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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5-7, 27 octobre 2016, n° 2015-01673

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Beiersdorf AG (Sté), Beiersdorf Holding France (SARL), Beiersdorf (SAS), Reckitt Benckiser France (SAS), RB Holding Europe du Sud (SNC) , Reckitt Benckiser Plc (Sté), Colgate Palmolive (Sasu), Colgate Palmolive Services (SA), Colgate Palmolive Company (Sté), Vania Expansion (SAS), SCA Tissue France (SAS), Henkel AG & Co. KGaA (Sté), Henkel France (SAS), Unilever France Holdings (SAS), Unilever France (SAS), L'Oréal (SA), Lascad (SNC), Hillshire Brands Company (Sté), Bolton Solitaire (SAS), Bolton Manitoba SpA (Sté), Procter & Gamble Company (Sté), Procter & Gamble France (SAS), Procter & Gamble Holding France (SAS), Johnson & Johnson Consumer Holdings France (SAS), Johnson & Johnson Santé Beauté France (SAS), Johnson & Son Inc. (Sté), SC Johnson (SAS)

Défendeur :

Autorité de la concurrence, Ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Michel-Amsellem

Conseillers :

M. Douvreleur, Mme Luc

Avocats :

Mes Teytaud, Wachsmann, Baechlin, Pittie, SCP Grappotte Benetreau, Me Cousin, Selarl Lexavoué Paris-Versailles, Mes Vialette Viallard, Brunet, Bitton, Selarl Pellerin de Maria Guerre, Mes Rameau, Saint-Esteben, SCP AFG, Mes Catala Marty, Saleh Cherabieh, Fréget, Eskenazi, Teytaud, Redon, Ninane, Chardin, Roseau

CA Paris n° 2015-01673

27 octobre 2016

FAITS ET PROCEDURE

Les pratiques concernées par le recours portent sur la vente des produits d'hygiène et d'entretien par les fournisseurs aux enseignes de la grande distribution.

Chaque année s'ouvrent des négociations entre fournisseurs et distributeurs portant, d'une part, sur les conditions générales de vente des fournisseurs, d'autre part, sur les services de coopération commerciale rendus contre rémunération par les distributeurs aux fournisseurs. Les pratiques en cause se sont déroulées en 2003 dans le cadre de la loi du 1er juillet 1996 (n° 96-588) sur la loyauté et l'équilibre des relations commerciales, dite loi Galland. Cette loi en définissant strictement le prix d'achat effectif comme étant le prix unitaire figurant sur la facture a limité au prix ainsi caractérisé le seuil de revente à perte, soit le prix minimal auquel le distributeur pouvait revendre les produits aux consommateurs. Elle a, notamment, eu pour conséquence un alignement à la hausse des tarifs bruts appliqués par les fournisseurs aux distributeurs.

Dans le même temps, dans un contexte de forte pression de la grande distribution sur les fournisseurs, la négociation des marges arrière et leur évolution annuelle, désignée sous le terme de "dérive ", est devenue l'enjeu central des négociations entre les fournisseurs de grande consommation et les enseignes de la grande distribution. Sont ainsi désignées les ristournes de fin d'année, exprimées en pourcentage du prix initial, obtenues par le distributeur auprès d'un fournisseur sur un produit. Ces marges étaient systématiquement répercutées par le fournisseur au cours de l'année suivante, par une hausse de leurs tarifs bruts. Parallèlement, les taux de coopération commerciale se sont également accrus.

Dans ce contexte, un équilibre tacite s'est instauré entre les fournisseurs et la grande distribution, qui a profité tant aux industriels qu'aux distributeurs, conduisant à une hausse importante des tarifs bruts ainsi qu'à une convergence vers le haut des tarifs de coopération commerciale et in fine des prix de revente aux consommateurs.

Face à l'augmentation significative des prix des produits de grande consommation, les pouvoirs publics ont alors adopté une succession de réformes du cadre juridique, qui ont eu pour objectif d'introduire dans la relation entre fournisseurs et distributeurs des éléments produisant une incertitude de plus en plus forte, qui aurait dû permettre un retour au jeu de la concurrence.

La première de ces réformes a été introduite par la circulaire Dutreil du 16 mai 2003, qui, dans l'objectif de conduire à une baisse des prix de vente aux consommateurs, a autorisé les différenciations tarifaires entre distributeurs et incité les fournisseurs à transférer au niveau des conditions de vente, et donc, en marge avant, les avantages financiers consentis aux distributeurs, qui étaient auparavant en marge arrière.

Cette réforme s'étant avérée inefficace, les pouvoirs publics ont conçu, dans une deuxième étape, un "engagement pour une baisse durable des prix à la consommation", du 17 juin 2004, dit " l'engagement Sarkozy ", par lequel les fournisseurs et distributeurs se sont engagés à procéder à " une baisse des prix d'au moins 2 % en moyenne sur les produits de marque des grands industriels, sur la base d'un effort également partagé entre distributeurs et industriels dès septembre 2004". Cette baisse des prix devait se traduire par une baisse des tarifs et une diminution des marges arrière des distributeurs. Cet effort devait être prolongé en 2005.

Face à l'échec de cet engagement, la loi Galland a été modifiée par la loi Dutreil n° 2005-882 du 2 août 2005, en faveur des petites et moyennes entreprises. Cette réforme autorisait la réintroduction d'une partie du montant des marges arrière dans le seuil de revente à perte, le prix d'achat effectif étant redéfini comme " le prix unitaire net figurant sur la facture (...) minoré du montant de l'ensemble des avantages financiers consentis par le vendeur exprimé en pourcentage du prix unitaire net du produit, et excédant un seuil de 20 % à compter du 1er janvier 2006 " (article L. 442-6 du Code du commerce, en vigueur du 3 août 2005 au 5 janvier 2008).

Toutes ces réformes du cadre juridique ont constitué une source d'incertitude de nature à remettre progressivement en cause l'équilibre tacite né de la loi Galland.

Dans ce contexte, les fournisseurs concernés par la présente affaire ont tenté de réduire l'incertitude en pratiquant des échanges d'informations commercialement sensibles dans le secteur de l'hygiène, d'une part, et dans le secteur de l'entretien, d'autre part.

Ces échanges ont porté sur les politiques commerciales des fournisseurs et le déroulement des négociations avec les enseignes de la grande distribution. Ils visaient à diminuer l'incertitude inhérente à toute négociation commerciale et à améliorer la position des fournisseurs dans leurs discussions avec les enseignes de la grande distribution.

Les pratiques ont reposé, à titre principal, sur des réunions structurées dans le cadre de trois cercles distincts réunissant les directeurs commerciaux d'entreprises actives dans le secteur de l'hygiène (les réunions Team PCP - pour Personal Care Products), ceux d'entreprises actives dans le secteur de l'entretien (les réunions team HP - pour Home Product) et les responsables de vente d'entreprises actives sur ces deux secteurs (les réunions des Amis). Lors de ces réunions, des informations commercialement sensibles étaient présentées et discutées entre concurrents. Ces réunions se sont accompagnées d'échanges de documents écrits envoyés par courrier, entre les entreprises, qui seront désignés par le terme de " correspondances ". A ces pratiques formalisées, se sont ajoutés des contacts bilatéraux ou plurilatéraux entre entreprises.

Ces trois cercles de réunions ont été organisés sur une base régulière, de façon formalisée, à partir de l'année 2003 au plus tard, ce qui correspond à la période des premiers projets de réforme de la loi Galland, la circulaire Dutreil datant du 16 mai 2003. Seul le cercle des "Amis" a commencé plus tardivement, en septembre 2004. Les réunions ont toutes cessé le 3 février 2006, date de la première opération de visite et saisie aux sièges de plusieurs entreprises actives dans le secteur de l'entretien.

Le 6 décembre 2005, les sociétés de droit américain Johnson & Son Inc. et SC Johnson SAS (la société SC Johnson) ont présenté au rapporteur général de l'Autorité de la concurrence une demande de clémence sur le fondement de l'article L. 464-2 IV du Code de commerce. Elles ont déclaré vouloir apporter à l'Autorité des informations établissant l'existence de pratiques mises en œuvre dans le secteur des produits d'entretien et des insecticides ménagers en France (le secteur des produits d'entretien).

Le 3 février 2006, la direction nationale des enquêtes de concurrence, consommation et répression des fraudes (la DNECCRF) a diligenté des opérations de visites et saisies dans une brasserie parisienne et dans les locaux de plusieurs entreprises.

La société de droit américain Colgate Palmolive a alors présenté deux demandes de clémence au rapporteur général de l'Autorité de la concurrence, le 24 février 2006 concernant des pratiques mises en œuvre dans le secteur des produits d'entretien, puis le 28 février 2006, pour des pratiques mises en œuvre dans le secteur des produits d'hygiène et de soins du corps (le secteur des produits d'hygiène).

À la suite des opérations de visite et saisie menées par la DNECCRF le 6 juillet 2006 dans les locaux de nombreuses entreprises, la société de droit allemand Henkel AG & Co. KGaA a présenté le 28 avril 2006 une demande de clémence au rapporteur général de l'Autorité concernant des pratiques mises en œuvre dans le secteur des produits d'entretien, d'une part, et d'hygiène, d'autre part.

Le 22 mai 2013, une notification de grief a été adressée à treize entreprises pour avoir, chacune à sa mesure, en violation des articles 101 TFUE et L. 420-1 du Code de commerce, " participé à l'occasion des aménagements ou réformes de la loi Galland entre 2003 et 2006, à une entente unique, complexe et continue sur le marché français de l'approvisionnement en produits d'entretien" et "sur le marché français de l'approvisionnement en produits d'hygiène", " en mettant en œuvre, dans le cadre des Cercles Team HP et Amis (réunions et/ou correspondances) ainsi qu'à l'occasion de contacts complémentaires, bilatéraux ou plurilatéraux, un ensemble de pratiques concertées concourant, dans le cadre d'un plan d'ensemble, à la réalisation d'un objectif anticoncurrentiel unique, à savoir accroître, à leur seul profit, la transparence de la négociation commerciale afin de maintenir un niveau de marge comparable à celui dégagé à l'époque de la loi Galland ", depuis janvier 2003 au moins et jusqu'au 3 février 2006.

Concernant le secteur de l'entretien, cette notification a été adressée aux sociétés suivantes ;

Topaze ;

Unilever France ;

Unilever France Holdings ;

Procter & Gamble France ;

Procter & Gamble Holding France ;

The Procter & Gamble Company ;

Henkel France ;

Henkel AG & Co. KgaA ;

Colgate Palmolive ;

Colgate Palmolive Services ,

Colgate-Palmolive Company ;

Colgate-Palmolive venant aux droits de Sara Lee Household and Body Care France ;

Hillshire Brands Company ;

SC Johnson SAS ;

SC Johnson & Son., Inc. ;

Reckitt Benckiser France ;

RB Holding Europe du Sud ;

Reckitt Benckiser Plc ;

Bolton Solitaire SAS ;

Bolton Manitoba SpA.

Concernant le secteur de l'hygiène, cette notification a été adressée aux sociétés suivantes :

- Topaze ;

- Unilever France ;

- Unilever France Holdings;

- Procter & Gamble France ;

- Procter & Gamble Holding France ;

- The Procter & Gamble Company ;

- Procter & Gamble France venant aux droits de la société Groupe Gillette France ;

- The Procter & Gamble Company venant aux droits de The Gillette Company ;

- Henkel France ;

- Henkel AG & Co. KgaA :

- Colgate Palmolive ;

- Colgate Palmolive Services ;

- Colgate-Palmolive Company ;

- Colgate-Palmolive venant aux droits de Sara Lee Household and Body Care France ;

- Hillshire Brands Company ;

- Reckitt Benckiser France ;

- RB Holding Europe du Sud ;

- Reckitt Benckiser Plc ;

- Johnson & Johnson Santé Beauté France ;

- SCA Tissue France ;

- Johnson & Johnson Consumer Holdings France ;

- Vania Expansion ;

- Lascad ;

- L'Oréal ;

- Beiersdorf SAS ;

- Beiersdorf Holding France SARL ;

- Beiersdorf AG.

Dix de ces entreprises ont demandé le bénéfice de la procédure de non-contestation des griefs, dont les services d'instruction ont pris acte par procès-verbal, du 19 juillet 2013 s'agissant des sociétés Unilever, Topaze, Unilever France et Unilever France Holdings, du 22 juillet 2013 s'agissant des sociétés Laboratoires Vendôme et Johnson & Johnson Santé Beauté France, venant aux droits de la société Laboratoires Vendôme, du 8 août 2013 s'agissant des sociétés Vania Expansion, Johnson & Johnson Consumer Holdings France et SCA Tissue France, du 22 août 2013 s'agissant des sociétés Henkel, Henkel France et Henkel AG & Co KGaA, du 28 août 2013 s'agissant des sociétés Reckitt Benckiser, Reckitt Benckiser France, RB Holding Europe du Sud et Reckitt Benckiser Plc, du 30 août 2013 s'agissant des sociétés Colgate Palmolive, Colgate Palmolive Services, Colgate Palmolive Company, Sara Lee, Colgate Palmolive, successeur juridique de Sara Lee Household and Body Care France, Procter & Gamble France, Procter & Gamble Holding France et The Procter & Gamble Company, en leur nom et en tant qu'entités venant aux droits des sociétés Groupe Gillette France et The Gillette Company, et du 2 septembre 2013 s'agissant des sociétés Beiersdorf, Beiersdorf SAS, Beiersdorf Holding France SARL et Beiersdorf AG.

L'Autorité de la concurrence a statué par une décision n° 14-D-19 du 18 décembre 2014 dont le dispositif est ainsi rédigé :

Article 1er : Il est établi que les sociétés Colgate Palmolive, Colgate Palmolive Services, Colgate Palmolive Company, Henkel France, Henkel AG & Co. KGaA, Topaze, Unilever France, Unilever France Holdings, Procter & Gamble France, Procter & Gamble Holding France, TheProcter & Gamble Company, Reckitt Benckiser France, RB Holding Europe du Sud, Reckitt Benckiser Plc, Hillshire Brands Company, SC Johnson SAS, SC Johnson & Son, Inc., Bolton Solitaire SAS et Bolton Manitoba SpA ont enfreint les dispositions de l'article 81, paragraphe 1, du traité CE, devenu l'article 101, paragraphe 1, du TFUE, et de l'article L. 420-1 du Code de commerce, en participant, entre le mois de janvier 2003 et le 3 février 2006, chacune dans la seule mesure indiquée aux points 982 et suivants de la présente décision, à une entente unique, complexe et continue sur le marché français de l'approvisionnement en produits d'entretien, qui visait à maintenir leurs marges par une concertation sur les prix des produits d'entretien pratiqués à l'égard de la grande distribution.

Article 2 : Il est établi que les sociétés Colgate Palmolive, Colgate Palmolive Services, Colgate Palmolive Company, Henkel France, Henkel AG & Co. KGaA, Topaze, Unilever France, Unilever France Holdings, Procter & Gamble France, Procter & Gamble Holding France, The Procter & Gamble Company, Reckitt Benckiser France, RB Holding Europe du Sud, Reckitt Benckiser Plc, Hillshire Brands Company, Johnson & Johnson Santé Beauté France, L'Oréal (SA), Lascad, Beiersdorf SAS, Beiersdorf Holding France SARL, Beiersdorf AG, SCA Tissue France, Vania Expansion et Johnson & Johnson Consumer Holdings France ont enfreint les dispositions de l'article 81, paragraphe 1, du traité CE, devenu l'article 101, paragraphe 1, du TFUE, et de l'article L. 420-1 du Code de commerce, en participant, entre le 22 janvier 2003 et le 3 février 2006, chacune dans la seule mesure indiquée aux points 982 et suivants de la présente décision, à une entente unique, complexe et continue sur le marché français de l'approvisionnement en produits d'hygiène, qui visait à maintenir leurs marges par une concertation sur les prix des produits d'hygiène pratiqués à l'égard de la grande distribution.

Article 3: Sont infligées, au titre des pratiques visées à l'article 1er, les sanctions pécuniaires suivantes :

- 46 736 000 euros, solidairement, aux sociétés Colgate Palmolive, Colgate Palmolive Services et Colgate Palmolive Company ;

- 59 105 000 euros, solidairement, aux sociétés Henkel France et Henkel AG & Co. KgaA ;

- 70 522 000 euros, solidairement, aux sociétés Topaze, Unilever France et Unilever France Holdings ;

- 39 830 000 euros, solidairement, aux sociétés Procter & Gamble France, Procter & Gamble Holding France et The Procter & Gamble Company ;

-108 273 000 euros, solidairement, aux sociétés Reckitt Benckiser France, RB Holding Europe du Sud et Reckitt Benckiser Plc ;

- 12 873 000 euros à la société Hillshire Brands Company, la société Colgate Palmolive SASU étant solidairement responsable du paiement de cette somme à hauteur de 10 556 000 euros ;

- 7 903 000 euros, solidairement, aux sociétés Bolton Solitaire SAS et Bolton Manitoba SpA

Article 4 : Les sociétés SC Johnson SAS et SC Johnson & Son, Inc. sont exonérées de sanction pécuniaire pour les pratiques visées à l'article 1er et, par application du IV de l'article L. 464-2 du Code de commerce.

Article 5 : Sont infligées, au titre des pratiques visées à l'article 2, les sanctions pécuniaires suivantes :

- 50 062 000 euros, solidairement, aux sociétés Henkel France et Henkel AG & Co. KGaA ;

- 102 022 000 euros, solidairement, aux sociétés Topaze, Unilever France et Unilever France Holdings ;

- 39 109 000 euros, solidairement, aux sociétés Procter & Gamble France, Procter & Gamble Holding France et The Procter & Gamble Company ;

- 12 700 000 euros, solidairement, aux sociétés Reckitt Benckiser France, RB Holding Europe du Sud et Reckitt Benckiser Plc ;

- 12 390 000 euros à la société Hillshire Brands Company, la société Colgate Palmolive étant solidairement responsable du paiement de cette somme à hauteur de 10 160 000 euros ;

- 8 130 000 euros à la société Johnson & Johnson Santé Beauté France ;

- 74 923 000 euros, solidairement, aux sociétés Procter & Gamble France, Procter & Gamble Holding France et The Procter & Gamble Company ;

- 189 494 000 euros à la société L'Oréal (SA), la société Lascad étant solidairement responsable du paiement de cette somme à hauteur de 45 551 000 euros ;

- 72 113 000 euros, solidairement, aux sociétés Beiersdorf SAS, Beiersdorf Holding France SARL et Beiersdorf AG ;

- 45 034 000 euros à la société SCA Tissue France, les sociétés Vania Expansion et Johnson & Johnson Consumer Holdings France étant solidairement responsables du paiement de cette somme à hauteur de 43 962 000 euros.

