Cass. com., 18 octobre 2016, n° 15-15.042
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Santéclair (Sté)
Défendeur :
Ris optique (Sté), Mijomo (Sté), Manin (Sté), Victoria (Sté), BVA (Safer), Alex (Sté), Val optic (Sté), Optic Massy 2000 (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Tréard
Avocat général :
M. Debacq
Avocats :
SCP Marlange, de La Burgade, SCP Bouzidi, Bouhanna
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (Chambre commerciale, financière et économique, 9 octobre 2012, pourvoi n° 11-24.542), que les sociétés Ris optique, Manin, Victoria, Mijomo, BVA, Alex, Val optic, Optic Massy 2000 (les sociétés plaignantes), qui ont toutes le même dirigeant, exploitent chacune plusieurs magasins d'optique et de lunetterie sous l'enseigne " Les Opticiens Conseils " ; qu'en 1999, la quasi-totalité de ces magasins ont signé un contrat de partenariat avec la société Santé conseil service, filiale de la société AGF, laquelle avait constitué un réseau permettant à ses adhérents de bénéficier de prestations optiques au meilleur coût, en leur proposant notamment de servir en tiers-payant la part remboursée par leur complémentaire santé ; que fin 2002, la société Santé conseil service, qui était détenue dorénavant, outre par la société AGF, par les assureurs MAAF et MMA, ainsi que par l'institution de prévoyance IPECA, est devenue Santéclair ; que la société Santéclair, souhaitant réorganiser son réseau, a adressé à tous les magasins affiliés une lettre de résiliation prenant effet au 31 décembre 2002, en les invitant à renouveler leur candidature au nouveau réseau ; que sur l'ensemble des magasins à l'enseigne " Les Opticiens Conseils " qui avaient déposé leur candidature, seuls ont été agréés ceux de Vélizy-Villacoublay, du Chesnay, de Rosny-sous-Bois, exploités par la société Victoria, et celui de Villebon exploité par la société Manin, qui ont signé un accord de partenariat avec la société Santéclair ; qu'entre août et octobre 2005, cette dernière a résilié les accords de partenariat avec les quatre magasins, au motif qu'ils n'avaient pas respecté leurs obligations contractuelles, notamment quant à la fourniture des informations relatives aux prestations fournies aux assurés bénéficiaires ; que le 12 juin 2006, les sociétés plaignantes ont assigné la société Santéclair afin qu'elle soit condamnée à payer aux sociétés Victoria et Manin des dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par la résiliation du contrat de partenariat, qu'elle soit condamnée sous astreinte à fournir la liste des opticiens agréés, qu'il lui soit enjoint d'affilier les magasins à l'enseigne " Opticiens Conseils " ayant présenté un dossier d'affiliation, de réaffilier les quatre magasins dont le contrat était résilié, de cesser toute pratique anticoncurrentielle à leur préjudice, enfin qu'elle soit condamnée à leur payer, à toutes, des dommages-intérêts au titre du préjudice subi du fait de l'absence injustifiée d'affiliation ; qu'à la suite de cette assignation, le 22 septembre 2006, la société Santéclair a adressé à l'ensemble des opticiens, y compris à des magasins à l'enseigne " Les Opticiens Conseils ", " Optical Store " ou " LV ", un nouveau contrat de partenariat ; que tous ont fait acte de candidature mais que, le 12 décembre 2006, la société Santéclair a informé le dirigeant des sociétés plaignantes que, compte tenu de l'assignation en cours, elle sursoyait à l'examen des quarante-quatre dossiers ; que les sociétés plaignantes ont de nouveau assigné la société Santéclair, sur le fondement des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce, afin qu'elle soit condamnée sous astreinte à fournir la liste des critères appliqués pour la sélection des opticiens agréés ainsi que celle des opticiens agréés, et à cesser ses pratiques anticoncurrentielles à leur préjudice et qu'il lui soit enjoint d'affilier immédiatement les magasins à l'enseigne " Opticiens Conseils ", " Optical Store " et " LV " ayant présenté un dossier d'affiliation, enfin qu'elle soit condamnée à leur payer des dommages-intérêts ;
Sur le premier moyen, pris en sa première branche : - Attendu que la société Santéclair fait grief à l'arrêt de dire qu'elle a opéré de manière discriminatoire en refusant de référencer les magasins exploités par les sociétés Ris optique, Mijomo, Manin et Victoria au titre du premier contrat, et en refusant l'examen des candidatures des sociétés Ris optique, Mijomo, Manin, Victoria, BVA, Alex, Optic Massy 2000 et Val d'optic au titre du second contrat, de lui ordonner de fournir à ces sociétés : au titre du premier contrat, le nombre des candidatures reçues pour chaque zone dont relèvent les magasins des sociétés Ris optique et autres, pour le réseau 2003/2006, et à fournir les justificatifs de réception desdites candidatures comportant la preuve de la date de leur réception et, au titre du second contrat, la liste des critères de sélection des opticiens agréés Santéclair, le listing des opticiens agréés Santéclair pour les référencements à compter du 1er janvier 2007, le nombre de candidatures reçues pour chaque zone dont relèvent les magasins des sociétés Ris optique et autres, et les justificatifs de réception desdites candidatures comportant la preuve de la date de leur réception, et, avant dire droit sur le surplus, d'ordonner la réouverture des débats sur le préjudice, et d'inviter les parties à conclure sur le fait que le préjudice invoqué par les opticiens ne pouvait être constitué que par une perte de chance alors, selon le moyen, que la preuve des pratiques anticoncurrentielles incombe à celui qui s'en prétend victime ; qu'en considérant qu'il appartenait à la société Santéclair de rapporter la preuve que la constitution des listes d'attente par zone était transparente, et que l'inscription des candidats sur ces listes suivait réellement l'ordre de réception des candidatures, pour en déduire que la procédure de sélection n'aurait pas reposé sur des éléments précis et objectifs, et qu'elle n'aurait pu s'opérer que de manière subjective et discriminatoire, quand il appartenait aux sociétés Ris optique et autres, qui se prétendaient victimes de pratiques anticoncurrentielles de la part de la société Santéclair, d'apporter la démonstration de l'existence de telles pratiques, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé l'article 1315 du Code civil ;
Mais attendu qu'après avoir énoncé que, pour satisfaire aux exigences de l'article L. 420-1 du Code de commerce, les critères d'agrément pour l'accès au réseau de partenaires de santé géré par la société Santéclair doivent avoir un caractère objectif et précis, et ne pas être appliqués de manière discriminatoire, l'arrêt constate que les sociétés plaignantes établissent l'existence d'un refus de référencement de leurs magasins au titre du premier contrat et de la suspension de l'étude de leurs nouveaux dossiers d'affiliation au titre du second contrat ; qu'en l'état de ces constatations et énonciations, c'est sans inverser la charge de la preuve que la cour d'appel a exigé de la société Santéclair qu'elle justifie de la mise en œuvre des critères précités et de la transparence de la procédure de sélection opérée ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen : - Attendu que la société Santéclair fait grief à l'arrêt de lui ordonner de fournir aux sociétés plaignantes, au titre du premier contrat, le nombre des candidatures reçues pour chaque zone dont relèvent les magasins des sociétés Ris optique et autres, pour le réseau 2003/2006, et de fournir les justificatifs de réception desdites candidatures comportant la preuve de la date de leur réception et, au titre du second contrat, la liste des critères de sélection des opticiens agréés Santéclair, le listing des opticiens agréés Santéclair pour les référencements à compter du 1er janvier 2007, le nombre de candidatures reçues pour chaque zone dont relèvent les magasins des sociétés Ris optique et autres, et les justificatifs de réception desdites candidatures comportant la preuve de la date de leur réception alors, selon le moyen : 1°) que tout jugement doit être motivé ; que la contradiction de motifs équivaut au défaut de motifs ; qu'en affirmant, pour accueillir la demande de communication de diverses pièces formée par les sociétés Ris optique et autres à l'encontre de la société Santéclair, que " dès lors que les intimées s'emploient à établir le caractère non transparent de la procédure de sélection mise en œuvre par Santéclair, la production sollicitée n'est ni sans objet, ni sans intérêt ", ce dont il résultait que le caractère non transparent de la procédure de sélection mise en œuvre par la société Santéclair n'était pas établi, quand elle retenait par ailleurs que la société Santéclair ne démontrait pas le caractère transparent de la procédure de sélection qu'elle avait mise en œuvre, que cette dernière n'avait pas reposé sur des éléments précis et objectifs, et ne pouvait dès lors que s'opérer de manière subjective et discriminatoire, la cour d'appel a statué par des motifs contradictoires, et ainsi violé l'article 455 du Code de procédure civile ; 2°) que tout jugement doit être motivé ; que, pour accueillir la demande de communication de diverses pièces formée par les sociétés Ris optique et autres à l'encontre de la société Santéclair, la cour d'appel énonce que " dès lors que les intimées s'emploient à établir le caractère non transparent de la procédure de sélection mise en œuvre par Santéclair, la production sollicitée n'est ni sans objet, ni sans intérêt " ; qu'en statuant ainsi, sans indiquer le fondement légal de sa décision, permettant que soit ordonnée une telle communication de pièces, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ; 3°) que le responsable du traitement de données à caractère personnel est tenu de prendre toutes précautions utiles, au regard de la nature des données et des risques présentés par le traitement, pour préserver la sécurité des données et, notamment, empêcher que des tiers non autorisés y aient accès ; que, pour faire injonction à la société Santéclair de communiquer aux société Ris optique et autres, au titre du premier contrat, le nombre des candidatures reçues pour chaque zone dont relèvent les magasins des sociétés Ris optique et autres, pour le réseau 2003/2006, et à fournir les justificatifs de réception desdites candidatures comportant la preuve de la date de leur réception et, au titre du second contrat, la liste des critères de sélection des opticiens agréés Santéclair, le listing des opticiens agréés Santéclair pour les référencements à compter du 1er janvier 2007, le nombre de candidatures reçues pour chaque zone dont relèvent les magasins des sociétés Ris optique et autres, et les justificatifs de réception desdites candidatures comportant la preuve de la date de leur réception, la cour d'appel affirme que les documents réclamés sont internes à la société Santéclair, et ne concernent pas les données personnelles des opticiens ; qu'en statuant ainsi, quand ces documents, internes à la société Santéclair, et donc non publics, étaient susceptibles de comporter des informations personnelles sur les opticiens candidats à l'entrée dans le réseau, et concurrents des sociétés Ris optique et autres, la cour d'appel a violé l'article 34 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés ;
Mais attendu, en premier lieu, que c'est dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire que la cour d'appel a ordonné la communication de pièces critiquée ;
Et attendu, en second lieu, qu'ayant été saisie d'une demande de communication portant sur la liste des critères de sélection des opticiens agréés Santéclair, le nombre de candidatures reçues pour chaque zone dont relèvent les magasins des sociétés plaignantes et les justificatifs de réception de ces candidatures, ainsi que d'une demande relative à la production du listing des opticiens agréés Santéclair, dont elle a relevé le caractère librement accessible aux assurés en complémentaire santé et l'absence d'indication de données à caractère personnel relatives aux opticiens, la cour d'appel en a justement déduit que la société Santéclair n'était pas fondée à se prévaloir de l'article 34 de la loi du 6 janvier 1978 sur l'accès des tiers non autorisés à des données personnelles pour s'opposer à ces demandes ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche : - Vu l'article 4 du Code de procédure civile ; - Attendu que pour dire que la procédure de sélection n'a pas reposé sur des éléments précis et objectifs, l'arrêt retient que, s'agissant des critères géographiques dont fait état le préambule de l'accord de partenariat, la société Santéclair a, de façon constante, refusé de communiquer le moindre élément sur le découpage géographique des zones et sur le nombre d'opticiens partenaires pour chacune des zones géographiques ;
Qu'en statuant ainsi, alors que les conclusions de la société Santéclair détaillaient le mécanisme de découpage géographique des zones et étaient assorties de pièces relatives au critère quantitatif appliqué, comprenant des lettres adressées aux candidats leur indiquant la zone géographique à laquelle ils appartenaient, le nombre de partenaires prévus sur cette zone et l'indication du nombre de places restant disponibles sur celle-ci, la cour d'appel, qui a dénaturé ces écritures, a violé le texte susvisé ;
Par ces motifs et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : casse et annule, mais seulement en ce qu'il dit que la société Santéclair a opéré de manière discriminatoire en refusant de référencer les magasins exploités par les sociétés Mijomo, Victoria, Manin et Ris Optique au titre du premier contrat et en refusant l'examen des candidatures des sociétés Ris optique, Mijomo, Manin, Victoria, Alex, BVA, Optic Massy 2000 et Val optic au titre du second contrat, l'arrêt rendu le 11 décembre 2014, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée.