CA Toulouse, 2e ch., 5 octobre 2016, n° 13-04003
TOULOUSE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Gaches Chimie Spécialités (SAS)
Défendeur :
OCV Chambéry International (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pellarin
Conseillers :
M. Sonneville, Mme Salmeron
Avocats :
Mes Dessart, Bendayan, de Lamy, Spaeth
FAITS ET PROCEDURE
La SAS Gaches Chimie Spécialités a pour activité la distribution de produits chimiques, ainsi que le commerce des matériaux composites. Depuis les années 1970, elle distribue dans les régions Aquitaine puis Paca les produits à base de fibre de verre nécessaires à la fabrication de matériaux composites de la SAS Saint-Gobain Vetrotex Renforcement.
Le 29 novembre 2002, la SAS Saint-Gobain Vetrotex Renforcement a signifié à la SAS Gaches Chimie Spécialités sa volonté de mettre fin à l'accord de distribution à compter du 1er septembre 2003.
Le 19 avril 2004, la SAS Gaches Chimie Spécialités a fait assigner la SAS Saint-Gobain Vetrotex Renforcement devant le Tribunal de commerce de Toulouse en réparation des préjudices subis en raison d'une rupture des relations qualifiée de brutale et d'abusive.
Par ordonnance du 2 octobre 2006, le tribunal a prononcé la radiation de l'affaire pour défaut de diligences.
Après réinscription, le tribunal de commerce s'est déclaré compétent par jugement du 21 juillet 2008. Sur contredit formé par la SAS Saint-Gobain Vetrotex Renforcement, la Cour d'appel de Toulouse a confirmé cette décision par arrêt du 3 mars 2010. La SAS Saint-Gobain Vetrotex Renforcement a formé un pourvoi en cassation dont elle s'est désistée et a sollicité un sursis à statuer avant tout débat au fond.
La SAS Gaches Chimie Spécialités a sollicité la condamnation de la SAS Saint-Gobain Vetrotex Renforcement à lui payer les sommes de :
- 726 880 euros au titre de la rupture brutale du contrat,
- 305 100 euros au titre de la rupture abusive,
- 40 000 euros au titre des agissements de la SAS Saint-Gobain Vetrotex Renforcement postérieurs à la rupture du contrat s'apparentant à de la concurrence déloyale,
- une astreinte de 1 000 euros par jour pour communiquer les conditions de remise en fonction du tonnage et des unités d'approvisionnement,
- 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
A titre reconventionnel, la SAS Saint-Gobain Vetrotex Renforcement a sollicité la condamnation de la SAS Gaches Chimie Spécialités au paiement de la somme de 15 000 euros pour procédure abusive et la même somme au titre des frais irrépétibles.
Par jugement du 23 septembre 2010, le Tribunal de commerce de Toulouse a :
- donné acte à la SAS Saint-Gobain Vetrotex Renforcement de son désistement de sa demande de sursis à statuer,
- débouté la SAS Gaches Chimie Spécialités de l'ensemble de ses demandes,
- débouté la SAS Saint-Gobain Vetrotex Renforcement de sa demande reconventionnelle,
- condamné la SAS Gaches Chimie Spécialités à payer à la SAS Saint-Gobain Vetrotex Renforcement la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné la SAS Gaches Chimie Spécialités aux dépens.
La SAS Gaches Chimie Spécialités a interjeté appel le 14 octobre 2010.
Par arrêt du 23 mai 2012, la Cour d'appel de Toulouse a :
- confirmé le jugement hormis sur le préavis et l'indemnité pour frais irrépétibles,
Y ajoutant,
- débouté la SAS Gaches Chimie Spécialités de sa demande de communication sous astreinte des conditions de remise en fonction du tonnage et des unités d'approvisionnement,
Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés,
- condamné la SAS OCV Renforcement (venant aux droits de Saint Gobain Vetrotex Renforcement) à payer à la SAS Gaches Chimie Spécialités la somme de 463 056 euros, qui portera intérêt au taux légal à compter du 19 avril 2004,
- débouté la SAS OCV Renforcement de sa demande sur le fondement de l'article 32-1 du Code de procédure civile,
- débouté la SAS Gaches Chimie Spécialités et la SAS OCV Renforcement de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile
- dit que chaque partie conservera ses propres dépens dont distraction par application de l'article 699 du Code de procédure civile.