Article 6 : Les sociétés Colgate Palmolive, Colgate Palmolive Services et Colgate Palmolive Company sont exonérées de sanction pécuniaire pour les pratiques visées à l'article 2, par application du IV de l'article L. 464-2 du Code de commerce.

Article 7: Il est enjoint aux sociétés Topaze, Unilever France, Unilever France Holdings, Johnson & Johnson Santé Beauté France, Vania Expansion, Johnson & Johnson Consumer Holdings France, SCA Tissue France, Henkel France, Henkel AG & Co KGaA, Reckitt Benckiser France, RB Holding Europe du Sud, Reckitt Benckiser Plc, Colgate Palmolive, Colgate Palmolive Services, Colgate Palmolive Company, Procter & Gamble France, Procter & Gamble Holding France, The Procter & Gamble Company, Beiersdorf SAS, Beiersdorf Holding France SARL et Beiersdorf AG de se conformer en tous points aux engagements décrits aux points 1653 et suivants et dont la version définitive figure en annexe de la présente décision, qui sont rendus obligatoires.

Article 8 : Les personnes morales visées à l'article lei et à l'article 2 feront publier à frais partagés le texte figurant au point 1688 de la présente décision dans les journaux "Les Echos " et " LSA ", en respectant la mise en forme. Cette publication interviendra dans un encadré en caractères noirs sur fond blanc de hauteur au moins égale à trois millimètres sous le titre suivant, en caractère gras de même taille : "Décision de l'Autorité de la concurrence n° 14-D-19 du 18 décembre 2014 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des produits d'entretien et des insecticides et dans le secteur des produits d'hygiène et de soins pour le corps ". Elle pourra être suivie de la mention selon laquelle la décision a fait l'objet de recours devant la Cour d'appel de Paris si de tels recours sont exercés. Les personnes morales concernées adresseront, sous pli recommandé, au bureau de la procédure, copie de cette publication, dès leur parution et au plus tard le 19 février 2015.

Les sociétés Unilever et Unilever France Holding, pour ses droits propres et venant aux droits de la société Topaze absorbée par suite de la fusion intervenue le 28 novembre 2014 (la société Unilever), les sociétés Henkel AG & Co. KGaA de droit allemand et Henkel France SAS (la société Henkel), la société de droit américain The Hillshire Brands Company (la société Hillshire), les sociétés L'Oréal et Lascad (la société L'Oréal), la société Bolton Solitaire SAS et la société de droit italien Bolton Manitoba Spa (la société Bolton), les sociétés Beiersdorf AG, de droit allemand, Beiersdorf Holding France SARL et Beiersdorf SAS (la société Beiersdorl), les sociétés Colgate-Palmolive Services, Colgate-Palmolive et la société de droit américain The Colgate-Palmolive Company (la société Colgate Palmolive), la société Colgate-Palmolive SASU (en qualité de successeur juridique de Sare Lee Household and Body Care France), la société Johnson & Johnson Santé Beauté France (la société JJSBF), les sociétés Procter & Gamble France SAS, Procter & Gamble Holding France SAS et The Procter & Gamble Company (la société Procter & Gamble), les sociétés Reckitt Benckiser France SAS, RB Holding Europe du sud SNC et la société de droit britannique Reckitt Benckiser Plc (la société Reckitt Benckiser), la société Johnson & Johnson Consumer Holding France (la société JJCHF) et les sociétés Vania Expansion et SCA Tissue France (la société Vania) ont formé un recours devant la Cour d'appel de Paris contre cette décision.

LA COUR

Vu la décision n° 14-D-19 du 18 décembre 2014 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des produits d'entretien et des insecticides et des produits d'hygiène et de soins pour le corps ;

Vu les déclarations de recours en annulation et, subsidiairement, en réformation déposées au greffe de la cour le 23 janvier 2015 par les sociétés Beiersdorf, les sociétés Unilever, les sociétés Henkel, les sociétés Colgate pour leurs droits propres et en qualité de successeur juridique de Sare Lee Household and Body Care France, les sociétés L'Oréal et Lascad, les sociétés Vania, les sociétés Procter & Gamble, et les sociétés Reckitt Benckiser ;

Vu les déclarations de recours en annulation et, subsidiairement, en réformation faite au greffe de la cour le 26 janvier 2015 par la société Hillshire et les sociétés Bolton ;

Vu les déclarations de recours en annulation et, subsidiairement, en réformation faite au greffe de la cour le 13 février 2015 par les sociétés JJSBF et JJCHF ;

Vu la déclaration d'intervention volontaire déposée au greffe de la cour le 23 février 2015 par les sociétés Johnson & Son Inc et SC Johnson, leur mémoire au soutien de la décision n° 14-D-19 de l'Autorité de la concurrence déposé le 24 juin 2015, complété par leur mémoire récapitulatif déposé le 3 février 2016 ;

Vu l'exposé des moyens déposés au greffe de la cour le 23 février 2015 par les sociétés Reckitt Benckiser, complété par leur mémoire récapitulatif du 3 février 2016 ;

Vu l'exposé des moyens déposés au greffe de la cour le 24 février 2015 par les sociétés Beiersdorf, complété par leur mémoire en réplique et récapitulatif du 4 février 2016 ;

Vu l'exposé des moyens déposés au greffe de la cour le 26 février 2015 par la société Hillshire, complété par son mémoire en réplique du 4 février 2016 ;

Vu l'exposé des moyens déposé au greffe de la cour le 23 février 2015 par les sociétés Unilever, complété par leur mémoire en réplique déposé au greffe de la cour le 4 février 2016 ;

Vu l'exposé des moyens déposé au greffe de la cour le 23 février 2015 par les sociétés Henkel, complété par leur mémoire récapitulatif déposé au greffe de la cour le 4 février 2016 ;

Vu l'exposé des moyens déposé au greffe de la cour le 23 février 2015 par les sociétés Procter & Gambie, complété par leur mémoire en réplique et récapitulatif déposé au greffe de la cour le 3 février 2016 ;

Vu l'exposé des moyens déposés au greffe de la cour le 24 février 2015 par les sociétés Vania complété par leur mémoire récapitulatif déposé au greffe de la cour le 4 février 2016 ;

Vu l'exposé des moyens déposés au greffe de la cour le 25 février 2015 par les sociétés Colgate Palmolive pour leurs droits propres et par la société Colgate Palmolive SASU en qualité de successeur juridique de Sare Lee Household and Body Care France, complété par leurs mémoires récapitulatifs déposé au greffe de la cour le 4 février 2016 ;

Vu l'exposé des moyens déposés au greffe de la cour le 25 février 2015 par les sociétés L'Oréal et Lascad complété par leur mémoire récapitulatif déposé au greffe de la cour le 3 février 2016 ;

Vu l'exposé des moyens déposés au greffe de la cour le 26 février 2015 par les sociétés Bolton complété par leur mémoire récapitulatif déposé au greffe de la cour le 2 février 2016 ;

Vu l'exposé des moyens déposés au greffe de la cour le 16 mars 2015 par la société JJCHF complété par son mémoire récapitulatif déposé au greffe de la cour le 4 février 2016 qui renvoie aux mémoires des sociétés Vania ;

Vu l'exposé des moyens déposés au greffe de la cour le 16 mars 2015 par la société JJSBF complété par son mémoire en réplique déposé au greffe de la cour le 4 février 2016 ;

Vu les observations écrites déposées par le ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique le 2 octobre 2015 ;

Vu les observations écrites déposées par l'Autorité de la concurrence le 2 octobre 2015 ;

Vu l'avis du ministère public du 6 avril 2016 qui conclut au rejet des recours et communiqué aux parties ;

Après avoir entendu à l'audience publique des 7 et 8 avril 2016 les conseils des requérantes, qui ont été mises en mesure de répliquer et eu la parole en dernier, ainsi que le représentant de l'Autorité de la concurrence, celui du ministre de l'Economie et le ministère public ;

SUR CE,

I - SUR LA PROCEDURE

A. Sur la violation des principes du contradictoire, des droits de la défense et de la sécurité juridique

1. Sur l'absence de traduction des documents en anglais et le délai de réponse à la notification de griefs

1. La société Hillshire Brands Company (la société Hillshire) a été sanctionnée en qualité de société mère de la société Sara Lee Household and Body Care France (la société SLHBC ou société Sara Lee). Elle soutient qu'établie aux Etats-Unis et ne disposant d'aucune activité en France, ses droits de la défense ont été méconnus car elle s'est vu refuser le bénéfice d'une traduction de la notification des griefs en anglais en violation des prescriptions de l'article 6, paragraphe 3, alinéa (a) et (b) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Elle fait valoir à ce titre que le délai de trois mois dont elle a bénéficié pour répondre à la notification de griefs était insuffisant pour réaliser cette traduction et présenter utilement ses observations. Elle ajoute que l'Autorité a ainsi fait peser sur elle les risques liés à une traduction potentiellement non conforme à la notification des griefs, sans que le délai supplémentaire dont elle a bénéficié pour préparer sa défense puisse purger la procédure de ce vice.

2. Elle invite la cour à poser une question prioritaire de constitutionnalité sur le point de savoir si l'article L. 463-2 du Code de commerce, en prévoyant un délai maximal préfix pour que les parties présentent leurs observations en défense à la notification de griefs, lequel ne tient pas compte de la complexité de l'accusation ni du nombre de pièces, ne porte pas une atteinte au respect des droits de la défense et au principe d'égalité des armes.

3.La notification des griefs qui détaillait les éléments de fait et de droit retenus par les services d'instruction contre les entreprises, au regard des articles L. 420-1 du Code de commerce et 101 TFUE a été établie en langue française, langue de la République, conformément à l'article 2 de la Constitution de 1958. Elle a été adressée dans cette langue à la société Hillshire, dont le siège se situe aux Etats-Unis. Ainsi que le précise le point 785 de la décision, cette société a bénéficié d'un délai prorogé à trois mois, au lieu de deux, pour répondre à la notification des griefs conformément aux dispositions de l'article L. 463-2 du Code de commerce, puis d'une même prorogation pour répondre au rapport.

4.L'article 6, paragraphe 3, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales prévoit que "tout accusé a droit notamment à : (a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui ; (b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ". Il est toutefois admis qu'un acte d'accusation établi dans une langue étrangère pour l'intéressé ne constitue pas une violation de ces dispositions s'il est établi que le requérant possède suffisamment cette langue pour saisir la portée de l'acte lui notifiant les accusations formulées contre lui.

5. En l'espèce, outre qu'ainsi que l'a relevé l'Autorité de la concurrence, sa décision n'intervient pas au terme d'une procédure pénale proprement dite et ne vise pas en l'espèce des personnes physiques mais des personnes morales réputées disposer, en règle générale, de ressources plus importantes pour assurer leur défense, il convient de relever que la société Hillshire, disposait d'importants moyens financiers et humains lui permettant de prendre connaissance de la notification de griefs dans un délai lui permettant de répondre utilement aux griefs qui lui ont été adressés. Elle a, de plus, élu domicile chez un conseil spécialiste du droit français et européen de la concurrence, lequel a pu l'éclairer sur la portée des infractions qui lui ont été reprochées ainsi que lui proposer une stratégie et des éléments de défense dans des délais conformes à l'exercice de ses droits de la défense. Par ailleurs, la simple lecture de ses observations à la suite de la notification de griefs, puis du rapport, atteste de sa parfaite compréhension des manquements qui lui étaient reprochés. Elle ne précise d'ailleurs à ce titre aucun point qui aurait été pour elle obscur ou confus en raison d'une difficulté de traduction.

6. Il découle, en outre, du principe d'autonomie institutionnelle et procédurale consacré par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, arrêt du 12 décembre 1972, International Fruit Company e.a., Aff. Jointes 21/72 à 24/72, Rec. p. 1219), que la société Hillshire n'est pas fondée à invoquer des décisions rendues par d'autres autorités de concurrence en ce qui concerne l'application de leurs propres règles de procédures.

7. II résulte de l'ensemble de ce qui précède que la requérante, qui ne pouvait au surplus ignorer, comme l'a relevé la décision (point 785), l'existence d'une procédure initiée à l'encontre de sa filiale à 100 %, la société Sara Lee, avant même la notification des griefs, a bénéficié d'un délai suffisant lui permettant de répondre utilement aux accusations notifiées, puis au rapport, conformément aux exigences de l'article 6, paragraphe 3, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.

8. Concernant enfin la demande de la requérante invitant la cour à poser une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel, il convient de préciser que les dispositions de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel prévoient qu'une telle question doit être, à peine d'irrecevabilité, présentée dans un écrit distinct et motivé. Il s'ensuit que la demande de la société Hillshire, laquelle n'a pas été présentée dans un écrit distinct mais dans les mémoires successifs exposant ses moyens à l'appui du présent recours, est irrecevable.

9. En conséquence, le moyen tiré de la violation de l'article 6, paragraphe 3, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales en raison du défaut de traduction en anglais de la notification des griefs et de l'insuffisance du délai de trois mois pour présenter des observations en réponse, doit être rejeté.

2. Sur les discordances alléguées entre les griefs notifiés par le rapporteur général et ceux retenus par la décision

10. La société Unilever fait valoir que la décision porte atteinte aux principes du contradictoire, des droits de la défense et de la sécurité juridique, motif pris de ce que la qualification des faits qu'elle sanctionne, soit une pratique dont l'objectif anticoncurrentiel unique porte sur les prix, diffère des griefs notifiés, lesquels indiquaient que l'objectif anticoncurrentiel de la concertation concernait l'accroissement de la transparence de la négociation commerciale.

11. Il convient à cet effet de relever que l'Autorité de la concurrence a, ainsi qu'il est énoncé dans le dispositif de la décision critiquée, sanctionné la participation des sociétés mises en cause sur les deux marchés concernés (approvisionnement en produits d'entretien, pour le premier, et approvisionnement en produits d'hygiène, pour le second) à une " (...) entente unique, complexe et continue (...) qui visait à maintenir leurs marges par une concertation sur les prix des produits (...) pratiqués à l'égard de la grande distribution ". Au point 908, la décision précise que ces pratiques visaient à " supprimer la part d'incertitude inhérente à toute coopération commerciale, principalement sur les déterminants du prix, afin d'améliorer la position de négociation des fournisseurs et de maintenir un niveau de marge proche de celui dégagé avant les initiatives prises par les pouvoirs publics". Elle ajoute au point 944 qu'elles ont concouru à la " réalisation d'un "plan d'ensemble" commun à toutes les entreprises qui y ont pris part", qui visait " un objectif unique, à savoir accroître la transparence de la négociation commerciale principalement sur les déterminants du prix, par des échanges d'informations ou des actes de coopération plus poussés ".

12. La notification des griefs précise, quant à elle, s'agissant de l'objet anticoncurrentiel des pratiques, que celui-ci visait à accroître "la transparence de la négociation commerciale afin de maintenir un niveau de marge comparable à celui dégagé à l'époque de la loi Galland" et elle précise au point 2201, qu'en outre " ce type d'échange secret" portait " sur tous les déterminants d'un prix futur " et concourait, tel que le précise le point 2315, à " accroître la transparence de la négociation commerciale principalement sur les déterminants du prix, par des échanges d'informations ou des actes de coopération plus poussés ".

13. Il ressort de l'ensemble de ces termes que la qualification retenue par la décision correspond à celle de la notification des griefs et concerne une concertation sur les éléments déterminants des prix, de sorte que les faits sanctionnés par la décision ne présentent pas de discordance ou de différence avec les griefs notifiés et que le principe du contradictoire a, contrairement à ce que soutient la société Unilever, été respecté, d'où il suit que le moyen doit être rejeté.

3. Sur l'absence de débat contradictoire concernant les principaux éléments de droit et de fait susceptibles d'influer sur la détermination de la sanction

14. La société Henkel reproche à l'Autorité d'avoir violé le principe du contradictoire en rejetant les études économétriques estimant le surprix causé par les pratiques, produites par certaines des parties et corrigées par le service d'instruction. Elle fait valoir que l'Autorité en rejetant ces études, au motif, formulé pour la première fois, de l'absence de fiabilité des données corrigées et des méthodes d'estimation du surprix, sans que les parties aient été invitées à en débattre contradictoirement, a violé le principe du contradictoire.

15. En application de l'article L. 463-1 du Code de commerce, l'instruction et la procédure devant l'Autorité de la concurrence sont contradictoires. Il s'en déduit que celle-ci ne peut se prononcer qu'au regard d'éléments de fait et de droit débattus par les parties. Toutefois, l'Autorité est libre, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation et dès lors qu'elle en expose les motifs, d'écarter les éléments de preuve qu'elle estime ne pas être suffisamment probants, sans qu'il soit nécessaire que les parties soient invitées à débattre de ce point, et ce même si cette appréciation n'a pas été celle des rapporteurs du service d'instruction.

16. En l'espèce, l'Autorité a précisé aux points 1400 et suivants de la décision les motifs pour lesquels elle a estimé que les études n'étaient pas fiables, permettant ainsi aux parties de les contester devant la cour. Le bien-fondé de ces motifs sera examiné dans les développements relatifs aux critiques portant sur les montants des sanctions prononcées (points 366 et s.). Mais, en tout état de cause, aucune atteinte au principe du contradictoire n'est, en l'espèce démontrée et le moyen doit être rejeté.

B. Sur l'impartialité objective du Collège

17. La société Henkel affirme que la présence au sein du Collège de la présidente d'une association agréée de défense des consommateurs, habilitée à introduire une action de groupe à son encontre sur le fondement de la décision, fait naître un doute relatif à l'impartialité objective du Collège. Elle expose sur ce point que s'il est vrai que la Confédération de la consommation, du logement et du cadre de vie (CLCV) n'est pas partie à la procédure, il n'en demeure pas moins que cette association de défense des consommateurs, prend régulièrement position en faveur des consommateurs et a pour mission de défendre leurs intérêts, lesquels sont indirectement intéressés par la décision attaquée. Elle ajoute qu'en application de l'article L. 461-2 du Code de commerce aucun membre du Collège ne peut délibérer dans une affaire où il a un intérêt, c'est-à-dire dans une affaire qui lui importe en quelque manière que ce soit.

