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Décisions

Cass. com., 4 octobre 2016, n° 15-14.025

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Saint Gobain emballage (SA)

Défendeur :

Etablissements Meyrieux (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Poillot-Peruzzetto

Avocats :

SCP Célice, Soltner, Texidor, Périer, SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel

T. com. Bordeaux, 7e ch., du 9 mars 2012

9 mars 2012

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 7 janvier 2015), que la société Saint Gobain emballage (la société Saint Gobain) fournissait en bouteilles la société d'exploitation des établissements Meyrieux (la société Meyrieux), spécialisée dans la fourniture de chais et produits et services associés ; que la société Saint Gobain ayant, par une lettre du 7 novembre 2007, rompu leur relation pour le 1er mars 2009, la société Meyrieux l'a assignée en paiement de dommages-intérêts pour rupture brutale d'une relation commerciale établie ;

Sur le premier moyen : - Attendu que la société Saint Gobain fait grief à l'arrêt de sa condamnation alors, selon le moyen : 1°) que pour vérifier la situation de dépendance économique dans laquelle se trouve un distributeur par rapport à son fournisseur et évaluer, à due proportion, le délai de préavis qui devait lui être accordé, le juge doit tenir compte des facultés du distributeur à externaliser, à l'international, son réseau de fournisseurs ; qu'en énonçant, pour fixer à trois ans le délai de préavis que la société Saint Gobain aurait dû délivrer à la société Meyrieux, que celle-ci était en situation de duopole avec la société Boussois-Souchon-Neuvesel rachetée depuis par la société Owen-Illinois, sans rechercher, comme elle y était invitée, s'il n'existait pas, au-delà de ces sociétés d'origine française, et à l'international, des producteurs d'emballage en verre vers lesquels la société Meyrieux était à même de se retourner, notamment en Egypte, en Tunisie, en Chine ou en Italie, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6, I du Code de commerce ; 2°) qu'en l'espèce, la société Saint Gobain rappelait qu'elle avait simplement mis fin à la relation de fournisseur/distributeur qu'elle entretenait avec la société Meyrieux, ce qui signifiait, non pas que la société Saint Gobain refuserait toute commande qu'il lui serait adressée à compter du jour où le préavis prendrait fin, mais que la société Meyrieux ne bénéficierait plus, à compter de cette date, du prix préférentiel dont elle bénéficiait jusqu'alors en sa qualité de distributeur " Saint Gobain " et qu'elle pourrait subir la concurrence de son ancien fournisseur ; qu'en fixant à trois années le délai de préavis qu'aurait dû accorder la société Saint Gobain à la société Meyrieux au motif que celle-ci pouvait trouver difficilement un fournisseur satisfaisant les exigences très précises de ses clients sur la forme la dimension, la teinte de la bouteille, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé l'article 4 du Code de procédure civile ;

