géographique de représentation était limité à la ville de Saintes, ait eu à accomplir de nombreux déplacements. Elle conteste encore que M. Texier ait été privé de son droit de céder son portefeuille de clients à un successeur ou se soit vu refuser par elle la présentation d'un successeur. Elle conclut à l'absence de tout droit de M. Texier à une indemnité.

Subsidiairement, elle critique le montant réclamé, assure que la moyenne annuelle des trois derniers exercices est inférieure à celle invoquée par M. Texier et se prévaut de l'article 8 du contrat dont l'application, revendiquée dans ses courriers par M. Texier, conduit à une indemnité de 2 324,20 euros.

Motifs de la décision

Attendu qu'en vertu de l'article L. 134-13 2° du Code de commerce, l'agent commercial ne peut prétendre à l'indemnité compensatrice prévue à l'article L. 134-12 du même Code en cas de cessation de ses relations avec son mandant lorsque cette cessation résulte de son initiative à moins qu'elle ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant ou dues à l'âge, l'infirmité ou la maladie de l'agent commercial, par suite desquels la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée ;

Attendu qu'il incombe à l'agent commercial qui se prévaut de l'exception légale sus-énoncée de rapporter la preuve de ce qu'il en remplit les conditions ;

Or attendu qu'en l'espèce, si le seul fait que M. Texier n'ait pas précisé, dans la lettre du 28 décembre 2008 (pièce n° 2 de l'appelant) par laquelle il confirmait à la société qu'à partir du 31 décembre 2008 au soir, il cesserait son activité "pour cause de retraite", les circonstances, notamment d'âge et de maladie, ne lui permettant pas raisonnablement de poursuivre son activité, ne le rendait pas irrecevable à en justifier ultérieurement, les éléments qu'il produit aujourd'hui aux débats ne sont pas de nature à convaincre de l'existence de ces circonstances ;

Qu'en effet, les échanges de courriers médicaux datant de 2004, 2005, 2006, 2007 et 2008 versés aux débats (pièces n° 7 de l'appelant) révèlent, certes, l'existence d'un suivi médical étroit ayant nécessité deux séries de biopsies et une IRM pour des anomalies affectant la prostate, mais les résultats des examens mis en œuvre n'apparaissent pas avoir été retenus par les praticiens comme particulièrement alarmants et ils ne révèlent, en tout cas, pas que ces soucis de santé aient été si graves qu'ils empêchaient M. Texier, âgé de 61 ans, de poursuivre, postérieurement au 31 décembre 2008, son activité cantonnée, selon les explications non sérieusement démenties de la société sur ce point, à la ville de Saintes, en Charente-maritime ;

Que les pièces médicales datées de 2011, soit postérieures à la date de la rupture de près de trois ans, qui font état d'une intervention cardiaque, ne mettent pas davantage en évidence une pathologie existant dès 2008 perturbatrice de l'activité de M. Texier et obligeant celui-ci à précipiter son départ à la retraite ;

Que la société verse, au surplus, aux débats les attestations de deux collaborateurs de M. Texier et d'un agent commercial (pièces n° 8, 9 et 11 de l'intimée) qui pour les deux premiers relatent que M. Texier n'a jamais invoqué devant eux de problèmes de santé et pour le troisième explique qu'au jour de son pot de départ M. Texier donnait pour motifs de son départ à la retraite des projets de voyages et de loisirs ;

Que la cour relève qu'aucun de ces trois témoins n'indique, par ailleurs, avoir personnellement constaté un état de fatigue physique ou psychologique chez M. Texier les mois qui ont précédé son départ ;

Attendu que le jugement qui a débouté M. Texier de sa demande en paiement d'une indemnité de rupture sera confirmé ;

Sur les demandes accessoires

Attendu que M. Texier succombant en son appel en supportera les dépens, en ce compris les frais afférents à l'arrêt cassé, sans qu'il y ait lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile que ce soit à son profit ou à son détriment ;

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 23 juin 2015, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ; Condamne M. Bernard Texier aux dépens, en ce compris les frais afférents à l'arrêt cassé ; Déboute les parties de leurs prétentions plus amples ou contraires.