18. La décision a été prise par une section du collège de l'Autorité de la concurrence, dans laquelle siège la présidente de la CLCV en qualité de membre, nommée à cette fonction au titre des personnalités choisies en raison de leur compétence en matière économique ou en matière de concurrence et de consommation, en application de l'article L. 461-1, 3° du Code de commerce.

19. La présence de cette personnalité, présidente d'une confédération d'associations qui a pour objet la défense des droits des consommateurs, dans la composition de l'Autorité ayant pris la décision attaquée n'est pas, en soi, de nature à porter atteinte à la présomption d'impartialité dont elle bénéficie. En l'espèce, la cour observe que la CLCV n'était pas partie à la procédure, qu'elle n'a pas pris position en faveur d'une partie dans le cadre de celle-ci, ni n'a manifesté son intention d'introduire une action de groupe contre l'une des entreprises mises en cause, de sorte que la circonstance selon laquelle un membre du Collège en est la présidente ne constitue pas un élément objectif de nature à suspecter de l'impartialité de celui-ci.

Le moyen doit donc être rejeté.

C. Sur la violation des principes d'égalité des armes et de l'égalité de traitement

20. La société Hillshire invoque une violation du principe de l'égalité des armes et de l'égalité de traitement en raison, d'une part, de l'imputation des pratiques commises par la société Sara Lee aux sociétés Hillshire et Colgate-Palmolive et de l'impossibilité dans laquelle elle s'est trouvée de prendre des engagements en raison de son absence d'activité en France, d'autre part, de l'application à son encontre de la présomption d'imputation aux sociétés mères des faits commis par leurs filiales détenues à une forte majorité. Elle conteste aussi le principe même de l'imputation à sa charge des faits commis par la société Sara Lee. Ces deux derniers moyens qui relèvent du fond seront examinés dans le cadre de ceux relatifs à la participation aux pratiques sanctionnées de la société Sara Lee (points 157 et s.).

1. Sur la rupture de l'égalité des armes et de l'égalité de traitement en raison du statut de demandeur de clémence de la société Colgate Palmolive, successeur juridique de la société Sara Lee

21. Il convient de rappeler que la société Sara Lee Household and Body Care France (la société SLHBC), en charge au sein du groupe de sociétés Sara Lee, de la commercialisation des produits d'hygiène et de soins du corps ainsi que des produits d'entretien entre 2003 et 2006, a été considérée par l'Autorité comme auteur des pratiques. Lors de la mise en œuvre des pratiques, elle était détenue indirectement à 100 % par la société Sara Lee Southern Europe SL, elle-même contrôlée à 100 % de manière indirecte, tout au long de la période, par la société Sara Lee Corporation, à présent dénommée société Hillshire. En novembre 2011, le contrôle de la société SLHBC a été transféré au groupe Colgate Palmolive avec laquelle elle a fusionné au 1er décembre 2011.

22. L'Autorité a imputé les comportements de la société Sara Lee (SLHBC) conjointement à la société Colgate Palmolive considérée comme son successeur juridique et à la société Hillshire, en tant que société mère de l'auteur des pratiques pendant la période des faits.

23. La société Hillshire expose que la société Colgate Palmolive, demandeur de clémence, ne pouvait plus soutenir l'absence d'objet ou d'effet anticoncurrentiel des pratiques dénoncées et que, de ce fait, elle a été privée de la possibilité de contester les griefs ce qui constitue, pour elle, une violation du principe d'égalité des armes et de l'égalité de traitement. Selon elle, le choix de l'Autorité de la poursuivre conjointement avec la société Colgate Palmolive aurait porté atteinte à son droit de disposer d'une défense indépendante et donc à l'égalité de traitement.

24. Cependant, indépendamment de la question de savoir si l'Autorité était fondée à sanctionner la société Hillshire conjointement avec la société Colgate-Palmolive pour les pratiques mises en œuvre par la société SLHBC, qui sera examinée ultérieurement, le fait que la personne juridique de la société SLHBC, auteur des pratiques, ait disparu et qu'en raison de son absorption par la société Colgate-Palmolive, cette dernière doive répondre des pratiques mises en œuvre par elle, ne constitue nullement un obstacle à ce que la société Hillshire soit elle aussi poursuivie en sa qualité de société mère à 100 % de la société SLHBC. En effet, la disparition de la personne morale de l'entreprise auteur des pratiques n'a pas d'effet sur la constitution entre la mère et la fille d'une entité économique unique au moment de la commission des faits qui fonde, au regard du droit de la concurrence, la responsabilité de la société mère.

25. Par ailleurs, le fait que la société Colgate-Palmolive ait fait le choix procédural de déposer une demande de clémence à raison des pratiques commises par la société SLHBC qu'elle a reprise, choix qui lui interdisait de contester la participation de celle-ci aux pratiques en cause et leur qualification juridique, n'interdisait pas à l'Autorité de mettre parallèlement en cause la société qui, au moment des pratiques, était la société mère de la société SLHBC et constituait avec sa filiale une unité économique. Il n'en résulte pas davantage une rupture d'égalité entre ces deux sociétés qui ne se trouvaient pas dans une situation juridique identique.

26. En outre, par son existence même, la procédure de clémence a pour effet de placer les parties à une entente anticoncurrentielle dans des positions différentes dans la procédure de sanction de ces pratiques. Cependant, cette situation, voulue par le législateur, n'instaure pas une inégalité des armes au sens de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et du citoyen, dans la mesure où elles ne sont pas adversaires les unes des autres et que l'autorité poursuivante respecte pour chacune d'elles les principes fondamentaux des droits de la défense.

27. Enfin, en tout état de cause, la procédure de clémence n'interdit pas à celui qui en bénéficie de fournir, dans le cadre de sa coopération avec l'Autorité, des éléments de preuve de nature à atténuer la participation de certaines entreprises ou encore la gravité des pratiques dénoncées, si ces éléments correspondent à la réalité des faits.

28. Les moyens développés sur ces points par la société Hillshire doivent en conséquence être écartés.

2. Sur la violation du principe de l'égalité de traitement du fait de l'impossibilité pour la société Hillshire de prendre des engagements en raison de son absence d'activité en France

29. La société Hillshire oppose que l'impossibilité pour elle de proposer des engagements, faute d'une activité présente en France, constitue une atteinte au principe de l'égalité de traitement.

30. Il convient toutefois de rappeler que le principe de l'égalité de traitement impose à une autorité de sanction de traiter de la même façon des parties qui se trouvent dans une situation identique.

31. Or si la faculté de proposer la prise d'engagements, notamment, celui de mettre en place un programme de conformité, est une faculté prévue dans le cadre de la procédure de non-contestation des griefs, telle qu'énoncée à l'article L. 464-2, III du Code de commerce dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce, le fait qu'il ne soit pas possible pour une société mère qui a son siège à l'étranger de prendre de tels engagements en France, n'en supprime pas pour autant la possibilité pour elle d'obtenir en contrepartie de la non-contestation des griefs une réduction de l'amende qu'elle encourt. Il convient d'ailleurs de rappeler à ce sujet que, comme le mentionnent les points 18 et suivants du communiqué de procédure du 10 février 2012 relatif à la non-contestation des griefs (le communiqué de procédure du 10 février 2012), la prise d'engagements comportementaux ou structurels constitue l'aspect facultatif de la procédure de non-contestation des griefs. Dès lors, il ne résulte pas, par principe, de la situation critiquée par la société Hillshire une atteinte au principe d'égalité. Par ailleurs, le fait que les services d'instruction n'aient pas pu donner d'assurance à la société Hillshire sur le pourcentage qui lui serait accordé si elle ne contestait pas les griefs, alors que la décision finale ne relevait que du collège et qu'ils ne disposaient à ce titre d'aucun pouvoir, ne saurait être considéré comme une rupture d'égalité ou une atteinte à ses droits, dès lors que toutes les parties étaient soumises à une incertitude identique sur la décision finale de l'Autorité quant aux quantum des sanctions.

32. Les moyens soutenus à ce sujet par la société Hillshire sont en conséquence rejetés.

3. Sur la violation de l'égalité de traitement en raison de l'application de la présomption mère-fille à la société Hillshire et pas aux sociétés Unilever

33. La société Hillshire invoque encore une atteinte au principe de l'égalité de traitement en raison de l'application inégale et discriminatoire par l'Autorité des règles d'imputabilité du comportement d'une filiale à sa société mère. Elle soutient à ce titre qu'elle s'est vue imputer les pratiques de la société SLHBC en sa qualité de société mère à 100 %, alors que tel n'a pas été le cas de la société Unilever puisque les pratiques ont été imputées à la seule société mère française qui elle-même était détenue à parité par les sociétés Unilever Plc et Unilever NV.

34. Elle expose que l'Autorité a considéré que l'instruction n'avait pas permis d'établir l'influence déterminante des sociétés mères du groupe sur l'auteur des pratiques et la société mère française et elle lui reproche d'avoir dénaturé les faits, d'avoir méconnu l'article 16 du règlement (CE) n° 1/2003 du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité et d'avoir ainsi porté atteinte au principe d'égalité de traitement et de non-discrimination.

35. Ce moyen est inopérant. En effet, l'Autorité a expliqué au point 1143 de sa décision que la société Unilever France Holdings, société mère à 99,99 % de la société Lever Fabergé France, auteur des pratiques, était détenue, à parité, indirectement, par les sociétés Unilever NV et Unilever Plc, mais que l'instruction n'avait pas permis d'établir l'influence déterminante de ces dernières sur l'auteur des pratiques et sa société mère française. Quand bien même l'Autorité aurait-elle commis une erreur d'analyse dans la situation des sociétés du groupe Unilever, comme le soutient la société Hillshire, cette erreur ne constitue pas une discrimination à son encontre et ne saurait fonder la réformation de la décision concernant l'imputabilité des pratiques de la société SLHBC à la société Hillshire, qui ainsi qu'il sera exposé au point 157 du présent arrêt, est exactement fondée.

II. Sur la participation des sociétés Bolton Solitaire, l'Oréal et Sara Lee aux ententes uniques

A. Sur la qualification juridique d'infraction anticoncurrentielle par objet et sur la participation de la société Bolton solitaire

36. Les sociétés Bolton Solitaire et Bolton Manitoba ont été destinataires d'un grief pour " avoir participé à l'occasion des aménagements ou réformes de la loi Galland entre 2003 et 2006, à une entente unique, complexe et continue sur le marché français de l'approvisionnement en produits d'entretien, en incitant en œuvre, dans le cadre des Cercles Team HP et Amis (réunions et/ou correspondances) ainsi qu'à l'occasion de contacts complémentaires, bilatéraux ou plurilatéraux, un ensemble de pratiques concertées concourant, dans le cadre d'un plan d'ensemble, à la réalisation d'un objectif anticoncurrentiel unique, à savoir accroître, à leur seul profit, la transparence de la négociation commerciale afin de maintenir un niveau de marge comparable à celui dégagé à l'époque de la loi Galland ". Ces pratiques " ont contribué à freiner les baisses de prix souhaitées par les pouvoirs publics et à maintenir le prix triple net des produits d'entretien à un niveau artificiellement élevé, ce qui s'est répercuté sur le prix de revente aux consommateurs en raison notamment du contexte réglementaire de la loi Galland ".

37. Les griefs ont été notifiés à la société Bolton Solitaire SAS, en tant qu'auteur des pratiques et à la société de droit italien Bolton Manitoba SpA en tant que société mère de celle-ci pour la participation de la société Bolton Solitaire aux "pratiques constitutives de l'infraction unique, complexe et continue décrite ci-dessus, dans le cadre du Cercle des Amis ainsi que dans le cadre de contacts complémentaires (bilatéraux ou plurilatéraux) du 30 juillet 2003 au plus tard au 3 février 2006 ".

38. Les sociétés Bolton Solitaire contestent la qualification des pratiques d'infraction anticoncurrentielle par objet. Elles font valoir à ce sujet que la circonstance que les pratiques aient une relation avec les prix pratiqués par les opérateurs ne démontre pas que les pratiques soient des pratiques anticoncurrentielles par objet. Elles soutiennent que l'Autorité devait démontrer la nocivité des pratiques en cause, au regard de la jurisprudence de la Cour de justice dans l'affaire dite " groupement des cartes bancaires " (CJUE, arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission, C-67/13 P) et de la cour d'appel dans l'affaire dite " des farines " (arrêt du 20 novembre 2014). Elles opposent qu'il n'y a pas eu d'échanges directs sur les prix pratiqués, ni sur le montant du triple net négocié avec les distributeurs et que les pratiques consistaient en des échanges d'informations sur certains paramètres de détermination du prix triple net dans le contexte des réformes relatives à la loi Galland. Elles relèvent que les différents échanges ne permettaient pas aux entreprises en cause de reconstituer le prix triple net des acteurs, les différentes informations échangées étant extrêmement parcellaires. Elles ajoutent qu'" une information relative à une offre de dérive ne révèle par la stratégie d'une entreprise sans connaissance du budget global accordé ou des contreparties offertes ".

39. Ainsi que l'a rappelé la Cour de justice dans son arrêt du 20 novembre 2008, Beef Industry Development et Barry Brothers (C-209/07, point 17) " La distinction entre "infractions par objet" et "infractions par effet" lient à la circonstance que certaines formes de collusion entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence ". Cette définition des pratiques anticoncurrentielles par objet, a été confirmée par la Cour de justice dans son arrêt CB/Commission précité (point 49), en ces termes : " certains types de coordination entre entreprises (qui) révèlent un degré suffisant de nocivité à l'égard de la concurrence pour qu'il puisse être considéré que l'examen de leurs effets n'est pas nécessaire ".

40. Pour apprécier si l'accord "présente un degré suffisant de nocivité pour être considéré comme une restriction de concurrence par objet ", il faut s'attacher " à la teneur de ses dispositions, aux objectifs qu'il vise à atteindre ainsi qu'aux contexte économique et juridique dans lequel il s'insère " (CJUE, arrêt CB/Commission, précité, point 53).

41. L'appréciation des pratiques concertées portant sur des échanges d'information suit les mêmes règles, ainsi que l'a jugé la Cour de justice dans son arrêt du 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands BV, et a. (C-8/08, point 27), : " S'agissant de l'appréciation du caractère anticoncurrentiel d'une pratique concertée, il convient de s'attacher notamment à la teneur des dispositions qui l'instaurent, aux buts objectifs qu'elle vise à atteindre ainsi qu'au contexte économique et juridique dans lequel elle s'insère (..). En outre, bien que l'intention des parties ne constitue pas un élément nécessaire pour déterminer le caractère restrictif d'une pratique concertée, rien n'interdit à la Commission des Communautés européennes ou aux juridictions communautaires d'en tenir compte (...) ".

42. S'agissant de l'appréciation de l'objet anticoncurrentiel d'une pratique concertée, il faut démontrer qu'elle est " concrètement apte, en tenant compte du contexte juridique et économique dans lequel elle s'inscrit, à empêcher, à restreindre ou à fausser le jeu de la concurrence au sein du marché commun. La question de savoir si et dans quelle mesure un tel effet se produit réellement ne peut avoir d'importance que pour calculer le montant des amendes et évaluer les droits à des dommages et intérêts " (CJUE, arrêt T-Mobile Netherlands e.a. précité, point 31). En ce qui concerne les échanges d'informations, comme ceux de l'espèce, cette appréciation doit être effectuée au regard de l'exigence d'autonomie des opérateurs économiques, " qui s'oppose (...) rigoureusement à toute prise de contact direct ou indirect entre de tels opérateurs de nature soit à influencer le comportement sur le marché d'un concurrent actuel ou potentiel, soit à dévoiler à un tel concurrent le comportement que l'on est décidé à tenir soi-même sur ce marché ou que l'on envisage d'adopter sur celui-ci, lorsque ces contacts ont pour objet ou pour effet d'aboutir à des conditions de concurrence qui ne correspondraient pas aux conditions normales du marché en cause, compte tenu de la nature des produits ou des prestations fournies, de l'importance et du nombre des entreprises et du volume dudit marché " (CJUE, arrêt T-Mobile Netherlands e.a. précité, point 33).

43. Il convient donc, au regard de ces précisions jurisprudentielles que la cour adopte, de vérifier que l'Autorité a bien démontré ces éléments constitutifs dans le cadre de son analyse des caractéristiques économiques et juridiques du marché et des échanges d'informations en cause, de la fréquence de ces échanges et de leur ampleur sur les marchés, ainsi que de la nature des informations échangées (secrètes, stratégiques, agrégées) et enfin de l'importance des informations échangées pour la fixation des prix, des volumes ou des conditions de la prestation.

44. Or l'Autorité a pleinement appliqué les critères sus rappelés, décrivant le contexte économique et juridique des pratiques aux points 913 à 921 de la décision et les caractéristiques des pratiques aux points 907 à 912.

45. Sur les caractéristiques économiques des marchés, elle a relevé l'implication dans les pratiques litigieuses des entreprises dont la part de marché dans leurs secteurs était de près des deux-tiers (pt. 915), ainsi que les caractéristiques propres à ces secteurs énumérées au point 914, parmi lesquelles, leur caractère peu concurrentiel et la stabilité de parts de marché, ce dont elle a déduit à juste titre au point 917 de la décision, que " Toute forme de collusion entre eux avait nécessairement une incidence sur le fonctionnement d'une concurrence déjà limitée et peu susceptible d'être dynamisée par de nouveaux entrants et/ou le comportement des consommateurs finals ".

46. Sur les échanges, l'Autorité a résumé la nature et l'objet des informations échangées, ainsi que la fréquence, le niveau de participation et le moment de ces échanges au point 909, tels que ces éléments ressortent respectivement aux points 869 à 906, puis 228 à 744 : " (...) les pratiques examinées ont consisté en une concertation sur les prix grâce à des échanges fréquents de données précises, individualisées et stratégiques couvrant les principaux paramètres de fixation du futur prix triple net, des grandes marques nationales, aux plus hauts niveaux des directions commerciales. Ces échanges avaient lieu avant que le prix triple net ne soit fixé par le jeu de la négociation et se sont matérialisés, lors de chaque évolution du cadre juridique, par des annonces sur les évolutions des tarifs futurs et les dérives futures ".