OCV Chambery International (venant aux droits d'OCV Renforcement) a formé un pourvoi contre cet arrêt; il n'a pas été formé de pourvoi incident.
Par arrêt du 11 juin 2013, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a :
- cassé et annulé, mais seulement en ce qu'il condamne la société OCV Renforcement à payer à la société Gaches Chimie Spécialité la somme de 463 056 euro, l'arrêt rendu le 23 mai 2012 entre les parties et remis en conséquence sur ce point la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyés devant la Cour d'appel de Toulouse autrement composée;
- laissé à chacune des parties la charge de ses dépens.
La cour a été saisie par déclaration du 11 juillet 2013.
La clôture est intervenue le 23 mai 2016.
Moyens et prétentions des parties.
Par conclusions notifiées le 15 juin 2016, rectifiant une erreur contenue dans le dispositif des précédentes conclusions notifiées le 22 janvier 2016 et auxquelles il est expressément renvoyé pour l'examen du détail de l'argumentation, la société Gaches Chimie Spécialités demande à la cour, au visa des articles L. 441-2, L. 441-6, L. 442-6 du Code de commerce, 1134 alinéas 1 et 3, 1147 et 1382 du Code civil, de :
- réformer le jugement,
- constater le caractère brutal de la rupture du contrat par la société Vetrotex
- dire que la société Vetrotex n'a respecté aucun préavis
- dire que la société Vetrotex aurait dû respecter un préavis de 36 mois
- condamner en conséquence la société Vetrotex à payer à la société Gaches Chimie Spécialités la somme de 640 000 euros au titre du préjudice subi du fait du caractère brutal de la rupture,
- dire que cette somme portera intérêt à compter de la date de l'assignation, avec capitalisation des intérêts sur le fondement de l'article 1154 du Code civil ;
- débouter Vetrotex de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions
- condamner la société Vetrotex à payer à la société Gaches Chimie Spécialités la somme de 18 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société Vetrotex aux entiers dépens, y compris ceux de l'exécution, dont distraction.
L'appelante fait essentiellement valoir que :
- la collaboration entre Gaches et Vetrotex (à l'époque Sotiver) remonte aux années 60 et au développement de l'utilisation de ce type de matériau; elle s'est accentuée en 1996, puis 1998, puisqu'à compter de cette année Gaches (GCS) a assuré la distribution exclusive des fibres de verre Vetrotex sur tout le sud de la France; GCS a réalisé d'importants investissements qui lui étaient demandés pour développer la commercialisation de ces produits, ce qu'a reconnu Vetrotex;
- en 1996, la SAS Saint-Gobain Vetrotex Renforcement lui a imposé une nouvelle obligation dite de transparence commerciale, ce qui lui a permis de capter des informations commerciales et concomitamment, elle a évincé plusieurs de ses distributeurs
- à compter de l'année 2000, la SAS Saint-Gobain Vetrotex Renforcement lui a imposé une politique de prix incohérente et manifestement destinée à la discréditer vis-à-vis de son principal client, la société Zodiac, pratiquant des prix discriminatoires et abusant de sa position dominante;
- par lettre du 16 juillet 2002, la SAS Gaches Chimie Spécialités a dénoncé des ventes directes sur son territoire par la SAS Saint-Gobain Vetrotex Renforcement, mais ce n'est que par lettre reçue le 5 décembre 2002 que la SAS Saint-Gobain Vetrotex Renforcement a annoncé à la SAS Gaches Chimie Spécialités sa décision de mettre fin aux contrats de distribution, sans annonce préalable,
- des relations commerciales ayant duré 40 ans ont été rompues dans des conditions abusives sous un préavis de 9 mois, alors que les recommandations émises par la chambre syndicale des distributeurs de produits chimiques prévoient un préavis en fonction de l'ancienneté des relations qui ne saurait, en tout état de cause, être inférieur à un an lorsque les parties ont collaboré pendant plus de cinq ans,
- pendant la durée du préavis, Vetrotex s'est affranchie de l'exclusivité qu'elle lui avait consentie et a démarché ses clients,
- la durée des relations, la distribution stratégique de la fibre de verre, l'exclusivité de la relation contractuelle, les investissements réalisés à la demande de la SAS Saint-Gobain Vetrotex RenforcemenT, les difficultés pour retrouver un fournisseur justifiaient un préavis de 36 mois;
- après le soi-disant préavis et en violation des assurances données, la SAS Saint-Gobain Vetrotex Renforcement a fait obstacle à tout approvisionnement, cette politique constituant une pratique de vente discriminatoire;
- il existe peu de produits de substitution et peu de fournisseurs, qui ne soient pas liés par des accords de distribution exclusive; en outre ces produits sont sujets à qualification;
- son préjudice résulte de la perte de marge brute durant un préavis qui n'a pas été respecté, mais doivent aussi être pris en compte pour l'apprécier l'atteinte à son image, les coûts de réorganisation pour une activité stratégique, les difficultés rencontrées pour trouver de nouveaux fournisseurs, alors qu'elle respectait son obligation d'exclusivité d'approvisionnement, la moins-value donnée au fonds de commerce.
