CA Angers, ch. com. A, 27 septembre 2016, n° 15-00008
ANGERS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Safe Cronite (SAS)
Défendeur :
Export Assistance International (SARL) , Cronite Scomark Engineering Limited (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Van Gampelaere
Conseillers :
Mmes Monge, Portmann
FAITS ET PROCEDURE :
La société Safe Cronite, anciennement dénommée la société Afe Cronite, fait partie du groupe Safe, groupe industriel français dont l'activité de production de composants techniques en acier moulé et plastique injecté est divisée en trois branches, parmi lesquelles la branche Safe Cronite spécialisée en outillages de fours de traitement thermique et d'incinération.
La société Safe Cronite est la société holding de la branche Safe Cronite dont la société de droit anglais Cronite Scomark Engineering Ltd (la société Scomark) était une des sociétés filles. Située au Royaume-Uni, la société Scomark, exploitait une activité de production de tubes en acier réfractaire destinés, notamment, aux industries chimiques et pétrochimiques.
La société Export assistance international (la société Exa) est une société d'ingénierie tournée vers l'international qui intervient dans de nombreux secteurs industriels tels que la chimie et la pétrochimie. Elle déploie en particulier son activité sur les territoires de l'ex-URSS où elle a été le distributeur du groupe métallurgique français Manoir industries jusqu'à ce qu'en 2007 leur partenariat ait été interrompu.
Le 28 janvier 2010, un contrat de distribution exclusive a été conclu entre la société Scomark et la société Exa pour une durée de cinq ans suivant lequel la société Exa s'engageait, notamment, à prospecter les pays de l'ex-URSS et à y promouvoir et vendre les produits Cronite.
Par lettre recommandée du 19 octobre 2011 doublée d'un courriel, la société Scomark a résilié le contrat en invoquant des "manquements très graves" commis par la société Exa.
Par actes des 13 et 16 mars 2012, la société Exa a assigné, d'une part, la société Scomark, et, d'autre part, la société Safe Cronite devant le Tribunal de commerce du Mans aux fins d'obtenir leur condamnation in solidum à réparer les préjudices par elle subis du fait de la rupture qu'elle qualifiait de fautive du contrat de distribution exclusive et du fait d'une violation, en cours de contrat, de la clause d'exclusivité prévue à son profit.
Le 29 mai 2012, la société Scomark a été placée sous le régime d'une procédure collective anglaise dite d'administration, MM. Cameron G., Mark S. et Simons H. étant nommés en qualité de "joint administrators". La société Exa a déclaré sa créance à la procédure collective de la société Scomark et assigné MM. G., S. et H. ès qualités afin de voir constater ses créances et fixer leur montant au passif de cette procédure.
Par jugement du 3 novembre 2014, le tribunal a dit recevable et bien fondé l'appel en la cause de MM. G., S. et H. ès qualités et constaté qu'ils n'étaient pas représentés à la procédure et n'avaient pas conclu, fixé les créances de la société Exa au passif de la procédure collective anglaise à la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens, à la somme de 2 365 200 euros en réparation du préjudice résultant de la rupture fautive et de la violation de la clause d'exclusivité, se décomposant en 1 908 300 euros pour préjudice de prospection et perte de marges, 416 400 euros pour perte de valeur de la société et 40 500 euros pour préjudice d'image, dit que la société Exa était titulaire d'une créance de 83 333 euros à l'encontre de la société Scomark au titre de la facture n° 11.3220 du 13 septembre 2011 avec intérêts au taux légal à compter de la date de la facture jusqu'au 29 mai 2012, soit la somme de 4 445 euros, dit que la société Exa avait pour mission de présenter des clients et en avait été payée et qu'il n'y avait pas à enjoindre aux sociétés Scomark et Afe Cronite de s'abstenir de prospecter, directement ou indirectement, toutes les sociétés que la société Exa leur avait présentées, dit que la société Afe Cronite par l'intermédiaire de M. W. était la société décisionnaire et condamné la société Safe Cronite solidairement au titre de la rupture du contrat de distribution exclusive à payer à la société Exa la somme totale de 2 365 200 euros, dit qu'il fallait opérer compensation de toute indemnité à la charge de la société Safe Cronite avec la somme de 160 609,40 euros perçue indûment par la société Exa et condamné la société Afe Cronite à verser à la société Exa une indemnité de procédure de 10 000 euros, outre les dépens.
Selon déclaration adressée le 29 décembre 2014, la société Safe Cronite a interjeté appel de cette décision. La société Exa a relevé appel incident.
Les parties ont conclu, à l'exception de la société Scomark et de MM. G., S. et H., assignés par la société Safe Cronite et auxquels la société Exa a notifié ses conclusions, qui n'ont pas constitué avocat.
Une ordonnance rendue le 30 mai 2016 a clôturé la procédure.
Dans un rapport écrit remis aux parties avant l'audience, la cour s'est interrogée sur la possibilité d'ajouter à la créance fixée par le tribunal au passif de la procédure collective de la société Scomark une somme qui ne serait pas déclarée à cette procédure et a autorisé la société Exa à lui adresser une note en délibéré sur ce point.
Moyens et prétentions des parties :
Les dernières conclusions, respectivement déposées le 3 mai 2016 pour la société Safe Cronite et 26 mai 2016 pour la société Exa, auxquelles il conviendra de se référer pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, peuvent se résumer ainsi qu'il suit.
La société Safe Cronite demande à la cour de la dire recevable et bien fondée en son appel, de dire la société Exa irrecevable et en tout cas mal fondée en son appel incident, en conséquence, d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il l'a condamnée solidairement avec la société Scomark à payer une somme de 2 365 200 euros à titre de dommages et intérêts et une indemnité de procédure de 10 000 euros, outre les dépens, de la mettre hors de cause, en toute hypothèse, de débouter la société Exa de l'intégralité de ses demandes à son encontre, de confirmer le jugement pour le surplus et de condamner la société Exa à lui payer une indemnité de procédure de 50 000 euros, outre les entiers dépens.
