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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 26 octobre 2016, n° 14-08446

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Rolex France (SAS)

Défendeur :

Bijouterie Francis Merilhou (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cocchiello

Conseillers :

Mme Mouthon Vidilles, M. Thomas

Avocats :

Mes Fajgenbaum, Lachacinski, Delmotte, Ramirez Moncada

T. com. Paris, du 3 mars 2014

3 mars 2014

FAITS ET PROCÉDURE

La société Bijouterie Mérilhou commercialise des montres de la marque Rolex à Brive.

Depuis le 1er juillet 2000, la société Rolex France et la société Bijouterie Mérilhou sont liées par un contrat de distribution sélective.

Le 5 février 2009, la société Rolex France a adressé un courrier de résiliation du contrat la liant à la société Bijouterie Mérilhou et a accordé à cette dernière un préavis total de 11 mois.

S'estimant victime d'une rupture brutale des relations commerciales au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, la société Bijouterie Mérilhou a saisi le Tribunal de commerce de Paris par acte en date du 28 avril 2010.

Par jugement du 3 mars 2014, le Tribunal de commerce de Paris a :

- constaté la rupture brutale des relations commerciales établies par la SAS Rolex France,

- constaté les agissements déloyaux de la SAS Rolex France à l'endroit de la SA Bijouterie Francis Merilhou,

- condamné la SAS Rolex France à payer à la SA Bijouterie Françis Mérilhou la somme de 56 641,26 euros en réparation du préjudice subi au titre de la rupture brutale des relations commerciales,

- condamné la SAS Rolex France à payer à la SA Bijouterie Francis Mérilhou la somme de 10 000 euros au titre du préjudice d'image et des agissements déloyaux,

- ordonné l'exécution provisoire sans constitution de garantie,

- condamné la SAS Rolex France à payer à la SA Bijouterie Francis Mérilhou la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- dit les parties mal fondées pour leurs demandes plus amples ou contraires au présent dispositif, les en a débouté,

- condamné la SAS Rolex France à payer les dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 82,44 euros dont 13,52 euros de TVA.

La société Rolex France a fait appel de ce jugement.

Par conclusions du 24 mai 2016, la société Rolex France demande à la cour de :

Vu le contrat de distribution sélective du 20 juin 2000,

Vu l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,

Vu les articles 1134 et 1382 du Code civil,

Vu les articles 9, 699 et 700 du Code de procédure civile,

- réformer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 3 mars 2014 en ce qu'il a accueilli les demandes de la société Mérilhou au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies avec la société Rolex France, constaté l'existence d'agissements déloyaux à son endroit et condamné la société Rolex France à payer à la société Mérilhou la somme de 56 641 euros en réparation du préjudice subi au titre de la rupture brutale des relations commerciales ainsi que la somme de 10 000 euros au titre du préjudice d'image et des agissements déloyaux,

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Rolex France de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la société Mérilhou et l'a condamnée à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'au paiement des entiers dépens,

Et statuant à nouveau :

- débouter la société Mérilhou de toutes ses demandes, fins et prétentions,

- dire que la société Rolex France est recevable et bien fondée en ses demandes,

En conséquence,

- dire que la société Rolex France ne s'est pas rendue coupable d'une rupture brutale des relations commerciales avec la société Mérilhou et en conséquence débouter cette société de l'ensemble de ses demandes à ce titre,

Faisant droit aux demandes reconventionnelles de la société Rolex

- condamner la société Merilhou à lui verser la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire,

- condamner la société Merilhou à lui verser la somme de 130 000 euros à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale,

- condamner la société Merilhou à verser à la société Rolex la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Mérilhou aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SCP Nataf Fajgenbaum & Associés en application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Par conclusions du 6 juin 2016 la société Bijouterie Francis Mérilhou demande à la cour de :

Vu l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,

Vu l'article 1134 du Code civil,

Vu le jugement du 3 mars 2014 du Tribunal de commerce de Paris

Vu les pièces visées aux écritures,

- confirmer le jugement du tribunal de commerce en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

- condamner la société Rolex à payer la somme de 10 000 euros sauf à parfaire à la société Mérilhou SA en réparation du préjudice subi au titre des agissements déloyaux et en réparation du préjudice d'image,

- condamner la société Rolex à payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, dont distraction sera faite au bénéfice de la SCP Granrut en exécution des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile,

- condamner la société Rolex à payer les dépens.

