CA Reims, ch. civ. sect. 1, 20 septembre 2016, n° 15-00202
REIMS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Menart & Fils (SAS)
Défendeur :
Arden Equipment (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Maillard
Conseillers :
Mmes Maussire, Lauer
Avocats :
SCP Delgenes Vaucois Justine Delgenes, Me Charpentier, Selas Fidal
Le 22 juillet 2008, la SAS Menart et fils a passé commande d'un grappin à la SA Arden Equipment pour un montant de 16 183 euro TTC. Trois incidents, caractérisés par le décrochage du grappin sont intervenus entre août 2009 et novembre 2010. La SA Arden Equipment est intervenue au titre de la garantie contractuelle pour les deux premiers incidents. Elle a soumis un devis de réparation de 5 810,30 euro TTC pour le troisième incident.
Le 6 juillet 2011, la SAS Menart et fils a assigné la SA Arden Equipment en référé expertise sur le fondement de la garantie des vices cachés. Le rapport d'expertise a été déposé le 26 avril 2012. Par acte d'huissier du 24 juillet 2012, la SAS Menart et fils a assigné la SA Arden Equipment devant le Tribunal de commerce de Bordeaux. Cette dernière a opposé la prescription de cette action, la découverte du vice remontant au 25 septembre 2008. Subsidiairement, elle a fait valoir le rapport d'expertise concluant à un partage de responsabilité de 60 % pour la SA Arden Equipment et de 40 % pour la SAS Menart et fils.
Par jugement du 13 mai 2013, celui-ci s'est déclaré territorialement incompétent par application des conditions générales de vente. L'affaire a été renvoyée devant le Tribunal de commerce de Sedan.
Par jugement du 4 décembre 2014, le Tribunal de commerce de Sedan a notamment jugé l'action prescrite. Pour statuer ainsi, il retient que la SAS Menart et fils reconnaît avoir fait réparer le grappin dans un courrier du 23 septembre 2010 deux ans auparavant, soit quelques jours après la livraison, de sorte que l'action se trouve prescrite, l'assignation en référé étant datée du 6 juillet 2011.
La SAS Menart et fils a interjeté appel.
Selon ses conclusions du 11 mars 2016, elle sollicite l'infirmation du jugement déféré et prie la cour de :
- juger son action recevable,
- dire qu'il appartient à la SA Arden Equipment, en tant que vendeur professionnel, de démontrer le défaut d'utilisation par la SAS Menart et fils dont elle entend se prévaloir,
- dire et juger que le matériel vendu était affecté d'un vice caché ainsi que cela ressort du rapport d'expertise,
- en conséquence prononcer la résolution de la vente,
- condamner la SA Arden Equipment à lui payer la somme de 16 983 euro avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure en date du 21 mars 2011,
- à titre subsidiaire la condamner à lui payer la somme de 13 284,42 euro correspondant à 60 % du prix augmenté des frais annexes d'expertise et de transport,
- condamner la SA Arden Equipment à lui payer la somme de 4 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile en complément des entiers dépens qui comprendront les frais d'expertise et de transport.
Au soutien de son appel, elle fait valoir que l'action n'est pas prescrite puisqu'elle était empêchée d'agir le temps de la garantie contractuelle durant lequel elle ne disposait d'aucun intérêt à agir. Elle prie donc la cour de prendre en considération la date de la dernière intervention de la SA Arden Equipment dans le cadre de sa garantie, soit le 21 juillet 2010 et subsidiairement, la fin de la garantie contractuelle, soit le 4 septembre 2009. Elle réplique que l'incident relaté dans ce courrier du 23 septembre 2010, survenu deux ans auparavant, est totalement étranger aux vices cachés dont elle se prévaut. Sur le fond, elle se fonde sur les conclusions du rapport d'expertise judiciaire ayant retenu un partage de responsabilité de 60 et 40 %. Elle observe en effet qu'il appartenait à la SA Arden Equipment de lui délivrer un matériel exempt de vices, ce qui n'a pas été le cas vu les conclusions de l'expertise. Elle ajoute qu'en tant que vendeur professionnel, présumé responsable de plein droit, il appartient à la SA Arden Equipment de démontrer que les problèmes ont été causés par le défaut d'utilisation de l'acquéreur, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
Selon ses conclusions du 19 août 2015, la SA Arden Equipment sollicite la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions et prie la cour de :
- constater la prescription de l'action fondée sur le vice caché,
à titre subsidiaire,
- dire que la SAS Menart et fils a concouru à la réalisation des incidents survenus sur le grappin et la débouter de sa demande de garantie au titre des vices cachés,
toutes causes confondues,
- la condamner à lui payer la somme de 3 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile en complément des dépens.