Pour l'essentiel, la société Safe blâme le tribunal de l'avoir condamnée aux côtés de la société Scomark en retenant qu'elle aurait, par l'intermédiaire de M. W., son directeur général, également directeur général de la société Scomark, créé une confusion et qu'elle se serait immiscée dans les affaires de la société Scomark, alors qu'il relevait que les contrats de vente avaient été conclus par la société Scomark, que c'est à celle-ci que la société Exa demandait des informations, que la rupture du contrat était intervenue à la seule initiative et aux torts exclusifs de la société Scomark et qu'il imputait le non-respect de la clause d'exclusivité à la société Scomark. Elle fait valoir qu'elle n'est qu'une société holding apportant aux sociétés filles un soutien administratif.
S'agissant de la société Scomark, non représentée à l'instance, elle explique vouloir apporter des précisions utiles à sa propre défense. Elle conteste qu'il y ait eu de la part de la société Scomark violation de la clause d'exclusivité et détaille dans quelles circonstances les sociétés Pycos (italienne) et Peramet (allemande) ont été amenées à proposer des produits Scomark à des clients russes et kazakhs. Elle soutient que la société Exa qui s'était présentée auprès de la société Scomark comme un spécialiste du marché de l'ex-URSS, doté d'une longue expérience et de connaissances permettant à son cocontractant de pénétrer ce marché au fonctionnement particulier, et disposant d'une grande liberté pour fixer le prix offert aux potentiels clients, sa rémunération en dépendant, a été totalement défaillante dans sa mission, seuls trois contrats de vente ayant été conclus par son intermédiaire en 21 mois avec une société déjà cliente de la société Scomark. Elle rappelle que la société Exa a bénéficié d'une rémunération forfaitaire importante pour "peines, soins et frais". Elle affirme que la société Scomark a plusieurs fois en octobre 2010 et septembre 2011 fait part de son mécontentement à la société Exa responsable des rejets opposés par les clients potentiels en raison des prix élevés qu'elle seule fixait. Elle estime la résiliation pour faute grave parfaitement justifiée.
En ce qui la concerne, elle rappelle qu'elle bénéficie d'une personnalité distincte de celle de la société Scomark et dispose d'un patrimoine également distinct, l'intégration dans un groupe et l'interdépendance entre les sociétés n'étant pas suffisante pour qu'une société mère réponde d'une faute imputable à sa filiale autonome. Elle fait valoir que pour que sa responsabilité soit engagée il faut que soient démontrés une faute, un préjudice et un lien de causalité direct entre la faute et le préjudice et nient que cette démonstration soit faite en l'espèce. Elle conteste, en effet, que soient établies une absence d'autonomie de la société Scomark et une immixtion intempestive et fautive de sa part dans sa gestion que ce soit au stade de la conclusion du contrat de distribution exclusive, de son exécution ou de sa résiliation. Elle nie tout risque de confusion entre la société Scomark et elle et toute apparence trompeuse propre à faire croire à la société Exa qu'elle était aussi sa cocontractante, sa détention de 100 % des parts de la société Scomark et l'identité de ses dirigeants et de ceux de sa filiale ou encore l'identité d'adresse et de signature mail de M. W. ne suffisant pas. Elle insiste sur le fait que ses locaux, son siège social, son logo, son papier à en-tête, son numéro de téléphone et de fax sont différents de ceux de la société Scomark ainsi que son objet social et son activité. Elle fait état des rapports, du plan marketing, des contrats de vente et des factures établis par la société Exa à destination de la seule société Scomark. Elle se défend d'avoir organisé l'insolvabilité de sa filiale. Elle observe que sa responsabilité n'a pas été recherchée par les organes de la procédure collective de la société Scomark. Elle explique son rôle de soutien administratif en contrepartie de redevances, les "management fees", payées par la société Scomark. Elle conclut à l'autonomie décisionnelle et commerciale pleine et entière de cette dernière qui seule fabriquait et commercialisait ses produits et demande sa mise hors de cause.
En toute hypothèse, elle soutient que le préjudice indemnisable ne peut être qu'une perte de chance d'avoir pu obtenir la marge escomptée sur les affaires qui auraient pu être réalisées. Elle dénie toute valeur probante au rapport de l'expert-comptable de la société Exa qui repose sur des projections invérifiables. Elle estime très incertains voire inexistants les différents préjudices allégués et soutient qu'ils se recoupent. Elle souligne que les résultats de la société Exa sont demeurés bons pour l'exercice 2012 en dépit de la résiliation du contrat la liant à la société Scomark et en déduit, notamment, l'absence de perte de valeur et de préjudice d'image.
Enfin, si une faute était retenue contre elle, elle demande que l'indemnité allouée soit compensée avec la somme de 160 609,40 euros correspondant au remboursement que la société Exa aurait dû faire en application de l'article 8 du contrat.
Le 6 juin 2016, la société Safe Cronite a pris des conclusions de procédure pour voir ordonner le rabat de la clôture afin de lui permettre de verser aux débats de nouvelles pièces en réponse aux dernières pièces communiquées le 27 mai 2016 par la société Exa ou, à défaut, de voir écarter des débats ces pièces.