47. Ensuite, l'Autorité a justement souligné que "portant (...) sur des déterminants du futur prix triple net sur les marchés de l'approvisionnement en produits d'hygiène et en produits d'entretien, ces échanges, antérieurs à la fixation des tarifs, ne pouvaient que diminuer significativement l'incertitude résultant du jeu normal de la concurrence, en contribuant à la fixation de ces tarifs à des niveaux supra concurrentiels ".

48. Loin d'être parcellaires, ces informations échangées sur les principaux paramètres de détermination du futur prix triple net, réduisaient l'incertitude dans laquelle les fournisseurs auraient dû se trouver dans leurs négociations avec les distributeurs, et leur permettaient d'améliorer leur position dans ce cadre et de maintenir un niveau de marge identique à celui de l'année précédente. La circonstance que leurs différents échanges n'aient pas permis aux entreprises en cause de reconstituer le prix triple net de leurs concurrents est, dans le cas de l'espèce, indifférente de même que l'absence d'échanges directs sur les prix pratiqués ou sur le montant du triple net négocié avec les distributeurs. Il convient de rappeler à ce sujet que "la constatation de l'existence de l'objet anticoncurrentiel d'une pratique concertée ne [peut] être subordonnée à celle d'un lien direct de celle-ci avec les prix à la consommation ", ainsi que l'a souligné la Cour de justice dans son arrêt T-Mobile (Aff. C-08/08, T-Mobile Netherlands e.a., Rec. 2009, p. I-4529, précité (points 36 à 39).

49. De même, l'absence d'individualisation des données échangées par produit ne remet pas en cause leur caractère stratégique, car les données échangées en l'espèce permettaient néanmoins de connaître les tendances retenues par chaque entreprise, les informations étant bien individualisées par chacune.

50. L'Autorité relève en outre, à titre surabondant, la faculté, pour les membres de la concertation, de surveiller les éventuelles déviations : "au surplus, ces pratiques se sont accompagnées d'échanges sur des données extrêmement récentes (tarifs, demandes et offres de dérives déjà formulées, opérations promotionnelles, NIP, déroulement des négociations) et sur les chiffres d'affaires ou les conditions générales de vente qui permettaient, en plus de faciliter les négociations, de contrôler d'éventuelles déviations de la part des participants aux pratiques ". Ainsi qu'elle le relève justement dans sa décision au point 1079 l'échange sur des données passées, mais encore récentes (tarifs, conditions générales de vente, chiffres d'affaires), peut permettre de détecter de telles déviations dans la politique commerciale par rapport à une position commune.

51. En outre, même si l'intention d'enfreindre la concurrence n'est pas requise pour caractériser l'objet anticoncurrentiel d'un échange d'informations, l'Autorité pouvait s'appuyer sur les indices rapportant la preuve de cette intention pour étayer sa démonstration. A cet égard, elle relève à juste titre que les réunions étaient secrètes, leurs compte-rendus détruits, leur mention anonymisée dans les agendas, et enfin que les documents étaient envoyés aux domiciles personnels des participants (points 922 à 925).

52. Au regard de ces éléments factuels, la société Bolton échoue à démontrer l'absence d'objet anticoncurrentiel des pratiques. La jurisprudence citée par elle à cet égard est sans emport.

53. Par ailleurs, dans le contexte précédemment décrit et compte tenu de l'ensemble des éléments retenus, ce qu'elle invoque comme une pression, ou, au moins une tolérance des pouvoirs publics, ne saurait légitimer de telles pratiques. De même, la circonstance qu'un marché soit réglementé n'empêche pas la concurrence de s'appliquer dans ses interstices de liberté. Ces circonstances peuvent, éventuellement, être prises en compte au niveau de la fixation de l'amende, mais ne peuvent en aucun cas disculper l'entreprise.

54. Il convient donc, en définitive, de confirmer la décision de l'Autorité en ce qu'elle a estimé au point 926 que : " Il résulte de ce qui précède que les différentes pratiques concertées organisées, dans chacun des deux secteurs, dans le cadre des Cercles Team et Amis et des contacts complémentaires bilatéraux et plurilatéraux, ont un objet anticoncurrentiel et sont contraires aux articles 81 du traité CE, devenu l'article 101 du TFUE, et L. 420-1 du Code de commerce ".

55. Les moyens des sociétés Bolton-Solitaire sont en conséquence rejetés.

B. Sur la participation des sociétés L'Oréal et Lascad

56. Les sociétés L'Oréal et Lascad demandent à titre principal l'annulation de la décision en ce qu'elle a retenu leur participation, fût-elle partielle, à l'infraction unique, complexe et continue sanctionnée. Les requérantes ne contestent pas l'existence même de cette infraction, mais leur participation individuelle à ces pratiques. Elles soutiennent que la société L'Oréal ne peut pas se voir imputer, en tant qu'auteur, les pratiques du grief lié aux concertations relatives à la loi Dutreil, entre octobre 2005 et le 3 février 2006 et aux réunions du Cercle des Amis le 26 janvier 2006, auxquelles aucun de ses salariés n'a participé. La société L'Oréal fait valoir que la participation de salariés de sa filiale, la société Lascad (M. Arnaize et M. Leroux) aux réunions de l'entente ne saurait engager sa responsabilité, l'Autorité n'ayant pas démontré que ceux-ci la représentaient durant les réunions en cause. Elle ajoute que l'examen concret de son comportement pendant la période où elle a cessé toute participation à l'infraction, de même que les conditions dans lesquelles un salarié de la société Lascad a recommencé à participer aux réunions du " Team PCP ", ne permettent pas de conclure, comme le fait l'Autorité, que malgré l'interruption de sa participation, elle aurait contribué à la poursuite du plan d'ensemble de l'entente complexe et continue. Elles exposent que la participation de M. Urfin, salarié de la société L'Oréal, ainsi que de MM. Arnaize et Leroux, salariés de la société Lascad s'analysent comme des actes isolés, dont elles, ou a fortiori le groupe L'Oréal, n'avaient pas connaissance. En toute hypothèse, selon elles, l'unique participation au Cercle des Amis, lors de la réunion du 26 janvier 2006, ne saurait révéler leur adhésion à un plan d'ensemble visant à fausser la concurrence.

57. La société L'Oréal et sa filiale la société Lascad ont toutes deux été destinataires du grief suivant : " avoir participé à l'occasion des aménagements ou réformes de la loi Galland entre 2003 et 2006, à une entente unique, complexe et continue sur le marché français de l'approvisionnement en produits d'hygiène, en niellant en œuvre, dans le cadre des Cercles Team PCP et des Amis (réunions et/ou correspondances) ainsi qu'à l'occasion de contacts complémentaires, bilatéraux ou plurilatéraux, un ensemble de pratiques concertées concourant, dans le cadre d'un plan d'ensemble, à la réalisation d'un objectif anticoncurrentiel unique, à savoir accroître, à leur seul profit, la transparence de la négociation commerciale afin de maintenir un niveau de marge comparable à celui dégagé à l'époque de la loi Galland ". Ces pratiques " ont contribué à freiner les baisses de prix souhaitées par les pouvoirs publics et à maintenir le prix triple net des produits d'hygiène à un niveau artificiellement élevé, ce qui s'est répercuté sur le prix de revente aux consommateurs en raison notamment du contexte réglementaire de la loi Galland ".

58. Leur participation individuelle aux pratiques a ainsi été précisée : il était reproché à la société L'Oréal, d'avoir, entre avril 2003 et le 24 mars 2004 et entre octobre 2005 et le 3 février 2006, participé aux pratiques constitutives de l'infraction unique, complexe et continue décrite ci-dessus, dans le cadre du Cercle Team PCP, ainsi qu'aux pratiques organisées dans le cadre du Cercle des Amis à compter du 26 janvier 2006 ; à la société Lascad, d'avoir, entre octobre 2005 et le 3 février 2006, participé aux pratiques constitutives de l'infraction unique, complexe et continue décrite ci-dessus, dans le cadre du Cercle Team PCP, ainsi qu'aux pratiques organisées dans le cadre du Cercle des Amis (réunions) à compter du 26 janvier 2006.

59. La décision attaquée a sanctionné la société L'Oréal pour avoir participé à l'entente unique complexe et continue, dans le secteur de l'hygiène :

dans le cadre de 8 réunions (sur un total de 24) du Cercle Team PCP, sur une période d'un an et un mois, cette période étant scindée en deux périodes de participation (d'avril 2003 au 24 mars 2004, puis d'octobre 2005 au 3 février 2006) et,

dans le cadre d'une réunion (sur un total de douze) du Cercle des Amis, entre le 26 janvier et le 3 février 2006.

60. La société Lascad est, pour sa part, tenue comme co-auteur des pratiques d'octobre 2005 au 13 février 2006 (réunions du Cercle Team PCP) et des pratiques organisées dans le cadre du Cercle des Amis du 26 janvier au 3 février 2006.

61. En revanche, selon les points 1121 et 1123 de la décision déférée, les sociétés L'Oréal et Lascad ne sont pas tenues pour responsables des autres pratiques concertées constitutives de l'entente unique dans le secteur de l'hygiène.

62. Ceci étant précisé, la cour relève que, en vertu d'une jurisprudence constante rappelée dans la décision attaquée aux points 935 à 937, la participation individuelle d'une entreprise à une entente unique, complexe et continue n'est établie que si elle y a pris part personnellement par un comportement propre, ou lorsqu'elle a entendu contribuer à l'objectif commun poursuivi et connaissait les comportements infractionnels des autres participants, ou pouvait raisonnablement les prévoir et était prête à en accepter les risques.

63. Il convient donc d'examiner successivement les contestations des deux requérantes tenant, d'une part, à la participation de la société L'Oréal aux réunions à objet anticoncurrentiel et, d'autre part, à leur adhésion au plan commun.

1. Sur la participation des sociétés L'Oréal et Lascad, du fait de celle de MM. Arnaize et Leroux, salariés de la société Lascad, aux réunions à objet anticoncurrentiel

a. Sur la participation de la société L'Oréal du fait de celle de M. Arnaize aux réunions litigieuses

64. Les appelantes soutiennent que c'est à tort que la décision retient que la société L'Oréal doit être tenue responsable des pratiques commises entre le mois d'octobre 2005 et le 3 février 2006 en tant qu'auteur des pratiques, dans la mesure où seul un salarié de la société Lascad, qui ne représentait pas la société L'Oréal, a participé aux échanges allégués. En effet, seul M. Arnaize, salarié de la société Lascad, a participé à trois réunions du Cercle Team PCP dans la période entre octobre 2005 et le 3 février 2006. Il a été démarché par un représentant de la société Colgate, sans que sa hiérarchie en ait pris l'initiative, ainsi qu'en attestent les déclarations de celui-ci durant l'instruction. Il ne savait rien de la participation préalable de la société L'Oréal, aux réunions de la première période, ni de l'objet ou du contenu de ces anciennes réunions (procès-verbal du 4 juillet 2012, cote 40465 ; procès-verbal du 30 mars 2007, cote 22734 et 44137).

65. L'Autorité expose que la circonstance que la direction de l'entreprise n'ait pas été informée des pratiques est indifférente et renvoie sur ce point aux points 1107 à 1109 de la décision. Elle souligne qu'un employé ou d'autres représentants peuvent représenter l'entreprise lors de réunions anticoncurrentielles, sans qu'il soit exigé que ceux-ci soient expressément mandatés par la société incriminée. Or, selon elle, il résulte d'un faisceau d'indices graves, précis et concordants que la société L'Oréal était bien, en l'espèce, représentée par M. Arnaize.

66. Il convient de souligner que la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit dans son arrêt du 7 février 2013, (arrêt Slovenska sporitel'na, C-68/12) que " l'article 101, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens que la constatation de l'existence d'un accord restrictif de concurrence ne nécessite pas la preuve d'un comportement personnel du représentant statutaire d'une entreprise ou d'un accord particulier par lequel ce représentant a autorisé, au moyen d'un mandat, la conduite de son employé ayant participé à une réunion anticoncurrentielle ". En effet, si l'implication d'une personne morale dans une pratique anticoncurrentielle suppose l'action de personnes physiques, qui sont dans la majorité des cas, ses propres salariés, dès lors qu'ils agissent dans le cadre de leurs fonctions, " l'application de l'article 101 TFUE suppose non pas une action ou même une connaissance des associés ou des gérants principaux de l'entreprise concernée, mais l'action d'une personne qui est autorisée à agir pour le compte de l'entreprise " (Arrêt du 7 février 2013, Slovenska sporitel'na, précité, point 25). En conséquence, il n'est pas exigé un mandat du représentant statutaire de l'entreprise (arrêt Slovenskâ sporitelna précité, point 28) et la responsabilité de l'entreprise est engagée, même en l'absence de démonstration de ce que les dirigeants de la société étaient au courant des comportements anticoncurrentiels.

67. Par ailleurs ainsi que l'a souligné le Tribunal de l'Union européenne dans son arrêt du 12 décembre 2014, Tudapetrol Mineralolerzeugnisse Nils Hansen/Commission (Tudapetrol, T-50/08, point 64), il peut s'agir d'" autres représentants " que les propres salariés de la personne morale. Dans ce cas, l'Autorité de concurrence poursuivante doit établir la réalité de cette représentation.

68. La cour relève à cet égard, qu'aux termes de constatations exemptes de toute erreur, l'Autorité a pu conclure au point 1106 de sa décision qu'au cours du dernier trimestre 2005 et jusqu'à la fin de la pratique, la société L'Oréal avait participé aux réunions Team PCP par l'intermédiaire de M. Arnaize, qui n'agissait pas uniquement en qualité de représentant de la société Lascad, mais représentait bien aussi la société L'Oréal.

69. Si, en effet, M. Urfin a représenté la société L'Oréal durant la première période de l'infraction de 2003 au 24 mars 2004, en sa qualité de responsable commercial au sein de la division "produit grand public" en France, la participation de M. Arnaize, pour la société L'Oréal, aux réunions Team PCP, au cours de la deuxième période de l'infraction (d'octobre 2005 au 3 février 2006) est établie.

70. En premier lieu, il ressort de l'enquête que le " groupe L'Oréal " a toujours été représenté dans l'entente par un salarié unique, parlant au nom des trois filiales. En deuxième lieu, plusieurs déclarations versées au dossier montrent que la plupart des participants aux réunions considéraient que M. Arnaize, salarié de la société Lascad, parlait au nom de la société L'Oréal et la représentait ainsi que la société Lascad. En troisième lieu, les informations communiquées par M. Arnaize durant les réunions, portent non seulement sur les chiffres d'affaires et les tarifs de la société Lascad, mais également sur ceux de la société L'Oréal Paris et la société Gemey Maybelline Garnier, ce qui démontre qu'il s'exprimait au nom du groupe L'Oréal et disposait des informations confidentielles correspondantes. Enfin, l'Autorité souligne à juste titre que la division "produit grand public France " de la société L'Oréal avait une fonction transversale, rendant les frontières entre les différents " affaires " du groupe poreuses, ainsi que M. Arnaize l'a lui-même déclaré lors de sa première audition devant les inspecteurs de la DNECCRF.

71. Sur le premier point, lors de la première période de participation aux réunions Team, il résulte des déclarations des participants que le groupe L'Oréal était représenté par une seule personne, M. Urfin, de la société L'Oréal, maison-mère. Il ressort ainsi du procès-verbal d'audition de M. Rémy (Colgate) (annexe 8 156 0 8158 du rapport DGCCRF) : " Concernant les réunions relatives à l'hygiène ce genre de réunions existait déjà lors de mon arrivée à mon poste de directeur des ventes. Mon prédécesseur, une personne d'origine grecque qui allait à ce genre de réunions, m'a invité à y participer une première fois avec lui, et j'ai ensuite pris la suite. Indépendamment des dates, les représentants des sociétés étaient : Pour la société Henkel, M. Vandoni. Pour la société Lever, M. Cabin Saint Marcel et M. Rudloff. Pour la société Procter et Gamble, je ne me rappelle pas du nom de la personne, mais ce n'était pas M. Paolo Somma. La participation de la société Procter et Gamble était peu fréquente. Pour la société Beiersdorf, M. Alain David. Pour le groupe L'Oréal, je ne me souviens pas du nom mais il parlait au nom des quatre sociétés du groupe et non pour chacune d'entre elles. Pour la société Vania, M. Etienne Renault " (page 148, cote 8157 - Saisine 06/0001F).

72. Sur le deuxième point, les représentants du groupe Henkel et du groupe Colgate ont, de façon concordante, exposé que M. Arnaize représentait la société L'Oréal aux réunions. Les représentants de la société Henkel, entendus le 23 juillet 2009 dans le cadre de la demande de clémence, ont déclaré (cote 747 du dossier 08/0084) : " le groupe L'Oréal qui semble avoir participé aux réunions de fin 2000/2001 au moins à 2003 puis à deux ou trois réunions de 2003 à mai 2005, puis de septembre 2005 à janvier 2006. Le groupe L'Oréal était soit directement représenté aux réunions par M. Urfin, puis M. Devenne, et/ou représenté au travers de sa filiale, la société Lascad, elle-même représentée par M. Arnaize ".

73. Les représentants de la société Henkel, à nouveau auditionnés par le rapporteur le 22 décembre 2010 (Cote 897-898 - Saisine 08/0084AC), ont confirmé que : " au cours de la réunion du 9 novembre 2005, M. Arnaize a communiqué des informations sur les chiffres d'affaires et les augmentations de tarif des sociétés Lascad, OAP et Garnier. En communiquant ces éléments, M. Arnaize s'exprimait au nom du groupe L'Oréal. M. Arnaize donnait d'ailleurs l'impression d'avoir obtenu les informations relatives aux sociétés OAP et Garnier auprès d'autres directeurs commerciaux du groupe L'Oréal. Cependant, lorsqu'il évoquait les relations avec les distributeurs, M. Amaize semblait uniquement s'exprimer au nom de la société Lascad ".

74. M. Etienne (de la société Colgate), entendu durant l'instruction le 25 avril 2012, a abondé dans le même sens : "Il s'agissait de la première réunion où participait Hervé Arnaize depuis le départ de Dominique Urfin. L'Oréal était un participant historique, donc il est possible qu'on ait proposé à M. Arnaize de rejoindre le groupe mais je ne peux pas vous dire pourquoi il y a eu cette rupture. Il est possible que ce soit dû au délai de remplacement de M. Urfin dans son poste de coordinateur des trois affaires. Dans mon souvenir, M. Hervé Arnaize n'était pas présent au titre de Lascad uniquement, mais parlait au nom du groupe L'Oréal ".