MOTIVATION

Sur la rupture brutale des relations commerciales :

La société Rolex soutient être libre, comme la société Merilhou, de résilier le contrat de distribution sélective, rappelle que cette liberté de résiliation unilatérale réside dans la liberté contractuelle et la prohibition des engagements perpétuels, et que le contrat prévoit expressément cette faculté.

Elle fait valoir que la résiliation du contrat a été notifiée à la société Mérilhou par écrit le 5 février 2009, qu'elle lui a accordé un délai de préavis supplémentaire de 5 mois, soit 11 mois au total, afin de lui permettre de réaliser ses ventes de fin d'année, prenant ainsi en compte les intérêts de la société Mérilhou et manifestant sa bonne foi et sa loyauté dans ses relations contractuelles.

Elle soutient qu'il ne peut lui être reproché une absence de motifs dans sa lettre de motivation, ces motifs étant indifférents, qu'en l'absence de situation de dépendance les préavis prévus dans les contrats sont applicables s'ils sont raisonnables, et qu'en l'espèce le préavis de 6 mois initialement prévu dans le contrat est parfaitement applicable.

La société Rolex fait valoir que le point de départ des relations commerciales entre les parties correspond à l'agrément de Rolex pour le point de vente de Brive la Gaillarde en 2000, et non 1997 comme le soutient l'intimée qui correspond à son acquisition de ce point de vente.

Elle soutient que la société Mérilhou échoue à démontrer l'existence de relations commerciales établies entre 1997 et 2000, et qu'elle ne peut se prévaloir de l'ancienneté des relations avec Rolex en se fondant sur ses autres points de vente.

Elle fait valoir que l'intimée ne peut arguer de l'ancienneté de son prédécesseur, ce qui est incompatible avec le caractère intuitu personae des contrats de distribution sélective Rolex, et que l'agrément dont bénéficiait son prédécesseur aurait pris fin lors de la cession du fonds de commerce. Elle précise que la société Mérilhou a bénéficié d'un nouvel agrément Rolex, distinct de celui de son prédécesseur.

Elle fait état de la part limitée du chiffre d'affaires Rolex dans le chiffre d'affaires global de la société Mérilhou qui l'aurait gonflée, son expert-comptable ne certifiant pas les comptes ainsi que la marge réelle de sa cliente mais donnerait une simple estimation.

Elle soutient que la perte de l'agrément Rolex n'a eu aucun impact sur les relations entre les autres marques de prestige et la société Mérilhou, dont la principale activité est la joaillerie alors que la branche horlogerie ne constitue qu'une simple extension.

Elle estime que la marque Rolex peut être remplacée par d'autres grandes marques d'horlogerie haut de gamme, et qu'une solution de substitution était tout à fait envisageable.

Enfin, elle souligne qu'aucune exclusivité de fait ou de droit n'a été accordée à la société Mérilhou, rappelle que le contrat de distribution était sélectif et non exclusif, et que l'intimée devait assurer une diversification de son point de vente de Brive la Gaillarde.

La société Mérilhou estime que la rupture a été soudaine et ne lui a pas laissé le temps d'organiser la période de préavis et la fin des relations commerciales. Elle fait état de la rudesse de la politique commerciale de la société Rolex et de l'imprévisibilité de la rupture, ce d'autant que ses commandes étaient en progression à ce moment ce qui laissait augurer d'une poursuite de la relation.

Elle souligne le particularisme du territoire concerné - la ville de Brive - qui rend difficile la substitution de la marque Rolex par d'autres marques et nécessite un délai important. Elle ajoute que cette rupture a aussi eu un impact sur la clientèle habituelle qui, informée que la société Mérilhou n'était plus habilitée à assurer la réparation des produits Rolex, a préféré changer de prestataire. Elle affirme qu'une perte de son chiffre d'affaires s'en est suivie et sollicite que la brutalité de la rupture des relations commerciales soit constatée.