Par conclusions notifiées le 11 avril 2016, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'examen du détail de l'argumentation, la SAS Ocv Chambery International, demande à la cour de :
- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté Gaches Chimie Spécialités de toutes ses demandes,
- dire suffisant le préavis de dix mois et demi dont Gaches Chimie Spécialités a bénéficié,
- dire que la rupture des relations contractuelles entre les parties est dénuée de brutalité.
- débouter par conséquent Gaches Chimie Spécialités de ses demandes d'indemnisation quel qu'en soit le fondement.
Subsidiairement,
- dire que l'objet de l'appel est limité à l'appréciation que la cour d'appel est susceptible de porter sur le préjudice allégué par Gaches Chimie Spécialités pour une période de préavis de 13 mois et demi,
- dire Gaches Chimie Spécialités irrecevable, subsidiairement mal fondée, à solliciter la condamnation d'Ocv Chambery International au titre d'une période de préavis effectif supérieure à 13 mois et demi.
- dire que Gaches Chimie Spécialités ne fait pas la preuve d'un préjudice quelconque au titre de cette période.
- dire qu'elle ne fait pas la preuve de la marge brute dont elle prétend avoir été privée.
- dire que l'arrêt d'appel étant confirmé en ce qu'il a rejeté ses demandes d'indemnisation sur d'autre fondement que le caractère insuffisant du préavis, Gaches Chimie Spécialités n'est ni recevable, ni fondée à revendiquer un préjudice à ce titre.
- débouter par conséquent Gaches Chimie Spécialités de ses demandes d'indemnisation,
Dans tous les cas,
- débouter Gaches Chimie Spécialités de l'ensemble de ses demandes formulées à titre accessoire notamment sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
- dire OCV Chambery International recevable et bien fondée en sa demande reconventionnelle.
- condamner Gaches Chimie Spécialités à verser à OCV Chambery International, une somme de 30 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile, et aux entiers dépens, tant de première instance que d'appel dont distraction.
L'intimée développe principalement les observations suivantes :
- le pourvoi profite exclusivement à la partie qui l'a initié et ne peut lui porter préjudice; en l'absence de pourvoi incident, la société Gaches Chimie Spécialités est tenue par les termes de l'arrêt qui a limité à deux années la durée du préavis suffisant pour rompre la relation commerciale et elle est irrecevable à demander une indemnisation supérieure
- la distribution de la fibre de verre ne représente qu'une part marginale du chiffre d'affaires de la société Gaches Chimie Spécialités (4 % entre 2000 et 2004);
- la rupture du contrat de distribution est intervenue dans le respect des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce,
- le préavis écrit d'une durée de neuf mois était suffisant pour permettre à la SAS Gaches Chimie Spécialités de se réorganiser,
- la rupture du contrat n'a pas eu un caractère inattendu pour la SAS Gaches Chimie Spécialités qui avait été informée de son principe dès le mois d'octobre 2001 et durant le courant de l'année 2002 soit par courriers soit lors de réunions,
- la SAS Gaches Chimie Spécialités ne démontre aucune faute qui aurait été commise par la SAS Saint-Gobain Vetrotex Renforcement lors de la résiliation du contrat de distribution,
- la société Gaches Chimie Spécialités n'a jamais été soumise à une obligation d'exclusivité;
- la rupture du contrat de distribution est exclusive de tout caractère abusif,
- la SAS Gaches Chimie Spécialités ne démontre ni la légèreté blâmable ni la captation de clientèle dont elle accuse la SAS Saint-Gobain Vetrotex Renforcement de s'être rendue coupable ni les conséquences qu'elle prétend avoir subies du fait de cette rupture,
- la SAS Gaches Chimie Spécialités ne démontre pas plus que la SAS Saint-Gobain Vetrotex Renforcement se soit rendue coupable de pratiques discriminatoires de vente et d'un abus de position dominante ni qu'elle ait refusé de lui communiquer les conditions générales de vente complètes de ses produits.
