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Décisions

CA Poitiers, 1re ch. civ., 30 septembre 2016, n° 16-02522

POITIERS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Société d'exploitation de l'abattoir de Challans (SA)

Défendeur :

Bichon GL (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Chassard

Conseillers :

Mme Clément, M. Orsini

Avocats :

Mes Michot, Guinet, Hardy, Wiehn, Baud

T. com. La Roche-sur-Yon, du 27 juin 201…

27 juin 2016

Par acte d'huissier en date du 31/07/2015, la société d'exploitation de l'abattoir de Challans (société SEAC) a assigné la SAS Bichon GL notamment pour obtenir paiement de la somme de 291 955,66 euros au visa des articles 1134 du Code civil, L. 441-6 du Code de commerce et à titre subsidiaire pour obtenir la somme de 292 000 euros à titre de dommages et intérêts suite à brusque rupture de la relation commerciale établie depuis 20 ans avec la société SEAC.

La société Bichon GL a soulevé l'incompétence du Tribunal de commerce saisi au profit du Tribunal de commerce de Rennes, seule compétente pour statuer sur les litiges relevant de l'article 442-6 du Code de commerce dans le ressort de la Cour d'appel de Poitiers.

Par jugement en date du 14/06/2016, le Tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Rennes et a laissé le soin à la juridiction désignée de statuer sur les demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile mais a statué sur les dépens.

Le premier juge a notamment retenu que :

- l'article L. 442-6 I 5° vise la rupture brutale des relations contractuelles établies selon un protocole signé le 18/07/1995 toujours en cours

- la société Bichon GL ne conteste pas avoir réduit le tonnage d'abattage des ovins

- cette baisse constitue une rupture brutale même partielle eu égard à la situation de dépendance de la société SEAC à l'égard de ses associées seules utilisatrices de l'abattoir

- les règles de compétence de l'article L. 442-6 du Code de commerce sont d'ordre public.

LA COUR

Vu le contredit déposé devant le Tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon le 27/06/2016 par la société SEAC

Vu la transmission du 05/07/2016

Les parties ont été convoquées par lettres recommandées avec accusé de réception le 21/07/2016 pour l'audience fixée au 12/09/2016.

A l'audience, la société SEAC a repris ses écritures et que le Tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon soit déclaré compétent sur la demande principale formulée en application de l'article 1134 du Code civil et du protocole signé entre les parties le 18/07/1995 et que l'affaire soit renvoyée devant le Tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon. Elle demande également que la société Bichon GL soit condamnée aux frais du contredit.

Elle soutient principalement que le premier juge ne pouvait pas se déclarer incompétent sur la demande subsidiaire sans examiner en premier lieu la demande principale.

A l'audience, la société Bichon GL a repris ses écritures et présenté ses demandes comme suit :

- à titre principal que seule la Cour d'appel de Paris est compétente pour trancher les contredits formés contre les décisions relatives à l'application des articles L. 442-6 et D. 442-3 du Code de commerce et demande à la cour de se déclarer incompétente au profit de la Cour d'appel de Paris pour trancher la difficulté

- à titre subsidiaire elle sollicite la confirmation du jugement du tribunal de commerce dès lors que les demandes de la société SEAC sont manifestement fondées sur l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce

Elle sollicite en tout état de cause la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

A l'appui de ses prétentions, elle soutient notamment que :

- la Cour de cassation a rappelé cette compétence exclusive de la Cour d'appel de Paris en indiquant qu'il s'agissait d'une fin de non-recevoir d'ordre public que la cour d'appel devait relever d'office (Com. 20/10/2015 n° 14-15.851)

- la Cour d'appel de Poitiers doit dès lors par une décision à notifier aux parties conformément à l'article 87 du Code de procédure civile renvoyer l'affaire au secrétariat du tribunal de commerce afin qu'il le transmette au greffier en chef de la Cour d'appel de Paris, seule habilitée à connaître de la recevabilité du contredit, compte tenu de l'absence de visa du renvoi devant la Cour d'appel de Paris (Com. 04/11/2014 n° 13-16.755)

- la cour d'appel devra dès lors constater son propre défaut pour statuer sur le contredit et renvoyer ledit contredit devant le Tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon.