Elle estime être légitime à faire état de l'intégralité de la durée de la relation commerciale débutée par son prédécesseur avec la société Rolex, laquelle est à l'origine de la rupture. Elle explique ainsi que la relation commerciale la liant à la société Rolex s'étend sur une durée de 18 années, du fait de l'existence de relations antérieures au contrat de distribution sélective entre la société Rolex et la société Seignolles, dont elle a repris le fonds de commerce et à laquelle elle s'est substituée dans ses relations avec la société Rolex.

Elle soutient que la société Rolex a reconnu que la société Mérilhou n'était qu'une seule et même personne et ne peut donc invoquer la nécessité de signer un contrat pour chacun de ses points de vente.

Elle relève que la société Rolex a respecté un délai total de préavis de 11 mois qu'elle considère comme insuffisant eu égard de l'ancienneté de la relation commerciale entre les deux sociétés, du caractère soudain et imprévisible de la rupture, du particularisme géographique et économique du bassin de Brive où elle avait un quasi-monopole de la vente des produits Rolex.

Elle explicite les raisons pour laquelle un préavis plus long aurait dû être appliqué, ce d'autant que le départ de la marque Rolex influe le comportement des autres fournisseurs qui ont remis en question le fait d'être commercialisés dans un établissement ne proposant plus la marque Rolex. Elle en déduit qu'un préavis de 24 mois aurait pu lui permettre de prendre ses dispositions et de donner une nouvelle orientation de ses activités commerciales.

Sur ce

L'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce qui dispose : " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait par tout producteur, commerçant industriel ou personne immatriculée au registre des métiers (...) de rompre brutalement, même partiellement une relation commerciale établie sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce par des accords interprofessionnels. "

Les deux parties s'opposent sur l'ancienneté des relations commerciales, la société Rolex soutenant qu'il convient de retenir comme point de départ la signature du contrat de distribution sélective alors que la société Mérilhou revendique une date antérieure, ayant repris un fonds de commerce commercialisant déjà les produits Rolex.

En l'espèce, la société Rolex a proposé le 29 mai 2000 à la société Mérilhou, située à Brive La Gaillarde, de conclure un contrat de distribution sélective Rolex, signé par Rolex le 23 mai 2000 et par la société Mérilhou le 10 juin 2000.

La société Mérilhou déclare avoir repris l'activité de la bijouterie Seignolles qui distribuait depuis 1992 les produits Rolex, et il n'est pas contesté que le point de vente de Brive la Gaillarde a été acquis par l'intimée en 1997.

Dans un courrier du 17 décembre 1997 adressé à la société Mérilhou à Brive, la société Rolex la félicite de sa boutique et la remercie de la mise en avant de la marque Rolex dans sa vitrine ; elle y mentionne expressément la reprise de cette affaire par la société Mérilhou. Dans celui du 29 mai 2000 également adressé à la société Mérilhou à Brive, la société Rolex fait référence à des accords de distribution dont la société Mérilhou serait signataire, et s'estime liée par des accords pré-existant avec cette société.

Il est ainsi établi que la société Rolex considérait la société Mérilhou à Brive comme un de ses distributeurs avant la signature du contrat ; le flux d'affaires entre la société Seignolles et la société Rolex s'est donc poursuivi après la reprise de ce fonds de commerce par la société Mérilhou, qui s'est substituée à la société Seignolles dans ses relations avec la société Rolex, et a continué à distribuer les produits Rolex avec l'accord de cette société.

La société Rolex ne peut invoquer le caractère intuitu personnae du contrat de distribution sélective signé en 2000 entre les sociétés Rolex et Mérilhou de Brive, dont l'article IX prévoit l'incessibilité du contrat, pour contester le fait qu'avant même la signature de ce contrat elle traitait cette société comme un de ses distributeurs, alors qu'il résulte de ses courriers qu'elle ne considérait pas que l'agrément du prédécesseur de la société Mérilhou à Brive avait pris fin lors de la cession du fonds de commerce.

Pour autant, si la société Mérilhou affirme que la société Seignolles distribuait les produits de la société Rolex depuis 1992, elle ne verse aucune pièce justifiant de ces relations commerciales pour la période comprise entre 1992 et 1997.

Par ailleurs, il résulte du contrat de distribution et des échanges entre les parties que l'agrément de la société Rolex est donné distinctement par établissement, et non pour tous les établissements de la société Mérilhou.

