CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 30 septembre 2016, n° 14-03616
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Fiduciaire 4C Gestion (SA)
Défendeur :
Procars (SA), Procars Champagne (SARL), Alba Voyages (SA), Petits Trains de Provins (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Birolleau
Conseillers :
Mme Lis Schaal, M. Fusaro
Avocats :
Mes Bernabe, Beddouk, Vialle
La société d'expertise-comptable Fiduciaire 4G Gestion (F4C) a assuré des prestations comptables pour le compte de quatre sociétés du groupe Procars (SA Procars, SARL Procars Champagne, SARL Alba Voyages, SARL Petits Trains de Provins). Les relations ont porté, pendant plus de 20 ans, sur l'établissement des comptes, puis à partir de 2007, sur l'établissement des paies et des déclarations sociales y afférentes.
Messieurs Michel-Frédéric et Olivier Jouy, fils de Monsieur Jean-Pierre Jouy, Président et détenteur de 70 % de la société Procars, ont soupçonné la deuxième épouse de Monsieur Jean-Pierre Jouy, Madame Danièle Jouy, qui avait constitué en 1995 une société Albène, ayant pour objet de procéder au rachat des actions de la société Procars détenue par Monsieur Damande (12 % appartenant à la famille Damande), de détourner des fonds (la société Albène centralisait la comptabilité et la facturation de la totalité des honoraires de la société F4C et procédait à un refacturation des prestations effectuées pour le compte de chaque société).
Le 9 février 2007, Messieurs Michel-Frédéric et Olivier Jouy ont déposé une plainte contre X pour abus de biens sociaux, abus de confiance, de faux et usage de faux, de recels devant le doyen des juges d'instruction du Tribunal de grande instance de Melun qui a rendu une ordonnance de non-lieu le 22 juillet 2008, ordonnance infirmée par arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris le 15 mai 2009.
Madame Danièle Jouy est décédée en janvier 2009, déshéritant son époux. Le 5 février 2009, Procars a mis un terme aux conventions conclues avec Albène.
Procars, ayant reçu le 8 mars 2011 une proposition de rectification à la suite d'une vérification de comptabilité et estimant ne plus pouvoir faire confiance à F4C, a notifié à cette dernière, par lettres recommandées des 18 mars 2011 (pour la mission comptable), 23 mars 2011 (pour les missions de paie) et 28 avril 2011 (pour les missions d'établissement des budgets pour le compte de Procars, Procars Champagne et les Petits Trains de Provins), la rupture unilatérale de leurs relations commerciales à compter du 31 mars 2011.
Par acte du 11 août 2011, F4C a assigné Procars devant le Tribunal de commerce de Paris en paiement de différentes sommes au titre d'honoraires restant à courir jusqu'au terme du contrat, au titre de la réparation du préjudice économique subi à la suite de la rupture brutale des relations commerciales et en réparation du préjudice économique subi consécutivement au licenciement de deux de ses employés pour motif économique et au titre du préjudice moral.
Par jugement en date du 10 février 2014, le tribunal de commerce a débouté la SA Fiduciaire 4C Gestion de toutes ses demandes, a débouté les défenderesses de leurs demandes fondées sur la procédure abusive et a condamné la F4C au paiement de la somme de 8 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La SA Fiduciaire 4C Gestion a régulièrement interjeté appel de cette décision le 18 février 2014.
