CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 30 septembre 2016, n° 15-19136
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Breitling (SA)
Défendeur :
Bell & Ross (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
Mmes Nerot, Renard
Titulaire de la marque verbale internationale " Blackbird " n° 778311 visant la France enregistrée le 9 avril 2002 et dûment renouvelée pour désigner notamment en classe 14 les produits de l'horlogerie et disposant, dans ce domaine, d'un accord de coexistence avec la société de droit américain Lockheed Martin Corp. constructeur de l'avion dénommé Black Bird auquel la marque se réfère, la société de droit suisse Breitling expose que la société Bell & Ross, dont l'activité porte comme la sienne sur les produits de l'horlogerie en les exploitant sous la marque " Bell & Ross ", a commercialisé à compter de septembre 2013 une nouvelle gamme de montres sous cette marque " Bell & Ross " mais avec une référence " BR 126 Blackbird " figurant dans son catalogue annuel, sur des documents publicitaires et sur son site internet, ainsi qu'elle l'a fait constater par huissier les 16 et 17 septembre 2013.
Cette dernière a d'abord saisi le juge des référés qui, par ordonnance rendue le 12 juin 2014, a retenu l'existence d'actes de contrefaçon de la marque " Blackbird ", prononcé sous astreinte une mesure d'interdiction et, en réparation, condamné la société Bell & Ross au paiement d'une somme provisionnelle de 80 000 euros, la cour d'appel confirmant cette décision, hormis en ses dispositions relatives à la mesure d'interdiction prononcée sous astreinte, par arrêt rendu le 26 mars 2015.
Concomitamment, la société Breitling a obtenu du Président du Tribunal de grande instance de Paris, saisi sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile, la désignation d'un huissier chargé d'effectuer des constats dans cinq points de vente parisiens des produits de la société Bell & Ross, lequel en a dressé procès-verbal le 27 mai 2014, puis elle a assigné au fond cette société, principalement pour contrefaçon de sa marque, subsidiairement en concurrence déloyale et/ou parasitaire selon exploit du 20 novembre 2014.
Par jugement contradictoire rendu le 24 septembre 2015, le Tribunal de grande instance de Paris a, en substance et sans assortir sa décision de l'exécution provisoire :
prononcé la nullité du procès-verbal de constat du 27 mai 2014 " qui constitue une saisie-contrefaçon déguisée ",
rejeté l'intégralité des demandes de la société Breitling en la condamnant au remboursement de la somme de 80 000 euros, rejetant par ailleurs sa demande portant sur la liquidation de l'astreinte prononcée en référé,
condamné la société Breitling au paiement de la somme indemnitaire de 100 000 euros sanctionnant une procédure abusive et le non-respect des règles applicables en matière de saisie-contrefaçon, outre à celui de la somme de 15 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et enfin à supporter les dépens de l'instance.
La société Breitling a interjeté appel de cette décision et, selon ordonnance rendue le 21 janvier 2016, le conseiller de la mise en état désigné a rejeté la demande de la société Bell & Ross tendant à voir ordonner l'exécution provisoire du jugement dont appel.
