CA Lyon, 8e ch., 11 octobre 2016, n° 16-00448
LYON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Berthet La Quinc'Hightech (SAS)
Défendeur :
Blum France (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Morin
Conseillers :
M. Defrasne, Mme Zagala
Avocats :
SCP Baufume Sourbe, SCP Bignon Lebray, de Joussineau, Selarl Nicolas Chambet
Exposé du litige
La SARL Blum France commercialise en France des produits du groupe Blum : systèmes de portes relevables, systèmes de charnières et systèmes de coulissants pour meubles à destination des professionnels.
Elle a confié à la SAS Berthet La Quinc'Hightech la distribution sélective de ces produits en raison de la compétence spécifique de la société Berthet à commercialiser et à sélectionner les produits dans l'intérêt d'une meilleure distribution auprès des professionnels.
A cette occasion, les deux sociétés ont régularisé le 9 janvier 2014 un contrat de distribution sélective pour une durée de 3 ans, dans lequel il est notamment précisé que le contrat était conclu "intuitu personae", les droits et obligations en résultant ne pouvant être transférés sous quelque forme que ce soit par le distributeur agréé sans l'accord expresse, écrit et préalable du fournisseur.
En mars 2014, la société HFA, société holding qui contrôle notamment la société Trenois Decamps, distributeur dans le nord-est de la France, de produits de quincaillerie auprès des professionnels, fabriqués par la société de droit allemand Hettich, a pris une participation majoritaire dans la société Berthet.
La société Blum, considérant qu'elle n'avait pas été informée par la société Berthet de cette prise de participation qui permettait notamment par la fusion des systèmes informatiques à une société concurrente d'avoir accès à l'ensemble de ses données confidentielles sur les produits qu'elle commercialisait, a, le 28 octobre 2015, fait connaître à la société Berthet qu'elle résiliait le contrat de distribution sélective à compter du 28 novembre 2015 pour : manquement à son devoir de loyauté et concurrence déloyale à son détriment, notamment par la distribution du catalogue des produits de Trenois Decamps.
La société Berthet a contesté cette résiliation et demandé à la société Blum d'y renoncer.
Le 20 novembre 2015, la société Berthet a fait assigner la société Blum devant le juge des référés du Tribunal de commerce de Lyon pour voir ordonner sous astreinte à la société Blum de reprendre l'exécution du contrat de distribution sélective.
Par ordonnance du 31 décembre 2015, le juge des référés, motifs pris d'une contestation sérieuse, a débouté la société Berthet de ses prétentions.
Parallèlement, la société Berthet a saisi au fond le Tribunal de commerce de Lyon pour résiliation abusive du contrat de distribution sélective et pour avoir paiement de 611 916 euro à titre de dommages et intérêts.
Le 19 janvier 2016, la SAS Berthet La Quinc'Hightech a interjeté appel de l'ordonnance de référé.
Dans ses dernières écritures, l'appelante demande à la cour :
- de confirmer l'ordonnance querellée en ce qu'elle a pris acte de la renonciation de la société Blum à l'exception d'incompétence qu'elle avait soulevée,
- de réformer l'ordonnance pour le surplus,
- de dire que l'ordonnance [sic] justifie de prendre des mesures de nature à préserver ses droits,
- de juger que ces mesures ne se heurtent à aucune contestation sérieuse et sont justifiées par l'existence d'un différend,
- que dire que ces mesures sont justifiées par l'existence d'un dommage imminent et par l'existence d'un trouble manifestement illicite,
- d'ordonner à la société Blum France de reprendre l'exécution jusqu'à son terme du contrat de distribution sélective conclu le 9 janvier 2014, ce sous astreinte de 2 500 euro par jour à compter de la date de la décision à intervenir,
- de condamner la société Blum aux dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 15 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle fait valoir, sur le fondement de l'article 872 du Code de procédure civile :
- que l'urgence est caractérisée car elle se retrouve depuis la résiliation dans l'impossibilité de fournir à ses clients des produits Blum, du fait de son faible niveau de stock,
- qu'il n'existe pas de contestation sérieuse car la société Berthet a été informée de la prise de participation de HFA lors des réunions des 15 mai et 11 décembre 2014 et ne s'y est pas opposée, que le contrat de distribution sélective n'impose pas une obligation d'information et d'autorisation préalable en cas de contrôle, mais seulement en cas de transfert ou de cession de contrat, ce qui n'est pas le cas de l'espèce, que la distribution sélective n'interdit pas au distributeur de distribuer des produits concurrents, de sorte qu'aucun acte de concurrence déloyale ne peut lui être reproché,
- que par ailleurs, elle n'a pas manqué à ses obligations contractuelles dans le contrat de distribution sélective, ayant toujours respecté les exigences de son co-contractant et toujours proposé le catalogue Blum avec le catalogue Hettich.