Motifs de la décision
En accord avec les parties, le rabat de l'ordonnance de clôture sera ordonné afin de recevoir les conclusions de l'appelante notifiées avant l'audience, le jour de celle-ci, amendées de l'erreur matérielle qui les affectait quant à ses prétentions, dont il a été contradictoirement débattu. La nouvelle clôture de l'instruction sera fixée au moment de l'ouverture des débats lors de l'audience de plaidoiries.
Sur la recevabilité des demandes de l'appelante.
L'arrêt du 23 mai 2012 n'a été cassé que dans sa disposition par laquelle il condamnait la société OCV Renforcement à payer à la SAS Gaches Chimie Spécialités la somme de 463 056 euro, qui portera intérêts au taux légal à compter du 19 avril 2004, disposition par laquelle la cour statuait à nouveau, après avoir confirmé le jugement du 23 septembre 2010, hormis sur le préavis et l'indemnité pour frais irrépétibles.
Cette disposition emportait à la fois reconnaissance d'une rupture abusive, en l'absence d'un préavis d'une durée suffisante, des relations contractuelles par la SAS Saint Gobain Vetrotex Renforcement, condamnation de la société OCV, venant aux droits de cette dernière, à indemniser son co-contractant du préjudice en résultant et fixation du montant de l'indemnité venant le réparer.
La cour de renvoi est en conséquence saisie, dans leur totalité, des questions tranchées par cette disposition, mais seulement de celles-ci; il lui revient donc de statuer sur le principe du caractère abusif de la rupture des relations contractuelles par la SAS Saint Gobain Vetrotex Renforcement, de la durée du préavis qui aurait dû, le cas échéant, être respecté et du montant de l'indemnité venant alors compenser son insuffisance.
Les demandes de l'appelante, tendant à obtenir une indemnisation fondée sur un préavis d'une durée supérieure à celle retenue par la cour d'appel, sont ainsi recevables, étant relevé qu'elle ne présente dans le dispositif de ses conclusions aucune demande indemnitaire autre que celle fondée sur le caractère brutal de la rupture, comme le sont celles de la société intimée ayant pour objet de contester le caractère abusif de la rupture des relations contractuelles.
Sur la rupture des relations contractuelles.
Selon l'article L. 442-6 dans sa rédaction applicable à l'espèce, engage notamment la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée des relations commerciales et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.
Un contrat à durée indéterminée peut être résilié à tout moment à la condition de respecter un préavis prévu ou à défaut d'une clause contractuelle, comme en l'espèce, selon l'usage dans la branche professionnelle, avec un délai suffisant afin que le partenaire évincé puisse avoir le temps de se réorganiser. La durée du préavis doit notamment prendre en compte la durée des relations commerciales, l'existence d'un éventuel état de dépendance économique et l'importance des investissements réalisés à la demande du fournisseur.
La durée du préavis ne doit pas être appréciée à partir de la lettre le notifiant mais à partir du moment où la volonté du fournisseur est clairement exprimée par écrit à son partenaire.