Par dernières conclusions notifiées le 22 juin 2016, la société anonyme de droit suisse Breitling demande pour l'essentiel à la cour, au visa, notamment, des articles 5.1, 5.2 et 6 de la directive 89/104 du 1er décembre 1988, L. 711-1, L. 712-1, L. 713-1 à L. 713-3, L 716-5, L. 716-10 sous c), L. 716-14 et L. 716-15, L. 716-7, L. 716-7-1-A du Code de la propriété intellectuelle, 1382 du Code civil et 145 du Code de procédure civile, d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et :
à titre principal, de juger son action recevable et fondée, de considérer que la société Bell & Ross a commis des actes de contrefaçon en utilisant la marque " Blackbird " précitée, qu'est recevable et bien fondée sa demande fondée sur l'article 5.2 sus-visé en constatant que les actes contrefaisants se poursuivent, notamment dans le catalogue 2013-2014 de son adversaire et, en conséquence, d'ordonner sous astreinte des mesures d'interdiction, de retrait ainsi que la publication (par voie de presse et sur internet) du dispositif du présent arrêt en enjoignant à la société Bell & Ross de communiquer sans délai divers documents comptables et justificatifs, en la condamnant à lui verser une somme indemnitaire de 1 520 000 euros (bénéfice réalisé en considération d'un chiffre d'affaires de 2 450 000 euros et d'une marge de 60 %, outre un préjudice moral évalué à 50 000 euros) assortie de l'intérêt au taux légal à compter de l'assignation ainsi qu'à la somme de 116 000 euros correspondant à l'astreinte ordonnée par le juge des référés (soit : 116 jours x 1 000 euros),
à titre subsidiaire, de condamner celle-ci à lui payer la somme de 199 294,97 euros (bénéfice réalisé en considération d'un chiffre d'affaires de 248 824,95 euros et d'une marge de 60 %, outre un préjudice moral évalué à 50 000 euros),
plus subsidiairement, de considérer que la société Bell & Ross a commis des actes de concurrence déloyale et/ou parasitaire et de la condamner au paiement de la somme indemnitaire de 1 000 000 euros outre celle de 50 000 euros en réparation de son préjudice moral,
plus subsidiairement, de la condamner à lui verser la somme forfaitaire de 122 500 euros correspondant au montant des redevances ou droits qui lui auraient été dus en contrepartie de son autorisation,
en tout état de cause, de débouter la société Bell & Ross de toutes ses prétentions et de la condamner à lui verser la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les entiers dépens.
Par dernières conclusions notifiées le 20 juin 2016, la société à responsabilité limitée Bell & Ross prie, en substance, la cour, au visa des articles L. 713-2 et suivants, L. 716-1 et suivants, L. 716-7 et R. 716-4 du Code de la propriété intellectuelle, 145 et 495 du Code de procédure civile, 1382 et 1383 du Code civil :
de considérer l'appelante mal fondée en son appel, de déclarer irrecevable sa demande portant sur l'atteinte à une marque de renommée au visa de l'article 5.2 de la directive 89/104, de la débouter de l'ensemble de ses prétentions et :
de confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
subsidiairement, de prononcer la nullité du procès-verbal de constat du 27 mai 2014, de considérer que les actes incriminés ont cessé et qu'il n'y a pas lieu de prononcer une quelconque injonction à son encontre, qu'en outre la société Breitling ne démontre ni l'existence ni le quantum d'un quelconque préjudice et qu'il n'y a pas lieu à indemnisation ni à prononcé des mesures de publication,
plus subsidiairement, de considérer que son préjudice ne peut être supérieur à 12 441 euros et d'ordonner le remboursement du trop-perçu à titre provisionnel,
en tout état de cause, de condamner l'appelante à lui verser une somme complémentaire de 50 000 euros au titre de ses frais irrépétibles et à supporter tous les dépens.
SUR CE,
Sur la preuve des actes argués de contrefaçon
Considérant qu'alors que le tribunal a prononcé l'annulation du procès-verbal de constat établi le 27 mai 2014 en exécution d'une ordonnance sur requête visant l'article 145 du Code de procédure civile rendue le 26 mai 2014 par le délégataire du Président du Tribunal de grande instance de Paris, le qualifiant de saisie-contrefaçon déguisée aux motifs que quand bien la contrefaçon se prouverait par tous moyens, les faits incriminés étaient déjà qualifiés de contrefaçon et que la requérante entendait en démontrer la poursuite, que s'imposait la procédure spéciale de l'article L. 716-7 du Code de la propriété intellectuelle et que l'huissier a procédé à des constatations ressortant de ce texte (remise et description d'un catalogue, consignation de l'absence de montres litigieuses en vitrine et dans les stocks des magasins en cause) et que, de plus, l'assignation au fond n'a pas été délivrée dans les délais légaux, ajoutant, " surabondamment ", que les actes de signification de l'ordonnance et de la requête portent la date du lendemain de celle des opérations en violation de l'article 495 du Code de procédure civile et causent ainsi grief au " saisi " en le privant de la possibilité d'être informé de la portée et de la nature de la mesure, la société Breitling estime que les premiers juges ont commis une erreur de droit manifeste ;