Elle fait valoir, sur le fondement de l'article 873 du Code de procédure civile :
- qu'il existe un dommage imminent puisque la société Blum refuse d'approvisionner les commandes déjà passées par ses clients qui exigent des outils spécialisés pour leur activité,
- que le trouble manifestement illicite réside dans la résiliation unilatérale du contrat sans aucun motif valable.
La société Blum France demande de son côté à la cour :
- de confirmer l'ordonnance querellée en toutes ses dispositions,
- de condamner la société Berthet aux dépens ainsi qu'au paiement de 15 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle fait d'abord valoir qu'il existe une contradiction dans l'argumentation de la société Berthet qui demande en référé la poursuite du contrat jusqu'à son terme et au fond, l'indemnisation du préjudice résultant de la rupture du contrat,
- que par ailleurs, la société Berthet n'a aucun intérêt à agir pour demander la reprise d'un contrat qui en toute hypothèse viendra à expiration dans quelques mois, le 31 décembre 2016.
Elle fait valoir en second lieu que les dispositions de l'article 872 du Code de procédure civile sont inapplicables en l'espèce, en expliquant :
- qu'il n'y a pas d'urgence car l'ensemble des produits Blum existent sous la marque Hettich, également commercialisée par la société Berthet et que cette dernière peut s'approvisionner au profit de ses clients,
- qu'il existe plusieurs contestations sérieuses en l'espèce, à savoir :
* un véritable débat sur l'interprétation du contrat de distribution au regard des conséquences de la prise de participation,
* le caractère intuitu personae du contrat,
* la faute grave commise par la société Berthet qui a trahi la confiance des parties, ce qui a justifié la résiliation du contrat de distribution sélective,
* l'obligation d'information non respectée par la société Berthet, étant noté que la société Trenois Decamps souhaitait depuis de nombreuses années distribuer les produits Blum mais qu'elle ne remplissait pas les critères exigés,
* la violation de la clause de confidentialité, dans la mesure où la société Berthet a permis à la société Trenois Decamps d'avoir accès à des informations confidentielles,
* le manquement à l'obligation de distribution dès lors que la société Berthet a édité en 2015 un catalogue ne comportant que les produits de la société Trenois Decamps.
Elle fait valoir en troisième lieu que les dispositions de l'article 873 du Code de procédure civile sont inapplicables au cas de l'espèce, en indiquant :
- qu'il n'existe pas de dommage imminent dès lors que la société Berthet est en mesure de poursuivre l'approvisionnement de ses clients par le biais de produits Hettich,
- qu'il n'existe pas davantage de trouble manifestement illicite car la résiliation du contrat est justifiée par le comportement fautif de la société Berthet.
Elle ajoute que la poursuite des relations commerciales dans le contexte de concurrence déloyale précédemment dénoncé serait génératrice pour elle-même d'un trouble manifestement illicite.
Motifs de la décision
1/ Sur l'application de l'article 872 du Code de procédure civile
Attendu que l'article 872 du Code de procédure civile prévoit que dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal de commerce peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse où que justifie l'existence d'un différend ;
Attendu en l'espèce qu'il résulte du contrat de distribution sélective, conclu entre les parties le 9 janvier 2014, que le distributeur a été sélectionné et agréé en fonction des critères objectifs suivants : compétence professionnelle du distributeur et de l'ensemble de son personnel pour la commercialisation des produits au profit des agenceurs et menuisiers, existence d'une force de vente externe, d'une présence sur le terrain d'un certain nombre de commerciaux suffisants pour répondre aux besoins du marché et assurer l'assistance technique, conditions de stockage et de démonstration suffisantes pour présenter la gamme Blum avec un showroom de 10 m2 minimum dédié aux produits Blum, obligation de disposer d'un point de vente physique en bon état d'entretien et de réparation, horaires d'ouverture des points de vente agréés aux heures habituelles, équipements informatiques permettant notamment l'utilisation du logiciel Dynalog et e-services Blum... et que le distributeur s'engage à mettre en œuvre tous les moyens nécessaires pour que la marque Blum soit la marque leader pour la partie quincaillerie d'agencement pendant le délai d'un an à compter de son agrément par le fournisseur ;
Que si le contrat n'impose aucune condition restrictive quant à la détention du capital ou la prise de majorité par une société étrangère au sein de l'entreprise du fournisseur agréé, il comporte au demeurant en son article 11, sous l'intitulé "cession étrangère du contrat" l'indication que ce contrat est conclu intuitu personae, que les droits et obligations en résultant ne pourront être transférés sous quelque forme que ce soit par les distributeurs agréés sans l'accord expresse, écrit et préalable du fournisseur et à son article 12 sous l'intitulé "confidentialité", que le distributeur agréé s'engage pendant toute la durée du contrat et sans limitation de durée après son expiration à ne divulguer aucune information de nature commerciale, technique, administrative, comptable ou stratégique dont il aurait pu avoir connaissance sur l'exécution de contrat ;
Que l'article 13 prévoit aussi que le distributeur agréé s'engage à toujours se comporter vis-à-vis du fournisseur comme un partenaire loyal et de bonne foi et notamment à porter à la connaissance du fournisseur tout différend ou toute difficulté qu'il pourrait rencontrer dans le cadre de l'exécution du contrat ;
Attendu qu'il y a lieu de constater, à l'instar du premier juge :
- que la société Blum fabricant est importateur exclusif de ses produits, en sélectionnant son distributeur la société Berthet et en obligeant cette dernière à respecter un certain nombre de critères qualificatifs énumérés au contrat, entend exercer son contrôle sur le choix sélectif des distributeurs de ces produits,
- que la société Blum, en incluant une clause d'agrément en cas de transfert des droits et en conférant un caractère d'intuitu personae au contrat, a voulu garder un droit de regard au cours de la vie dudit contrat sur l'actionnariat de son prestataire, la société Berthet, ce que cette dernière ne pouvait ignorer,
- que la société ayant pris le contrôle de la société Berthet est également actionnaire majoritaire dans une société distribuant des produits concurrents et que le distributeur en question de la société Trenois Decamp n'avait jamais pu obtenir l'agrément de la société Blum en raison de son activité concurrentielle,
- que le contrat de distribution sélective, intuitu personae, est basé sur la confiance des parties qui doit subsister tout au long de la vie contractuelle et que le rachat des actions de la société Berthet par la société Holding HFA, déjà majoritaire dans la société Trenois Decamps, constitue par cette prise de majorité un transfert d'actionnariat, non acté et éminemment concurrent et de nature à faire perdre à la société Berthet son pouvoir d'indépendance, que cette prise de participation majoritaire dans le capital de la société Berthet a permis à la société Trenois Decamps de contourner le fait qu'elle n'avait jamais obtenu l'agrément de la société Blum afin d'être référencée comme fournisseur agréé,
- que si ce rapprochement capitalistique n'induit pas un "transfert" du contrat de distribution sélective, soumis nécessairement à l'agrément du fournisseur, il a néanmoins une influence certaine sur le devenir dudit contrat en raison de la position majoritaire dans le capital de la société Berthet d'un des concurrents de la société Blum alors que la notion d'intuitu personae, prévue au contrat avait pour vocation de prémunir la société Blum de toute ingérence et de garantir l'indépendance économique de son partenaire,
- que la nouvelle politique commerciale dictée par un nouveau actionnaire majoritaire, notamment par l'édition d'un nouveau catalogue présentant des produits de la société Blum et de la société Hettich, ne s'inscrit plus dans l'esprit du contrat de distribution sélective, à savoir la volonté de promouvoir essentiellement les produits de la marque Blum,
- que par ailleurs, la nouvelle situation de l'actionnariat de la société Berthet ne permet plus à cette dernière de garantir à son fournisseur le respect de l'article 12 du contrat sur la confidentialité attachée au contrat de distribution sélective ;
Attendu qu'en considération de toutes ces circonstances, la demande de la société Berthet afin de contraindre la société Blum à reprendre jusqu'à son terme l'exécution du contrat de distribution sélective, résilié par elle le 28 octobre 2015 se heurte à une contestation sérieuse qu'il n'appartient pas au juge des référés de trancher et que l'ordonnance querellée doit être confirmée de ce chef ;
2/ Sur l'application de l'article 873 du Code de procédure civile
Attendu que l'article 873 du Code de procédure civile permet au président du tribunal de commerce, même en présence d'une contestation sérieuse de prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ;
Attendu en l'espèce que la société Blum a résilié le contrat de distribution sélective par lettre recommandée en date du 8 octobre 2015 en respectant le préavis d'un mois prévu au contrat ;
Attendu que la société Berthet qui soutient que depuis la résiliation du contrat de distribution sélective par la société Blum, elle se trouve dans l'impossibilité d'approvisionner ses clients, n'en rapporte pas la preuve et qu'il est permis d'affirmer comme la société Blum, au vu du rapprochement des sociétés Berthet et Trenois Decamps ainsi que des catalogues produits, que la société Berthet est en mesure d'approvisionner ses clients avec des produits équivalents de la marque de la société Hettich ;
Attendu qu'il n'est pas démontré dans ces conditions que la résiliation du contrat de distribution sélective par la société Blum soit génératrice d'un dommage imminent, ni d'un trouble manifestement illicite qui justifierait des mesures conservatoires ou de remise en état au sens des dispositions légales précitées ;
Que l'ordonnance querellée doit être également confirmée de ce chef ;
Attendu que la société Berthet supportera les entiers dépens ; qu'elle devra régler en cause d'appel à la société Blum la somme de 5 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, en sus de l'indemnité allouée sur le même fondement par le premier juge ;
Par ces motifs : LA COUR, Confirme l'ordonnance querellée en toutes ses dispositions,Y ajoutant, Condamne la SAS Berthet La Quinc'Hightech à payer à la SARL Blum France la somme de 5 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la SAS Berthet La Quinc'Hightech aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile par ceux des mandataires des parties qui en ont fait la demande.