Ainsi, la société Rolex avait rappelé à la société Mérilhou que son point de vente de Sarlat ne bénéficiait pas de son agrément et ne faisait pas partie de son réseau de distribution sélective, et qu'il n'était donc pas habilité à commercialiser ses produits.

L'accord de la société Rolex pour que le stock du point de vente de la société Mérilhou à Périgueux, également habilité par la société Rolex à vendre ses produits, soit regroupé à Brive (courriers de 2006 et 2007, pièces 8 et 27 intimée) ne saurait permettre à la société Mérilhou de faire état de l'ancienneté de sa relation commerciale avec la société Rolex pour le point de vente de Périgueux dans sa relation commerciale avec Rolex pour son point de vente à Brive.

Par conséquent, la société Mérilhou ne peut faire état de l'existence d'une unique relation commerciale avec la société Rolex indépendamment de chacun des contrats.

A titre surabondant, la cour relève que la société Mérilhou ne justifie pas de l'existence de relations commerciales entre son établissement de Périgueux et la société Rolex depuis 1992.

Au vu de ce qui précède, faute pour la société Mérilhou d'établir à quelle date les relations commerciales entre la société Seignolles et la société Rolex avaient débuté, il convient de retenir la date de la cession du point de vente de Brive, soit l'année 1997, de sorte que les relations avaient duré 12 ans au moment de la réception du courrier du 5 février 2009 annonçant qu'il était mis un terme aux relations commerciales.

Si la société Rolex rappelle que toute société engagée dans une relation commerciale est libre d'y mettre fin et que son co-contractant n'a pas de droit acquis au maintien de cette relation, l'article L. 442-6 I 5e précédemment cité prévoit l'engagement de la responsabilité du producteur ou de l'industriel lorsqu'il rompt cette relation de manière brutale.

Le respect des dispositions contractuelles (l'article X du contrat de distribution sélective prévoyant un délai de 6 mois) prévues entre les parties pour résilier le contrat les unissant ne saurait empêcher l'engagement de cette responsabilité, si la rupture apparaît brutale, et l'existence d'un délai contractuel de préavis ne dispense pas la juridiction d'examiner s'il tient compte de la durée de la relation commerciale et d'autres circonstances existant au moment de la rupture.

En l'occurrence, la société Rolex avait déjà fait part à la société Mérilhou, à Brive, de son intention de résilier le contrat de distribution sélective par courrier du 23 mars 2007, avant d'y renoncer par courrier du 4 octobre 2007, les parties s'étant entre temps semble-t-il rapprochées et entendu sur la poursuite de la vente des produits Rolex sur le point de vente de Brive et plus de Périgueux.

Le contrat de distribution sélective conclu en 2000 était un contrat à durée indéterminée, il s'appliquait donc régulièrement depuis près de neuf années lorsque la société Rolex a adressé son courrier résiliant le contrat à la société Mérilhou à Brive, ce alors que les relations commerciales avaient débuté depuis 1997.

Enfin, la société Mérilhou fait état de la progression de ses commandes d'achat de produits Rolex au moment de la rupture, ce que la société Rolex ne conteste pas plus que la progression de ses achats de marchandises dans les années précédant le courrier de résiliation, au vu desquelles elle pouvait légitimement s'attendre à la poursuite de la relation commerciale.

Aussi, et indépendamment de l'absence d'indication du motif de résiliation dans le courrier du 5 février 2009 de la société Rolex, la rupture de la relation commerciale existante apparaît brutale, au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du Code du commerce.

S'agissant du préavis, ce courrier du 5 février 2009 prévoit un préavis d'une durée de six mois, telle que prévue dans le contrat de distribution sélective ; ce préavis a été prolongé de près de cinq mois, afin d'atteindre le 31 décembre 2009 selon les courriers de la société Rolex.

L'expert-comptable de la société Mérilhou atteste que le montant moyen des achats de produits Rolex sur la période 2001-2009 représente près de 23 % de son chiffre d'affaires HT.

Il procède ensuite à une estimation à 30,18 % du chiffre d'affaires HT réalisé en 2009 (392 012 euros HT) sur la base d'un coefficient multiplicateur achat HT à vente TTC de 1,9, sans expliciter les données sur lesquelles il se fonde alors qu'il doit avoir accès aux données comptables de la société Mérilhou, et en déduit que " la perte de marge pourrait s'établir à 43 826,94 euros ".