Qu'elle soutient que les dispositions de l'article L. 716-7 précité ne sont pas exclusives du recours à l'article 145 précité, que le constat n'avait pas pour but de procéder à une saisie, que les délais prévus par la procédure de saisie-contrefaçon n'étaient pas applicables à celle ressortant de cet article 145, que le procès-verbal litigieux est conforme aux dispositions de ce dernier texte, qu'elle n'était pas tenue de signifier la requête et l'ordonnance en cause à la société Bell & Ross et que les dispositions de l'article L. 716-7 ne prévoient une nullité qu'à la seule demande du " saisi " ;
Considérant, ceci rappelé, qu'en l'absence de saisine de la juridiction de fond, la société Breitling, exposant qu'elle entendait établir que les faits incriminés perduraient, avait faculté de solliciter le prononcé d'une mesure d'instruction légalement admissible destinée à conserver ou établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution du litige et d'agir sur requête sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile ;
Que dans le cadre de la mesure de constat telle que pratiquée, il appartenait toutefois à l'huissier de procéder à des opérations ne ressortant pas des pouvoirs exorbitants propres à la saisie-contrefaçon et que, contrairement à ce que soutient l'appelante, tel n'est pas le cas en l'espèce puisqu'il en ressort en particulier qu'il s'est livré à des investigations au sein des cinq points de vente concernés et a notamment procédé à ce qui s'analyse en une saisie descriptive ;
Qu'en outre et en contradiction avec une simple mention non circonstanciée de l'acte, la requête et l'ordonnance autorisant la mesure n'ont été signifiées que le 28 mai 2014 aux cinq entreprises auxquelles la mesure était opposée (pièces 34 à 38 de l'appelante) alors qu'elles auraient dû l'être antérieurement pour satisfaire aux dispositions des articles 16 et 495 du Code de procédure civile ;
Que, cela étant, si la société Breitling soutient pertinemment que seuls les cinq distributeurs concernés par ces mesures (non attraits en la cause) auraient qualité pour solliciter la nullité de cet acte, il n'en demeure pas moins qu'elle ne peut valablement opposer à la société Bell & Ross cet acte affecté des vices sus-évoqués ;
Que le jugement sera donc infirmé en ce qu'il prononce la nullité de ce procès-verbal de constat mais qu'il y a cependant lieu de le déclarer inopposable à la société Bell & Ross ;
Qu'en revanche, n'est pas contestée la validité des constats d'huissier dressés les 16 et 17 décembre 2013 qui ont été soumis à l'appréciation du juge des référés et portaient sur le site internet de la société Bell & Ross <www bellross.com> ainsi que sur des publicités ; qu'il résulte des termes de l'ordonnance rendue le 12 juin 2014 (page 8/11, pièce 28 de l'appelante) qu'ont été également produits devant cette juridiction, en original, le catalogue sur support papier 2013-2014 de la société Bell & Ross présentant le nouveau modèle de montre avec la référence " BR 126 Blackbird " et la liste des prix en Europe comportant ce référencement ;
Sur les actes de contrefaçon de la marque internationale " Blackbird "
Considérant que la société Breitling fait grief au tribunal d'avoir, à tort, retenu qu'elle ne versait pas aux débats de pièces probantes, que le signe litigieux était utilisé comme référence pour identifier les produits commercialisés par son adversaire et non pour les distinguer de produits provenant d'une autre entreprise et que l'usage de ce signe " Blackbird " comme référence ne portait pas atteinte à la fonction essentielle de la marque, à savoir garantir au consommateur l'origine du produit ;
Qu'au soutien de son appel - étayé à suffisance, affirme-t-elle, par les pièces versées d'ores et déjà en première instance - alors qu'elle vise dans le dispositif de ses conclusions, outre les articles 5.1, 5.2 et 6 de la directive 89/104/CEE, les articles L. 713-1 à L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle, la société Breitling fait valoir qu'au sein d'une gamme de montres ayant pour commune référence " BR 126 " suivie d'un nom d'avion (Phantom, Falcon, '), seul l'élément " Blackbird " permet d'identifier le modèle, qu'elle incrimine par conséquent une reproduction à l'identique et se prévaut de la double identité des produits et des signes en conflit visés à l'article 5.1 de la directive et, " de plus ", précise-t-elle, à l'article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle ;