Mais attendu que la durée du préavis suffisant s'apprécie en tenant compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances, notamment de l'état de dépendance économique du partenaire évincé, au moment de la notification de la rupture ; que la dépendance économique résulte notamment de la difficulté pour le distributeur d'obtenir d'autres fournisseurs des produits équivalents dans des conditions économiques comparables ; que l'arrêt relève, par une appréciation souveraine des éléments de preuve produits, que l'état de dépendance de la société Meyrieux résulte non pas de sa volonté mais de la structure du marché du verre de bouteille, caractérisé par le contrôle du duopole Owen-Illinois et Saint Gobain et de l'existence d'autres fournisseurs trop spécialisés ou disposant d'une gamme peu étendue ; qu'il relève encore que la société Saint Gobain a l'exclusivité de certaines caractéristiques colorimétriques de la teinte " Tradiver " très appréciée de la clientèle, ce dont il résulte que les sources d'approvisionnement de la société Meyrieux à un coût satisfaisant pour tous sont limitées ; que par ces constatations et appréciations, dont elle a déduit que la durée du préavis devait être fixée à trente-six mois, la cour d'appel, qui a effectué la recherche prétendument omise sans méconnaître les termes du litige, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen : - Attendu que la société Saint Gobain fait le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen : 1°) que le délai de préavis accordé par une partie à son cocontractant prend fin à compter de la date à laquelle la partie à l'initiative de la rupture met effectivement un terme aux relations contractuelles, ou, le cas échéant, adopte un comportement manifestement incompatible avec la poursuite de celles-ci ou, faisant preuve d'une déloyauté manifeste, place volontairement son partenaire dans l'impossibilité de tirer pleinement parti de ce préavis ; que dans le cas contraire, le préavis est réputé avoir été exécuté ; qu'en l'espèce, la société Saint Gobain faisait valoir qu'elle avait loyalement exécuté le préavis annoncé à la société Meyrieux en honorant l'ensemble des commandes qui lui étaient adressées et en leur appliquant le tarif préférentiel des distributeurs " Saint Gobain " ; qu'elle ajoutait qu'elle n'avait honoré aucune commande émanant des clients directs de la société Meyrieux et que celle-ci ne produisait pas un seul élément en ce sens ; qu'en estimant que " le préavis [n'avait] pas été exécuté pendant trois mois et demi par la société Saint-Gobain " au motif que celle-ci " souten[ait] de façon inexacte (...) qu'elle n'[avait pas] démarché les clients de la société Meyrieux avant le mois de mars 2009 " sans constater que la société Saint Gobain avait, pendant la période de préavis, honoré des commandes directes émanant des clients de la société Meyrieux ou détourné, pendant cette période, la clientèle de sa cocontractante, sans quoi les actes de démarchages fustigés ne pouvaient caractériser, de la part de la société Saint Gobain, un refus d'exécution du préavis accordé à son partenaire commercial, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L. 442-6, I du Code de commerce ; 2°) qu'en reprochant à la société Saint Gobain d'avoir tardé à communiquer ses tarifs pour l'année 2009, sans répondre aux conclusions par lesquelles elle faisait valoir que la date de transmission des nouveaux tarifs, soit le 30 décembre 2008 pour des prix applicables au 1er janvier 2009, n'était pas fautive puisqu'elle avait transmis une fourchette des augmentations dès le mois de novembre 2008 ainsi qu'une première grille tarifaire indicative dès le 19 décembre 2008, et que cette façon de procéder n'était pas incohérente par rapport aux années précédentes, la société Saint Gobain produisant d'ailleurs à ce sujet des pièces attestant que les conditions tarifaires pour 2008 avaient été communiquées le 27 décembre 2007 ou que les conditions tarifaires pour 2005, applicables à compter du 15 janvier 2005 avaient été transmises le 10 janvier 2005, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ; 3°) que le délai de préavis accordé par une partie à son cocontractant prend fin à compter de la date à laquelle la partie à l'initiative de la rupture met effectivement un terme aux relations contractuelles, ou, le cas échéant, adopte un comportement manifestement incompatible avec la poursuite de celles-ci ou, faisant preuve d'une déloyauté manifeste, place volontairement son partenaire dans l'impossibilité de tirer pleinement parti de ce préavis ; qu'un simple retard d'exécution, a fortiori mineur, ne justifie pas l'amputation du délai de préavis ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a estimé que " le préavis [n'avait] pas été exécuté pendant trois mois et demi par la société Saint Gobain " au motif encore que la société Saint Gobain avait communiqué à la société Meyrieux les tarifs en vigueur à compter du 1er janvier 2009 de façon tardive, soit, selon cette dernière, quelques semaines plus tard que les années précédentes ; qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à établir que la société Saint Gobain avait commis une faute d'une gravité telle ou présentant des conséquences telles qu'il devait être considéré que le préavis n'avait pas " été exécuté " par la société Saint Gobain pendant trois mois et demi, dès lors, d'une part, que la société Saint Gobain rappelait, sans être utilement contredite, avoir exécuté l'ensemble des commandes qui lui avaient été adressées, avoir appliqué à ces commandes les tarifs préférentiels applicables aux distributeurs " Saint Gobain ", et n'avoir honoré aucune commande provenant directement d'un client de la société Meyrieux, et, d'autre part, qu'elle constatait que ce modeste retard n'avait pas empêché la société Meyrieux de réaliser 20 % du chiffre d'affaires dégagé sur l'ensemble de l'année 2007 ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel n'a ainsi pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L. 442-6 du code de commerce " ;