La société Exa demande à la cour de la déclarer recevable et bien fondée en son appel incident ainsi qu'en toutes ses demandes, de déclarer la société Safe Cronite irrecevable et en tout cas mal fondée en son appel et l'ensemble de ses demandes, de dire irrecevables les pièces n° 46-6, 46-7 et 50 produites en langue anglaise sans traduction en français,
en conséquence,
à titre principal :
- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a fixé sa créance au passif de la procédure collective anglaise, dit que la société Safe Cronite par l'intermédiaire de M. W. était la société décisionnaire, condamné solidairement la société Safe Cronite, dit qu'elle était titulaire d'une créance de 83 333 euros au titre de la facture du 13 septembre 2011,
- d'y ajouter en fixant cette créance au passif de la procédure collective,
- d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande de condamnation de la société Safe Cronite au titre de la violation de la clause d'exclusivité et fixé le quantum de son indemnisation à hauteur de la somme de 2 365 200 euros,
- statuant à nouveau, de fixer ce quantum à la somme de 3 411 500 euros se décomposant en 2 827 600 euros au titre du préjudice de prospection et de perte de marges, 531 800 euros au titre de la perte de valeur et 52 000 euros au titre de son préjudice d'image,
- de fixer sa créance au passif de la procédure collective à cette somme de 3 411 500 euros avec intérêts au taux légal à compter du 30 mai 2013,
- de condamner la société Safe Cronite in solidum ou à défaut solidairement au paiement de cette même somme avec capitalisation des intérêts,
- d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande d'indemnisation dirigée contre la société Safe Cronite pour avoir organisé de manière délibérée l'insolvabilité de la société Scomark,
- statuant à nouveau, de constater que la société Safe Cronite a organisé cette insolvabilité et de la condamner de plus fort à l'indemniser des ses préjudices à hauteur de 3 411 500 euros avec intérêts au taux légal à compter du 30 mai 2013 et capitalisation des intérêts,
- d'infirmer le jugement en ce qu'il fallait opérer une compensation avec la somme de 160 609,40 euros,
- statuant à nouveau, de rejeter cette demande de la société Safe Cronite ou, subsidiairement, de ramener cette somme à celle de 126 940,82 euros,
à titre subsidiaire :
- de confirmer le jugement en ce qu'il a fixé sa créance au passif de la procédure collective anglaise à la somme de 2 365 200 euros,
- d'y ajouter en disant que cette somme produirait intérêts au taux légal à compter du 30 mai 2013 avec capitalisation des intérêts,
- de confirmer le jugement sauf à préciser qu'il s'agirait d'une condamnation in solidum, en ce qu'il a condamné la société Safe Cronite au paiement de la somme de 2 365 200 euros,
- d'y ajouter en disant que cette somme produirait intérêts au taux légal à compter du 30 mai 2013 avec capitalisation des intérêts,
en tout état de cause :
- de constater qu'elle ne reprend plus en cause d'appel sa demande d'injonction,
- de confirmer le jugement pour le surplus,
- de fixer sa créance au passif de la procédure collective anglaise à la somme de 40 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'appel,
- de condamner la société Safe Cronite in solidum ou à défaut solidairement avec la société Scomark à lui verser une indemnité de procédure de 40 000 euros,
- de condamner la société Safe Cronite aux entiers dépens, en ce compris les frais de constat d'huissier, de traduction et de rapport de M. M., expert près la Cour d'appel de Paris.
Elle expose que le contrat de distribution exclusive portait principalement sur la distribution dans les pays de l'ex-URSS de tubes réfractaires en fonte centrifuge, utilisés dans les usines d'éthylène, d'ammoniac et de méthanol ainsi que dans les centres de traitement de minerai de fer. Elle explique que les marchés russes de pétrochimie sont complexes et assez fermés, que leur conquête dépend en particulier de celle des ingénieurs en chef des usines et que la société Afe Cronite le savait pour avoir essuyé un précédent échec. Elle se réclame de son expérience de plus de 25 ans sur les territoires de l'ancienne URSS.
Elle fait valoir que les négociations se sont déroulées en France entre elle et la société Afe Cronite, dans les locaux de celle-ci et sous sa direction, que la société Scomark ne disposait d'aucune autonomie ni décisionnelle ni financière et dépendait entièrement de sa société mère. Elle affirme que ses interlocuteurs réguliers travaillaient au sein de la société Afe Cronite qui finançait la création du matériel marketing de présentation des produits, les réservations des emplacements de conférences et subventionnait les honoraires et avances sur commissions qui lui étaient versés. Elle insiste sur le fait que le courriel lui annonçant la résiliation anticipée du contrat émane de M. W., en sa qualité de directeur général de la société Afe Cronite et met en doute que la société Scomark, dont les équipes étaient encore, la veille de la rupture, en relation avec elle, ait été tenue au courant de cette décision. Elle approuve le tribunal d'avoir retenu la responsabilité de la société mère aux côtés de sa fille.
Elle détaille le contrat de distribution qui comprenait une période probatoire de six mois puis deux années consacrées "en priorité" à la construction de la notoriété de la société Scomark de mai 2010 à avril 2012, indispensable, selon elle, pour susciter les commandes. Elle précise qu'elle a établi un programme de marketing que la société Afe Cronite a validé et qu'elle a scrupuleusement suivi en rendant des comptes sans avoir pris d'engagement quantitatif sur cette période. Elle estime que ce plan a été un succès en dépit d'un contexte concurrentiel très difficile et souligne qu'il a notamment permis la signature de trois contrats pour un montant d'environ 800 000 euros. Elle dénonce la brutalité de la rupture qui n'avait été précédée d'aucune mise en demeure et conteste son bien-fondé, aucun manquement grave ne pouvant, selon elle, lui être reproché. Elle dénonce également la violation par les sociétés Afe Cronite et Scomark de l'exclusivité de distribution qui lui avait été consentie et donne la chronologie des événements qui, selon elle, la caractérisent.