Qu'elle excipe d'un usage du signe litigieux dans la vie des affaires et de l'atteinte portée à la fonction de garantie d'origine de la marque dont elle est titulaire (en se plaçant " du côté du tiers utilisateur et non du consommateur ") mais aussi aux autres fonctions de publicité, de promotion et d'investissement dégagées par la juridiction communautaire, ajoutant que " la communication de la société Bell & Ross autour de ces modèles de montres rapporte la preuve de la confusion dans l'esprit du public sur la provenance du produit " et que ne s'y est pas trompé le juge de l'évidence qui a retenu, dans son arrêt rendu le 26 mars 2015, un risque de confusion dans l'esprit du public amené à croire que les produits en cause proviennent d'entreprises économiquement liées ;
Qu'invoquant l'article 5.2 de la directive " d'ailleurs (') transposées en droit interne par les dispositions de l'article L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle ", elle se prévaut, in fine, de la renommée de la marque " Blackbird " à l'égard du public pertinent que, contrairement à ce qu'affirme son adversaire, elle est recevable à invoquer puisque sa demande sur ce fondement tend aux mêmes fins que celles soumises aux premiers juges et du fait que la société Bell & Ross s'est incontestablement placée dans le sillage de cette marque afin de tirer profit de son pouvoir d'attraction aux yeux du consommateur amateur de montres de luxe dans le domaine de l'aéronautique sans compensation financière ;
Considérant, ceci étant exposé et s'agissant d'abord de se prononcer sur la question de savoir si le référencement dont s'agit est, par nature, susceptible d'entrer dans le champ du droit exclusif et, comme tel, susceptible de permettre de retenir la qualification de contrefaçon, qu'il résulte des pièces qui sont versées aux débats et dont, compte tenu de ce qui précède, la société Breitling peut valablement se prévaloir, que le référencement " BR 126 Blackbird ", par la société Bell & Ross, dans l'exercice de son activité commerciale figure dans les instruments dont elle fait usage pour communiquer et assurer la commercialisation de la montre ainsi identifiée, fût-elle uniquement revêtue de la marque " Bell & Ross " ; que, servant de la sorte à identifier auprès de la clientèle un produit de l'horlogerie, ce référencement est, par nature, susceptible, dans un système de concurrence non faussé, de porter atteinte au droit sur une marque enregistrée dont les fonctions sont justement évoquées par l'appelante ;
Considérant ensuite et s'agissant de l'action en contrefaçon de la marque internationale revendiquée dont la cour est saisie, que force est de considérer qu'ont vocation à trouver application les articles L. 713-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle auxquels l'appelante fait référence et qui doivent être interprétés à la lumière de la directive 89/104/CEE consolidée par la directive 2008/95 du 22 octobre 2008 ;
Que les signes en conflit se trouvant être la marque verbale " Blackbird " revendiquée, calligraphiée en lettres noires majuscules, et le signe "BR 126 Blackbird ", calligraphié en lettres noires majuscules ou minuscules suivant les supports de communication concernés, si l'appelante peut se prévaloir de l'identité des produits visés par la marque et des produits présentés sous la référence incriminée dans le cadre de la commercialisation de la montre " Bell & Ross ", elle ne peut valablement éluder comme elle le fait les premiers termes de ce référencement en les tenant pour insignifiants dans sa présentation et prétendre à une reproduction sans modification ni ajout au sens de la jurisprudence européenne (CJCE, LTJ Diffusion, 20 mars 2003, point 51) en s'épargnant, du fait de cette double identité, la démonstration d'un risque de confusion ;
Qu'il convient, par conséquent, de rechercher s'il n'existe pas entre ces deux signes un risque de confusion (lequel comprend le risque d'association) qui doit être apprécié globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce ;