L'indemnité demandée est fondée sur la brutalité de la rupture d'un contrat de distribution caractérisant des relations continues pendant 40 ans selon l'appelante, 25 selon l'intimée. Pour ce qui concerne la durée des relations contractuelles, il n'est pas contesté qu'elles ont été formalisées en 1977, puis en 1979, en considération d'une collaboration préexistante, dont il ne subsiste pas de support écrit; la SAS Gaches Chimie Spécialités produit plusieurs attestations de ses salariés qui avancent que ces relations auraient débuté dans le courant des années soixante, mais ceux-ci n'ont été embauchés par la société que dans la ou les décennies suivantes (pièces 111 et 125 de l'appelante); ces témoignages ne permettent pas d'établir une activité de distribution de produits Vetrotex autre qu'épisodique au-delà d'une durée de 30 ans, que les parties reconnaissaient pour qualifier en 2002 la longueur de ces relations et que la cour retient.
Par lettre du 29 novembre 2002, reçue le 5 décembre 2002, la SAS Saint-Gobain Vetrotex Renforcement a informé "formellement" la SAS Gaches Chimie Spécialités de sa décision de mettre fin à compter du 31 août 2003 aux contrats de distribution signés à partir de 1977, d'après les pièces produites soit après 30 ans de relations.
Dans une correspondance du 31 juillet 2002 adressée à la SAS Gaches Chimie Spécialités, la SAS Saint-Gobain Vetrotex Renforcement fait état d'une réunion tenue en octobre 2001 annonçant la mise en place d'une plate-forme logistique à partir de janvier 2002 dans le but d'élargir son rôle dans la distribution de ses produits.
Le compte rendu d'une réunion tenue le 16 octobre 2002 reprend l'idée de l'élargissement de son rôle et la SAS Saint-Gobain Vetrotex Renforcement annonce expressément à la SAS Gaches Chimie Spécialités qu'elle envisage de mettre fin aux contrats de distribution qui les lient, en ajoutant que compte tenu des relations commerciales ayant existé, elle propose de donner à la SAS Gaches Chimie Spécialités un préavis supérieur à 6 mois.
Dans une correspondance de la SAS Gaches Chimie Spécialités en date du 4 décembre 2002, faisant suite à la réception du compte rendu de la réunion du 16 octobre 2002, cette dernière fait état de relations d'une durée de 30 ans.
Une lettre du 14 mars 2003 adressée par la SAS Saint-Gobain Vetrotex Renforcement fait suite à une rencontre ayant eu lieu le 13 janvier 2003 au cours de laquelle ont été évoquées les modalités de fin de contrat.
Dans une correspondance adressée à la SAS Gaches Chimie Spécialités le 23 juin 2003, la SAS Saint-Gobain Vetrotex Renforcement précise : "nous sommes convenus par conséquent qu'à la suite de la dénonciation le 29 novembre 2002 des contrats de distribution qui liaient nos deux sociétés, aucune indemnité ne serait due par la société Vetrotex à la société Gaches, compte tenu de la longueur du préavis (9 mois) consenti par la société Vetrotex à la société Gaches".
Le 2 juillet 2003, la SAS Gaches Chimie Spécialités indique attendre une confirmation formelle de l'arrêt du contrat de distribution à la fin du mois d'août et demande à connaître les motifs. Le 7 juillet 2003, la SAS Saint-Gobain Vetrotex Renforcement répond que la résiliation a été signifiée le 29 novembre 2002 et que les motifs ont été expliqués au cours de plusieurs réunions dans le courant de l'année 2002. Le 22 juillet 2003, la SAS Gaches Chimie Spécialités qui se réfère à la lettre du 29 novembre 2002, demande à la SAS Saint-Gobain Vetrotex Renforcement de lui faire connaître ses propositions d'indemnité de rupture compte tenu de l'ancienneté et de la diversité des relations qui ont été entretenues, de la parfaite exécution de ses obligations contractuelles et de la demande d'investissements importants. Le 29 septembre 2003, la SAS Saint-Gobain Vetrotex Renforcement a répondu à la SAS Gaches Chimie Spécialités en lui faisant savoir que s'agissant d'une relation contractuelle à durée indéterminée, il lui était loisible d'y mettre un terme de manière unilatérale et qu'elle avait été informée de ses intentions dès le mois d'octobre 2001.
Il résulte de ces éléments que ce n'est au mieux que dans la rédaction du compte rendu de la réunion du 16 octobre 2002 que la SAS Saint-Gobain Vetrotex Renforcement a expressément et par écrit annoncé son intention de rompre les relations. Le préavis ainsi donné est d'une durée de 10 mois et demi.