Elle rappelle la responsabilité délictuelle personnelle pesant sur la société mère qui a commis une faute ou qui par son comportement joue un rôle déterminant dans les faits reprochés à sa filiale en s'en rendant complice et elle multiplie les exemples de jurisprudence à cet égard. Elle ajoute que la responsabilité de la société mère est même de nature contractuelle lorsque son immixtion a été de nature à créer pour le cocontractant une apparence propre à lui permettre de croire légitimement que cette société était aussi son cocontractant. Elle reproche en l'espèce à la société Afe Cronite d'avoir décidé la résiliation abusive du contrat de distribution pour la négociation, la conclusion et l'exécution duquel elle a joué un rôle déterminant, la société Scomark, détenue à 100 % par la société Afe Cronite, dirigée par les mêmes dirigeants qu'elle et partageant le même site internet, étant, selon elle, dépourvue d'autonomie décisionnelle et financière. Elle explique que les décisions stratégiques sont prises au niveau du groupe et que le soutien financier et l'assistance de sa société mère étaient indispensables à la société Scomark. Elle observe qu'à l'occasion de la procédure collective, la société Afe Cronite a été intégralement désintéressée de sa créance à l'égard de sa filiale à hauteur d'une somme correspondant aux honoraires de 500 000 euros qui lui ont été versés à l'occasion des deux premières années du contrat de distribution litigieux. Elle distingue autonomie "juridique" et autonomie "décisionnelle" et insiste particulièrement sur la qualité de directeur général de la société Afe Cronite que revêtait M. W. lorsqu'il s'adressait à elle ou lorsqu'elle s'adressait à lui. Elle affirme avoir principalement été en relation avec des interlocuteurs rattachés à la société Afe Cronite, ceux, britanniques, rattachés à la société Scomark étant beaucoup moins présents dans le cadre de l'exécution du contrat. Elle accuse la société Afe Cronite d'avoir délibérément organisé l'insolvabilité de sa filiale en la cédant au groupe Hilco, spécialisé dans le démantèlement des actifs des sociétés en difficulté et fait grief au tribunal de ne pas s'être prononcé sur ce point.
Elle défend l'évaluation de son préjudice objet d'un débat contradictoire entre les parties qui ont chacune mandaté leur expert et approuve le tribunal de s'être fondé sur le rapport de M. M. expert-comptable-commissaire aux comptes, expert près la Cour d'appel de Paris qu'elle avait mandaté mais lui reproche d'avoir retenu la valeur basse et non la valeur haute de l'indemnisation qu'elle réclame aujourd'hui en l'explicitant. Elle soutient pouvoir prétendre au chiffre d'affaires qu'elle aurait réalisé sur la période du contrat de distribution qui restait à courir et non seulement à la marge qu'elle pouvait escompter ou à une simple perte de chance, s'agissant d'un préjudice certain lié à la rupture avant terme d'un contrat à durée déterminée. Elle fait état des trois commandes importantes déjà obtenues, des quatre appels d'offres en cours lors de la survenance de la résiliation, des efforts considérables de promotion qui devaient nécessairement, selon elle, porter leurs fruits les trois dernières années du contrat et la perte du client stratégique que constituait la société Kazazot en plein appel d'offres ruinant à cette occasion son image auprès des usines de l'ex-URSS. Elle insiste sur le caractère objectif et certifié des données comptables sur lesquelles M. M. s'est fondé et estime que ses conclusions ne sont pas sérieusement remises en cause par les notes rédigées par M. B. dans l'intérêt de la société Afe Cronite ni par les critiques portées tout récemment par M. M. dans un courriel produit à quelques jours de la clôture.
Enfin elle s'oppose à toute compensation en faveur de la société Afe Cronite avec une somme prétendument due par elle en application du contrat de distribution par principe, parce qu'elle n'a pas été remplie de ses droits et parce qu'il s'agirait là pour l'intimée d'un enrichissement sans cause puisqu'elle a été entièrement indemnisée dans le cadre de la procédure collective.
Répondant aux interrogations de la cour dans une note en délibéré déposée le 22 juillet 2016, la société Exa explique que le droit britannique diffère du droit français sur la question de la déclaration de créance à une procédure collective, en ce que le premier admet qu'une nouvelle déclaration de créance soit présentée, à tout moment de la procédure, en particulier en vertu d'un titre exécutoire pour un montant plus élevé que la précédente, sauf pour le liquidateur ou la juridiction à l'écarter s'il apparaît qu'il y a eu "fraude, collusion ou erreur judiciaire".
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la révocation de l'ordonnance de clôture
Attendu que les parties comparantes, représentées par leurs avocats postulants, s'accordent pour que soit prononcée la révocation de l'ordonnance de clôture et que la nouvelle clôture soit fixée à la date de l'audience de façon à ce que les pièces n° 55 à 58 versées aux débats le 7 juin 2016 par l'appelante soient recevables ;
Qu'il leur sera donné acte de cet accord ;
Que l'ordonnance de clôture sera ainsi révoquée et la nouvelle clôture fixée au 21 juin 2016, date de l'audience ;
Sur le sort des pièces en langue anglaise non traduites
Attendu que la société Exa demande à la cour d'écarter les pièces n°46-6, 46-7 et 50 en langue anglaise produites par la société Safe Cronite qui ne sont pas accompagnées d'une traduction ;
Que cette demande sera accueillie ;
Sur les demandes dirigées contre la société Scomark
Attendu que la société Scomark, objet en Grande-Bretagne d'une procédure collective dite administration, n'a pas relevé appel du jugement déféré, ni les organes de cette procédure qui n'ont pas comparu devant la cour en dépit de l'assignation qui leur a été délivrée ;
Que les dispositions du jugement concernant la société Scomark non frappées d'appel par la société Exa sont, dès lors, définitives ;
Qu'en particulier le principe d'une créance détenue par la société Exa contre la société Scomark au titre des préjudices subis du fait de la rupture fautive du contrat qui les liait et de la violation de la clause d'exclusivité en cours de contrat est acquis aux débats ;