Que cette appréciation globale doit, en ce qui concerne la similitude visuelle, phonétique et conceptuelle des signes en cause, être fondée sur l'impression d'ensemble produite par ceux-ci en tenant compte de leurs éléments distinctifs et dominants, étant précisé qu'un faible degré de similitude entre les produits ou services désignés peut être compensé par un degré élevé de similitude entre les signes et inversement et, par ailleurs, qu'il échet d'identifier, dans le cadre de l'appréciation globale du risque de confusion, le public pertinent, comme l'y invite la jurisprudence communautaire (TPICE, Picasso, 22 juin 2004, notamment) ;
Que sur ce dernier point et ainsi que le fait valoir l'intimée (page 18/44 de ses conclusions), le degré d'attention du public pertinent, du fait de la nature des produits concernés et, en particulier, de leur prix (de l'ordre, pour l'un et l'autre, de 5.000 euros) et de leur fort caractère technologique, sera particulièrement élevé lors de l'acte d'achat ; qu'il peut, de plus, être relevé que la circonstance que la montre référencée " BR 146 Blackbird " était commercialisée dans le cadre de la vente d'une série limitée à 500 produits, comme précisé dans le catalogue, est de nature à accentuer son degré d'attention ;
Que la Cour de justice est venue préciser en cette occurrence qu' " il importe, en droit, de tenir compte de ce qu'une telle circonstance peut être de nature à réduire le risque de confusion entre les marques relatives à de tels produits au moment crucial où s'opère le choix entre ces produits ou ces marques " (CJCE, Picasso, 12 janvier 2006) ;
Que, visuellement, il ne saurait être nié que les signes en conflit, quand bien même ils s'offrent à voir selon des longueurs différentes, présentent une similitude du fait que le signe contesté inclut en son entier la marque revendiquée ; que, toutefois, cet élément de reprise se trouve placé à la fin du signe contesté, envisagé comme un tout, et non point comme élément d'attaque apte à être davantage mémorisé et qu'en outre, le public pertinent composé d'amateurs éclairés, voire de collectionneurs de montres de luxe, ne prêtera à cet élément commun qu'une attention relative du fait de ses connaissances dans le domaine de l'horlogerie de luxe, de la présence des majuscules " BR " renvoyant aux initiales de la marque ou encore de son attachement au calibrage spécifié par le nombre 146 ;
Que, phonétiquement, rien ne permet d'affirmer que le consommateur particulièrement attentif de cette catégorie de produits associera le référencement " BR 126 Blackbird " et la marque " Blackbird " en évoquant de manière oralement raccourcie, par l'emploi ce dernier terme, la référence de la montre Bell & Ross ;
Que, conceptuellement, en raison du niveau élevé de son attention dans ce domaine, il ne sera pas conduit à se méprendre sur l'origine commerciale précise des produits de luxe en cause lorsqu'il exercera son choix entre les produits, quand bien même le référencement dont s'agit reprendrait le nom d'un avion constituant notamment l'unique élément verbal de la marque dont est titulaire la société Breitling et qu'il le sera d'autant moins que la société Bell & Ross décline son référencement " BR 126 " sous divers noms d'avions ;
Qu'il résulte de l'analyse globale ainsi menée qu'en dépit d'une identité entre les produits en cause, les facteurs de similitude évoqués, tant au point de vue visuel et phonétique qu'au point de vue conceptuel, ne conduisent pas à considérer que l'usage constaté du signe sera générateur d'un risque de confusion pour le consommateur à l'attention particulièrement aiguisée des produits en cause, de sorte que la société Breitling doit être déboutée de son action en contrefaçon et, par motifs substitués, le jugement confirmé en cette disposition ;
Considérant enfin et s'agissant de l'atteinte à sa marque renommée " Blackbird " dont fait état la société Breitling, que si l'appelante peut être suivie en son moyen tendant à contester la fin de non-recevoir tirée de la nouveauté qui lui est opposée dès lors que l'action introduite sur le fondement de l'article L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle vise à protéger le titulaire d'une telle marque d'une utilisation portant, notamment, atteinte à son pouvoir distinctif et qu'elle tend, par conséquent, aux mêmes fins, au sens de l'article 565 du Code de procédure civile, que l'action en contrefaçon dont étaient saisis les premiers juges, force est de considérer que la renommée d'une marque suppose une démonstration étayée par des éléments de preuve et que la société Breitling s'en abstient, se bornant à procéder par affirmation en indiquant notamment, de manière inopérante, que l'avion espion américain " Blackbird ", " légendaire ", est nécessairement connu par le public spécialisé dans le domaine de l'aéronautique ;