Prétentions des parties
La SA Fiduciaire 4C Gestion (F4C), par conclusions signifiées le 11 septembre 2014, auxquelles il est fait référence pour plus ample exposé des motifs, de leur argumentation et de leurs moyens, demande à la cour de :
- infirmer partiellement le jugement entrepris et statuant à nouveau,
1. Sur la mission d'établissement des comptes annuels et des budgets :
- dire que les sociétés Procars ont engagé leur responsabilité contractuelle en violant les stipulations relatives à la résiliation des contrats conclus avec elle ;
En conséquence,
- condamner Procars à lui payer une somme de 62 282,61 euros au titre d'honoraires restant à courir jusqu'à la prochaine date anniversaire du contrat, soit le 1er janvier 2012 ;
- condamner Procars Champagne à lui verser la somme de 17 790,50 euros à titre des honoraires restant à courir jusqu'à la date anniversaire du contrat, soit le 1er janvier 2012 ;
- condamner la société Les petits Trains de Provins à lui payer la somme de 1 225,90 euros au titre des honoraires restant à courir jusqu'à la prochaine date anniversaire du contrat, soit le 1er janvier 2012 ;
- condamner la société Alba Voyages à lui payer la somme de 7 678,32 euros au titre des honoraires restant à courir jusqu'à la prochaine date anniversaire du contrat, soit le 1er juillet 2001 ;
2. Sur la mission d'établissement des paies et des déclarations sociales y afférentes :
- dire que les contrats conclus par Procars, Procars Champagne et Alba Voyages le 1er mars 2007 ont fait l'objet d'un renouvellement tacite le 28 février 2010 pour une nouvelle durée déterminée de trois ans soit jusqu'au 28 février 2013 ;
En conséquence,
- condamner Procars à lui verser la somme de 98 532 euros à titre d'indemnité égale au montant des honoraires restant à courir jusqu'au terme du contrat, soit jusqu'au 28 février 2013 ;
- condamner Procars Champagne à lui payer la somme de 11 592 euros à titre d'indemnité égale au montant des honoraires restant à courir jusqu'au terme du contrat, soit jusqu'au 28 février 2013 ;
- condamner la société Alba à lui payer la somme de 966 euros à titre d'indemnité égale au montant des honoraires rentant à courir jusqu'au terme du contrat, soit jusqu'au 28 février 2013;
3. Sur le caractère brutal de la rupture des relations commerciales :
- dire que les sociétés Procars ont engagé leur responsabilité civile délictuelle en rompant de manière brutale leurs relations commerciales établies depuis plus de 20 ans ;
En conséquence,
- condamner solidairement les sociétés Procars à lui payer la somme de 321 452 euros en réparation du préjudice économique subi consécutivement à cette rupture brutale ;
- condamner solidairement les sociétés Procars à lui payer la somme de 19 305 euros en réparation du préjudice économique subi en raison du licenciement de deux de ses employés pour motif économique ;
- condamner solidairement les sociétés Procars à lui payer la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice moral subi consécutivement à la rupture brutale des relations commerciales ;
- débouter les sociétés intimées de leur demande en dommages et intérêts pour procédure abusive ;
- les condamner solidairement à lui payer la somme de 25 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens avec application de l'article 699 du Code de procédure civile.
Elle fait valoir que l'instruction pénale ne la concerne pas, mais concerne uniquement la société Albène et qu'elle ne peut justifier la rupture des relations commerciales, aucun reproche ne lui ayant jamais été fait sur la réalisation de ses missions.
Elle soutient que cette rupture a été réalisée en violation des dispositions contractuelles s'agissant de contrats à durée déterminée sur la mission d'établissement des comptes annuels et des budgets qui ne pouvaient être interrompus qu'à la date d'anniversaire sous réserve du respect d'un délai de préavis d'une durée de trois mois.
S'agissant de la mission d'établissement des paies et des déclarations sociales, la mission est conclue pour une durée déterminée de trois ans et se renouvèle tacitement pour la même durée déterminée et en cas de rupture anticipée de Procars il serait dû à F4C une indemnité égale aux honoraires restant à courir jusqu'à l'échéance.
Elle soutient qu'il y a eu rupture brutale des relations commerciales sans respect d'un préavis, alors que les relations étaient établies depuis plus de 20 ans et qu'aucune faute ne peut lui être reprochée, alors qu'aucune pièce n'est produite démontrant qu'elle aurait pu s'apercevoir des agissements de la société Albène et qu'il ne peut lui être reproché de ne pas avoir accompli une prestation non comprise dans sa mission telle que l'assistance à un contrôle fiscal. Elle rappelle que la décision de mettre fin aux relations commerciales est intervenue avant son refus d'assistance.
Elle sollicite une condamnation à dommages et intérêts fondée sur la marge brute équivalente au montant des honoraires facturés, les missions réalisées pour le groupe Procars représentant 17 % de son chiffre d'affaires annuel.
La SA Procars, la SARL Procars Champagne, la SA Alba Voyages et la SARL Petits Trains de Provins (Procars), par conclusions signifiées le 2 mai 2016, auxquelles il est fait référence pour plus ample exposé des motifs, de leur argumentation et de leurs moyens, concluent à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société F4C, à son infirmation partielle et à la condamnation de F4C à leur payer 1 euro symbolique à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et la somme de 21 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi que les entiers dépens.
Elle soutient que la société appelante a commis des fautes justifiant une rupture sans préavis quel que soit le fondement juridique de la demande, l'appelante invoquant simultanément la responsabilité contractuelle et délictuelle ; elle souligne à cet égard que l'acquisition des actions de la famille Damande par la société Albène s'est faite sous l'égide comptable du cabinet F4C, que le contrôle fiscal de 2011 a établi le caractère fictif des prestations d'Albène, ce que F4C ne pouvait ignorer alors qu'elle assurait la comptabilité d'Albène ; elle ajoute que la société F4C a refusé son assistance au contrôle fiscal. Elle estime donc qu'elle n'avait pas à respecter de préavis en raison des fautes graves commises par l'appelante.
Sur le caractère brutal de la rupture, elle expose que le principe de non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle, qui interdit au créancier d'une obligation contractuelle de se prévaloir contre le débiteur de cette obligation, des règles de la responsabilité délictuelle, s'oppose à ce que l'appelante poursuive, en fait cumulativement, l'indemnisation des mêmes conséquences de la rupture de ses relations contractuelles avec les sociétés intimées, alors qu'elles font déjà l'objet de ses diverses demandes en paiement de dommages et intérêts contractuels.
SUR CE
Considérant que la demande d'indemnisation de son préjudice par la société F4C dirigée contre les sociétés Procars cumule le fondement de la responsabilité contractuelle (violation des stipulations contractuelles) et celui de la responsabilité délictuelle (rupture brutale des relations commerciales) ; que la société F4C soutient de manière cumulative que les sociétés Procars n'ont pas respecté les dispositions contractuelles qui les liaient et qu'elle a subi une rupture brutale de leurs relations commerciales au demeurant suivies, stables et habituelles depuis plus de 20 ans ; qu'elle fonde ses prétentions à la fois sur les articles 1134 et 1147 du Code civil et L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et sollicite une condamnation des sociétés Procars sur ces deux fondements ;
Considérant que la règle de non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle ne reçoit application que dans les rapports entre contractants ce qui est le cas en l'espèce, les parties étant liées par des contrats ; qu'en conséquence, les demandes de la société F4C doivent être déclarée irrecevables en application de la règle du non-cumul des responsabilités délictuelle et contractuelle ;
Considérant que l'exercice d'une action en justice ne dégénère en abus que s'il constitue un acte de malice ou de mauvaise foi ; que l'abus n'est pas en l'espèce établi pour la société F4C qui a exercé régulièrement son droit d'appel ; que la demande de dommages et intérêts des sociétés intimées sera donc rejetée ;
Considérant que l'équité impose de condamner la société F4C à payer à chacune des sociétés SA Procars, SARL Procars Champagne, SA Alba Voyages et SARL Petits Trains de Provins la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Par ces motifs , LA COUR statuant publiquement et contradictoirement, déclare les demandes de la société Fiduciaire 4G Gestion irrecevables en leurs demandes, déboute les sociétés SA Procars, SARL Procars Champagne, SA Alba Voyages et SARL Petits Trains de Provins de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, condamne la société Fiduciaire 4G Gestion à payer à chacune des sociétés SA Procars, SARL Procars Champagne, SA Alba Voyages et SARL Petits Trains de Provins la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, la condamne aux entiers dépens avec distraction au profit de Maître Anne-Marie Vialle en application de l'article 699 du Code de procédure civile.