Que seul le montant de la créance à fixer demeure discuté en l'état de l'appel incident de la société Exa de ce chef, étant observé que le droit britannique ne s'oppose pas à ce qu'une demande soit formée en justice pour un montant supérieur à celui préalablement déclaré à la procédure collective ;
Attendu que la société Exa demande à la cour de compléter les dispositions du jugement en réparant l'omission commise par le tribunal qui a dit qu'elle était titulaire d'une créance de 83 333 euros à l'encontre de la société Scomark au titre d'une facture du 13 septembre 2011 avec intérêts au taux légal à compter du 13 septembre 2011 jusqu'au 29 mai 2012, mais n'a pas fixé cette créance au passif de la procédure collective britannique ;
Que cette omission sera réparée au dispositif du présent arrêt ;
Sur la responsabilité recherchée de la société Safe Cronite
Attendu que la société Exa recherche, à titre principal, la responsabilité de la société Safe Cronite sur un fondement délictuel ;
Qu'elle fait pour l'essentiel valoir que la société Safe Cronite s'est immiscée dans la conclusion et l'exécution du contrat de distribution exclusive qui la liait à la société Scomark ainsi que dans la rupture de ce contrat ;
Que pour s'opposer à la demande la société Safe Cronite invoque principalement l'indépendance juridique de la société Scomark dotée d'un patrimoine propre et distinct du sien et l'effet relatif des contrats, en rappelant que la seule appartenance de la société Scomark à la branche du groupe dont elle est la société mère non plus que le fait que toutes deux aient le même directeur général, M. Pierre W., ni celui qu'elle ait le contrôle capitalistique de sa filiale, ne suffisent à la rendre responsable des actes de celle-ci ;
Mais attendu que si le contrat de distribution exclusive, objet du présent litige, a été conclu, le 28 janvier 2010, entre la société Scomark représentée par M. Pierre W., d'une part, et la société Exa, représentée par M. Christian M., d'autre part (pièce n° 9 de l'appelante), il ressort des pièces produites que la société Safe Cronite, a été partie prenante à sa négociation et à son exécution;
Qu'il ressort ainsi d'un courriel émanant le 13 octobre 2009 de M. Pierre W., agissant en sa qualité de directeur général de la société Afe Cronite, à destination de la société Exa (pièce n° 7 de l'appelante) qu'un recours aux services ponctuels de cette dernière avait été projeté, la société contractante, ainsi que l'exprimait la dernière phrase du courriel, devant déjà être la société Scomark ;
Qu'à l'évidence c'est également sous l'impulsion de la société Afe Cronite, prise en la personne de son directeur général, M. W., que le contrat de distribution a été signé ;
Que la société Afe Cronite, prise en la personne de M. W., a, en tout état de cause, suivi l'exécution du contrat pour avoir été destinataire du plan marketing qui détaillait les visites prévues de sites d'avril 2010 à février 2012 (pièce n° 7 de l'intimée) ainsi que des rapports d'activité et des comptes-rendus trimestriels envoyés par courriel par la société Exa les 15 septembre 2010, 4 mars 2011, 6 juin 2011 et 28 septembre 2011 (pièces n° 9, 11, 12 et 13 de l'intimée), rapports et comptes-rendus également adressés à M. Franck F., pour le compte de la société Scomark ;
Que c'est en qualité de représentant de la société Afe Cronite, et au siège social de celle-ci à Arnage, dans la Sarthe, que M. W. a écrit à la société Exa, le 10 juin 2011 (pièce n° 29 de l'intimée), le 15 septembre 2010 (pièce n° 35), et le 10 octobre 2011 (pièce n° 38) ;
Que c'est en cette même qualité que M. W. a convié M. M. à intervenir le 10 septembre 2010 au comité du groupe Afe (pièce n° 68 de l'intimée) ;
Que surtout, c'est en cette qualité, que par courriel du 19 octobre 2011 (pièce n° 15 de l'intimée), il lui a annoncé qu'allait être mis fin à son contrat de représentation exclusive pour "des manquements très graves de votre part" par une lettre recommandée avec demande d'avis de réception qui devait lui parvenir à la fin de la semaine et dont, ainsi que le souligne la société Exa, les équipes techniques (dont M. F.) de la société Scomark n'apparaissent pas avoir eux-mêmes eu connaissance pour avoir poursuivi leurs échanges de courriels avec la société Exa en vue de nouvelles opérations, jusqu'au 19 octobre 2011 (pièces n° 97 et 100 de l'intimée) ;
Que l'envoi de cette lettre était confirmé par courriel de Mme Nelly B., assistante de direction générale de la société Afe Cronite du 2 novembre 2011 (pièce n° 18 de l'intimée).
Que la société Safe Cronite ne peut sérieusement soutenir que M. W., en dépit des mentions figurant sur ses courriels tels que son adresse électronique, la mention d'Arnage, le cartouche en bas de page rappelant systématiquement sa qualité de directeur général de la société Afe Cronite, l'adresse du siège social de celle-ci et les différents numéros de téléphone français auxquels il pouvait être joint, a toujours et exclusivement agi en qualité de directeur général de la société Scomark à laquelle aucune mention de ses courriers ne renvoyait jamais ;
Qu'habilité à représenter la société Afe Cronite devenue Safe Cronite, c'est précisément ce que M. W. a fait en l'espèce ;
Qu'il importe peu que la lettre de rupture, datée du 19 octobre 2011 et située à Arnage (pièce n° 19 de l'intimée) ait été rédigée à l'en-tête de la société Scomark et que M. W., son signataire, y ait été désigné en qualité de "director", pour signifier que, pour la circonstance, il signait en sa qualité de représentant de la société Scomark ;
Et attendu que la société Safe Cronite ne le conteste pas sérieusement qui fait valoir que faisait partie de son objet social le fait d'intervenir dans l'activité même de sa filiale, la société Scomark, et de prendre des décisions quant à sa politique commerciale ;
Qu'en effet, il ressort de l'extrait Kbis de la société Afe Cronite (pièce n° 1 de l'appelante) que l'activité de la société comprenait notamment "toutes activités concernant les filiales de la société Afe et relatives à l'animation du réseau commercial, la gestion d'un réseau de prospection, la représentation commerciale, la promotion des ventes, la définition, l'étude et la conception de nouveaux produits en liaison avec les filiales industrielles d'Afe, leur réalisation éventuelle en sous-traitance, la prestation de tous services généraux et administratifs, la centralisation et la gestion d'ordres émanant des sociétés industrielles et commerciales ou de groupements d'achat" ;