Qu'il en résulte que la société Breitling est recevable mais mal fondée en cette dernière demande ;
Que la société Breitling qui sollicite des mesures de réparation par équivalent du préjudice dont elle s'estime, à tort, victime du fait des actes de contrefaçon ainsi incriminés, sera par conséquent déboutée de ses réclamations, qu'il s'agisse des mesures de publication ou des mesures prononcées sous astreinte propres à faire cesser le trouble et qu'il en va de même de la demande de liquidation de l'astreinte prononcée par le juge des référés, au demeurant annulée par la cour d'appel de Paris dans son arrêt rendu le 26 mars 2015 ;
Sur l'action fondée sur la concurrence déloyale et/ou parasitaire
Considérant qu'à titre subsidiaire la société Breitling poursuit l'infirmation du jugement qui, selon elle de manière erronée, a rejeté son action de ce chef en énonçant qu'elle ne justifiait pas de faits distincts de ceux fondant son action en contrefaçon et qu'elle ne pouvait obtenir plus de droit sur cet autre terrain que sur celui de la contrefaçon ;
Qu'elle entend démontrer qu'elle est recevable en cette action fondée sur les dispositions de l'article 1382 du Code civil, conformément à la doctrine de la Cour de cassation, d'autant qu'elle agit à titre subsidiaire, et que la société Bell & Ross a engagé sa responsabilité en utilisant, sans s'exposer à des dépenses et à des fins publicitaires et commerciales, la marque " Blackbird " dont elle est titulaire, créant " nécessairement " un risque de confusion ;
Qu'elle invoque le fait que les deux sociétés sont en situation de concurrence directe, qu'elle n'a nullement consenti à l'utilisation de sa marque, que, pour promouvoir et exploiter des produits directement concurrents, la société Bell & Ross a fait usage de ce signe distinctif caractérisant sa propre identité et sa réputation en influençant sa création de produits horlogers, ajoutant qu'il constitue un signe de ralliement de sa clientèle et que, ce faisant, son adversaire a donné l'apparence trompeuse d'une " affiliation " à ladite marque, d'un lien économique, en semant une confusion artificielle et opportune ;
Qu'elle soutient par ailleurs, après avoir précisé que l'action fondée sur le parasitisme ne postule pas la démonstration d'un risque de confusion, que la société Bell & Ross a fautivement attiré une clientèle en plagiant sa propre publicité sur le signe distinctif " Blackbird ", qu'elle a usurpé ses efforts intellectuels et ses investissements en s'inscrivant dans son sillage et que la société adverse, " internationalement connue et dont la notoriété n'est plus à faire sur le marché de l'horlogerie ", s'est approprié ce signe en toute connaissance de cause puisqu'elle ne pouvait ignorer le droit privatif dont était titulaire sa concurrente, ceci afin de se procurer un avantage concurrentiel ;
Considérant, ceci exposé, qu'indépendamment de la question débattue de la durée d'utilisation du signe litigieux utile à la quantification du préjudice qui a pu être subi, la société Breitling ne peut valablement se prévaloir d'une reproduction à l'identique de sa marque ni prétendre à la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle ci-avant caractérisée des produits en cause, eu égard à ce qui précède;
Qu'elle n'est pas davantage fondée à invoquer un risque avéré de confusion en ne le justifiant que par la seule production d'un extrait du site d'échange sur internet " forumamontre " du 28 octobre 2014 (pièce 52) où un internaute évoque, sous l'unique terme " Blackbird ", la montre commercialisée par son adversaire, ceci pour en déduire, de manière quelque peu hasardeuse, qu'il constitue le signe de ralliement de sa clientèle ;
Qu'elle échoue, par conséquent en son action au titre de la concurrence déloyale ;
Qu'à juste titre, néanmoins, l'appelante soutient que l'action en responsabilité pour agissements parasitaires ne requiert pas l'existence d'un risque de confusion, de sorte que même si le public pertinent ne confond pas les signes ou les produits, la concurrence parasitaire peut être retenue lorsqu'afin d'exploiter son propre produit, une entreprise a capté ce qui fait le succès commercial du produit de son concurrent désigné par ce signe, en limitant ses propres investissements ;
Que tel est le cas en l'espèce dans la mesure où même si sa notoriété n'est pas démontrée la marque " Blackbird " servant à désigner des produits de l'horlogerie constitue une valeur économique résultant du savoir-faire et des investissements humains et financiers que lui a consacrés la société Breitling et qu'en utilisant ce signe dont elle ne pouvait ignorer l'usage et l'attractivité dans le dessein de faire commerce d'un produit identique indirectement désigné par ce signe au sein de son référencement, la société Bell & Ross a engagé sa responsabilité délictuelle sur ce terrain ;