Or, l'ancienneté exceptionnelle des relations, d'une durée de l'ordre de 30 ans, justifiait un préavis de deux ans, sans avoir à prendre en compte les recommandations émises par la chambre syndicale des distributeurs de produits chimiques.
En revanche, contrairement à ce que tente de soutenir la SAS Gaches Chimie Spécialités la relation contractuelle n'était pas exclusive. En effet, les contrats de 1977 et 1979 ne contiennent pas une telle clause et la charte du distributeur intitulée "qu'est-ce qu'un bon distributeur pour Vetrotex'" qui porte une clause "exclusivité achat fibre de verre Vetrotex sur secteur confié" n'est pas signée par les parties. Dès lors, elle est dépourvue de valeur contractuelle, ne faisant que recenser les préoccupations légitimes mais non impératives de la société Vetrotex. De même, la correspondance du 15 janvier 1996 adressée par la SAS Saint-Gobain Vetrotex Renforcement à un client de la SAS Gaches Chimie Spécialités employant la formule "notre distributeur étant exclusif dans votre région" ne caractérise pas une relation contractuelle exclusive, étant seulement employée dans l'intérêt de la SAS Gaches Chimie Spécialités par la demande de suppression du logo de la SAS Saint-Gobain Vetrotex Renforcement sur la façade du commerçant.
De plus, les investissements réalisés en 1996 et 2006 par la SAS Gaches Chimie Spécialités n'ont pas à être pris en considération pour la durée du préavis, en considération du fait que le stockage de la fibre de verre et de ses dérivés est bien plus simple que celui des produits chimiques et qu'il n'est pas justifié que tout ou partie des investissements réalisés pour son développement et invoqués par la SAS Gaches Chimie Spécialités l'aient été à la demande de la SAS Saint-Gobain Vetrotex Renforcement. Par ailleurs, les efforts de prospection mis en œuvre en 1998 pour la région PACA correspondaient à une exécution normale du contrat de distribution en raison d'une extension de la concession.
De même, la SAS Gaches Chimie Spécialités ne rapporte pas la preuve de l'état de dépendance économique allégué dans la mesure où elle ne justifie pas s'être retirée du marché de distribution de la fibre de verre, même s'il n'est pas contesté qu'elle a connu des difficultés pour trouver un fournisseur de substitution. Il est d'ailleurs établi que depuis fin décembre 2003, la SAS Gaches Chimie Spécialités fait appel à un fournisseur indien et à deux fournisseurs chinois. Lors de la réunion du 16 octobre 2002, la SAS Gaches Chimie Spécialités avait d'ailleurs indiqué avoir reçu des propositions de fournitures de fibres de verre d'autres fabricants, alors au surplus que le marché de la distribution de la fibre de verre n'est pas soumis à des protocoles de qualification lourds. De plus, l'effet de gamme invoqué n'est nullement démontré, les produits verriers pouvant être vendus isolément des produits complémentaires que sont les résines, gels coat, solvants, colles et catalyseurs.
Cette rupture brutale des relations commerciales présente un caractère fautif nécessairement source de préjudice pour la SAS Gaches Chimie Spécialités. Il convient d'infirmer le jugement entrepris sur ce point.
La SAS Gaches Chimie Spécialités invoque également, à l'origine du préjudice subi, une captation de clientèle, faisant valoir qu'au prétexte d'une transparence commerciale, la SAS Saint-Gobain Vetrotex Renforcement a préparé la rupture. Mais, il résulte des pièces produites que dès juillet 1996, la SAS Saint-Gobain Vetrotex Renforcement avait des exigences en cette matière qui ne peuvent dès lors caractériser l'intention de capter la clientèle de nombreuses années plus tard. La SAS Gaches Chimie Spécialités ne démontre pas plus que la SAS Saint-Gobain Vetrotex Renforcement ait effectué des ventes auprès de ses clients pendant la durée du préavis. En effet, la SAS Gaches Chimie Spécialités soutient que le 10 octobre 2002, soit avant même la notification de la rupture des relations, la SAS Saint-Gobain Vetrotex Renforcement avait adressé une lettre-circulaire à tous ses clients y annonçant la mise en place de son propre réseau commercial. Elle produit à l'appui de son moyen un document adressé à une carrosserie. Mais, force est de relever que ledit document n'est pas daté de 2002 mais de 2003, donc postérieurement à la fin du préavis. Une fois le contrat résilié, la SAS Saint-Gobain Vetrotex Renforcement était libre, par le jeu des règles de la liberté de concurrence, d'offrir à ses clients une gamme de produits ne se limitant pas à la fibre de verre. La SAS Gaches Chimie Spécialités n'établit pas non plus que la SAS Saint-Gobain Vetrotex Renforcement a tenté de débaucher un de ses salariés.