Mais attendu que c'est souverainement que la cour d'appel a estimé que la preuve était rapportée d'une communication tardive des tarifs par la société Saint Gobain, ayant entraîné une diminution des commandes à la société Meyrieux, mise dans l'impossibilité de les communiquer à sa clientèle dans les délais habituels, ce dont elle a déduit que le préavis n'avait pas été entièrement exécuté par la société Saint Gobain ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le troisième moyen : - Attendu que la société Saint Gobain fait le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen : 1°) que l'auteur de la rupture brutale d'une relation commerciale établie ne peut être tenu responsable que du préjudice causé par sa faute ; qu'en l'espèce, la société Saint Gobain faisait valoir que la société Meyrieux s'était elle-même placée dans une situation rendant particulièrement difficile toute reconversion en refusant obstinément de moderniser ses outils de gestion - refusant l'Internet pour n'utiliser que le papier -, ou en faisant le choix de ne pas diversifier sa clientèle et ses activités ; qu'elle ajoutait qu'elle ne pouvait être tenue de supporter les conséquences de cette incurie manifeste de la société Meyrieux qui relevait de ses choix personnels et la prédestinait à subir les conséquences lourdes d'une rupture de relations commerciales établies ; qu'en condamnant la société Saint Gobain à verser à la société Meyrieux la somme de 1 036 680 euros à titre de dommages-intérêts, sans rechercher si cette circonstance ne justifiait pas la réduction, à due proportion, de l'indemnité mise à la charge de la société Saint Gobain, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 du Code civil et L. 442-6 du Code de commerce, ensemble le principe suivant lequel nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude ; 2°) que l'auteur de la rupture brutale d'une relation commerciale établie ne peut être tenu responsable que du préjudice causé par sa faute ; qu'en l'espèce, la société Saint Gobain faisait valoir que tout au long du préavis de 16 mois qu'elle avait accordé à sa cocontractante, celle-ci n'avait pas effectué la moindre démarche pour tenter de se réorganiser, trouver des solutions de remplacement, des marchés de substitution ou réorienter son activité et qu'elle avait ainsi laissé, à faute, prospérer son préjudice dans l'optique, vraisemblablement, d'un contentieux indemnitaire ; qu'elle ajoutait qu'elle n'était pas tenue de supporter les conséquences de cette négligence fautive qui justifiait, à tout le moins, un partage de responsabilité ; qu'en s'abstenant de rechercher si la négligence manifeste de la société Meyrieux ne justifiait pas la réduction, à due proportion, de l'indemnité mise à la charge de la société Saint Gobain au titre de la rupture brutale des relations commerciales qu'elle entretenait avec la société Meyrieux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 du Code civil et L. 442-6 du Code de commerce, ensemble le principe suivant lequel nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude ;

Mais attendu, d'une part, qu'en cas d'insuffisance du préavis, le préjudice en résultant est évalué en fonction de la durée de celui-ci jugée nécessaire, sans qu'il y ait lieu de tenir compte de circonstances postérieures à la rupture ;

Et attendu, d'autre part, que si la société Saint Gobain stigmatisait dans ses écritures d'appel la négligence et " l'incurie manifeste " des établissements Meyrieux, elle n'en tirait aucune conséquence juridique quant à l'appréciation de la durée du préavis nécessaire ; que la cour d'appel n'était donc pas tenue d'effectuer la recherche invoquée à la seconde branche, qui ne lui était pas demandée ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi.