CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 20 octobre 2016, n° 15-02996
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Garage Europe Transport Presse (SARL)
Défendeur :
Presstalis (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dabosville
Conseillers :
M. Loos, Mme Schaller
Avocats :
Mes Coll, Dereux, Fournet
FAITS ET PROCÉDURE
La société Garage Europe Transport Presse (ci-après la société " GETP "), a assuré depuis plusieurs années les livraisons de journaux dans plusieurs villes ou secteurs pour le compte de la société Presstalis anciennement NMPP.
Presstalis ayant mis fin le 4 octobre 2013 au contrat la liant à GETP en respectant un préavis de trois mois prenant fin le 15 janvier 2014, GETP, s'estimant victime d'une rupture brutale de la relation commerciale entretenue avec Presstalis, qui était devenue avec le temps, son unique client, a saisi le Tribunal de commerce de Paris d'une demande d'indemnisation pour rupture brutale et perte de marge à hauteur de 998 063,06 euros.
Par jugement rendu le 22 décembre 2014, le Tribunal de commerce de Paris a :
- Débouté la SARL Garage Europe Transport Presse de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- Condamné la SARL Garage Europe Transport Presse à payer à la SAS Presstalis la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du CPC ;
- Condamné la SARL Garage Europe Transport Presse aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 82,44 euros dont 13,52 euros de TVA.
Vu l'appel interjeté par la société Garage Europe Transport Presse le 9 février 2015 contre cette décision,
Vu les dernières conclusions signifiées par la société Garage Europe Transport Presse le 11 mai 2016 par lesquelles il est demandé à la cour de :
- Annuler le jugement du tribunal de commerce en date du 22.12.2014.
- Le réformer et en cela :
- Condamner la société Presstalis à verser à la société GETP la somme de 998 063,06 euros au titre de la perte de marge ;
- Condamner la société Presstalis à verser à la société GETP la somme de 3 041 141 euros au titre de la rupture fautive du contrat de mai /juin 2005 ;
Subsidiairement,
- Dire et juger que Presstalis a brutalement rompu la relation commerciale qu'elle avait établie avec GETP ;
- Condamner subsidiairement en conséquence, Presstalis à verser à GETP la somme de 998 063,06 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;
- Dire que les sommes ci-dessus indiquées porteront intérêts au taux légal à compter de l'assignation, ces intérêts portant eux-mêmes intérêts en application de l'article 1154 du Code civil.
Vu les dernières conclusions signifiées par la société Presstalis le 18 mai 2016 par lesquelles il est demandé à la cour de :
A titre principal :
- Constater que la demande formée à titre principal par la société Garage Europe Transports Presse n'est pas justifiée ;
- Constater que Presstalis n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité contractuelle ;
- Constater que la société Garage Europe Transports Presse ne justifie d'aucun préjudice réparable ;
- Constater que l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce n'est pas applicable à la relation entre Presstalis et la société Garage Europe Transports Presse ;
- Constater que Presstalis a respecté le préavis contractuel applicable à sa relation avec la société Garage Europe Transports Presse et que ce préavis est conforme au préavis légal applicable ;
- Constater qu'aucune rupture fautive n'est imputable à Presstalis ;
En conséquence :
- Confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Garage Europe Transports Presse de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
A titre subsidiaire :
- Constater que les conditions d'application de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ne sont pas réunies ;
En conséquence :
- Confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Garage Europe Transports Presse de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
A titre infiniment subsidiaire :
- Déterminer le préavis applicable ;
- Juger que le préavis ne saurait excéder 3 mois ;
- Constater que la société Garage Europe Transports Presse ne justifie pas des préjudices invoqués ;
En conséquence :
- Débouter la société Garage Europe Transports Presse de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
En tout état de cause :
- Condamner la société Garage Europe Transports Presse au paiement de la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