Elle fait siens les motifs du jugement sur la prescription dont, selon elle, le cours ne peut nullement être interrompu le temps de la garantie contractuelle. Sur le fond, elle invoque les conclusions du rapport d'expertise qui ne démontrent pas l'existence d'un vice caché, les incidents ayant au contraire été provoqués par un défaut d'utilisation de l'acheteur qui utilise le matériel pour le port de charges lourdes pour lequel il n'est pas conçu.
SUR CE,
La prescription de l'action fondée sur la garantie des vices cachés.
En application de l'article 1648 du Code civil, l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intenté par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice.
Pour juger l'action prescrite, le premier juge s'est fondé sur un courrier de la SAS Menart et fils adressé à la SA Arden Equipment le 23 septembre 2010 rédigé de la manière suivante :
" je suis surpris de voir votre lettre, car avant toute intervention j'avais téléphoné à M. N. Philippe pour lui expliquer le problème qu'il y avait une fuite du huile hydraulique au joint tournant, que (celui-ci avait été changé par vos soins il n'y avait pas 10 mois, j'avais bien expliqué à M. N. que j'étais déçu par le grappin car il y a deux ans il était tombé par terre (le grappin) j'ai moi-même une facture que j'ai payée à un serrurier pour un renforcement du grappin qui s'était déchiré sur les platines du bas dont j'avais indiqué à M. N. Donc comme convenu avec lui je lui avais dit que je ne payerai pas cette réparation. "
Cette lettre fait suite à la troisième intervention de la SA Arden Equipment ensuite de quoi celle-ci a proposé à la SAS Menart et fils d'effectuer les réparations, cette fois en les facturant alors que les deux premières interventions avaient été prises en charge au titre de la garantie contractuelle.
La SAS Menart et fils fait valoir que le premier incident relaté dans ce courrier n'a rien à voir avec les vices cachés dont elle entend se prévaloir. En effet, la cour observe que les trois accidents évoqués lors des opérations d'expertise ont été provoqués par la rupture du joint tournant alors que M.M. évoque dans ce courrier un déchirement des platines du bas.
En tout état de cause, elle note que ce premier incident n'a jamais été évoqué lors des opérations d'expertise, ce qui semble donc confirmer l'absence de lien avec le présent litige et, à tout le moins, le caractère mineur de cet incident. Au cours des opérations d'expertise, il y a d'ailleurs eu une discussion sur la question de savoir s'il y avait eu deux ou trois incidents mais jamais un quatrième incident n'a été évoqué. L'expert a conclu sans ambiguïté, après analyse de ses notes prises suite à la première réunion d'expertise du 3 novembre 2011, à l'existence de trois incidents, le premier en août 2009, le second en octobre 2009 et le troisième en juillet 2010 (page 46 de son rapport).
Ces dates sont confirmées par les fiches d'intervention de la SA Arden Equipment, factures et factures d'avoir que communique la SAS Menart et fils, qui montrent que la première a bien eu lieu les 27 et 28 août 2009 (pièce n° 3), la deuxième le 20 octobre 2009 (pièces n° 4 et 5) et la troisième le 15 juillet 2010 (pièce n° 6).