Que c'est donc en conformité avec son objet social qu'elle est ainsi directement intervenue du début à la fin dans les relations contractuelles unissant la société Scomark à la société Exa ;
Mais attendu, que si son intervention n'est pas critiquable dans ses relations avec sa filiale, elle ne l'exonère pas de sa responsabilité vis-à-vis des tiers lorsque ses décisions ont été à l'origine d'actes fautifs qui leur ont causé préjudice ;
Or attendu, s'agissant la lettre de rupture, qu'ainsi que l'a relevé à juste titre le tribunal, les motifs qui y sont invoqués comme constituant des manquements graves n'ont jamais fait l'objet de mises en demeure et ne sont pas caractérisés ;
Qu'il est, en effet, aux termes de cette lettre, reproché à la société Exa "plusieurs manquements graves" "notamment au niveau de la prospection des clients (aucune visite n'a été effectuée du 15 juin au 29 septembre), de la promotion de nos produits (réticence à promouvoir le SRC), de la négociation des offres (diminution constante du nombre d'offres proposées) et des informations à nous communiquer (manque de transparence)" ;
Que dans une lettre adressée, le 14 novembre 2011 (pièce n° 21 de l'intimée) à M. W., en sa qualité de directeur général de la société Afe Cronite, la société Exa réfute point par point les griefs articulés, l'absence de visite l'été 2011 étant sans incidence et prévue par le plan marketing approuvé, la simple "réticence" à promouvoir un seul des articles Cronite n'étant pas avérée et ledit article étant, au contraire, l'objet d'un litige entre les deux partenaires en raison de sa promotion sur le territoire russe par une société italienne, au mépris de la clause d'exclusivité consentie, la diminution constante alléguée du nombre d'offres proposées étant démentie par les chiffres et le manque de transparence par les rapports trimestriels envoyés ;
Que par la même lettre, la société Exa rappelait également qu'en dépit de l'article 8 du contrat qui prévoyait expressément un déficit probable des deux premières années d'activité pendant lesquelles se forgerait la future notoriété de Cronite, trois des vingt-et-une offres faites en 18 mois avaient abouti à trois commandes pour un total de 800 000 euros ;
Que cette lettre, apparemment demeurée sans réplique, n'est contredite par aucune pièce produite par l'appelante ;
Que, tout au contraire, les véritables raisons de la rupture ressortent clairement du courriel que M. W., en sa qualité de directeur général de la société Afe Cronite, a adressé à M M., le 10 juin 2011 (pièce n° 29 de l'intimée);
Que ce courriel explique en termes pondérés que M. W. ne fait "aucune critique" et ne se "place qu'au plan de l'efficacité", qu'il ne "doute pas qu'Exa travaille très dur et n'a jamais remis ça en doute", qu'il est "tout disposé à reconnaître qu'(il est) responsable de l'erreur de jugement qui a conduit à notre collaboration", qu'il aurait "dû être plus informé de la situation du marché russe" et que M. M. n'y est "donc pour rien" et qu'il comprend "bien qu'Exa n'est responsable d'aucune de ces situations", ce dont il ressort que la principale motivation de la rupture des relations contractuelles établies avec la société Exa tient à la très grande difficulté, sous-estimée par M. W. lui-même, quelle qu'en fût la qualité, à pénétrer le marché russe et la déception qui en découle en termes de résultats ;
Qu'il est très significatif qu'à cette date, quatre mois avant la formalisation de la rupture, M. W. ait conclu son courrier en indiquant qu'il maintenait son offre d'une séparation amiable et précisant qu'il n'adressait à la société Exa aucun reproche ;
Attendu, de surcroît, qu'aucun des manquements allégués n'était, en tout état de cause, de nature à justifier la résiliation anticipée du contrat qui avait été conclu pour une durée déterminée de cinq années, étant ici rappelé que le contrat prévoyait expressément en son article 11 la possibilité pour chaque partie "de se retirer du présent contrat pendant 6 mois à compter de sa signature pour motif sérieux : non-exécution du plan marketing, négligence caractérisée dans l'activité commerciale, prix non compétitifs, boycott d'une des parties", le préavis étant alors fixé à trois mois ;
Que la société Scomark, qui n'a pas usé de cette faculté de retrait, au demeurant très encadrée, n'avait plus la possibilité de mettre unilatéralement fin au contrat avant son terme sauf à justifier d'une inexécution totale de ses obligations contractuelles par la société Exa, ce qui n'est aucunement soutenu aujourd'hui ;
Attendu, en définitive, qu'en mettant brusquement, sans motif légitime ni délai de préavis, prématurément fin au contrat à durée déterminée, la société Scomark a commis une faute, dont la société Safe Cronite pour avoir été, ainsi qu'il a été vu, l'inspiratrice et même l'exécutrice directe de la rupture, doit répondre sur le plan délictuel ;
Que le jugement qui a retenu le caractère abusif de la rupture et, retenant que la société Afe Cronite était la société décisionnaire, a condamné celle-ci à réparer aux côtés de la société Scomark les conséquences dommageables subies par la société Exa sera confirmée sauf à préciser que la société Safe Cronite est tenue in solidum et non solidairement aux côtés de la société Scomark ;
Attendu que la société Exa demande encore à la cour de statuer sur une violation de la clause d'exclusivité qu'elle impute à la société Afe Cronite ainsi que sur la responsabilité de cette dernière pour avoir organisé l'insolvabilité délibérée de la société Scomark ;
Mais attendu, que la responsabilité de la société Afe Cronite se trouvant déjà totalement engagée pour être à l'origine de la rupture abusive dont a été victime la société Exa et aucune indemnité distincte de celle destinée à réparer le préjudice découlant de cette rupture n'étant sollicitée, il n'y a pas lieu de rechercher si la société Afe Cronite a participé ou non à la violation de la clause d'exclusivité que le tribunal a imputée à la société Scomark ni si elle a organisé l'insolvabilité de cette dernière ;
Sur le préjudice
