CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 13 octobre 2016, n° 15-03037
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Imprimerie du centre (SAS)
Défendeur :
La Redoute (SAS), Movitex (SA), Sadas (SAS), Somewhere (SAS), Cyrillus (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dabosville
Conseillers :
M. Loos, Mme Schaller
Avocats :
Mes Faizant, Lariviere, Boccon Gibod, Delesalle, Teytaud, Druesne, Fromantin, Antoniutti, Heyte, Salmon
Faits et procédure
La société Imprimerie du centre (ci-après la société " IDC ") a pour activité des travaux d'imprimerie et d'édition. En 2012, elle a repris par transmission universelle de patrimoine la société Lefevere Printing qui elle-même avait repris en 2010 le fonds de commerce de la société Imprimerie B. Lefevere placée en liquidation judiciaire.
La société IDC a entretenu depuis 1992-1993 des relations commerciales avec le groupe de distribution et de vente par correspondance Redcats dont faisaient partie les sociétés La Redoute, Movitex (enseigne Daxon), Sadas (enseigne Vertbaudet), Somewhere et Cyrillus. Elle réalisait notamment des travaux d'imprimerie de catalogues, envois de mailing, prospectus, dépliants pour ces sociétés.
Entre 2009 et 2010, les commandes d'impression ont été réduites de près de moitié. Le 6 mai 2010, le groupe Redcats a notifié un " appel d'offre " pour les impressions marketing de l'ensemble de ses enseignes. La société IDC a été retenue pour la période du 1er août 2010 au 31 octobre 2011, période prolongée jusqu'au 30 avril 2012.
Le 26 janvier 2012, le groupe Redcats a lancé une nouvelle procédure d' " appel d'offre ". IDC a été informée que son offre était retenue pour la période du 1er mai 2012 au 30 avril 2013 pour l'impression de documents non personnalisés.
Le 2 avril 2013, un nouvel " appel d'offre " a été lancé pour l'ensemble du groupe Redcats. Le 3 juillet 2013 la société IDC a été informée qu'elle n'était pas retenue pour la période 2013-2014, et ce avec effet immédiat.
Estimant être victime d'une rupture abusive des relations commerciales établies, IDC a, par la voie de son conseil, adressé au groupe Redcats par LRAR du 29 juillet 2013 une demande en réparation du préjudice subi. Par courrier en réponse du 3 septembre 2013, le conseil du groupe Redcats a contesté toute rupture brutale.
C'est dans ces conditions que la société IDC a fait assigner en octobre 2013 les sociétés La Redoute, Movitex, Sadas, Somewhere et Cyrillus devant le Tribunal de commerce de Lille en paiement de dommages et intérêts du fait de la rupture brutale de leurs relations commerciales.
Par jugement rendu le 13 janvier 2015, leTtribunal de commerce de Lille a :
- dit irrecevable les demandes de la société Imprimerie du centre qui n'a pas qualité, ni intérêt à agir au titre d'une prétendue rupture brutale partielle intervenue entre 2009 et 2010 concernant la relation commerciale entretenue entre La Redoute, Sadas, Cyrillus et la société Imprimerie B. Lefevere ;
- débouté la société Imprimerie du centre de l'ensemble de ses demandes ;
- condamné la société Imprimerie du centre à verser aux sociétés La Redoute, Movitex, Sadas, Somewhere, Cyrillus la somme de 2 000 euros chacune au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- débouté les parties de leurs autres demandes ;
- condamné la société Imprimerie du centre aux entiers dépens, taxés et liquidés à la somme de 163,25 euros (en ce qui concerne les frais de greffe).
Vu l'appel interjeté par la société Imprimerie du centre le 9 février 2015,
Vu les dernières conclusions signifiées par la société Imprimerie du centre le 27 mai 2016 par lesquelles il est demandé à la cour de :
- infirmer en tout son dispositif la décision du Tribunal de commerce de Lille Métropole rendue le 13 janvier 2015.
Et par l'effet dévolutif de l'appel, statuer :
A titre liminaire,
- constater qu'IDC est fondée à revendiquer l'ancienneté des relations commerciales ayant existé entre les sociétés Imprimerie B. Lefevere ou Lefevere printing aux droits desquelles elle se présente aujourd'hui et les intimées,
En conséquence,
- dire IDC recevable en ses demandes et :
Sur les ruptures partielles de relations commerciales établies
- constater que la société La Redoute a manqué à ses obligations en rompant partiellement, et sans préavis, entre 2009 et 2010, les relations commerciales qu'elle entretenait avec la société IDC et, en conséquence, la condamner à lui verser une somme de 629 278,76 euros à titre de dommages-intérêts,
- constater que la société Sadas a manqué à ses obligations en rompant partiellement, et sans préavis, entre 2009 et 2010, les relations commerciales qu'elle entretenait avec la société IDC et, en conséquence, la condamner à lui verser une somme de 57 706,48 euros à titre de dommages-intérêts,
- constater que la société Somewhere a manqué à ses obligations en rompant partiellement, et sans préavis, entre 2009 et 2010, les relations commerciales qu'elle entretenait avec la société IDC et, en conséquence, la condamner à lui verser une somme de 54 180,87 euros à titre de dommages-intérêts,
- constater que la société Cyrillus a manqué à ses obligations en rompant partiellement, et sans préavis, entre 2009 et 2010, les relations commerciales qu'elle entretenait avec la société IDC et, en conséquence, la condamner à lui verser une somme de 105 525,21 euros à titre de dommages-intérêts,
Sur les ruptures totales de relations commerciales établies
- constater que la société La Redoute a manqué à ses obligations en rompant définitivement et sans préavis, début juillet 2013, les relations commerciales qu'elle entretenait avec la société IDC et, en conséquence, la condamner à lui verser une somme de 299 035,00 euros à titre de dommages-intérêts,
- constater que la société Movitex a manqué à ses obligations en rompant définitivement et sans préavis, début juillet 2013, les relations commerciales qu'elle entretenait avec la société IDC et, en conséquence, la condamner à lui verser une somme de 287 560,00 euros à titre de dommages-intérêts,
- constater que la société Sadas a manqué à ses obligations en rompant définitivement et sans préavis, début juillet 2013, les relations commerciales qu'elle entretenait avec la société IDC et, en conséquence, la condamner à lui verser une somme de 86 584,00 euros à titre de dommages-intérêts,
- constater que la société Somewhere a manqué à ses obligations en rompant définitivement et sans préavis, début juillet 2013, les relations commerciales qu'elle entretenait avec la société IDC et, en conséquence, la condamner à lui verser une somme de 16 521,23 euros à titre de dommages-intérêts,
- constater que la société Cyrillus a manqué à ses obligations en rompant définitivement et sans préavis, début juillet 2013, les relations commerciales qu'elle entretenait avec la société IDC et, en conséquence, la condamner à lui verser une somme de 29 762,00 euros à titre de dommages-intérêts,
Sur les frais et dépens
- condamner chacune des intimées à verser à la société IDC une indemnité de procédure de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- dire que les entiers frais et dépens de la présente instance seront supportés à parts égales par les sociétés intimées.
Vu les dernières conclusions signifiées par la société Movitex le 25 mai 2016 par lesquelles il est demandé à la cour de :
A titre principal,
- constater l'existence de procédures d'appels d'offres et de mises en concurrence annuelles, et que les parties entretenaient des relations précaires ;
- dire et juger que la société Imprimerie du centre ne peut pas se prévaloir de relations commerciales établies avec la société Movitex.
Par conséquent,
- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Lille et constater que la société Movitex n'a commis aucune faute et débouter la société Imprimerie du centre de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
A titre subsidiaire,
- constater la crise économique dans le domaine de la vente par correspondance traditionnelle subie par la société Movitex ;
- constater que la société Imprimerie du centre ne rapporte pas la preuve de l'existence de relations commerciales pérennes et continues depuis 1993 avec la société Movitex ;
- constater que la société Movitex a mis en œuvre une troisième procédure d'appel d'offres le 2 avril 2013 et qu'un préavis suffisant de trois mois a été respecté ;
- constater en tout état de cause que la société Movitex a continué de s'approvisionner auprès de la société Imprimerie du centre pour des prestations ponctuelles depuis juillet 2013 ;
- constater que la société Imprimerie du centre ne fournit aucun élément permettant d'établir l'existence et le quantum de son préjudice ;
Par conséquent,
- débouter la société Imprimerie du centre de toutes ses demandes, fins et conclusions.
A titre reconventionnel,
- condamner la société Imprimerie du centre à verser en cause d'appel à la société Movitex une indemnité de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
En tout état de cause,
- condamner la société Imprimerie du centre aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Teytaud, dans les conditions de l'article 699 du CPC.
Vu les dernières conclusions signifiées par la société Cyrillus le 1er juin 2016 par lesquelles il est demandé à la cour de :
- confirmer, en toutes ses dispositions, le jugement du Tribunal de commerce de Lille Métropole du 13 janvier 2015.
Par conséquent et en toute hypothèse :
- dire et juger que la société IDC n'est pas recevable à se prétendre victime d'une baisse des commandes de la société Cyrillus à la société Imprimerie B. Lefevere qui serait intervenue entre 2009 et 2010, et par conséquent, qu'elle n'a pas qualité ni intérêt à agir à ce titre ;
- dire et juger que les relations commerciales entre Cyrillus et IDC ne peuvent être qualifiées d'établies.
Subsidiairement,
- dire et juger que la société Cyrillus n'a commis aucune faute.
Très subsidiairement,
- dire et juger que la société IDC ne rapporte pas la preuve de son préjudice.
En conséquence et en tout état de cause,
- débouter la société IDC de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- la condamner à verser à la société Cyrillus une somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
- la condamner aux entiers dépens.
Vu les dernières conclusions signifiées par la société Sadas le 1er juin 2016 par lesquelles il est demandé à la cour de :
- confirmer, en toutes ses dispositions, le jugement du Tribunal de commerce de Lille Métropole du 13 janvier 2015.
Par conséquent et en toute hypothèse :
- dire et juger que la société IDC n'est pas recevable à se prétendre victime d'une baisse des commandes de la société Sadas à la société Imprimerie B. Lefevere qui serait intervenue entre 2009 et 2010, et par conséquent, qu'elle n'a pas qualité ni intérêt à agir à ce titre ;
- dire et juger que les relations commerciales entre Sadas et IDC ne peuvent être qualifiées d'établies.
Subsidiairement,
- dire et juger que la société Sadas n'a commis aucune faute.
Très subsidiairement,
- dire et juger que la société IDC ne rapporte pas la preuve de son préjudice.
En conséquence et en tout état de cause,
- débouter la société IDC de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- la condamner à verser à la société Sadas une somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- la condamner aux entiers dépens.
Vu les dernières conclusions signifiées par la société Somewhere le 1er juin 2016 par lesquelles il est demandé à la cour de :
- déclarer l'Imprimerie du centre irrecevable à agir aux droits de la société Imprimerie B. Lefevere.
A titre subsidiaire :
- confirmer le jugement entrepris,
- constater, dire et juger que la société Imprimerie du centre est mal fondée à se prévaloir d'une brusque rupture de relations commerciales établies avec la société Somewhere,
- constater, dire et juge qu'Imprimerie du centre ne justifie aucunement du préjudice qu'elle allègue.
En conséquence,
- débouter Imprimerie du centre de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner Imprimerie du centre au paiement de la somme de 15 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile, outre les entiers frais et dépens de première instance et d'appel.
Vu les dernières conclusions signifiées par la société La Redoute le 1er juin 2016 par lesquelles il est demandé à la cour de :
- dire et juger que la société IDC n'a pas qualité, ni intérêt à agir au titre d'une prétendue rupture brutale partielle intervenue entre 2009 et 2010 concernant la relation commerciale entre La Redoute et la société Imprimerie B. Lefevere.
A titre principal :
- confirmer le jugement déféré et partant de :
- constater, dire et juger que la société La Redoute n'a commis aucune faute,
- en conséquence, débouter la société IDC de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
A titre subsidiaire :
- dire et juger que la société IDC ne rapporte pas la preuve d'une relation commerciale établie depuis " 1994 " avec la société La Redoute,
- dire et juger que le préavis réclamé par la société IDC, au titre de la prétendue rupture brutale totale, est disproportionné en l'espèce,
- constater, dire et juger que la société IDC ne rapporte pas la preuve du préjudice qu'elle invoque,
En conséquence,
- débouter la société IDC de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
En tout état de cause,
- condamner la société Imprimerie du centre au paiement à la société La Redoute d'une somme complémentaire de 15 000 euros (quinze mille euros) sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner la société Imprimerie du centre aux entiers frais et dépens et admettre Maître Matthieu Boccon-Gibod (Selarl Lexavoué Paris-Versailles) au bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
L'appelante soutient qu'elle est recevable à agir, tant pour elle-même qu'en qualité d'ayant droit de la société Lefevere Printing dont elle a repris l'activité, qu'elle peut invoquer à son profit l'ancienneté des relations nouées par la société Imprimerie B. Lefevere avec les sociétés du groupe Redcats, que l'acte de cession du fonds de commerce prévoit la reprise de la clientèle ainsi que des éléments incorporels sauf certains contrats limitativement désignés parmi lesquels ne figurent pas les contrats avec les sociétés intimées, que l'acte de cession et les commandes passées par les sociétés intimées après la cession démontrent une intention de se situer dans la continuation de relations antérieures. Elle conteste que le droit à indemnisation du fait de la rupture partielle intervenue en 2010 soit resté dans le patrimoine de la société Imprimerie B. Lefevere en liquidation, dans la mesure où elle a recueilli ce droit de la société Lefevere Printing, qui elle-même tenait ce droit en tant que cessionnaire du fonds de commerce, que l'appel d'offres lancé le 6 mai 2010 par le groupe Redcats à l'ensemble de ses fournisseurs incluait l'Imprimerie B. Lefevere, que le chiffre d'affaires de 2009 permettait à la société IDC d'escompter bénéficier d'un niveau de commandes équivalent, que le préjudice subi est donc bien dans son propre patrimoine. Elle conteste toute prescription.
Sur le fond, la société IDC soutient qu'elle a droit à réparation pour la rupture partielle des relations commerciales avec le groupe Redcats survenue en 2010 du fait de la diminution du chiffre d'affaires réalisé avec les sociétés de ce groupe de 51,92 % entre 2009 et 2010 sans préavis, que certaines sociétés ont réduit leurs commandes alors que leur situation s'améliorait tandis que d'autres voyaient leur chiffre d'affaires diminuer légèrement mais réduisaient leurs commandes sans proportion, qu'il ne peut être retenu de justification économique, ce d'autant que les sociétés intimées n'apportent pas la preuve qu'elles ont diminué leurs dépenses d'impression marketing et qu'elles ont même plutôt eu une meilleure année 2010 que 2009, les signes de reprise étant manifestes. La société IDC estime en outre qu'il n'est pas possible de lui opposer la hausse de son propre chiffre d'affaires en 2010 dans la mesure où cette hausse est due à la reprise du fond de commerce de l'Imprimerie B. Lefevere sollicite une indemnisation sur la base de la marge brute perdue dont le taux est attesté par l'ancien expert comptable de Lefevere Printing et par le commissaire aux comptes d'IDC, l'ancienneté de la relation commerciale justifiant le droit à un préavis d'un an.
Sur la rupture brutale subie en juillet 2013, la société IDC soutient que la procédure d'appel d'offres est factice, qu'en réalité il s'agit uniquement d'un processus de pré-référencement de fournisseurs sans aucune attribution de marché ni mise en concurrence, que la précarisation des relations liée à la procédure d'appel d'offres ne serait dès lors qu'artificielle, qu'elle aurait pour but de faire échapper la rupture à l'article L. 442-6 I 5 du Code de commerce, que l'exigence de notification d'un préavis reste entière, que les volumes d'activité maintenus avec Motivex et Somewhere après 2013 sont trop limités pour considérer que la rupture n'était pas totale, que si les sociétés Cyrillus, Sadas et Somewhere défendent " l'absence de caractère significatif " de la relation commerciale en cause, ou son absence de stabilité au regard des fluctuations des commandes passées, cela ne retire pas aux relations commerciales leur caractère établi, ni le caractère brutal d'une rupture intervenue sans préavis. L'appelante estime donc avoir le droit pour cette rupture brutale à une indemnisation égale à la marge brute qu'elle aurait dû réaliser avec chacune des sociétés au titre du préavis non respecté qui aurait du être égal à 18 mois au regard de l'ancienneté des relations commerciales en question.
L'ensemble des sociétés intimées, à l'exception de la société Movitex à laquelle il n'est pas reproché de rupture partielle en 2010, soutient que les demandes de la société IDC au titre d'une prétendue rupture partielle entre 2009 et 2010 de la relation commerciale entretenue par la société Imprimerie B. Lefevere avec elles sont irrecevables. Elles indiquent que la société IDC n'est pas la victime de cette prétendue rupture intervenue entre 2009 et 2010 et ne peut venir aux droits de la société Imprimerie B. Lefevere, la créance délictuelle née de la prétendue rupture n'ayant pas été cédée avec le fonds de commerce et la société IDC ne pouvant revendiquer l'ancienneté d'une relation commerciale établie entre la société Imprimerie B. Lefevere et les sociétés intimées, dès lors qu'elles n'ont nullement manifesté leur intention d'inscrire leur relation avec le cessionnaire dans la continuité de la relation antérieure avec le cédant.
Sur le fond, elles estiment par ailleurs qu'aucun grief ne peut leur être fait suite à la diminution drastique des commandes d'imprimerie dans la mesure où elles ont subi de plein fouet la crise de la vente par correspondance qui s'est développée sur Internet au détriment de la vente par catalogue. Elles indiquent que la diminution des commandes ne résulte pas d'une stratégie volontaire de leur part mais s'explique par une baisse d'activité liée à la remise en cause du support " papier ", conduisant ainsi les sociétés intimées à réduire leur commandes de catalogues, ainsi que d'impressions publicitaires, que cette situation était connue des entreprises de ce secteur, qu'elle n'était pas imprévisible pour la société IDC qui a pu se réorganiser par la reprise du fond de commerce d'une société concurrente et l'augmentation de son chiffre d'affaires global entre 2009 et 2010 en dépit des baisses de commandes, qu'en conséquence cette baisse des commandes ne constitue pas une rupture partielle fautive au sens de l'article L. 442-6-I 5 du Code de commerce.
Elles soutiennent enfin que la relation commerciale avec IDC n'était pas une relation " établie " au sens dudit article du fait du recours systématique par le groupe Redcats à la procédure d'appel d'offres depuis 2010 sur ce secteur, que l'appel d'offres lancé en 2013 par Movitex était en réalité le troisième appel d'offres organisé depuis mai 2010 afin de sélectionner les imprimeurs selon le support concerné pour les différentes enseignes du groupe, qu'il n'existait dès lors pas de relation établie compte tenu de la précarité liée à l'aléa de la mise en concurrence et de la sélection opérée. En tout état de cause, elles contestent la durée des préavis demandés en l'absence d'éléments probants justifiant de l'ancienneté de la relation. Elles contestent également la réalité et le quantum du préjudice que la société IDC prétend avoir subi, ce d'autant que la procédure d'appel d'offres ouvrait à chaque fois un préavis de trois mois qui a été respecté.
LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
Sur ce, LA COUR,
Sur la recevabilité
Considérant qu'il est constant que le transfert d'un fonds de commerce n'emporte pas de plein droit le transfert de la relation commerciale établie entre le cédant et un tiers ;
Que le cessionnaire d'un fonds de commerce ne peut se prévaloir de la relation commerciale qui existait avant la cession du fond de commerce que si le partenaire commercial a eu l'intention de poursuivre avec le cessionnaire la relation qu'il avait initialement nouée avec le cédant ;
Qu'en l'espèce, il résulte des pièces versées aux débats, que la société Lefevere Printing, aux droits de laquelle vient la société IDC par transmission universelle de patrimoine en date du 24 septembre 2012, avait elle-même acquis le 29 juillet 2010 le fonds de commerce de la société Imprimerie B. Lefevere en liquidation ;
Que les sociétés IDC et Imprimerie B. Lefevere avaient, avant la liquidation, établi chacune séparément des relations commerciales avec les sociétés du groupe Redcats, que leurs marchés de travaux d'imprimerie avec les sociétés du groupe Redcats étaient adaptés à leurs spécialités, qu'elles réalisaient, en fonction des besoins des sociétés du groupe Redcats des travaux d'impression de marketing direct divers, sans obligation d'exclusivité ;
Que la société Imprimerie B. Lefevere a été placée en liquidation judiciaire le 1er avril 2010 ;
Que par acte de cession de fonds de commerce en date du 29 juillet 2010, la société Lefevere Printing, société filiale d'IDC créée le 28 mai 2010 a repris l'activité d'imprimerie de la société Imprimerie B. Lefevere, avec une partie des actifs corporels et incorporels, sans qu'il soit précisé si les sociétés du groupe Redcats poursuivraient leurs relations commerciales avec la nouvelle société Lefevere Printing et le cas échéant dans quelles conditions ;
Qu'au contraire, le groupe Redcats a fait diffuser le 6 mai 2010, soit concomitamment à la liquidation judiciaire de la société Imprimerie B. Lefevere, un appel d'offre pour les " impressions marketing direct " des sociétés du groupe, notamment pour l'impression d'enveloppes, de dépliants, de documents personnalisés et de bobines préimprimées ;
Que cette procédure dite " d'appel d'offre " consistait, selon les termes mêmes du mail diffusé par le cabinet de conseil Lynx chargé d'assister le groupe Redcats dans sa démarche visant à adapter les investissements commerciaux à la conjoncture économique et à la crise de la VPC, à " référencer les imprimeurs partenaires des enseignes du Groupe à partir de la saison automne-hiver 2010 ", puis à établir après mise en concurrence une liste des entreprises d'imprimerie susceptibles de bénéficier des commandes des sociétés du groupe Redcats ;
Qu'à la suite de cet appel d'offre, la société IDC et la société Lefevere Printing ont pu être référencées et bénéficier d'une partie des marchés d'imprimerie soumissionnés ;
Qu'il ne peut par conséquent être déduit de cette procédure d'appel d'offre qui initiait une nouvelle façon de fonctionner avec les imprimeurs, ni des termes de la cession du fonds de la nouvelle société Lefevere Printing, que les sociétés du groupe Redcats aient eu l'intention de poursuivre avec le cessionnaire du fonds de la société Imprimerie B. Lefevere la relation commerciale qu'elles avaient initialement nouée avec elle ;
Qu'en outre, par des motifs précis et circonstanciés que la cour adopte, les premiers juges ont estimé qu'en raison des difficultés attachées à une liquidation judiciaire, il n'était pas établi que les parties aient eu l'intention d'inscrire leurs relations dans la continuité de celles précédant la cession ;
Que pour l'ensemble de ces motifs, la société IDC n'est pas fondée à se prévaloir des relations commerciales ayant existé entre la société Imprimerie B. Lefevere et les sociétés du Groupe Redcats avant 2010 ;
Que l'activité de la société Lefevere Printing n'ayant commencé qu'en 2010, la société IDC est juste recevable à agir au titre de la rupture partielle alléguée qu'elle estime avoir subie à titre personnel, dans un premier temps via sa filiale, la société Lefevere Printing, à compter de la date de création de celle-ci en 2010, sans pouvoir se prévaloir de relations commerciales antérieures pour cette société, et ensuite à compter de son absorption par transmission universelle de patrimoine en 2012 ;
Que par motifs propres et adoptés, la décision des premiers juges doit donc être confirmée sur ces points ;
Sur la rupture de la relation commerciale
Considérant qu'aux termes de l'article L. 442-6, I, 5 du Code de commerce, "engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers: ...5) de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels (...) ";
Sur la rupture partielle
Considérant qu'une rupture partielle des relations commerciales, dès lors qu'elle entraîne une réduction substantielle et sensible du volume d'affaires, peut être considérée comme une rupture brutale en l'absence de préavis écrit, même si elle laisse subsister un courant d'affaires sur d'autres produits ;
Qu'en l'espèce, seule la demande concernant IDC étant concernée pour l'allégation de rupture partielle, il n'est pas contesté qu'à compter de 2010, les sociétés du groupe Redcats ont fortement diminué leurs commandes auprès de la société IDC et qu'elles ont initié un système de référencement par appel d'offre, suivi d'une mise en concurrence introduisant une précarisation de la relation commerciale entre ces sociétés et les imprimeurs ;
Que la baisse des commandes en 2010 a été importante pour la société IDC par rapport aux commandes de 2009 puisque, ainsi que relevé dans les pièces versées aux débats, cette baisse a été de 56,32 % pour La Redoute, de 36,08 % pour Sadas et de 73,21 % pour Cyrillus, la société Somewhere n'ayant pour sa part plus passé aucune commande en 2010 à la société IDC ;
Que la rupture partielle est dès lors caractérisée ;
Mais considérant qu'ainsi que l'ont relevé à juste titre les premiers juges par des motifs que la cour adopte, il apparaît au regard des documents versés au débat qu'entre 2009 et 2010, les sociétés du groupe Redcats ont connu une baisse importante de leur propre chiffre d'affaires lié au développement d'Internet en raison de la crise économique affectant la vente par correspondance ;
Qu'il est ainsi démontré que les sociétés du groupe Redcats ont vu leur volume d'activité fortement diminuer à partir de 2008 sans remonter de manière significative en 2010, date de la rupture partielle reprochée, de sorte que la nécessité de redresser leurs résultats ainsi que la préférence des consommateurs pour les commandes via Internet au détriment des commandes sur catalogue était de nature à justifier la diminution des commandes d'impressions marketing et des besoins en catalogues sur papier ou en mailing pré-imprimés ;
Qu'ainsi la société Sadas a vu son chiffre d'affaires diminuer de plus de 3 millions d'euros, que la société La Redoute a pu réduire ses pertes sans pour autant parvenir à dégager un résultat positif ; que la société Cyrillus a vu son résultat net diminuer pour s'établir à un niveau près de cinq fois inférieur à celui qui était le sien pour l'exercice 2008, que la société Sadas a vu son chiffre d'affaires et son résultat net augmenter mais rester inférieur à celui qui était le sien pour l'exercice 2008 ;
Qu'en conséquence, la baisse même importante des commandes passées en 2010 ne peut être considérée comme résultant d'une stratégie volontaire ouvrant droit à indemnisation au sens de l'article L. 442-6-I 5 sus rappelé, dès lors que les sociétés du groupe Redcats ont elles-mêmes subi une baisse importante de leur activité du fait de la crise économique affectant le secteur de la vente par correspondance et dont les effets se sont poursuivis au fil des années pour arriver à un stade de stabilisation, après reconversion des entreprises de ce secteur vers une dématérialisation des commandes et un changement radical des méthodes de marketing auprès de la clientèle ;
Que par ces motifs, les baisses de commandes en 2010 ne sauraient engager la responsabilité des sociétés La Redoute, Sadas, Cyrillus et Somewhere ;
Qu'il y a lieu de confirmer la décision entreprise sur ce point.
Sur la rupture totale
Considérant qu'entre le 1er août 2010 et le 30 avril 2013, les relations qu'entretenait la société IDC avec les sociétés du groupe Redcats ont subi des modifications importantes par rapport aux relations antérieures ;
Qu'ainsi, à compter de 2010, le groupe Redcats a mis en place un appel d'offres pour les imprimeurs afin de réduire le montant de ses dépenses d'impression de dépliants ;
Qu'ainsi que cela a été rappelé ci-dessus, la société IDC a été sélectionnée successivement pour 2010-2012 puis pour 2012-2013 ;
Que les relations commerciales ont fait l'objet de signature de deux contrats-cadres successifs appelés " contrat de partenariat " pour le premier, suite à l'appel d'offre du 6 mai 2010 ayant pris fin en avril 2012, et le deuxième appelé " contrat-cadre de services ", suite à appel d'offre du 26 janvier 2012, pour la période du 1er mai 2012 au 30 avril 2013 ;
Que la procédure de sélection suivie consistait à lancer un appel d'offres visant à demander aux imprimeurs souhaitant travailler avec les sociétés du groupe Redcats de remplir un dossier permettant ensuite de les sélectionner selon plusieurs critères clairement exprimés (prix, stabilité financière, potentiel technique du soumissionnaire...) ;
Que cette procédure tendait ainsi à mettre en concurrence les imprimeurs une fois référencés, afin d'être sélectionnés pour se voir passer des commandes pour les documents objets de l'appel d'offre ;
Qu'il apparaît donc que la procédure mise en place à partir de 2010 tendait à précariser les relations entre la société IDC et les sociétés du groupe Redcats dès lors que la société IDC pouvait être privée de commandes si elle échouait à être sélectionnée lors de la mise en concurrence ;
Qu'ainsi les relations entretenues par IDC avec le groupe Redcats après le 6 mai 2010 ne pouvaient plus être considérées comme établies au regard de l'aléa introduit par les procédures d'appel d'offre ;
Que la rupture des relations commerciales intervenue en 2013 faisait suite à la non-sélection de la société IDC dans le cadre de la troisième procédure dite d' " appel d'offre " organisée par le groupe Redcats ;
Qu'une telle rupture suite à un processus de sélection accepté et ayant déjà été utilisé par deux fois démontre que les parties étaient désormais liées par une relation commerciale précaire, soumise à la mise en compétition entre imprimeurs concurrents, chacun étant parfaitement informé qu'il pouvait ou non être retenu à l'issue de la procédure d'appel d'offres, rendant dès lors inopérante la notion de préavis ;
Considérant que c'est dès lors à bon droit que les premiers juges ont rejeté les demandes de la société IDC au titre de la rupture brutale totale ;
Que la décision sera confirmée ;
Considérant qu'il y a lieu de faire droit à la demande d'indemnisation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, s'ajoutant à la condamnation à ce titre en première instance.
Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ; Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ; Y ajoutant, Condamne la société IDC à payer à la société La Redoute la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société IDC à payer à la société Sadas la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société IDC à payer à la société Somewhere la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société IDC à payer à la société Movitex la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société IDC à payer à la société Cyrillus la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société IDC aux dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.