Le premier incident est donc survenu les 27 et 28 août 2009. L'assignation en référé expertise délivrée le 6 juillet 2011 a interrompu le délai de deux ans prévu à l'article 1648 du Code civil. Ainsi, l'action engagée au fond par acte d'huissier du 24 juillet 2012 n'est pas prescrite. Le jugement déféré sera donc infirmé en ce qu'il a jugé l'action prescrite et la cour statuera au fond par effet dévolutif de l'appel.
L'existence d'un vice caché
En application de l'article 1641 du Code civil, le vendeur est tenu à la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix s'il les avait connus.
Pour pouvoir se faire restituer le prix dans les conditions prévues à l'article 1644 de ce même Code, l'acheteur doit prouver en premier lieu que la chose achetée est affectée d'un vice inhérent à la chose, c'est-à-dire lié de manière intime et nécessaire à celle-ci.
L'expert judiciaire s'est livré à une analyse complexe des différents facteurs ayant concouru à la chute du grappin. Il indique lui-même, en page 40 de son rapport, que la méthodologie de l'arbre des causes décrit un enchaînement de facteurs dits " principaux " et auxiliaires dont la combinaison " matricielle " a permis la survenance des dysfonctionnements ou ruptures.
La cour en déduit logiquement que les chutes ont donc été provoquées par une combinaison de facteurs quand bien même tous ces facteurs ont contribué à ces chutes dans des proportions variables.
Il convient d'analyser les facteurs principaux retenus par l'expert judiciaire.
Ainsi, s'agissant du facteur P 1 " conception-construction du grappin ", l'expert conclut en page 39 de son rapport à une moindre résistance par rapport à l'ancien. La seule circonstance que le nouveau grappin ait été moins résistant que l'ancien ne signifie pas pour autant que le nouveau grappin est affecté d'un vice propre mais simplement que les caractéristiques de celui-ci sont différentes de celles du premier grappin. D'ailleurs, selon l'expert cette moindre résistance, par rapport à l'ancien modèle, n'a contribué aux chutes du grappin qu'à hauteur de 50 %.
Quant au facteur P 2 " conception-construction du joint tournant ", l'expert fait observer qu'il y a eu trois ruptures du joint mais aucune sur l'ancien pour en déduire que ce facteur a eu une influence de 100 % sur les risques. Toutefois, une fois encore la méthode comparative, qui consiste, pour ce facteur, à comparer les comportements respectifs de l'ancien et du nouveau grappin, ne permet pas une fois encore de conclure à l'existence d'un vice de construction propre au nouveau grappin en l'absence de la moindre constatation en ce sens de l'expert judiciaire.
Pour le facteur P 3 " conditions d'utilisation du grappin ", l'expert observe que le grappin a été utilisé pour des travaux de tassage de métaux légers qui ont contribué aux risques de chutes à hauteur de 33 %. Il s'en déduit que, quand bien même les conditions d'utilisation du grappin n'ont pas contribué majoritairement à la survenance des risques, elles y ont pourtant contribué pour un tiers, c'est-à-dire pour une proportion non négligeable alors que de plus la notice de l'équipement, annexée au rapport d'expertise et communiquée aux débats par la SAS Menart et fils elle-même en pièce n° 1, qui liste les limites d'utilisation de l'équipement, interdit le compactage du matériau manutentionné.
Quand bien même l'expert indique que la SAS Menart et fils procédait déjà de la sorte avec l'ancien grappin de sorte que le nouveau n'a pas été sollicité plus que l'ancien sans que l'ancien n'ait jamais subi la moindre rupture (page 37 de son rapport), il n'en demeure pas moins que ce grappin a été utilisé pour un usage pour lequel il n'était pas prévu ainsi que le montre sa notice d'utilisation sans la moindre ambiguïté. En effet, si l'expert admet tacitement que le grappin puisse être utilisé pour le tassage de métaux légers, il n'y a pas lieu à distinguer là où la notice ne distingue pas puisqu'elle se borne à interdire le compactage du matériau manutentionné.
La cour ne croit pas devoir poursuivre davantage sa démonstration sur les facteurs auxiliaires étant observé que la méthodologie de l'expert judiciaire reste identique. Elle citera simplement pour mémoire le facteur A11 " structure du bâti du grappin " dont l'expert conclut à une moindre résistance du nouveau modèle puisque la structure a présenté des fissurations en 2000 heures alors que l'ancien n'en n'a présenté aucune en 3500 heures, ce facteur ayant contribué à 50 % des risques. Là encore, une moindre résistance par rapport à l'ancien modèle ne constitue pas davantage un vice inhérent à la chose dès lors qu'il a nécessairement été tenu compte des propriétés de ce modèle pour en définir les utilisations.
En conclusion de son arbre des causes, l'expert impute au bout du compte 60 % des facteurs de risque à la SA Arden Equipment et 40 % à la SAS Menart et fils.
Les défectuosités observées en page 45 et 46 du rapport sont les conséquences de la chute du grappin et ne constituent donc nullement des vices cachés au sens de l'article 1641 du Code civil.
En résumé, l'analyse de la conjonction des facteurs qui ont tous contribué, certes dans des proportions variables majoritairement imputées par l'expert judiciaire à la SA Arden Equipment, ne rapporte pas la preuve de l'existence d'un vice caché de la chose puisque l'on cherche en vain dans le rapport de l'expert judiciaire le début d'un indice en ce sens.
En effet, au niveau de ses conclusions (page 48 du rapport), quand bien même il en a défini des proportions respectives, l'expert maintient que les différents dysfonctionnements constatés sur le grappin trouvent leur origine dans les points suivants :
" - soit la structure de nouveau grappin était d'une qualité de fabrication et une structure moins résistante que l'ancien grappin,
- soit que les conditions d'utilisation du grappin par la SAS Menart et fils étaient non conformes,
- soit une surcharge dans des cas d'utilisation spécifique (moins de 50 % du temps d'utilisation) du fait d'une pelle de plus grande capacité,
- soit enfin que nous avons eu une combinaison des trois facteurs dans une proportion à déterminer ".
Ce qui démontre que l'expert émet des hypothèses, lesquelles ne permettent pas d'établir la preuve d'un vice inhérent de la chose.
Au surplus, la cour note que dès lors que les conditions d'utilisation sont en cause, même dans une proportion minoritaire, celles-ci sont de nature à exclure l'existence d'un vice caché. Il convient en effet de se poser la question de savoir si le grappin serait tombé dans les conditions d'utilisation normales telles que l'acheteur en a eu connaissance ainsi que le montre la notice qu'il communique lui-même aux débats. En effet, même limitées, ces utilisations non conformes ont nécessairement elles aussi contribué à l'usure prématurée du joint tournant et à sa rupture.
La première condition de mise en œuvre des dispositions des articles 1641 et 1644 du Code civil, à savoir l'existence d'un vice inhérent à la chose n'étant pas remplie, la SAS Menart et fils sera déboutée de ses demandes sans qu'il soit dès nécessaire d'étudier les autres conditions prévues par ces dispositions.
Les demandes accessoires :
Le jugement sera confirmé sur l'article 700 du Code de procédure civile ainsi que sur les dépens.
Succombant en son appel et comme telle tenue aux dépens, la SAS Menart et fils sera déboutée de sa propre demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile et versera à ce titre à la SA Arden Equipment la somme de 2 000 euro en complément des dits dépens.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Infirme partiellement le jugement rendu le 4 décembre 2004 par le tribunal de commerce de Sedan, Et, statuant à nouveau, Vu l'article 1648 du Code civil, Dit que l'action engagée au fond le 24 juillet 2012 n'est pas prescrite, en conséquence, Dit que les demandes sont recevables, Vu l'article 1641 du Code civil, Déboute la SAS Menart et fils de toutes ses demandes, Confirme pour le surplus le jugement rendu par le tribunal de commerce de Sedan le 4 décembre 2014, Et, y ajoutant, Déboute la SAS Menart et fils de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, La condamne à payer à ce titre à la SA Arden Equipment la somme de 2 000 euro ; Condamne la SAS Menart et fils aux dépens d'appel.