- subsidiairement, il y a lieu de qualifier l'action en application de l'article 12 du Code de procédure civile

- il résulte du courrier de la SEAC en date du 03/02/2015 que les factures ont été émises sur la base du nombre d'ovins abattus en 2013 en "raison de la chute brutale constatée du volume d'animaux confiés à l'abattage par votre société" et "visent à compenser, pour partie, le préjudice subi par la SEAC (...)"

SUR CE

Sur l'exception d'incompétence

Il résulte de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce modifié par Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 qu' " engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :

(...)

5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'Economie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Lorsque la rupture de la relation commerciale résulte d'une mise en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis est double de celle résultant de l'application des dispositions du présent alinéa dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de six mois, et d'au moins un an dans les autres cas ;

(...) ".

L'article D. 442-3 du Code de commerce énonce que " Pour l'application de l'article L. 442-6, le siège et le ressort des juridictions commerciales compétentes en métropole et dans les départements d'outre-mer sont fixés conformément au tableau de l'annexe 4-2-1 du présent livre. La Cour d'appel compétente pour connaître des décisions rendues par ces juridictions est celle de Paris "

Les articles L. 442-6, III, alinéa 5, et D. 442-3 du Code de commerce renvoyant à la connaissance de la Cour d'appel de Paris l'ensemble des décisions rendues par les juridictions commerciales sans distinguer selon la nature de la décision, il en résulte que seule la Cour d'appel de Paris est investie du pouvoir de statuer sur les contredits formés à l'encontre des décisions rendues dans les litiges relatifs à l'application de l'article L. 442-6 du Code de commerce.

Cependant, cette compétence exclusive ne concerne que les décisions rendues par les juridictions spécialisées mentionnées dans l'annexe 4-2-1 prévue par l'article D. 442-3 du Code de commerce.

La Cour d'appel de Poitiers, juridiction compétente pour connaître des appels formés contre les jugements rendus par le Tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon est donc compétente pour connaître du contredit formé par la société SEAC.

La SAS Bichon n'est pas fondée à arguer d'une jurisprudence rendue par la Chambre commerciale de la Cour de cassation (Com., 4 novembre 2014, N° de pourvoi: 13-16.755) dès lors que l'hypothèse traitée concerne un contredit relatif à la désignation d'une juridiction étrangère désignée par une des juridictions spécialisées prévues par l'article D. 442-3 du Code de commerce.

L'exception d'incompétence soulevée par la SAS Bichon GL sera donc rejetée

Sur la désignation du Tribunal de commerce de Rennes

En l'espèce, la SA Société d'exploitation de l'abattoir de Challans a engagé un procès non sur le fondement de la règle spéciale (art. L. 442-6-I-5° du Code de commerce) mais sur le fondement d'article 1134 du Code civil. Elle n'a invoqué les dispositions de l'article L. 442-6 I du Code de commerce qu'à titre subsidiaire.

La SAS Bichon GL soutient à juste titre qu'en l'espèce, il y a lieu de qualifier l'action principale de la SEAC en application de l'article 12 du Code de procédure civile dès lors que dans un courrier en date du 03/02/2015, cette dernière indiquait que les factures ont été émises sur la base du nombre d'ovins abattus en 2013 en " raison de la chute brutale constatée du volume d'animaux confiés à l'abattage par votre société " et qu'elles " visent à compenser, pour partie, le préjudice subi par la SEAC (...) ". Dès lors, la SAS SEAC ne peut soutenir que l'action principale étant fondée sur l'article 1134 du Code civil au titre de paiement de factures impayées le Tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon devait considérer compétent.

Sur les demandes accessoires

Il est équitable de mettre à la charge de la SAS SEAC les frais irrépétibles exposés par la société Bichon GL pour la somme précisée au dispositif de la présente décision ainsi que les dépens de la présente procédure.

Par ces motifs : Vu les articles L. 442-6 et D. 442-3 du Code de commerce, Rejette l'exception d'incompétence soulevée par la société Bichon GL ; Confirme le jugement en toutes ses dispositions; Condamne la société SEAC à payer à la société Bichon GL la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société SEAC aux dépens du contredit.