La cour observe néanmoins que le résultat net de la société Mérilhou au 30 juin 2010 est supérieur de 20 % à celui du 30 juin 2009 (pièce 13 appelante).

Par ailleurs, la société Rolex souligne que l'activité principale de l'intimée est la vente d'articles de bijouterie et de joaillerie, c'est l'activité qu'elle a déclarée au registre du commerce et des sociétés, où elle est enregistrée sous la dénomination sociale " Bijouterie Francis Mérilhou ".

Elle avance que le site Internet de l'intimée est www.bijouteriemerilhou.com, ce que celle-ci ne conteste pas, et qui souligne l'importance de la bijouterie dans son activité.

L'intimée, qui ne bénéficiait pas d'un contrat de distribution exclusive mais d'un contrat de distribution sélective, indique elle-même distribuer à Brive d'autres marques prestigieuses d'horlogerie ; si elle soutient que ces fournisseurs lui ont manifesté leur réticence à continuer à être délivrées dans un établissement qui ne commercialiserait plus Rolex, elle ne verse aucune pièce pour en justifier et ne soutient pas qu'un de ces fournisseurs a cessé de distribuer ses produits par son commerce de Brive.

Elle n'établit pas d'avantage avoir subi une perte de clientèle.

Au vu de ces éléments, et de l'ancienneté de la relation commerciale entre les sociétés, la durée de préavis de onze mois (du 5 février au 31 décembre 2009) donné par la société Rolex apparaît suffisante.

Le jugement du tribunal de commerce, qui a fixé la durée du préavis à 24 mois, sera infirmé.

Sur l'état de dépendance économique :

La société Mérilhou déclare se trouver en situation de dépendance économique à l'égard de la société Rolex France avec qui elle réalise 20 % de son chiffre d'affaires. Elle souligne la notoriété de la marque Rolex et son importance dans le marché de l'horlogerie de luxe dont elle est leader. Elle fait état de la difficulté à proposer à sa clientèle une offre alternative de qualité et de prestige équivalent et soutient que les autres marques ne sont pas sur le même segment de l'horlogerie de luxe.

La société Rolex souligne que cette demande ne figurant pas au dispositif des conclusions de la société Mérilhou la cour n'en est pas saisie.

Elle estime en outre que la société Mérilhou ne se trouve pas en situation de dépendance économique, la part de Rolex dans son chiffre d'affaires global s'élevant à 20 % seulement. Par ailleurs, la société Mérilhou proposait d'autres marques prestigieuses, son résultat net a augmenté de 20 % après la résiliation de l'agrément Rolex, et il existe d'autres marques horlogères de luxe partiellement ou totalement substituables à Rolex.

La société Rolex en déduit qu'aucun abus de dépendance économique ne peut être soutenu, d'autant plus qu'elle n'a imposé à l'intimée aucune exigence commerciale particulière.

Sur ce

La société Mérilhou a demandé au tribunal de commerce la condamnation de la société Rolex pour des faits de rupture brutale des relations commerciales et pour des agissements déloyaux, et a obtenu en première instance sa condamnation sur ces chefs de demande.

Dans le dispositif de ses dernières conclusions devant la cour d'appel, la société Mérilhou sollicite la confirmation du jugement du tribunal de commerce en toutes ses dispositions. Ce dispositif ne contient pas de demande particulière quant à l'abus de dépendance économique.

L'article 954 al 2 du Code de procédure civile prévoit :

" les prétentions sont récapitulées sous forme de dispositif. La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif ".

En conséquence, la cour n'est pas saisie d'une telle demande.

Sur les demandes au titre des préjudices :

Le préavis donné par la société Rolex à la société Mérilhou étant suffisant, il ne sera pas fait droit à la demande présentée par l'intimée au titre de la perte de chiffre d'affaires.

La société Mérilhou présente une demande au titre du préjudice d'image et des agissements déloyaux de la société Rolex, qui impose à des distributeurs la mise en œuvre d'actions publicitaires et marketing auprès du public du territoire concerné, qui profitent à la notoriété du fournisseur. Elle ajoute que la résiliation va apparaître par la concurrence locale au détriment de son image de marque, alors que la société Rolex bénéficiera d'un avantage concurrentiel et durable et d'une position dominante sur le marché.