Attendu que la société Exa décompose le préjudice dont elle demande réparation en trois postes : le préjudice de prospection et de perte de marges, la perte de valeur qu'elle subit et le préjudice d'image, et s'appuie principalement sur les conclusions du rapport d'expertise de M. M., expert-comptable - commissaire aux comptes, expert judiciaire près la Cour d'appel de Paris (pièce n° 64 de l'intimée) qu'elle a unilatéralement mandaté ainsi que sur ses notes complémentaires répondant aux critiques des confrères sollicités par son adversaire (pièces nos 75 et 111 de l'intimée) ;
Que pour s'y opposer, la société Safe Cronite invoque les notes critiques établies à sa demande par MM. B. et M. (pièces n° 42, 43, 47 de l'appelante) respectivement expert-comptable, expert judiciaire près la Cour d'appel de Rennes et expert-comptable-commissaire aux comptes, et soutient essentiellement que le préjudice subi par la société Exa est inexistant ;
Attendu, s'agissant du premier poste de préjudice, que la société Exa réclame, en premier lieu, remboursement des frais de prospection (frais de personnel, frais de déplacements et frais de location de bureau) par elle exposés en 2010-2011 au titre du contrat de distribution Scomark et que son expert, se fondant sur les éléments comptables validés par l'expert-comptable de la société ainsi que celui-ci en a attesté (pièce n° 65 de l'intimée), a évalués à la somme de 373 800 euros ;
Mais attendu, que sans remettre sérieusement en compte le chiffre invoqué de 373 800 euros, la société Safe Cronite rappelle à raison qu'il a été versé à la société Exa une somme globale de 416 667 euros en application de l'article 8 du contrat de distribution exclusive ;
Qu'en vertu de cet article, il était prévu que pour compenser le déficit probable des deux premières années d'activité pendant lesquelles se forgerait la future notoriété de la société Scomark, celle-ci s'engageait à participer financièrement aux actions de promotion et de prospection de la société Exa ;
Qu'en particulier, serait versé à la société Exa, pendant les deux premières années, "un forfait pour peines, soins et frais de 250 000 euros HT par an", 50 % de ces sommes devant être remboursés par la société Exa au prorata des contrats conclus, à hauteur de 5 % sur le montant de chaque contrat à concurrence des sommes perçues, les autres 50 % étant définitivement acquis à la société Exa ;
Qu'il est constant au débat que la première année, la société Exa a bien reçu la somme de 250 000 euros HT pour l'indemniser de ses peines, soins et frais et que la seconde année, elle n'a perçu que les deux tiers de la somme de 250 000 euros, soit 166 667 euros HT dont elle a remboursé, selon ses propres déclarations, la somme de 39 725,85 euros au titre des trois premières commandes conclues pour un montant de quelque 800 000 euros ;
Qu'ainsi a-t-elle conservé quelque 250 000 + 166 667 - 39 725,85 = 376 941,15 euros, soit une somme excédant les frais de prospection exposés dont elle fait état ;
Que son préjudice de ce chef apparaît donc nul, étant observé, d'abord, que le contrat de distribution a été résilié à compter du 19 octobre 2011 et non résolu ou annulé ce qui exclut une remise en état des parties dans l'état qui était le leur avant sa conclusion, ensuite, que la société Exa n'allègue pas avoir exposé des frais imprévus en ayant dû se séparer de son personnel ou restituer ses locaux en raison de la résiliation prématurée du contrat de distribution et, enfin, qu'elle ne peut davantage prétendre avoir inutilement exposé ces frais de personnel et de location puisqu'elle a ainsi pu conclure trois contrats pour lesquels il n'est pas contesté qu'elle a reçu sa rémunération ;
Qu'elle sera déboutée de sa demande sur ce premier point ;
Attendu que la société Exa sollicite, en deuxième lieu, réparation de sa perte de marges ;
Attendu que si elle est fondée à réclamer un manque à gagner sur toute la durée restante du contrat après résiliation, soit sur la durée de trente-neuf mois, elle ne peut cependant, ainsi que le soutient la société Safe Cronite, prétendre qu'à une perte de chance dès lors que le contrat ne prévoyait pas une rémunération fixe qui lui aurait été acquise en dépit de sa rupture et dont la perte aurait constitué un préjudice certain, mais une rémunération définie à l'article 7 comme suit : "En compensation de ses services, Exa percevra une marge sur les offres de Cronite. Ces marges ne devront pas être telles qu'elles détériorent la compétitivité des équipements, l'intérêt mutuel des parties étant bien évidemment de signer et exécuter des contrats. Exa sera donc le signataire des contrats et Cronite sera son fournisseur principal. Les garanties techniques seront rétrocédées à Cronite qui les assurera en dernier recours" ;
Attendu qu'il apparaît ainsi que non seulement aucune rémunération fixe n'avait été prévue, mais encore que le taux de la marge accordée à la société Exa n'ait pas été défini ;
Que surtout la perception de cette marge impliquant la conclusion de contrats, il appartient à la société Exa de rapporter la preuve de la probabilité de cette conclusion ;
Or attendu que si cette probabilité apparaît raisonnablement élevée au titre des contrats qualifiés d'en cours par M. M. au jour de la résiliation, elle paraît beaucoup plus faible pour les contrats qui n'auraient pu être négociés qu'ultérieurement, spécialement dans l'activité "ammoniaque-méthanol" où aucune négociation n'avait encore abouti ;
Qu'en effet, la société Exa ne peut dissimuler ce qu'elle a elle-même rappelé et répété depuis le début de ses relations avec le groupe Afe Cronite, à savoir que la réputation de la société Scomark et de ses produits était à construire ou à rétablir sur le marché de l'ex-URSS, et que le niveau du prix de ces produits était déterminant ;
Qu'il est éloquent de lire dans son dernier compte-rendu trimestriel du 28 septembre 2011 (pièce n° 13 de l'intimée), qu'avec nombre de clients potentiels elle n'était encore arrivée en dépit de ses efforts incontestables qu'au niveau de la discussion, pas même de la promesse, moins encore de l'engagement ferme et que si les offres faites en réponse à des appels d'offres n'avaient jusqu'alors pas été retenues, c'était presque toujours en raison de leur prix trop élevé ;
Que toute l'expérience et la compétence de la société Exa, présente sur le marché russe depuis 1989 et partenaire du groupe Manoir industries pendant douze ans, de 1996 à 2008, ayant engendré un chiffre d'affaires que M. M. a évalué à 38,1 millions de dollars américains, soit environ 30 millions d'euros, ne garantissaient pas absolument que la distribution des produits de la société Scomark connaîtrait le même succès et ne pouvaient à elles seules compenser le fait que les produits de la société Scomark, quelle qu'en ait été la qualité technique, étant perçus comme trop onéreux par les acheteurs potentiels, n'étaient pas suffisamment concurrentiels ;
Que la circonstance que, néanmoins, la société Exa fût parvenue à décrocher trois contrats représentant 800 000 euros en 2011, pour encourageante eût-elle été, ne permettait pas à elle seule de donner la certitude que de nombreux autres contrats allaient nécessairement immédiatement suivre, étant observé que ces trois contrats ont été conclus avec le même client, la société Sibur, et non trois clients différents ;
Que les taux de "réussite" et les projections retenus par M. M. et traduits par lui en termes comptables reposent entièrement sur la vision du marché potentiel pour les années 2012-2015 que lui en a donnée la société Exa elle-même à partir de l'étude d'un institut russe dont elle a vanté la fiabilité et de la part de plus en plus importante que, forte de son expérience passée, elle espérait y prendre, sans que M. M., ainsi qu'il le déclare en début de rapport, les ait vérifiés ;
Que la cour observe qu'à la réception de la lettre de rupture, la société Exa (pièce n° 21 de l'intimée) s'est employée à réfuter, point par point et de façon justifiée, les prétendus manquements graves qui lui étaient reprochés, s'est légitimement émue de la violation de la clause d'exclusivité dont elle avait été victime et a rappelé que le contrat à durée déterminée ne pouvait être rompu, mais elle n'a pas tenté de convaincre son auteur de l'importante erreur économique et financière qu'il commettait en ne poursuivant pas un contrat ne pouvant que devenir fructueux pour lui, passées les deux premières années ;
Que force est de constater que son analyse, à l'époque, n'apparaît pas avoir réellement été très éloignée de celle clairement exprimée par M. W. dans son courriel du 10 juin 2011 (pièce n° 29 de l'intimée), qui évoquait le handicap que constituait le peu d'ancienneté de sa société dans le métier face aux intervenants traditionnels et l'absence complète de résultats à attendre, en particulier sur le marché de l'éthylène, sauf à diminuer le prix de 15 % et donc à vendre à perte ;
Attendu que pour autant, l'obstacle mis à la poursuite du contrat jusqu'au terme contractuellement fixé a indéniablement ruiné les efforts de prospection accomplis par la société Exa auprès des nombreux sites qu'elle avait soigneusement répertoriés en repérant les besoins précis, à plus ou moins long terme, en tubes de chacun et a privé celle-ci de la chance d'en recevoir un jour les fruits ;
Que le préjudice résultant de cette perte de chance sera indemnisé par la somme de 300 000 euros ;
Attendu que la société Exa invoque une perte de valeur liée à la résiliation fautive du contrat ;
Mais attendu que cette perte n'est pas démontrée, la société Exa, qui n'apparaît pas avoir quitté le territoire russe postérieurement à la résiliation, ne niant pas avoir redéveloppé son activité et avoir amélioré son résultat d'exploitation en 2012 ;
Qu'elle sera déboutée de ses prétentions de ce chef ;
Attendu que la société Exa invoque enfin un préjudice d'image pour avoir vu ruinée sa réputation sur le marché de l'ammoniaque et du méthanol où elle assure n'avoir plus réussi à pénétrer après la résiliation alors qu'elle y avait acquis une notoriété indiscutable pendant quinze ans ;
Que la résiliation fautive du contrat en la rendant illégitime à mener à bien les discussions entamées ayant nécessairement écorné son image sur un marché où les intervenants sont peu nombreux, il lui sera alloué la somme de 15 000 euros de ce chef ;
Sur les demandes accessoires
Attendu que le bénéfice de l'anatocisme étant de droit lorsqu'il est sollicité en justice, cette demande, formulée pour la première fois dans les conclusions du 26 mai 2016, sera accueillie ;
Attendu que chacune des parties succombant en partie de ses prétentions en cause d'appel conservera les dépens d'appel et les frais par elle exposés sans qu'il y ait lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et par défaut, Donne acte aux parties comparantes de leur accord sur la révocation de l'ordonnance de clôture, En conséquence, Révoque l'ordonnance de clôture et fixe la nouvelle clôture au 21 juin 2016, jour de l'audience, Ecarte des débats les pièces n° 46-6, 46-7 et 50 produites par la société Safe Cronite, Infirme le jugement déféré SAUF en ses dispositions relatives à la société Cronite Scomark Engineering ltd placée sous le régime de l' "administration", procédure collective britannique, et aux "joint administrators" MM. Cameron G., Mark S. et Simons H. ET en ce qu'il a condamné la société Afe Cronite devenue Safe Cronite aux dépens et au paiement d'une indemnité de procédure de 10 000 euros, Et statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant, Fixe à la contrepartie en livres sterling de la somme de quatre-vingt trois mille trois cent trente-trois euros (83 333 euros) majorée des intérêts au taux légal échus du 13 septembre 2011 au 29 mai 2012 la créance de la société Export assistance international au titre de la facture n° 11.3220 du 13 septembre 2011, Dit que la société Afe Cronite devenue Safe Cronite a engagé sa responsabilité délictuelle à l'égard de la société Export assistance international pour avoir contribué personnellement à la rupture abusive du contrat de distribution exclusive liant celle-ci à la société Cronite Scomark Engineering ltd, Dit qu'elle est tenue de répondre in solidum avec la société Cronite Scomark Engineering ltd des conséquences dommageables résultant de cette rupture pour la société Export assistance international, En conséquence, la Condamne à payer à la société Export assistance international la somme de trois cent mille euros (300 000 euros) en réparation de la perte de chance subie et celle de quinze mille euros (15 000 euros) en réparation du son préjudice d'image, Dit que les intérêts échus au moins pour une année entière produiront eux-mêmes intérêts au taux légal, conformément à ce que prévoit l'article 1154 du Code civil, Dit que chacune des parties conservera à sa charge les dépens d'appel par elles exposés, Déboute les parties de leurs prétentions plus amples ou contraires.