Qu'il s'évince de tout ce qui précède que le jugement sera confirmé en ce qu'il rejette l'action subsidiairement formée au titre de la concurrence déloyale mais infirmé en qu'il déboute la société Breitling de son action fondée sur la concurrence parasitaire ;
Considérant, s'agissant de la réparation du préjudice subi à ce dernier titre, que la société Breitling sollicite la condamnation de la société Bell & Ross au paiement d'une somme de 1 000 000 euros sanctionnant les faits de concurrence déloyale et/ou parasitaire en invoquant le préjudice économique qu'elle a subi, outre celle de 50 000 euros du fait du préjudice moral également subi ;
Qu'elle fait cumulativement état, sans départ entre les deux actions, du préjudice commercial qui s'infère nécessairement d'un acte de concurrence déloyale, de l'accaparement d'une clientèle, d'importantes atteintes anti-concurrentielles, d'une reproduction illicite selon un mode de diffusion touchant simultanément des millions d'internautes ainsi que d'une appropriation du signe sans bourse délier qui ont vidé de son contenu l'important investissement qu'elle avait engagé puisqu'elle s'est vue retirer le bénéfice de jouir pleinement de ses droits sur sa marque ; qu'en ce qui concerne son préjudice moral, elle invoque l'atteinte ainsi portée à son image de marque ;
Que, ceci étant rappelé, il y a lieu de tenir compte du fait que seuls les agissements parasitaires ont été retenus, qu'ils ne portaient que sur la référence d'un produit commercialisé en série limitée sans y être apposé et qu'ils s'inscrivent dans une période relativement brève puisque la société Bell & Ross, qui ne peut être tenue responsable d'usages observés sur des sites internet dont elle n'a pas la maîtrise, a rapidement substitué au terme " Blackbird " faisant partie du référencement litigieux celui de " Flyback " puis fait rééditer un coûteux catalogue en septembre 2014 ;
Qu'il convient, par ailleurs, de relever que l'appelante ne justifie pas de " l'important investissement engagé " dont elle se prévaut pas plus qu'elle ne caractérise le préjudice moral dont elle fait état autrement qu'en évoquant une atteinte à son image de marque qui n'est justifiée par aucun élément ;
Qu'il en résulte que le préjudice économique subi doit être évalué à sa juste mesure et ramené, compte tenu de l'avantage que la société Bell & Ross a tiré de la réduction de ses propres coûts de communication et de la perte de l'avantage concurrentiel dont pouvait disposer la société Breitling du fait de l'exploitation de la marque " Blackbird " enregistrée depuis plus de 10 ans, à la somme de 50 000 euros ; qu'il y a lieu, en revanche, de débouter l'appelante de sa demande en réparation d'un préjudice moral dont elle ne démontre pas l'existence ;
Sur la demande indemnitaire présentée par la société Bell & Ross
Considérant que la teneur de la présente décision ne permet pas de sanctionner, comme l'ont fait les premiers juges, l'abus de procédure imputé à faute à la société Breitling, d'autant, au surplus, que la juridiction des référés a retenu la vraisemblance des faits de contrefaçon dénoncés devant elle ; qu'il ne peut lui être reproché, non plus, le recours aux dispositions de l'article 145 du Code de procédure civile ou le déroulé d'opérations autorisées par une juridiction et diligentées par un huissier, fût-ce de manière défectueuse ;
Que le jugement sera par conséquent infirmé en ce qu'il condamne la société Breitling au versement d'une somme indemnitaire de 100 000 euros ;
Sur les autres demandes
Considérant que la condamnation de la société Bell & Ross au paiement de la somme de 50 000 euros au titre de la concurrence parasitaire conduit à infirmer le jugement en ce qu'il ordonne le remboursement de l'intégralité de la provision de 80 000 euros versée par a société Bell & Ross à la société Breitling en exécution de l'ordonnance de référé précitée ; que l'obligation de restituer de cette dernière sera, en conséquence, ramenée à la somme de 30 000 euros ;
Considérant, s'agissant de l'application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et du sort des dépens, que le jugement doit également être infirmé de ces deux chefs ;
Que l'équité commande de condamner la société Bell & Ross à verser à la société Breitling la somme de 15 000 euros au titre de ses frais irrépétibles ; qu'il échet, en outre, de lui faire supporter la charge des dépens de première instance et d'appel ;