Elle soutient également que la SAS Saint Gobain Vetrotex Renforcement se serait livrée à des pratiques discriminatoires et à un abus de position dominante. Cependant, sur les conditions de prix pratiquées, les hausses de prix intervenues en 2000 n'avaient pas pour but d'asphyxier la SAS Gaches Chimie Specialites, étant mises en œuvre à l'échelle européenne. Plus particulièrement concernant le client Zodiac, la SAS Saint-Gobain Vetrotex Renforcement a consenti à la SAS Gaches Chimie Spécialités un prix particulier en accord avec elle jusqu'à la fin du mois d'août 2003, date du préavis décidé par la SAS Saint-Gobain Vetrotex Renforcement. Ensuite, à partir de la résiliation du contrat, la SAS Gaches Chimie Spécialités ne pouvait plus exiger de bénéficier des tarifs distributeur.
Dans le dispositif de ses conclusions récapitulatives, pour chiffrer son préjudice, la SAS Gaches Chimie Spécialités multiplie la durée du préavis réclamée, 3 ans, par le chiffre d'affaires moyen multiplié par la marge moyenne, sur les trois dernières années (2000, 2001, 2002), tout en affirmant qu'il ne constitue qu'un élément d'appréciation parmi d'autres; elle fonde sa demande sur ce mode de calcul, dont la cour retient qu'il prend en compte, indépendamment de la durée du préavis non respecté à retenir, les différents troubles d'exploitation qu'a subi le distributeur du fait de la brutalité de la rupture.
Les données comptables devant être prises en considération sur ces trois dernières années font apparaître :
- un chiffre d'affaire annuel moyen pour l'activité fibre de verre de 1 380 000 euro [(1 490 Keuro + 1 400 Keuro + 1 240 Keuro) /3],
- une marge brute moyenne sur cette activité de 17,60 %, [(17,7 + 18,2 + 16,89) % /3].
La durée effective du préavis a été de 10 mois et demi et l'indemnité doit en conséquence être rapportée au délai manquant, soit 13 mois et demi, pour lesquels OCV doit réparation dès lors que deux années étaient nécessaires.
Le montant de l'indemnité sera en conséquence fixé à la somme de 273 240 euro [(1 380 000 euro x 17,60 %) / 12 x 13,5]
Cette somme portera intérêt au taux légal à compter de la date de l'assignation introductive d'instance, soit le 19 avril 2004.
En application de l'article 639 du Code de procédure civile et au regard de la disposition ayant fait l'objet d'une cassation, la cour de renvoi doit statuer sur les dépens de la présente instance, mais aussi de première instance et d'appel; il appartiendra à la SAS OCV Chambery International, qui succombe au principal, d'en supporter la charge.
Il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : LA COUR, Ordonne le rabat de l'ordonnance de clôture; fixe au moment de l'ouverture des débats devant la cour le 15 juin 2016 à 14 h 00, la nouvelle date de clôture; Statuant dans les limites de sa saisine, Déclare recevables les demandes présentées par la SAS Gaches Chimie Spécialités en indemnisation de la rupture brutale du préavis; Dit que la SAS Saint Gobain Vetrotex Renforcement était tenue de respecter un préavis de deux ans, à compter du 16 octobre 2002; Constate que le préavis a été de 10 mois et demi; Condamne en réparation la SAS OCV Chambéry International à payer à la SAS Gaches Chimie Spécialités la somme de 273 240 euro à titre de dommages et intérêts; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile; Condamne la SAS OCV Chambéry International aux dépens de première instance et des instances d'appel; dit qu'il sera fait application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile au profit des avocats en ayant fait la demande.