La société GETP soutient que c'est à tort que le jugement fait référence à un contrat de sous-traitance du 27 novembre 2013, alors que le contrat signé entre GETP et Presstalis est un contrat de transport en date du 27 novembre 2011 susceptible d'être soumis à l'article L. 442-6 I du Code de commerce, que le contrat-type de " sous-traitance " ne s'applique pas en l'espèce dès lors que les parties ont entendu se placer sous l'empire du contrat de transport général qui ne prévoit pas de délai de résiliation, que les usages en matière de sous-traitance ne s'appliquent pas plus, que par ailleurs les relations commerciales entre les parties datent de plus de 30 ans, par des contrats successifs à durée déterminée, qu'aucun de ces contrats ne fait état de sous-traitance, que l'article L. 442-6 I s'applique à ces relations contractuelles stables, que le délai de trois mois accordé par Presstalis était trop court au regard de la durée des relations commerciales et des usages de la profession, qu'en tenant compte de la durée des relations depuis plus de 30 ans, c'est un préavis de 4 ans qui devait être alloué, qu'en outre, au regard du monopole de Presstalis dans la distribution de presse, la société GETP aurait dû bénéficier d'un délai de préavis lui permettant de réorienter son activité vers un autre type de transport, qu'il est très difficile de se reconvertir dans le domaine de la distribution de presse, qu'il y a lieu de se tourner vers d'autres produits à distribuer, qu'en outre l'état de dépendance économique de la société GETP est établi, cette dernière réalisant une part importante de son chiffre d'affaires avec son partenaire, ce qui constitue un facteur aggravant justifiant que le préavis soit fixé à une durée de 4 ans, sur la base d'une marge brute de 35% calculée sur le chiffre d'affaires de 2013.
La société Presstalis, anciennement NMPP, indique en réponse qu'elle est devenue l'une des deux messageries de presse intervenant en France dans le cadre de la loi Bichet de 1947, qu'elle est en charge de la distribution de la presse et qu'elle sous-traite à des entreprises de transport l'acheminement des marchandises aux différents points de vente, qu'ainsi elle a sous-traité à la société GETP créée en 2002 la livraison de marchandises de certaines tournées, qu'elle a procédé par appel d'offres et que les contrats ont été conclus pour des durées d'un an renouvelables tacitement, qu'ainsi deux contrats de sous-traitance ont été conclus, le premier en 2005 et le second en 2011, que l'antériorité ne remonte pas avant, la société GETP n'ayant été créée qu'en 2002, qu'en 2007, le monde de la presse a connu des difficultés qui ont contraint Presstalis à se réorganiser et à résilier ses contrats avec ses prestataires de transport, qu'aucune faute ne saurait lui être imputée au titre de sa responsabilité contractuelle, qu'elle a respecté le préavis contractuel de trois mois, que les demandes au titre du contrat de 2005 ne sont pas fondées. Elle soutient en outre que l'article L.442-6 I 5° du Code de commerce n'est pas applicable s'agissant d'un contrat de sous-traitance en matière de transport de marchandises, les parties ayant choisi d'appliquer à leur relation la loi LOTI, que le préavis prévu par cette loi est de trois mois, ce qui a été respecté, et qu'en tout état de cause les conditions de l'application de l'article L. 442-6 I 5° ne sont pas réunies, que les relations contractuelles ont été nouées suite à mise en concurrence par le biais d'appels d'offres faisant obstacle à la caractérisation d'une relation commerciale établie, le critère de stabilité faisant défaut, qu'en outre, s'agissant de contrats de transport devenus à durée indéterminée en raison de leur renouvellement tacite, le préavis de trois mois applicable a été respecté, qu'en tout état de cause, les critères susceptibles d'être retenus pour une durée plus longue font défaut, qu'en effet la société GETP est seule responsable de sa dépendance économique, que les relations commerciales n'ont une antériorité certaine que de douze ans et non trente, que le dernier contrat n'a duré que deux ans, qu'enfin, la société GETP ne justifie pas de sa marge brute.
LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
Sur ce, LA COUR,
Considérant qu'aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, " engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :
5) de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels (...) " ;
Considérant que le champ d'application de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce s'étend, au-delà des simples relations contractuelles, à des situations très diverses ;
Que toutefois il est constant que l'article L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce ne s'applique pas à la rupture des relations commerciales de transports publics routiers de marchandises exécutés par des sous-traitants lorsque le contrat-cadre liant les parties se réfère expressément au contrat-type institué par la LOTI, qui prévoit en son article 12.2. la durée des préavis de rupture ;
Que par ailleurs il est constant que l'instauration d'une procédure régulière d'appels d'offres peut précariser une relation commerciale, même ancienne ;
Qu'enfin, même si le juge n'est pas lié par la durée du préavis contractuel, la durée ainsi prévue peut néanmoins constituer une base à prendre en considération, notamment au regard des usages de la profession.
Sur la nature du contrat
Considérant qu'en l'espèce, contrairement à ce qu'ont relevé les premiers juges, le litige porte sur des contrats de transport à titre principal et non sur des contrats de sous-traitance, dans le secteur de la distribution de la presse ;
Que les NMPP, qui ont pris le nom de Presstalis en 2009, sont en charge de la distribution de la presse pour la partie dite " niveau 1 " de cette distribution, consistant à réceptionner, trier et répartir les titres de presse auprès des dépositaires ;
Que pour ce faire, les NMPP devenues Presstalis assurent la logistique des transports dits d'" approvisionnement " et des transports dits de " livraisons " ;
Qu'elles ont confié à un transporteur, en l'espèce GETP, l'acheminement des marchandises vers les niveaux prédéfinis (niveau 1 vers niveau 1 ou niveau 1 vers niveaux 2 et 3), sans qu'il soit expressément prévu de sous-traitance entre Presstalis et GETP, cette dernière étant en charge de la totalité desdits transports ;
Qu'il y a lieu par conséquent d'écarter les dispositions applicables à la sous-traitance en matière de transport public de marchandises dans le cadre de la loi LOTI et de dire que les relations entre les parties sont soumises aux dispositions de l'article L. 442-6 I 5 ° du Code de commerce.
Sur la rupture des relations commerciales
Considérant qu'il résulte des pièces versées aux débats que les relations entre la société Presstalis et la société GETP, s'inscrivent dans la continuité des relations instaurées précédemment entre les NMPP et la société JCP, puis entre les NMPP et la société GETP, sur la base de contrats successifs prévoyant le transport et la livraison quotidiens d'articles de presse aux diffuseurs de presse ou aux dépositaires selon des tournées définies, moyennant un forfait journalier ou hebdomadaire en fonction du poids transporté ;
Que les attestations et contrats produits aux débats permettent de faire remonter l'ancienneté des relations commerciales à 1995 ;
Que toutefois, la nature et la durée des relations contractuelles a varié depuis cette date ;
Que les contrats produits par GETP concernant la société JCP à laquelle elle a succédé, et datés du 1er août 1997, sont des contrats à durée indéterminée portant chacun sur une tournée journalière et prévoyant un préavis de deux mois ;
Que les contrats de transport signés en décembre 1999 entre les mêmes parties sont des contrats à durée indéterminée portant chacun sur des tournées hebdomadaires et prévoyant un préavis de trois mois ;
Que par courrier en date du 15 octobre 2004, les NMPP ont informé la société GETP, créée en 2002 et ayant succédé à JCP, qu'elles avaient décidé de lancer un appel d'offres auprès des transporteurs de presse pour assurer la distribution de la presse quotidienne et qu'elles lui adresseraient l'ensemble des documents en vue de cette consultation ;
Que la société GETP a soumis ses propositions dans le cadre de cet appel d'offres et a été retenue par lettre du 21 mars 2005 ;
Qu'un contrat a été signé entre les NMPP et la société GETP le 13 avril 2005 aux termes duquel la société NMPP confiait à la société GETP le transport des articles de presse quotidienne selon le régime du transport public de marchandises ;
Que ledit contrat, signé pour une durée d'une année, était reconductible pour une durée indéterminée à l'issue de cette première année ;
Qu'il était prévu à l'article 5 dudit contrat que les parties pouvaient y mettre fin à tout moment moyennant un préavis de trois mois ;
Qu'un nouvel appel d'offres a été transmis à la société GETP en mars 2011 ;
Que par courrier du 10 mars 2011, la société Presstalis a écrit à la société " GETP (JCP) " (sic) que " dans le but d'adapter la distribution et la logistique des Quotidiens vers les centres de livraison, notre société organisera cette année un appel d'offres transport sur l'ensemble des prestations au départ de Gonesse et des imprimeries parisiennes (Export Route compris ", et qu'une lettre de résiliation moyennant préavis de 6 mois lui serait envoyée ;
Qu'à l'issue de ce nouvel appel d'offres, la société GETP a été à nouveau retenue et qu'un contrat de transport a été signé entre les parties le 27 novembre 2011 ;
Que par lettre du 15 octobre 2013, la société Presstalis a lancé un nouvel appel d'offres dans le cadre de sa réorganisation de la logistique transport, moyennant cette fois un préavis de trois mois, expirant le 15 janvier 2014 ;
Qu'elle en avait informé la société GETP dès le 4 octobre 2013 ;
Que la société GETP a accepté cette mise en concurrence et a transmis ses propositions soumises à appel d'offres courant novembre 2013, dans le délai du préavis ;
Qu'après avoir prorogé la fin du préavis au 1er février 2014, soit trois mois et demie en tout, la société Presstalis a, le 23 janvier 2014, indiqué à la société GETP qu'elle n'était pas retenue pour les tournées auxquelles elle avait répondu dans le cadre de l'appel d'offres ;
Qu'il en résulte qu'une relation commerciale stable a existé entre la société NMPP devenue Presstalis et la société GETP (ex JCP) depuis plusieurs années, même si le point de départ des relations commerciales est contesté ;
Qu'elle s'est poursuivie entre les parties, les premières années par des contrats successifs à durée indéterminée, et à partir de 2005 par une suite d'appels d'offres renouvelés, y compris en 2011 puis enfin en 2013 ;
Que pendant toutes ces années, la société GETP a travaillé exclusivement pour le compte de la société Presstalis, se trouvant ainsi en situation de dépendance économique ;
Que toutefois, dès le deuxième appel d'offres, en 2011, puis de plus fort en 2013, lors du troisième appel d'offres, la société GETP savait que le contrat allait être résilié et qu'elle n'avait aucune garantie de remporter lesdits appels d'offres ;
Que le fait qu'elle ait remporté celui de 2005 et celui de 2011 ne lui donnait aucune garantie pour l'appel d'offres de 2013 ;
Que le fait qu'elle avait pour unique client la société Presstalis et se trouvait en situation de dépendance économique, alors même que les conditions du marché avaient évolué vers une diversification et que le transport dans le secteur de la distribution de presse par les NMPP fonctionnait par appels d'offres depuis 2005, ne permet pas de constituer à soi-seul un critère ouvrant droit à un préavis plus long ;
Qu'au regard de l'ensemble de ces éléments, des usages de la profession, de la commune intention des parties et de la précarisation progressive des relations commerciales entre elles, celles-ci ayant déjà fait l'objet de deux appels d'offres successifs, le préavis de 3 mois accordé, faisant suite à un préavis de 6 mois déjà accordé avant le deuxième appel d'offres, qui aurait déjà dû permettre à la société GETP de se reconvertir, était suffisant pour permettre à la société GETP de se réorganiser et de se tourner vers d'autres marchés, dès lors qu'elle était parfaitement informée des difficultés grandissantes et des nécessités de reconversion du marché de la distribution de presse ;
Qu'il n'y a pas lieu de qualifier la rupture de brutale ;
Qu'il y a lieu par conséquent, par motifs propres, de confirmer la décision entreprise sur ce point.
Sur les autres demandes
Considérant qu'aucun moyen n'est développé dans les conclusions de la société GETP au soutien de sa demande d'indemnisation pour la rupture fautive du contrat de mai/juin 2005 ;
Qu'il y a lieu par conséquent de la débouter de cette demande ;
Considérant que la société Presstalis ayant accordé à la société GETP un préavis de 3 mois, et cette dernière ne justifiant d'aucun préjudice supplémentaire, il y a lieu de la débouter de sa demande d'indemnisation à hauteur de quatre années de marge brute ;
Qu'il y a lieu de confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions ;
Considérant qu'il y a lieu de faire droit à la demande d'indemnisation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile dans les termes exposés au dispositif ci-après.
Par ces motifs : Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme, par motifs propres, le jugement déféré en toutes ses dispositions. Y ajoutant, Condamne la société GETP à payer à la société Presstalis la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. La condamne aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.