La société Rolex estime que le tribunal a retenu que le préjudice d'image ne peut être indemnisé que s'il découle du caractère brutal ou abusif de la rupture des relations commerciales. Elle ajoute n'avoir jamais communiqué autour du retrait de l'agrément.

Elle soutient que les investissements liés au fonctionnement normal d'une bijouterie-joaillerie et non exclusivement liés à la marque Rolex ne lui sont pas imputables. Elle souligne que l'intimée ne démontre ni la nature ni l'ampleur des investissements allégués, et que les publicités diffusées par l'intimée et qu'elle a payé pour moitié ont permis à l'intimée de tirer profit de la notoriété de Rolex, écartant ainsi l'existence d'investissements "irrécupérables".

Sur ce

La société Mérilhou invoque à l'appui de sa demande de réparation de son préjudice d'image, la dégradation de son image de marque aux yeux de la concurrence.

Cependant cette allégation ne saurait établir la réalité d'un préjudice d'image découlant du caractère brutal de la rupture, la rupture des relations commerciales ne saurait en elle-même contenir une atteinte à l'image de la société Mérilhou.

Par conséquent, la société Mérilhou sera déboutée de sa demande de ce chef.

S'agissant du budget publicitaire que la société Rolex aurait contraint la société Mérilhou à engager pour des campagnes de promotion de ses produits, les pièces versées par l'intimée n'établissent pas que l'ensemble des campagnes envisagées ont été effectivement menées, certaines apparaissent concerner les autres points de vente de la société Mérilhou que celui de Brive, étant de surcroît établi que la société Rolex assurait la prise en charge financière par moitié de ses publicités.

Il n'apparaît pas que ces publicités, qui étaient de nature à attirer la clientèle dans le point de vente de Brive de la société Mérilhou dans lequel elle proposait d'autres produits de bijouterie joaillerie comme d'horlogerie de luxe que Rolex, caractérisent des agissements déloyaux commis par la société Rolex au préjudice de l'intimée dont celle-ci pourrait obtenir réparation.

Le jugement sera réformé sur ce point.

Sur les demandes reconventionnelles :

La société Rolex estime que l'action de la société Mérilhou est abusive et vexatoire, que la baisse de 87 % des demandes indemnitaires en appel par rapport à celles de première instance démontre leur artificialité et la volonté de l'intimée de s'enrichir indûment.

Elle sollicite aussi la condamnation de la société Mérilhou sur le fondement de la concurrence déloyale puisqu'elle a continué à proposer à la vente des montres Rolex alors que l'agrément lui avait été retiré, laissant ainsi faussement croire qu'elle jouissait de la qualité de distributeur agréé. Elle chiffre son préjudice à 130 000 euros, soit 10 000 euros par mois d'exploitation illicite.

Cependant, la société Mérilhou a pu légitimement se tromper dans l'appréhension de ses droits, et l'engagement de la procédure ne saurait en l'espèce établir la volonté de nuire qui aurait animé la société Mérilhou, de sorte qu'il ne sera pas fait droit à la demande en procédure abusive présentée par la société Rolex.

Par ailleurs, les conclusions prises en première instance de la société Mérilhou, dans lesquelles elle indiquait que certains produits auraient été vendus et dont la société Rolex déduit qu'ils l'ont été alors que la société Mérilhou ne bénéficiait plus de son agrément, apparaissent trop imprécises pour établir les circonstances et la durée pendant laquelle ces faits seraient intervenus.

Aussi, la demande présentée par la société Rolex, soit 10 000 euros par mois d'exploitation illicite, n'apparaît pas fondée.

La société Rolex sera en conséquence déboutée de sa demande reconventionnelle.

Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile :

Chaque partie supportera la charge de ses dépens.

Il ne sera pas fait droit aux demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : Confirme le jugement du 3 mars 2014 en ce qu'il a déclaré la rupture des relations commerciales brutales, L'infirme pour le surplus, Déboute la société Mérilhou de ses demandes d'indemnisation, Déboute la société Rolex de sa demande reconventionnelle, Dit que chaque partie supportera la charge des dépens qu'elle a engagés, Déboute les parties de leurs demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.