75. Interrogé sur sa participation aux réunions, M. Arnaize a déclaré le 4 juillet 2012 (cote 40465) " [avoir] été " démarché " pour que la société L'Oréal mette un pied dans ces réunions dont [il] ne soupçonnai[t] pas l'existence ". Ce "démarchage" a eu lieu, selon ses déclarations, en juillet 2005. Concernant les raisons de cette participation, M. Arnaize a précisé : " il s'est agi de me convaincre de participer à ces dîners sur un élément du contexte de l'époque qui était la loi Dutreil. [...] J'ai accepté ce principe (participer à des échanges sur la loi Dutreil), un certain nombre de réunions étaient planifiées". Le directeur commercial de la société Colgate Palmolive, auteur désigné du " démarchage " et personnage moteur dans le processus de cooptation dans les réunions, a confirmé que la participation de M. Arnaize concernait la société L'Oréal : " L'Oréal était un participant historique, donc il est possible qu'on ait proposé à M. Arnaize de rejoindre le groupe " (PV de Jean-François Etienne du 25 avril 2012, cote 39848).

76. En troisième lieu, les documents communiqués par la société Henkel démontrent que les informations données par M. Arnaize portaient sur les trois sociétés du groupe, les mentions " OAP ", "SCD " et "GMG " renvoyant respectivement à L'Oréal Paris, Lascad et Gemey Maybelline (cote 747 du dossier 08/0084, suite) : " Les documents suivants montrent leur participation aux réunions : (...) l'e-mail de Frédéric Bonifacy en date du 9 novembre 2005, fourni en annexe 8 à la déclaration du 13 juin 2008 ("mention d'" OAP ", " Scad ", " GMG "), les notes prises par Frédéric Bonifacy au cours d'une réunion, fournies en annexe 9 à la déclaration du 13 juin 2008 (mention d'" OAP "), les notes prises par Frédéric Bonifacy au cours d'une réunion des Directeurs commerciaux, figurant aux cotes 33 à 36 scellé n° 2 (mentionnant "SCD", "OAP", "GMG") le pourcentage d'évolution du chiffre d'affaires d'" OAP " et " SCAD " figurant à la cote 39 du scellé n° 2 ".

77. En outre, figurent au dossier des documents manuscrits contenant des données relatives au chiffre d'affaires du groupe L'Oréal, signés " Hervé " dont M. Arnaize a reconnu être l'auteur à l'occasion de son audition du 4 juillet 2012 (PV du 4 juillet 2012, cote 40463). De surcroît, des données relatives aux chiffres d'affaires du groupe L'Oréal figurent dans sept tableaux remis durant l'enquête par les sociétés Colgate Palmolive, les sociétés L'Oréal et Lascad apparaissant ensemble dans deux tableaux synthétiques élaborés par la société Colgate Palmolive à partir d'informations communiquées par les concurrents, élaborés entre septembre 2005 et décembre 2005, durant la période de participation de M. Arnaize.

78. Enfin, la " division produits publics " (DPGP), dont faisaient partie M. Urfin, lorsqu'il représentait le groupe et M. Arnaize, à l'époque des pratiques fin 2005, avait une vocation transversale. Dans ses déclarations devant les inspecteurs de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes, le 30 mars 2007, M. Arnaize, directeur commercial de la société Lascad, a déclaré que " présent dans le groupe L'Oréal depuis 22 ans", il faisait partie de la "division produits publics" (c'est-à-dire grande consommation) dans le groupe L'Oréal et que dans cette division France, il y avait " quatre affaires " : L'Oréal Paris, Garnier, Lascad et Gemey. La vocation transversale de cette division a été soulignée par M. Urfin, dans ses déclarations durant l'enquête. Cette vocation ne saurait être remise en cause par la note en délibéré versée aux débats devant l'Autorité par les requérantes. En effet, cette note atteste simplement que les trois entités L'Oréal, Lascad et Gemey avaient un fonctionnement propre et disposaient de leurs propres équipes, mais ne permet pas de réfuter la possibilité pour la DPGP de centraliser certains points de politique commerciale.

79. L'ensemble de ces éléments constitue donc un faisceau d'indices précis, graves et concordants établissant que la société L'Oréal a assisté, par l'intermédiaire de M. Arnaize, aux réunions litigieuses des réunions "Team PCP " et aux échanges de correspondances dans ce cadre.

80. La circonstance que les déclarations des sociétés Colgate et Henkel aient été produites par les demandeurs de clémence ne saurait en soi les priver de sincérité, ainsi que le rappelle l'Autorité au point 859 de sa décision. Toute tentative d'induire l'Autorité en erreur aurait, en effet, pu remettre en cause la sincérité, ainsi que la complétude de la coopération des demandeurs et, partant, aurait pu mettre en danger la possibilité pour celui-ci de tirer pleinement bénéfice de la communication sur la coopération. En outre, ces deux déclarations concordantes ont été maintenues lors des auditions réalisées dans le cadre de l'instruction.

81. Par ailleurs, s'il est vrai que le rapport d'enquête de la DGCCRF notait une ambiguïté concernant la représentativité de M. Arnaize, les déclarations mentionnées plus haut sont claires et les informations communiquées par M. Arnaize sur les sociétés L'Oréal, Gemay et Lascad sont suffisamment précises et confidentielles pour démontrer qu'il agissait en qualité de représentant de la société L'Oréal, sans qu'il puisse être prétendu qu'il avait détourné ces informations sans l'accord de celle-ci, ce que ne démontre aucun élément de preuve. L'échange unique de courrier, non circonstancié, entre M. Popoff, chef de M. Arnaize, par lequel le premier fait part au second de sa stupéfaction de découvrir qu'il avait participé à un "cercle occulte" de directeurs commerciaux de sociétés de grande consommation, ne constitue pas à cet égard un élément suffisamment probant. De plus, l'ignorance de la société L'Oréal quant aux agissements de ses représentants, à la supposer démontrée, ne l'exonère pas de sa responsabilité, comme il a été vu précédemment. Enfin, la circonstance que M. Arnaize n'ait pas été mandaté par la société L'Oréal ou la société Lascad, est indifférente, ses actions engageant automatiquement la responsabilité des sociétés qu'il représentait, ainsi que le souligne l'Autorité au point 1108 de la décision.

b. Sur la responsabilité des sociétés L'Oréal et Lascad du fait de la participation de M. Leroux à la réunion du 26 janvier 2006

82. Les sociétés requérantes soutiennent que M. Leroux, salarié de la société Lascad, ne représentait pas davantage la société L'Oréal et qu'en toute hypothèse, son unique participation au Cercle des Amis, lors de la réunion du 26 janvier 2006, ne saurait révéler l'adhésion de l'entreprise Lascad à un plan d'ensemble visant à fausser la concurrence, ainsi qu'en attesteraient ses déclarations figurant au procès-verbal du 3 avril 2007 (cote 22 751).

83. M. Leroux, en qualité de responsable de " Business Unit " de la société Lascad, a participé à la réunion anticoncurrentielle du 26 janvier 2006 et cette participation engage la responsabilité de la société, qui ne parvient pas à combattre le constat dûment établi du caractère anticoncurrentiel de cette réunion. Elle ne démontre pas davantage que nonobstant son départ soi-disant prématuré de la réunion, M. Leroux s'est publiquement distancié de celle-ci, puisqu'il a communiqué des informations secrètes sur sa société. La circonstance qu'il ait agi à l'insu de la société Lascad est indifférente, sa seule participation engageant la responsabilité de sa société.

84. II n'est en revanche démontré par aucun élément du dossier qu'il ait également représenté la société L'Oréal au cours de cette réunion du 26 janvier 2006, la seule circonstance que M. Arnaize soit son supérieur hiérarchique ne suffisant pas à établir cette preuve, le lien étant alors trop ténu entre la société L'Oréal et ce salarié. Il n'est donc pas démontré que la société L'Oréal ait personnellement participé à cette réunion.

85. II est donc établi que la société L'Oréal a, entre avril 2003 et le 24 mars 2004 et entre octobre 2005 et le 3 février 2006, personnellement participé aux pratiques constitutives de l'infraction unique, complexe et continue décrite ci-dessus, dans le cadre du Cercle Team PCP, à l'exclusion des pratiques organisées dans le cadre du Cercle des Amis à compter du 26 janvier 2006. Elle a participé à 8 réunions (sur un total de 24) du Cercle Team PCP, sur une période d'un an et un mois, cette période étant scindée en deux périodes de participation (d'avril 2003 au 24 mars 2004, puis d'octobre 2005 au 3 février 2006).

86. Il est par ailleurs établi que la société Lascad a, entre octobre 2005 et le 3 février 2006, participé aux pratiques constitutives de l'infraction unique, complexe et continue décrite ci-dessus, dans le cadre du Cercle Team PCP ainsi qu'aux pratiques organisées dans le cadre du Cercle des Amis (réunions) à compter du 26 janvier 2006. La société Lascad est tenue comme co-auteur des pratiques d'octobre 2005 au 13 février 2006 (réunions du Cercle Team PCP) et auteur des pratiques organisées dans le cadre du Cercle des Amis du 26 janvier au 3 février 2006.

87. Toutefois, compte tenu de la participation d'une de ses filiales, l'Autorité considère, au point 1200, que la société L'Oréal ne pouvait ignorer cette réunion et en assumait donc la responsabilité en tant que société mère.

88. La circonstance que la société L'Oréal ne soit, sur ce point, plus poursuivie qu'en tant que société mère de la société Lascad et non plus en tant qu'ayant personnellement participé à la réunion du Cercle des Amis du 26 janvier 2006 est toutefois sans incidence sur l'évaluation de la sanction qui lui a été infligée.

2. Sur l'adhésion à un plan commun

89. Les sociétés L'Oréal et Lascad exposent que la décision encourt l'annulation à leur égard, dès lors que les motifs et le dispositif de la décision seraient contradictoires. Elles ajoutent qu'à supposer que la décision ait retenu à leur charge une participation à une infraction unique, complexe et continue, la cour devrait constater que le standard de preuve n'a pas été respecté. Enfin, selon les requérantes, la société L'Oréal ne peut être tenue pour responsable en tant que coauteur des pratiques sanctionnées pour la période relative à la loi Dutreil, sans violer le principe de responsabilité individuelle et de personnalité des peines.

90. Sur le premier point, elles soutiennent qu'il leur a été fait grief de participer à une entente unique, complexe et continue sur le marché français de l'approvisionnement en produits d'hygiène, l'article 2 de la décision les sanctionnant pour cette participation, alors que certains motifs de la décision et les observations de l'Autorité font apparaître qu'elle sont tenues pour responsables, non pas du plan d'ensemble mais uniquement de certaines pratiques concertées faisant partie de ce plan d'ensemble. Cette incertitude juridique devrait, selon elles, conduire à l'annulation de la décision les concernant ou à une nouvelle appréciation de la sanction, car elles ont été conduites à se méprendre sur leur défense et la cour n'aurait pas été mise en mesure de contrôler la décision.

91. La cour rappelle sur ce point que l'obligation de motivation à laquelle est soumise l'Autorité de la concurrence dans le prononcé de ses décisions impose un énoncé clair et non équivoque des considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement, de façon à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise à leur encontre afin de défendre leurs droits et à la juridiction de recours d'en contrôler la légalité.

92. L'Autorité a, en l'espèce, défini l'entente complexe et continue dans le secteur de l'hygiène au point 940 de sa décision : " Dans le secteur des produits d'hygiène, les pratiques organisées dans le cadre du Cercle Team PCP et du Cercle des Amis, complétées par les échanges bi ou plurilatéraux, ont visé un même " plan d'ensemble " en raison de leur objet identique (exposé ci-dessous). En outre, ces différentes pratiques, caractérisées par une identité très forte, ont permis la réalisation de ce "plan d'ensemble global".

93. L'entente est donc composée de trois séries de pratiques concertées, l'une matérialisée par des échanges lors de réunions secrètes du Cercle Team PCP (point 873), l'autre par les réunions secrètes du Cercle des Amis (point 874 de la décision), ces deux pratiques concertées étant complétées par un ensemble d'échanges collusifs bilatéraux et plurilatéraux (point 875 de la décision).

94. Ces trois séries de pratiques concertées présentent entre elles une identité et une homogénéité fortes, ainsi que le souligne l'Autorité au point 966 : elles portaient toutes sur les produits d'hygiène tous confondus, étaient caractérisées par des échanges sur les mêmes données (différentes composantes du prix triple net, déroulement et avancement des négociations entre les participants aux pratiques et les acheteurs de la grande distribution), réunissaient le même noyau dur de participants, revêtaient la même forme de réunions secrètes dans le cadre de cercles spécialisés, dont les modalités pratiques étaient identiques, coordonnées par les mêmes piliers (sociétés Colgate Palmolive et Henkel) sous forme de déjeuners ou dîners. Enfin, elles ont toutes cessé à la suite des opérations de visite et saisies, le 3 février 2006.

95. Le "plan d'ensemble" auquel ont concouru ces pratiques concertées est défini au point 944 de la décision comme " visant un objectif unique, à savoir, accroître la transparence de la négociation commerciale principalement sur les déterminants du prix, par des échanges d'informations ou des actes de coopération plus poussés, afin d'améliorer leur position de négociation individuelle, notamment, en présentant des conditions tarifaires qui ne soient pas isolées de celles de leurs concurrents, afin de maintenir un niveau de marge proche de celui dégagé à l'époque de la loi Galland ".

96. Toutes les entreprises sanctionnées ont participé à l'entente complexe et continue, et ont donc été considérées par l'Autorité comme ayant adhéré au plan d'ensemble. Elles ont été sanctionnées en fonction de la durée effective de leur participation, certaines ayant rejoint l'entente plus tard, d'autres l'ayant quitté plus tôt, d'autres enfin, comme la société L'Oréal, ayant interrompu leurs participations pendant quelques mois.

97. Mais aucune des entreprises n'a été sanctionnée pour une pratique concertée particulière, qui aurait été distincte des autres pratiques, et absente du plan d'ensemble ainsi caractérisé.

98. C'est ainsi que la société L'Oréal a été sanctionnée pour avoir participé au plan d'ensemble en deux périodes.

99. L'article 2 de la décision précise bien que : "Il est établi que les sociétés (...) L'Oréal (SA), Lascad, (...) ont enfreint les dispositions de l'article 81, paragraphe 1, du traité CE, devenu l'article 101, paragraphe 1, du TFUE, et de l'article L. 420-1 du Code de commerce, en participant, entre le 22, janvier 2003 et le 3 février 2006, chacune dans la seule mesure indiquée aux points 982 et suivants de la présente décision, à une entente unique, complexe et continue sur le marché français de l'approvisionnement en produits d'hygiène, qui visait à maintenir leurs marges par une concertation sur les prix des produits d'hygiène pratiqués à l'égard de la grande distribution".

100. C'est donc par une motivation exempte de contradiction que l'Autorité a imputé à la société L'Oréal, aux points 1 116 à 1119, sa participation à l'entente unique, complexe et continue.

101. La circonstance que cette société est tenue des pratiques uniquement pour la période pendant laquelle elle y a personnellement participé n'est pas contradictoire avec le grief de participation à une entente complexe et continue, mais le corollaire du principe d'accusation en matière répressive, qui exige qu'à côté de la nature de l'infraction, sa durée soit prise en compte. Les points 1120 à 1123 de la décision ne sont que l'application de ce principe.

102. Le dispositif de la décision ne présente donc aucune contradiction avec sa motivation. Par ailleurs, si les observations écrites de l'Autorité peuvent apparaître contraires à la décision, aucune conséquence ne peut en être tirée sur le plan de la validité de la décision.

103. Sur le deuxième point, les requérantes exposent que l'Autorité n'a pas démontré que les pratiques s'inscrivaient dans un objectif commun. Elles prétendent qu'elles doivent être analysées isolément. Elles précisent que dès lors que l'Autorité constatait qu'elles n'avaient pas participé à la deuxième pratique relative à l'engagement du 17 juin 2004, période charnière de l'infraction au cours de laquelle les échanges se sont intensifiés, elle ne pouvait pas retenir leur adhésion à un plan d'ensemble dont la période de l'engagement du 17 juin 2004, constituait un élément substantiel. Selon elles, l'Autorité ne pouvait considérer dans sa décision qu'en reprenant sa participation à des pratiques concertées identiques à celles auxquelles elle avait participé jusqu'en mars 2004, la société L'Oréal aurait eu conscience de participer à la même infraction qu'auparavant.

104. Elles ajoutent que les trois salariés ayant prétendument participé aux réunions pour la société Lascad, ont des profils très différents, ne se sont pas coordonnés, ce qui démontre l'absence totale de stratégie de la société L'Oréal. Elles précisent que M. Urfin qui a participé aux premières réunions n'a jamais rencontré M. Arnaize qui a participé aux dernières réunions du Cercle des Amis, après 19 mois d'interruption. Or, selon elles, l'identité des personnes physiques dans les diverses réunions constituerait un facteur déterminant dans la question de la participation à un plan d'ensemble.

105. La cour observe que les sociétés L'Oréal et Lascad ne contestent pas l'existence d'une pratique complexe et continue, mais seulement leur adhésion à cette pratique, prétendant ne pas avoir eu connaissance du plan d'ensemble identifié par l'Autorité. Elles invoquent à ce titre le caractère discontinu, désorganisé et dissimulé de la participation aux pratiques de leurs salariés respectifs.

106. Il résulte de la jurisprudence communautaire que "pour établir la participation d'une entreprise à une infraction unique et continue (...), la Commission ne saurait se borner à démontrer la nature anticoncurrentielle des contacts noués entre la requérante et ses concurrents, nais doit également établir que la requérante avait connaissance ou pouvait raisonnablement être considérée comme ayant connaissance, d'une part, du fait que les contacts s'inséraient dans un plan d'ensemble et visaient à contribuer à la réalisation de l'objectif poursuivi par l'entente globale et, d'autre part, de la portée générale et des caractéristiques essentielles de celle-ci". Ainsi, une entreprise qui a participé à une infraction par des comportements qui lui étaient propres et qui visaient à contribuer à la réalisation de l'infraction dans son ensemble, peut être tenue pour responsable, pour toute la période de sa participation à l'infraction, des comportements mis en œuvre par d'autres entreprises dans le cadre de la même infraction. Tel est le cas lorsqu'il est établi que l'entreprise en question connaissait les comportements infractionnels des autres participants ou qu'elle pouvait raisonnablement les prévoir et qu'elle était prête à en accepter le risque. Le fait que différentes entreprises aient joué des rôles différents dans la poursuite de l'objectif commun n'élimine pas l'identité d'objet anticoncurrentiel et, partant, d'infraction, à condition que chaque entreprise ait contribué à son propre niveau, à la poursuite de cet objectif commun. Par ailleurs, la suspension d'une entente anticoncurrentielle pendant une période déterminée n'empêche pas cette dernière de revêtir la qualification d'infraction complexe, unique et continue,-dès lors qu'après son interruption, l'entente a été reprise selon les mêmes modalités.

107. Les requérantes ne contestent plus les constatations matérielles de l'Autorité aux points 1084 à 1093 de la décision relatives à la participation des salariés des sociétés L'Oréal et Lascad aux réunions anticoncurrentielles.

108. L'Autorité a justement estimé, au point 1117 de la décision, qu'en prenant part aux pratiques qui se sont déroulées dans le cadre du Cercle Team PCP entre avril 2003 et le 24 mars 2004, puis entre octobre 2005 et le 3 février 2006, la société L'Oréal a contribué à la poursuite du plan d'ensemble, sans que l'absence de preuves de participation aux pratiques qui se sont déroulées dans le cadre du Cercle des Amis entre le 26 janvier 2006 et le 3 février 2006 puisse modifier les conséquences liées à sa participation aux autres réunions. Au cours des réunions qui ont eu lieu dans le cadre de ces Cercles, la société L'Oréal a communiqué et a été destinataire d'informations confidentielles. Elle avait nécessairement connaissance, d'une part, du fait que ces contacts s'inséraient dans un plan d'ensemble et visaient à contribuer à la réalisation de l'objectif poursuivi par l'entente globale et, d'autre part, de la portée générale et des caractéristiques essentielles de celle-ci. Ces réunions, composées des mêmes entreprises, organisées à intervalles réguliers, selon des modalités identiques, portant sur les données des prix aux distributeurs, s'inscrivaient dans la perspective du maintien de la position des fournisseurs dans les négociations avec les distributeurs, ce dont elle a elle-même bénéficié.

109. La circonstance que la participation à l'entente complexe de la société L'Oréal ait été suspendue pendant dix-neuf mois et que celle-ci n'ait pas participé aux réunions consécutives à l'engagement du 17 juin 2004 n'empêche pas sa participation à l'entente complexe et continue. En effet, malgré la suspension, la société L'Oréal a démontré sa nouvelle adhésion, en reprenant sa participation selon les mêmes modalités. Il ne peut à cet égard être sérieusement soutenu que la société L'Oréal n'a pas eu conscience de reprendre sa participation à cette entente, en participant aux réunions par l'intermédiaire de M. Arnaize. Par la part qu'elle a prise aux différentes pratiques, la société L'Oréal a communiqué et reçu les informations confidentielles sur les principaux paramètres de la politique de prix de ses concurrents, sur leurs évolutions tarifaires et les dérives et a contribué à la poursuite du plan d'ensemble. Ainsi que le souligne l'Autorité dans sa décision, au point 1117, " l'ensemble de ces échanges ont concouru, nonobstant l'interruption de sa participation aux pratiques entre le 24 mars 2004 et octobre 2005, à l'amélioration de sa position de négociation individuelle vis-à-vis de ses clients, et au maintien d'un niveau de marge proche de celui qu'elle dégageait à l'époque de la loi Galland ". Par ailleurs, les réunions Team PCP de la première et de la seconde période auxquelles la société L'Oréal a participé, en 2003 et en 2004, par l'intermédiaire de M. Urfin et, en 2005-2006, par l'intermédiaire de M. Arnaize, ont concouru au même objectif d'accroître la transparence de la négociation commerciale plus principalement sur les déterminants du prix, par des échanges d'information, des actes de coopération, afin de maintenir un niveau de marge proche de celle dégagée à l'époque de la loi Galland. Les données échangées étaient de même nature, ainsi que les modalités d'échanges et les participants étaient majoritairement les mêmes. L'entente était donc poursuivie de manière largement identique. L'Autorité a justement estimé que la société L'Oréal ne saurait prétendre ne pas avoir eu conscience de participer à la même infraction qu'auparavant. S'agissant de la période relative à la loi Dutreil, les requérantes ne sauraient soutenir ne pas avoir adhéré à l'objet anticoncurrentiel des réunions Team ou Amis, en raison du fait qu'elles avaient augmenté leurs prix avant même la tenue de la réunion du 9 novembre 2005, puisque ainsi que le relève la décision, les échanges ont porté sur les prix passés ou futurs et se sont accompagnés d'autres échanges portant sur les dérives.

110. Il est indifférent que la période d'abstention ait correspondu, temporairement, aux réunions organisées dans le cadre de l'engagement du 17 juin 2004. En effet, il ne peut en être tiré la conséquence que la société L'Oréal n'aurait pas participé à la pratique complexe et continue dans son ensemble, mais seulement qu'elle y a participé avec une intensité réduite.

111. La circonstance que M. Urfin, salarié de la société L'Oréal, ait participé à la première période de l'entente relative à la circulaire Dutreil, d'avril 2003 au 24 mars 2004, et n'ait pas été remplacé après son départ de l'entreprise, ne démontre pas que la société L'Oréal ignorait tout de sa participation au Cercle Team PCP. Si les autres parties à l'entente ont compris que cette société cessait sa participation après le départ de M. Urfin, aucune autre invitation à des réunions Team PCP n'étant plus envoyée à la société L'Oréal du 24 mars 2004 au 9 novembre 2005, ni aucune correspondance, cette circonstance confirme l'absence de contribution de la société L'Oréal aux pratiques relatives à l'engagement du 17 juin 2004, mais n'infirme pas la réalité de sa participation aux autres.

112. Enfin, la société L'Oréal ne saurait tirer de la seule absence d'identité des personnes physiques la représentant durant la première et la deuxième période de l'infraction continue, un élément déterminant de son absence de participation à un plan d'ensemble.

113. Les requérantes soutiennent, en outre, qu'elles ne pouvaient avoir adhéré sciemment à l'entente et au plan d'ensemble par l'intermédiaire de salariés qui avaient dissimulé leur participation aux réunions alléguées, mais, ainsi qu'il a déjà été précisé précédemment, cet élément est indifférent à la caractérisation de l'infraction.

114. Les sociétés L'Oréal et Lascad prétendent encore que, n'étant actives que dans le secteur des produits d'hygiène, elles ne pouvaient connaître le plan d'ensemble élaboré par les " lessiviers ", les sociétés Colgate Palmolive et Henkel, pour le secteur de l'entretien. Cependant, il est démontré par leur participation aux réunions litigieuses qu'elles ont adhéré à la pratique d'entente complexe et continue dans le secteur des produits d'hygiène et il est sans emport qu'elles n'aient pas été actives dans le secteur de l'entretien. Par ailleurs, les circonstances qu'elles invoquent, tirées de ce qu'elles n'ont pas fait partie du premier cercle des participants aux pratiques visées, n'ont pas participé aux négociations communes fin 2004 début 2005, retenant un taux de 2 % pour la mise en œuvre de l'accord du 17 juin 2004 (au lieu de 1 + 1 pour les membres de l'entente), ni n'ont participé aux concertations sur les hausses des tarifs 2006, ne sauraient les exonérer de leur participation, mais sont de nature à être prises en compte dans le cadre de l'examen de l'individualisation des sanctions.

115. Il s'ensuit que les moyens développés sur ces différents points par les sociétés L'Oréal et Lascad sont rejetés.

C. Sur la participation de la société Sara Lee

116. La société Hillshire Brands Company (la société Hillshire) a été destinataire du grief suivant : "avoir participé à l'occasion des aménagements ou réformes de la loi Galland entre 2003 et 2006, à une entente unique, complexe et continue sur le marché français de l'approvisionnement en produits d'hygiène, en mettant en œuvre, dans le cadre des Cercles Team PCP et des Amis (réunions et/ou correspondances) ainsi qu'à l'occasion de contacts complémentaires, bilatéraux ou plurilatéraux, un ensemble de pratiques concertées concourant, dans le cadre d'un plan d'ensemble, à la réalisation d'un objectif anticoncurrentiel unique, à savoir accroître, à leur seul profit, la transparence de la négociation commerciale afin de maintenir an niveau de marge comparable à celui dégagé à l'époque de la loi Galland ". Ces pratiques " ont contribué à freiner les baisses de prix souhaitées par les pouvoirs publics et à maintenir le prix triple net des produits d'hygiène à un niveau artificiellement élevé, ce qui s'est répercuté sur le prix de revente aux consommateurs en raison notamment du contexte réglementaire de la loi Galland".

117. Ce grief concernait la participation de la société Sara Lee Household and Body Care France (société SLHBC ou société Sara Lee) aux pratiques constitutives de l'infraction unique, complexe et continue décrite ci-dessus, dans le cadre du Cercle des Amis (réunions) pour une période comprise entre le 21 septembre 2004 et le 3 février 2006. Il lui était notifié en sa qualité de société mère de la société SLHBC et a aussi été notifié à la société Colgate Palmolive en tant que successeur juridique de la société SLHBC.

118. L'Autorité a, dans sa décision, imputé les pratiques mises en œuvre par la société Sara Lee à ces deux sociétés et a décidé que la société Colgate Palmolive était solidairement responsable du paiement d'une partie de la sanction infligée à la société Hillshire. Les moyens examinés ci-dessous au titre de la participation de la société Sara Lee, sont ceux de la société la société Hillshire.

1. Sur l'absence de caractérisation juridique des deux infractions uniques et continues

119. La société Hillshire oppose que pour qu'une infraction unique et continue puisse être caractérisée, il faut que l'Autorité prouve qu'un ensemble d'accords ou de pratiques concertées ayant un objet ou un effet anticoncurrentiel au sens de l'article 101 TFUE visent à contribuer à un objectif unique et que, dans ce cas, une entreprise même si elle n'a pas participé à tous les comportements, peut être considérée comme étant tenue pour responsable des comportements mis en œuvre par d'autres entreprises dans le cadre de la même infraction pour toute la période de sa participation à ladite infraction, parce que ce qui importe est sa participation à l'objet commun.

120. Elle rappelle toutefois que selon la jurisprudence des juridictions européennes " Ce n'est que si l'entreprise, lorsqu'elle participe à un accord, a su ou aurait dû savoir que, ce faisant, elle s'intégrait dans une entente globale, que sa participation à l'accord concerné peut constituer l'expression de son adhésion à cette même entente " (TUE, arrêt du 16 novembre 2011, Low & Bonar et Bonar Technical Fabrics/Commission, T-59/06, point 61). A défaut de cet élément subjectif, cette entreprise ne peut être considérée comme ayant participé à l'infraction unique globale, mais seulement à une infraction distincte. Elle ajoute qu'a il doit être établi que ladite entreprise entendait contribuer, par son propre comportement, aux objectifs communs poursuivis par l'ensemble des participants et qu'elle avait connaissance des comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par d'autres entreprises dans la poursuite des mêmes objectifs ou qu'elle pouvait raisonnablement les prévoir et qu'elle était prête à en accepter le risque " (CJUE, arrêts du 6 décembre 2012, Commission/Verhuizingen Coppens, C-441/11 P, point 42, et du 11 juillet 2013, Team Relocations e.a./Commission, C-444/11 P, point 50). Deux conditions cumulatives sont donc nécessaires afin de prouver la participation d'une entreprise à l'infraction unique, complexe et continue, un concours de volonté en vue de la mise en place d'un plan anticoncurrentiel commun et sa connaissance de la conduite illégale des autres participants.

121. Or en l'espèce, selon la requérante, l'Autorité de la concurrence n'a démontré aucun concours de volontés et d'intention commune entre les participants, faute d'objet unique et commun entre les membres du Cercle des Amis et ceux des réunions " Team ". L'Autorité a attribué à tort aux réunions Cercle des Amis le même objet que celui des réunions Team, en l'absence de toute preuve. Le fait que les sociétés Colgate Palmolive et Henkel aient appréhendé l'ensemble des pratiques comme un tout unique est propre à ces deux entreprises, dont la caractéristique est d'avoir été membres des deux cercles, mais ne saurait caractériser la participation de la société Sara Lee au même plan d'ensemble. Il ressort au contraire des déclarations des personnels des sociétés SLHBC et Johnson que les réunions organisées dans le Cercle des Amis ne visaient qu'à pallier les incertitudes liées à l'engagement du 17 juin 2004, relevées par l'Autorité, aux points 206 et 207 de sa décision.

122. Elle soutient que l'Autorité n'a pas établi à suffisance de droit l'identité des pratiques qu'elle a liées dans un ensemble unique pour les mettre à sa charge. La requérante souligne à ce titre l'absence d'identité des produits concernés, les échanges d'informations ayant porté indistinctement sur les produits de grande consommation. Elle relève également l'absence d'identité de nature des pratiques, l'absence d'identité des participants aux pratiques, moins de la moitié des entreprises ayant participé à l'ensemble des pratiques identifiées dans le secteur de l'hygiène et la moitié seulement des entreprises ayant participé à l'ensemble des pratiques dans le secteur de l'entretien. Il serait inexact, selon elle, de prétendre que les réunions " Amis " et les réunions du Cercle Team auraient partagé une identité de participants (points 215 à 218 des conclusions). Les modalités de mise en œuvre étaient par ailleurs différentes, la fréquence des réunions n'était pas la même et les réunions du Cercle des Amis n'étaient quasiment jamais soutenues par des échanges de correspondances. Par ailleurs, 12 mois séparent le début des réunions des cercles entretien et hygiène des réunions des amis.

123. Sur ces différents moyens, la cour relève qu'il résulte toutefois des éléments de preuve décrits aux points 267 et suivants de la décision, qu'à la suite de la signature de l'engagement du 17 juin 2004, les entreprises qui se concertaient dans le cadre des cercles Team HP et Team PCP se sont retrouvées dans le cadre d'un autre cercle de réunion, le Cercle des Amis, dans le cadre duquel se retrouvaient les directeurs commerciaux des sociétés en cause à compter du 21 septembre 2004 et tout au long de l'année 2005 à un rythme quasiment mensuel malgré la fin de l'application de l'engagement du 17 juin 2004, précité. Ainsi que le précise le point 283 de la décision, la plupart des entreprises ayant pris part aux réunions du Cercle des Amis participaient aussi aux cercles Team HP et Team PCP, mais il est exact que, comme le soutient la société Hillshire, la société SLHBC ne participait pas à ces deux derniers cercles de réunions.

124. Il résulte des éléments détaillés aux points 361 et s. de la décision, pour le secteur de l'entretien et 374 et s. pour le secteur de l'hygiène, que les réunions dans le cercle Team HP ont débouché sur l'élaboration de recommandations relatives à la politique tarifaire mise en œuvre par les entreprises à la suite de la circulaire Dutreil et, en particulier, celle de ne pas mettre en œuvre les possibilités ouvertes par cette circulaire. Les réunions Team PCP ont eu pour objet des échanges sur le niveau des hausses de tarifs et l'évolution des conditions générales de vente (points 376 et s.) sans distinction de marché. Les échanges ont permis aux participants de comparer leurs conditions générales de vente respectives et de confirmer entre eux l'interprétation qui pouvait être faite de ces documents, mais aussi de se concerter sur les comportements à adopter au sujet des " dérives ", et des taux de coopération commerciale (points 388 et s. pour les produits d'entretien ; points 401 et s. pour les produits d'hygiène).

125. S'agissant des réunions du Cercle des Amis, elles ont été précédées par des échanges entre les sociétés Colgate-Palmolive, Henkel, Beiersdorf Vania et Gillette, relatifs à la façon d'appliquer la baisse de 2 % prévue par l'engagement du 17 juin 2004 (application de 2 % pondérée pour la société Colgate-Palmolive, de 1 % pondéré et 1 % linéaire - méthode du 1+1, pour Henkel) et aboutissant à un choix commun de la seconde alternative qui était la plus favorable possible, compte tenu du rapport de force avec les distributeurs et de l'enjeu financier de cet engagement. Ce choix a été présenté à l'ensemble des " amis ", lors de la réunion du 21 septembre 2004, mais il avait été préalablement communiqué à un certain nombre d'entre eux, ainsi qu'aux distributeurs (point 426). À la suite de ces échanges, les participants au Cercle des Amis ont discuté de l'état d'avancement des remboursements par les distributeurs de l'avance de 1 % qui leur avait été faite par les fournisseurs. Ces réunions les ont conduits à des échanges d'informations précises et confidentielles avec une périodicité élevée, leur permettant ainsi de limiter la concurrence entre eux sur un élément non négligeable de leur rentabilité, les remboursements de l'avance qu'ils avaient consentie aux distributeurs lors de la première phase de l'engagement du 17 juin 2004.

126. Ainsi, les réunions du Cercle des Amis ont prolongé celles des deux cercles Team HP et Team PCP qui ont donné lieu à des échanges sur des éléments de détermination des prix futurs, la politique tarifaire mise en œuvre par les entreprises à la suite de la circulaire Dutreil, les dérives, les taux de coopération commerciale. L'ensemble des sujets de ces échanges se sont inscrits dans un objectif commun aux différents cercles de rencontre, celui de supprimer la part d'incertitude inhérente à toute négociation commerciale avec les distributeurs, principalement sur les déterminants du prix, afin d'améliorer la position de négociation des fournisseurs et de maintenir un niveau de marge proche de celui dégagé avant les initiatives prises par les pouvoirs publics.

127. La conscience des objectifs anticoncurrentiels de ces réunions est mise en évidence par leur caractère secret en particulier des réunions du Cercle des Amis qui avaient lieu systématiquement dans une salle du sous-sol d'un restaurant, où les participants s'isolaient. De plus, selon les déclarations d'un directeur commercial, les notes prises au cours des réunions devaient, en théorie, être conservées en dehors des locaux des entreprises et être systématiquement détruites dans les jours qui suivaient les rencontres, afin de garantir le caractère strictement confidentiel de l'existence et du contenu des réunions. Dans ce contexte, la société Hillshire ne saurait légitimement soutenir que la société Sara Lee n'assistait à ces réunions que dans l'objectif de comprendre l'engagement du 17 juin 2004. La cour relève à ce sujet que la société Sara Lee a assisté à ces réunions à onze reprises pendant plus d'un an et demi, ainsi qu'il sera expliqué ultérieurement et qu'il ressort des tableaux figurant au point 285 de la décision.

128. En outre, il importe peu que l'adhésion à cet engagement ait ou non été impérative, puisque, quand bien même les entreprises ne se seraient-elles pas estimées libres de ne pas y souscrire, elles en faussaient les effets par leurs échanges d'informations relatifs à la façon dont elles entendaient l'exécuter. La cour relève, de plus, à ce sujet que ni la société Laboratoire Vendôme, ni la société Bolton-Solitaire ne l'avaient signé.

129. Enfin, si les personnes ayant assisté aux deux cercles Team PCP et Team HP, ainsi qu'au Cercle des Amis pouvaient être différentes, il n'en demeure pas moins que les sociétés que ces personnes représentaient, étaient les mêmes.

130. Il se déduit des sujets des échanges, de la nature des éléments sur lesquels ils ont porté et de ce que plusieurs des acteurs les plus importants des deux secteurs ont participé aux trois cercles de réunions, quand bien même n'ont-ils pas été toujours représentés par les mêmes personnes, qu'il existait entre eux une continuité et une concordance propres à qualifier une pratique unique complexe et continue, peu important que les produits concernés par les discussions n'aient pas été les mêmes ou que les modalités de mise en œuvre des pratiques aient différé, selon les cercles de discussions. La société Sara Lee qui, ainsi qu'il sera précisé ci-dessous, a participé à onze des treize réunions du Cercle des Amis, a par sa présence, de surcroît renouvelée, participé à ces échanges secrets lui apportant des éléments de nature à fausser le jeu de la concurrence, et ainsi a su qu'elle s'inscrivait dans une entente globale et a manifesté son adhésion à cette pratique d'échanges anticoncurrentiels. Il s'ensuit qu'elle n'est pas fondée à soutenir que l'Autorité aurait commis une erreur de droit dans la qualification de l'entente unique et continue. Les moyens qu'elle développe à ce sujet sont en conséquence rejetés.

2. Sur la participation de la société Sara Lee aux pratiques concertées dans le cadre du Cercle des Amis dans les deux secteurs et le caractère anticoncurrentiel de ces pratiques

131. Il convient de rappeler que l'Autorité de la concurrence a conclu aux points 1059 et 1060 de la décision critiquée que la société Sara Lee ne devait " être tenue pour responsable ", dans les deux secteurs de l'entretien et de l'hygiène, que des seules pratiques organisées dans le cadre du Cercle des Amis (à l'exception des correspondances et des contacts bilatéraux) entre le 21 septembre 2004 et le 3 janvier 2006, mais qu'en revanche, l'entreprise n'était "pas tenue responsable des autres pratiques concertées constitutives de l'entente unique " dans ces secteurs.

132. La société Hillshire rappelle que la société Sara Lee a uniquement participé aux réunions du Cercle des Amis sans avoir eu connaissance du fait que, par son comportement, elle pouvait adhérer à une entente constituée par différents comportements ayant un but commun et ayant pris place dans le cadre des cercles Team.

133. Il convient cependant de rappeler que la participation, même passive d'une entreprise à une réunion dont l'objet est anticoncurrentiel suffit à prouver sa participation à l'entente, sauf si cette entreprise démontre qu'elle n'a pas souscrit aux pratiques anticoncurrentielles en s'en distanciant publiquement (CJUE, arrêt 6 décembre 2012, Aff. C-441/11 P, Commission/Verhuizingen Coppens précité, point 73). Mais, en vertu de la jurisprudence rappelée aux points 935 à 937 de la décision attaquée, lorsqu'une entreprise a directement pris part à un ou plusieurs comportements anticoncurrentiels composant une infraction unique, complexe et continue, sans qu'il soit établi que, par son propre comportement, elle entendait contribuer à l'ensemble des objectifs communs poursuivis par les autres participants à l'infraction et qu'elle avait connaissance de l'ensemble des autres comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par lesdits participants, ou qu'elle pouvait raisonnablement les prévoir et était prête à en accepter le risque, l'Autorité de la concurrence n'est alors en droit d'imputer à cette entreprise la responsabilité que des seuls comportements auxquels elle a directement participé et des comportements envisagés. En ce cas, il ne peut être imputé à celte entreprise, que les comportements mis en œuvre par les autres participants dans la poursuite des mêmes objectifs que ceux qu'elle poursuivait et dont il est prouvé qu'elle avait connaissance, ou pouvait raisonnablement les prévoir et était prête à en accepter le risque (CJUE, arrêt Commission/Verhuizingen Coppens précité, point 44).

134. En l'espèce, ainsi que le relève l'Autorité, la mise en cause de la société Sara Lee n'a été retenue que pour les seules pratiques concertées auxquelles elle a directement participé, c'est-à-dire celles relatives aux échanges dans le cadre du Cercle des Amis et elle a été écartée pour ce qui concerne les autres pratiques concertées constitutives de l'infraction unique auxquelles elle n'a pas participé, conformément aux principes susmentionnés. En conséquence, l'Autorité de la concurrence n'avait pas à établir que la société Sara Lee avait connaissance des différents volets de l'entente unique dans chacun des deux secteurs, ni son adhésion ou sa conscience d'adhésion à chacune des deux ententes uniques et au " plan d'ensemble ".

135. La société Hillshire fait aussi valoir que les réunions mises en œuvre dans le cadre du Cercle des Amis ne présentaient pas un degré suffisant de nocivité pour être qualifiées d'anticoncurrentielles par objet alors que leur objectif visait à comprendre les modalités d'application de l'engagement du 17 juin 2004 et qu'une telle qualification est contraire à la pratique décisionnelle du Conseil de la concurrence (avis du Conseil de la concurrence du 18 octobre 2004, n°04-A-18, UFC-Que choisir).

136. Elle précise que l'Autorité n'a pas tenu compte du fait que les différents produits visés dans les réunions relevaient de marchés distincts et qu'elle aurait dû examiner la supposée nocivité séparément par rapport à chacun des secteurs. Elle soutient que l'Autorité aurait aussi dû démontrer que chacune des réunions auxquelles la société Sara Lee a participé constituait en tant que telle une distorsion de concurrence.

137. Toutefois, ainsi que l'a relevé l'Autorité aux points 882 et suivants de la décision, les entreprises concernées par l'engagement du 17 juin 2004, ont poursuivi la concertation qu'elles avaient mise en œuvre dans le cadre des deux cercles Team HP et PCP en continuant leurs échanges d'informations sur les principaux paramètres de détermination du futur prix triple net à savoir, les tarifs (points 361 et s. pour le secteur de l'entretien et 374 et s. pour le secteur de l'hygiène) et les dérives (points 388 et s. pour le secteur de l'entretien et 401 et s. pour le secteur de l'hygiène). Par ailleurs, les parties se sont coordonnées par l'adoption d'une position commune entre les cinq grands leaders du secteur de l'entretien sur la solution " 1 + 1 " (points 472 et s. pour les secteurs de l'entretien et de l'hygiène) puis pour une sortie coordonnée de l'engagement du 17 juin 2004 (points 427 et s. pour les secteurs de l'entretien et de l'hygiène) avec, dans l'intervalle, des échanges sur l'état d'avancement des remboursements des distributeurs (points 445 et s. pour les secteurs de l'entretien et de l'hygiène). Enfin, ainsi que l'a relevé l'Autorité au point 885 de la décision, la concertation a concerné le niveau des évolutions de tarifs envisagées par chaque participant dans les deux secteurs. Ils ont ainsi concerné le niveau des baisses de tarifs envisagées (points 464 pour le secteur de l'entretien et 498 pour le secteur de l'hygiène), puis sur celui des hausses (points 471 et s. pour le secteur de l'entretien et 502 pour le secteur de l'hygiène). Le niveau des dérives envisagé par chacun en 2005 a été discuté lors de ces réunions secrètes (points 531 et s. pour le secteur de l'entretien et 537 pour le secteur de l'hygiène).

138. L'ensemble de ces éléments démontrent suffisamment que les échanges qui portaient sur des éléments de formation du prix étaient de nature anticoncurrentielle et l'Autorité n'avait pas à examiner leur nocivité réunion par réunion, ni à préciser davantage leur caractère anticoncurrentiel.

139. La société Hillshire soutient que l'Autorité n'a pas respecté les critères stricts qui permettent selon la jurisprudence de qualifier une restriction par objet. Elle précise à ce titre qu'elle a amalgamé les échanges des trois cercles de concertations pour apprécier l'objet alors que la société Sara Lee n'a participé qu'au seul Cercle des Amis et ne peut se voir reprocher les autres échanges. Elle ajoute que le contexte économique et juridique, insuffisamment pris en compte par la décision, fait obstacle à la qualification des pratiques comme étant anticoncurrentielles par objet. Elle fait valoir à ce titre que ce contexte était caractérisé par un fort contre-pouvoir des distributeurs entraînant une dépendance économique des fournisseurs à leur égard et par le fait que la position des participants aux réunions du Cercle des Amis n'était pas celle d'un marché oligopolistique. Elle conteste aussi la présentation du contexte juridique et estime que l'engagement du 17 juin 2004 a justifié que les entreprises mises en causes en l'espèce participent à cette initiative et s'échangent des informations commerciales sensibles afin de garantir sa mise en œuvre.

140. Aucun de ces arguments, cependant, n'est de nature à écarter la qualification de pratiques concertées anticoncurrentielles par objet, contraires aux articles 101 du TFUE et L. 420-1 du Code de commerce que l'Autorité a justement appliquée aux pratiques mises en œuvre dans le cadre du Cercle des Amis auxquelles la société Sara Lee a participé.

141. La cour renvoie aux développements par lesquels elle a déjà répondu sur ce point aux moyens de la société Bolton Solitaire et jugé que les pratiques avaient par une juste analyse de l'Autorité été qualifiées d'anticoncurrentielles par objet (point 39 et s.).

142. Il convient en outre de relever qu'en plus des éléments relevés dans les paragraphes précédents, l'Autorité, au terme d'une analyse détaillée de chaque pratique concrétisée dans le cadre du cercle Team HP et dans celui du Cercle des Amis, dans chacun des deux secteurs concernés, constate aux points 869 à 912 de la décision que les pratiques organisées dans le cadre du Cercle des Amis, simultanément dans le secteur de l'entretien et de l'hygiène se sont matérialisées par des échanges d'informations qui se sont déroulés lors de réunions secrètes desdits "Amis" qui avaient lieu pratiquement tous les mois en moyenne et qui s'accompagnaient ponctuellement de correspondances échangées entre les participants.

143. Ainsi que l'a justement retenu l'Autorité, ces pratiques ont consisté en " une concertation sur les prix grâce à des échanges fréquents de données précises, individualisées et stratégiques couvrant les principaux paramètres de fixation du futur prix triple net" (point 909). De plus, " ces échanges étaient, dans leur grande majorité, antérieurs à la fixation définitive des tarifs, des taux de coopération commerciale et des prix triple net résultant de la signature du contrat de coopération commerciale enfin de négociation et portaient donc sur des déterminants du futur prix triple net " sur les deux marchés concernés (point 910).

144. Il résulte des constatations relevées par l'Autorité aux points 472 et suivants, que la société Sara Lee a participé à de multiples échanges du Cercle des Amis relatifs aux hausses de tarifs qui étaient, ainsi qu'il a déjà été précisé ci-dessus, anticoncurrentiels par leur objet.

145. Il convient à ce sujet de préciser que les pratiques étant exactement qualifiées, comme il a été retenu précédemment, de pratique unique, complexe et continue, l'objet doit s'interpréter de façon globale. Dès lors, les moyens par lesquels la société Hillshire soutient qu'elle n'a pas participé aux réunions des Cercles Team HP et Team PCP ou qu'elle n'a pas été déclarée responsable des correspondances et des contacts bilatéraux retenus contre les autres membres du Cercle des Amis et auxquels elle n'a pas participé, ne sont pas fondés. Il est, de même, sans portée que la société Sara Lee ait été tenue pour responsable de l'infraction unique seulement après les échanges qui ont eu lieu avant le mois de mai 2004, puisque d'autres échanges auxquels elle a participé se sont déroulés ensuite.

146. La requérante n'est pas non plus fondée à soutenir que les échanges sur l'état d'avancement des remboursements des distributeurs ne peuvent constituer un échange anticoncurrentiel dès lors qu'ils étaient prévus par l'engagement du 17 juin 2004, puisque, si ces remboursements étaient certes prévus, les différences de rythme et de montants sur ce point faisaient partie du jeu de la concurrence sur les prix entre les fournisseurs. Il en est de même de la circulaire Dutreil qui, si elle indiquait qu'il convenait de lutter contre le développement des marges arrière n'autorisait pas pour autant les concertations entre les fournisseurs à ce sujet.

147. En outre, il est inexact de prétendre, ainsi qu'elle le fait dans l'exposé de ses moyens, que les informations échangées sur les tarifs, les remises incluses dans les conditions générales de vente, les grilles tarifaires, les délais de paiement, ainsi que les modalités de calcul du seuil de revente à perte, étaient des informations passées et publiques, déjà annoncées aux distributeurs. En effet, il ressort notamment des constatations relevées au point 420 que, sur les produits d'hygiène, la société Sara Lee a, lors de la réunion du 24 septembre 2004, fait connaître aux autres entreprises qu'elle appliquait, comme elles, le principe du 1+1, ce qui était d'ailleurs déjà connu de certains de ses concurrentes, ainsi que permet de le constater le tableau du point 422 de la décision. Par ailleurs, elle a, lors de cette réunion, exposé quelle était la stratégie qu'elle envisageait concernant la phase 2 de l'engagement du 17 juin 2004. Lors de la réunion du 3 décembre 2004, elle a énoncé qu'elle arrêterait la remise linéaire en avril (point 437). Elle a par ailleurs fait connaître à ses concurrents qu'elle avait signé des avenants relatifs au remboursement de l'avance faite au titre de l'engagement du 17 juin 2004 (point 455). S'agissant des produits d'entretien, la société Sara Lee a, lors de la réunion du 21 septembre 2004, participé aux échanges sur des hausses de prix et à ceux relatifs au moment de la diffusion des conditions générales de vente (points 472 et 473) et a encore participé aux échanges du 4 novembre 2004 sur les taux futurs d'augmentation des tarifs, ainsi que sur les dates d'augmentation (point 477). Lors de la réunion des amis du 3 décembre 2004, elle a participé aux échanges d'informations sur des données futures. L'ensemble de ces informations et toutes les autres relevées par la décision, à laquelle la cour renvoie, ont permis à la société Sara Lee de se coordonner avec ses concurrentes sur les deux secteurs et de supprimer l'incertitude permettant le libre jeu de la concurrence dans la fixation des prix.

148. La société Hillshire ne peut non plus sérieusement se prévaloir des conclusions de l'Autorité dans son avis n° 04-A-18, précité, dès lors que celles-ci portaient sur l'engagement du 17 juin 2004 lui-même et ne validait nullement les concertations entre les fournisseurs sur la façon d'appliquer cet engagement afin d'en subir le moins de répercussions possible sur leurs marges, ou sur les augmentations de tarifs qu'ils envisageaient.

149. S'agissant du contexte économique, contrairement à ce que soutient la société Hillshire, un système d'échange d'informations peut constituer une violation des règles de concurrence, même lorsque le marché en cause n'est pas un marché oligopolistique fortement concentré, le seul principe général retenu en matière de structure du marché étant que l'offre ne doit pas avoir un caractère atomisé, ainsi que l'a jugé la Cour de justice dans son arrêt du 2 octobre 2003 (Aff. Thyssen Stahl/Commission (C-194/99 P, point 86 et 89). Sur ce point encore, l'analyse ne peut être limitée à la seule pratique constituée par les échanges du Cercle des Amis, mais doit être faite au regard de l'ensemble des concertations de la pratique unique complexe et continue. Or il résulte des constatations de la décision attaquée (points 102 et s. pour l'hygiène et 110 pour les produits d'entretien) que l'offre sur les marchés d'approvisionnement en produits d'hygiène et en produits d'entretien n'est pas atomisée, puisque 70 % du chiffre d'affaires global du secteur des produits d'hygiène et 60 % de celui des produits d'entretien sont réalisés par les huit premiers acteurs du marché pour l'hygiène et les cinq premiers pour l'entretien qui sont, pour les deux secteurs, des acteurs de dimension mondiale. Le fait que les entreprises impliquées dans le Cercle des Amis aient été de moindre importance que celles des Cercles Team HP et Team PCP est sans portée à ce sujet puisque les pratiques de ce cercle se sont adjointes à celles des deux autres pour former un ensemble unique, complexe et continu.

150. De même, la circonstance selon laquelle les distributeurs disposaient eux-mêmes d'un fort pouvoir de négociation et d'une puissance de marché, ne fait pas obstacle à ce que les pratiques soient qualifiées d'infractions anticoncurrentielles par objet, puisqu'elles ont été élaborées et mises en œuvre de façon à déjouer ce pouvoir de négociation, la grande distribution étant privée, dans ces circonstances, de la possibilité d'animer la concurrence entre les fournisseurs. Il est sans conséquence sur ce point que la société Sara Lee ait fini par sortir du marché, la société Hillshire ne démontrant d'ailleurs nullement qu'elle l'ait fait en raison de la puissance de la grande distribution.

151. À ces éléments doivent être ajoutées les autres constatations de l'Autorité qui ne sont pas contestées et selon lesquelles les deux secteurs étaient dominés par un nombre limité de leaders mondiaux dotés de marques de renom, les parts de marchés étaient demeurées relativement stables durant la période, les barrières à l'entrée étaient élevées, la demande était relativement stable et les commandes de la grande distribution étaient régulières et, enfin, l'élasticité aux prix était faible sur le marché aval. L'ensemble de ces constatations permet de considérer que toute forme de collusion entre les acteurs de ces secteurs avait nécessairement une incidence sur le fonctionnement d'une concurrence déjà limitée par les caractéristiques ainsi décrites.

152. Par ailleurs, la société Hillshire qui rappelle l'importance de la prise en compte du contexte juridique dans la jurisprudence de la Cour d'appel de Paris expose le contexte juridique de l'espèce, caractérisé par l'engagement du 17 juin 2004 et la circulaire Dutreil. Elle n'explique toutefois pas en quoi ce contexte juridique de l'espèce empêcherait de qualifier les pratiques d'anticoncurrentielles par objet. Dans ses conclusions en réplique, la société Hillshire soutient à nouveau que ce contexte n'a pas été pris en compte et soutient qu'" il n'est pas sérieux de soutenir que lorsqu'un accord collectif prévoit que ses parties s'interdiront d'exiger/accorder une augmentation de leur taux de coopération commerciale, elles ne peuvent vérifier dans des réunions en effet nécessairement non publiques, si chacun respecte sa part de l'accord ". S'il y a lieu de comprendre l'argument ainsi développé comme signifiant que le contexte juridique était de nature à entraîner les entreprises des deux secteurs concernés à se rencontrer et à débattre de la mise en œuvre de l'engagement du 17 juin 2004, il est dépourvu de fondement. En effet, cet engagement qui visait à une " baisse des prix d'au moins 2 % en moyenne sur les produits de marque des grands industriels, sur la base d'un effort également partagé entre distributeurs et industriels" devant se traduire par une baisse des tarifs des marques de notoriété nationale et internationale, et par une diminution des marges arrière, ne justifiait en rien que certains industriels des secteurs de l'hygiène et des produits d'entretien se concertent comme ils l'ont fait dans le cadre des pratiques relevées précédemment. De même, la lutte contre les marges arrière et leurs effets néfastes sur l'évolution des prix à la consommation ne réclamait nullement que les parties se concertent sur les niveaux de " dérive ".

153. Il en résulte que compte tenu de ces circonstances, la requérante ne saurait prétendre que le contexte économique et juridique dans lequel les pratiques ont été mises en œuvre aurait été insuffisamment pris en compte et s'opposerait à la qualification des pratiques comme étant anticoncurrentielles par objet.

154. La société Hillshire conteste aussi la motivation de la décision en ce qu'elle a considéré que la conscience par les parties du caractère anticoncurrentiel de leurs concertations est démontrée par le caractère secret des rencontres et par l'invitation qui était faite aux participants de conserver les notes prises pendant les réunions en dehors des entreprises et à les détruire. Il convient à ce sujet de relever que les déclarations faites en ce sens émanent du directeur commercial de la société SC Johnson qui, la première, a demandé la clémence et n'avait pas intérêt à aggraver les pratiques mises en œuvre, ni à énoncer des faits sans lien avec la réalité, tandis que les dénégations des représentants des sociétés Laboratoires Vendôme et SLHBC, mises en cause, lesquels avaient intérêt à montrer que les concertations n'étaient pas secrètes, sont davantage sujettes à caution. Il s'en déduit que les éléments ainsi retenus par l'Autorité démontrent, comme elle l'a retenu à juste titre, que les participants aux réunions du Cercle des Amis étaient conscients de participer à des concertations anticoncurrentielles et prohibées au regard du droit des ententes.

155. Enfin et à titre surabondant, contrairement à ce qu'affirme la société Hillshire, force est de constater que l'analyse du caractère anticoncurrentiel des échanges n'est pas contredite par l'avis du Conseil de la Concurrence du 18 octobre 2004 n° 04-A-18 relatif à une demande d'avis présentée par l'Union fédérale des Consommateurs (UFC-Que Choisir) relative aux conditions de la concurrence dans le secteur de la grande distribution non spécialisée. En effet, cet avis se borne à envisager la contribution éventuelle de l'engagement du 17 juin 2004 au progrès économique au regard des conditions légales et jurisprudentielles des articles L. 420-4 I, 2° du Code de commerce et 82, paragraphe 3, du traité CE. S'il précise qu'un accord conduisant à une baisse des marges arrière devrait plutôt favoriser la concurrence, à la fois sur les marchés amont et aval, il envisage l'engagement tel qu'il a été conclu par les représentants des distributeurs et des fournisseurs sous l'égide des pouvoirs publics, et non sous la forme d'une concertation entre les fournisseurs sur les éléments déterminants des prix.

156. II en résulte que c'est à juste titre et par une analyse fondée au regard des principes examinés précédemment que les pratiques mises en œuvre dans le cadre du Cercle des Amis, qui ont pris la forme d'échanges d'informations sur les éléments déterminants du prix futur, ont été qualifiées par l'Autorité de la concurrence d'anticoncurrentielles par objet. Dans ces circonstances, c'est à juste titre que l'Autorité a considéré au point 1054 de sa décision qu'il n'y avait pas lieu d'examiner la question des effets dans le cadre de la qualification juridique des faits. Il n'y a pas lieu à ce sujet de prendre acte de ce qu'elle aurait abandonné la partie des griefs notifiés en ce qu'ils visaient des pratiques anticoncurrentielles par leurs effets, dès lors qu'une telle demande n'a à ce stade de la procédure aucune portée juridique.

3. Sur l'imputabilité des pratiques mises en œuvre par la société Sara Lee à la société Hillshire

157. La société SLHBC, en charge, au sein du groupe de sociétés Sara Lee, de la commercialisation des produits d'hygiène et de soins du corps, ainsi que des produits d'entretien entre 2003 et 2006, a été considérée par l'Autorité de la concurrence comme étant l'auteur des pratiques. Durant ces trois années elle était détenue indirectement à 100 % par la société Sara Lee Southern Europe SL, elle-même contrôlée à 100 % de manière indirecte, tout au long de cette période, par la société Sara Lee Corporation, à présent dénommée société Hillshire. En novembre 2011, son contrôle a été transféré au groupe Colgate Palmolive avec laquelle elle a fusionné au 1er décembre 2011.

158. Prenant en compte ces données, l'Autorité de la concurrence a imputé les comportements de la société Sara Lee conjointement à la société Colgate Palmolive d'une part, en tant que successeur juridique de l'auteur des pratiques et à la société Hillshire, d'autre part, en tant que société mère de l'auteur des pratiques lors des faits.

159. La société Hillshire conteste cette analyse.

160. Elle oppose que l'imputation automatique d'une infraction à une autre société que celle qui en est l'auteur et l'imputation de l'amende correspondante ne résulte pas du principe de primauté du droit de l'Union et qu'elle viole le principe d'individualisation et de nécessité des peines, ainsi que l'article L. 464-2 du Code de commerce.

161. C'est cependant à juste titre que l'Autorité a retenu qu'en vertu du principe de primauté du droit de l'Union sur le droit national, lorsqu'une autorité nationale de concurrence applique les articles 101 et 102 du TFUE parallèlement aux règles de concurrence internes elle est tenue d'appliquer les règles d'imputabilité du droit de l'Union, ainsi que la notion d'entreprise sur laquelle reposent ces règles (point 1124 de la décision). En tout état de cause, il convient de relever que l'Autorité, sous le contrôle de la Cour d'appel de Paris et de la Cour de cassation, a fait siennes les interprétations ainsi retenues et les applique aussi lorsque seul le droit national est invoqué.

162. Il convient sur ce point de rappeler, comme l'a fait l'Autorité dans les points 1125 à 1135 de la décision attaquée, que les articles 101 du TFUE et L. 420-1 du Code de commerce visent les entreprises et non les personnes morales et que les Autorités de concurrence doivent en conséquence identifier quelles sont les entités qui doivent être déclarées auteurs des infractions et qui doivent supporter la sanction pécuniaire qui en découle.

163. Dans ce cadre, il a déjà été jugé à de multiples reprises que lorsque les comportements infractionnels ont été mis en œuvre par une filiale d'une société mère, si cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché mais applique pour l'essentiel les instructions qui lui sont données par sa société mère, les deux sociétés sont considérées comme ne formant qu'une entité économique considérée comme une entreprise au sens du droit de la concurrence. Il existe, dans le cas où la société mère détient directement ou indirectement la totalité ou la quasi-totalité du capital de la filiale auteur du comportement en cause, une présomption réfragable selon laquelle cette société mère exerce effectivement une influence déterminante sur le comportement de sa filiale et elle sera en conséquence tenue solidairement au paiement de l'amende infligée à la filiale, à moins qu'elle ne rapporte la preuve que cette filiale s'est comportée de façon autonome sur le marché.

164. Par ailleurs et sur les mêmes fondements de principe, lorsque la personne morale responsable de l'exploitation de l'entreprise qui a commis les pratiques a cessé d'exister juridiquement, il convient de déterminer la personne morale qui assure sa continuité économique. Ainsi, lorsqu'elle a été absorbée par une autre, ce qui a entraîné la disparition de sa personne morale au profit de l'absorbante, les pratiques dont la société absorbée a été l'auteur sont imputées à la personne morale qui l'a absorbée.

165. Si ainsi que le prétend la société Hillshire, l'imputation des pratiques d'une filiale à sa société mère est une faculté pour l'Autorité de la concurrence, ce principe répond toutefois à la réalité des faits lorsque la société mère et sa filiale constituent une entreprise au sens du droit de la concurrence. Il est alors justifié que la première soit solidairement tenue des pratiques mises en œuvre par la seconde. Par ailleurs, ce principe d'imputation constitue un instrument juridique permettant d'assurer l'effet utile des dispositions assurant la protection du libre jeu de la concurrence sur les marchés, en ce qu'il a pour effet non seulement de renforcer l'action des autorités de la concurrence en matière de recouvrement d'amende, mais surtout d'imposer aux sociétés mère qui exercent une influence déterminante sur leurs filiales de veiller à ce que celles-ci respectent les règles du droit de la concurrence.

166. Contrairement à ce que soutient la société Hillshire le principe susvisé ne constitue pas une violation de l'article L. 464-2 du Code de commerce qui impose une individualisation et une motivation du prononcé de toute sanction à l'égard d'une entreprise. En effet, en premier lieu, les références dans cette disposition aux notions de groupe et aux comptes consolidés ou combinés n'excluent pas le caractère opérationnel de la notion d'unité économique pour caractériser l'entreprise dans le cadre de la recherche de l'imputabilité des pratiques. Le fait qu'au sein d'un groupe de sociétés l'unité économique puisse comporter plusieurs entreprises, selon les degrés d'influence de la société mère sur ses filiales, ne saurait avoir pour conséquence que la société filiale auteur de pratiques anticoncurrentielles et sa mère exerçant sur elle une influence déterminante ne constituent pas une entité économique caractéristique d'une entreprise. En second lieu, la sanction a été fixée au regard des situations individuelles des sociétés Hillshire, en sa qualité de société mère au moment des faits de la société Sara Lee, auteur des pratiques, et de la société Colgate Palmolive, en sa qualité de société absorbante et à ce titre successeur juridique de celle-ci.

167. Par ailleurs, la société Hillshire reproche à l'Autorité d'avoir en statuant comme elle a fait, changé de doctrine en matière d'imputabilité simultanée aux sociétés mères et à leur filiales des pratiques commises par celles-ci. Elle considère que ce changement de doctrine aggrave de manière substantielle la responsabilité des sociétés mères têtes de groupe lorsqu'elles ont doté leurs filiales d'une autonomie suffisante. Elle estime que l'analyse de l'Autorité intervenue après les faits et après leur dénonciation dans le cadre des demandes de clémence, a violé les principes de légalité et de stricte nécessité des peines énoncés par les articles 8 de la Déclaration des droits de 1789 et 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme.

168. Ce moyen n'est pas fondé. En effet, si, ainsi que le relève la société requérante, l'Autorité a précisé dans son rapport annuel pour 2008 (p. 206) que " au sein d'un groupe, une pratique d'entente sera imputée, soit à une filiale en raison de son rôle effectif dans la réalisation de la concertation, soit à la société mère, si la filiale ne fait qu'exécuter les décisions prises par cette dernière ", cette présentation de sa pratique décisionnelle procède, comme l'analyse de l'espèce selon laquelle les pratiques doivent être imputées à la société mère lorsque celle-ci exerce une influence déterminante sur sa filiale, du même principe de recherche du responsable de la décision de mise en œuvre de la pratique en cause. Si cette nouvelle formulation de l'analyse énonce que la société mère qui détient totalement, ou quasi-totalement, le capital de la filiale est présumée responsable des pratiques, cette présomption est réfragable et il est possible pour la société mère de rapporter la preuve de ce que la filiale a agi de façon autonome. Par ailleurs, ainsi que l'a justement relevé l'Autorité au point 1214 de la décision, les règles d'imputation des infractions à l'article 81 CE, devenu 101 du TFUE, étaient déjà applicables à l'époque à laquelle l'infraction a été commise (CJUE du 6 mars 1974, Istituto Chemioterapico Italiano et Commercial Solvents/Commission, 6/73 et 7/73, point 41, et du 16 novembre 2000, Metsà-Serla e.a./Commission, C-294/98 P, points 33 et 34).

169. D'où il suit que la situation de la société Hillshire n'a pas été aggravée par une modification de la pratique décisionnelle de l'Autorité et que le moyen ainsi développé doit être rejeté.

170. La société Hillshire soutient encore qu'elle ne pouvait indiquer à la société SLHBC, sa filiale, de prendre le risque de se distinguer de toute la profession, alors qu'elle était un acteur marginal des deux secteurs de l'entretien et de l'hygiène.

171. Ce moyen est inopérant, dès lors qu'en tout état de cause, la société Hillshire ne prétend ni encore moins ne démontre que la société Sara Lee disposait d'une autonomie de décision permettant de considérer que sa société mère n'exerçait pas sur elle une influence déterminante. Il sera en conséquence rejeté. La requérante n'est en outre pas fondée à soutenir que les concertations auraient été imposées à sa filiale par une coalition des pouvoirs publics français, des acteurs les plus puissants des secteurs considérés et de la grande distribution. En effet, les pouvoirs publics n'ont fait qu'initier un engagement des fournisseurs et de la grande distribution destiné à remédier aux effets néfastes pour les prix à la consommation des marges arrière et à diminuer celles-ci, sans que la mise en œuvre de cet accord n'implique pour les acteurs des secteurs concernés de se concerter sur des éléments intervenant dans la fixation des prix futurs ainsi qu'il a été dit précédemment.

III. SUR LES SANCTIONS

A. Sur la valeur des ventes

I. Sur les éléments pris en compte

172. Toutes les sociétés requérantes soutiennent que l'Autorité a inclus à tort les marges arrière dans la valeur des ventes des fournisseurs, qui sert au calcul du montant de base des sanctions, en retenant un chiffre d'affaires " double net" qui comprend les remises de coopération commerciale, au lieu d'utiliser le chiffre d'affaires " triple net ", qui ne les inclut pas. En refusant de déduire de la valeur des ventes les montants versés aux distributeurs au titre de la coopération commerciale, l'Autorité aurait commis une erreur de droit et aurait enfreint les principes de proportionnalité des peines et d'égalité de traitement.

173. L'erreur de droit consiste, d'après les requérantes, à s'être mépris sur la nature véritable de la coopération commerciale, qui constitue une remise déguisée, et donc, un élément du prix. En effet, la coopération commerciale est liée à l'acte de vente et représente une somme, systématiquement calculée en pourcentage du prix des ventes réalisées, à laquelle les fournisseurs renoncent pour pouvoir conclure la vente. Elle constitue une remise, car elle vient en déduction des prix consentis aux distributeurs.

174. Les entreprises soutiennent que le principe de proportionnalité des peines, qui implique que le chiffre d'affaires retenu comme base de calcul reflète la réalité économique de l'infraction, aurait été méconnu par l'Autorité, car le chiffre d'affaires avant déduction des marges arrière ne reflète pas l'ampleur de l'infraction, ni le chiffre d'affaires réellement généré par les entreprises mises en cause ou encore la rémunération réelle perçue par celles-ci. Or, l'Autorité identifierait généralement comment les entreprises concernées se " rémunèrent " effectivement, pour fixer la base de calcul des sanctions, ainsi qu'elle l'aurait fait dans une décision n° 12-D-09, concernant la farine alimentaire et une décision n° 12-D-27 concernant les billets de spectacles. C'est la ligne qui serait également suivie par l'Office of Fair Trading dans ses lignes directrices de septembre 2012 et par le Competition Appeal Tribunal, dans un arrêt du 1er avril 2011 (Eden Brown).

175. Certaines sociétés exposent que les échanges d'informations ont porté sur les éléments principaux du prix triple net et que dans ces circonstances, la valeur des ventes doit tenir compte des remises accordées à ce titre.

176. Ce mode de calcul enfreindrait aussi le principe de non-discrimination, car il aboutirait à favoriser les entreprises les plus puissantes, qui sont les plus à même de limiter le niveau des marges arrière payées à la grande distribution et pour lesquelles ces marges représentent une part proportionnellement moins importante de leur chiffre d'affaires. C'est ainsi que la coopération commerciale représenterait 16 % du chiffre d'affaires de la société L'Oréal et 44 % de celui de la société Beiersdorf.

177. Selon les requérantes, les normes comptables IFRS (International financial reporting standards) refléteraient la réalité économique qui aurait dû inspirer l'Autorité. Celles-ci excluent les marges arrière du chiffre d'affaires ainsi que le confirme le cabinet KPMG qui considère que les services de coopération commerciale n'ont ni substance commerciale ni existence autonome qui justifieraient de les traiter séparément des opérations de vente des produits, d'un point de vue comptable. L'avis du cabinet d'audit PWC confirme que les dépenses de coopération commerciale ne remplissent pas les critères pour être qualifiées de charges. À l'inverse des normes IFRS, les normes comptables françaises imposent aux fournisseurs de comptabiliser les avantages financiers qu'ils consentent aux distributeurs dans un compte de charges. Une " note sur la comptabilisation des marges arrière en IFRS et en normes françaises " établie par le cabinet Riscol Lasteyrie Corporate Finances expose également que la norme IFRS traduit mieux la réalité économique objective des comptes d'une entreprise que les normes comptables françaises.

178. Les requérantes prétendent encore que retenir le chiffre d'affaires double net serait en contradiction avec la position du commissaire du Gouvernement lors de la séance de l'Autorité, ainsi qu'avec la volonté du législateur, qui a défini, en 2008, le seuil de revente à perte pour y inclure la rémunération de la coopération commerciale, en soulignant que cette incorporation permettrait une meilleure adéquation de la définition à la réalité économique.

179. Enfin, elles avancent que les arguments de l'Autorité pour justifier son choix ne seraient pas pertinents. La décision ne pouvait donc écarter les normes IFRS, au motif que seule l'utilisation du chiffre d'affaires calculé selon les normes comptables françaises, tel qu'il figure dans les liasses fiscales, permettrait de garantir la fiabilité des données relatives à la valeur des ventes. En effet, le chiffre correspondant à la valeur des ventes en relation avec l'infraction est toujours obtenu après retraitement du chiffre d'affaires global. Enfin, l'Autorité affaiblirait son propre raisonnement en affirmant, dans ses observations, que la coopération commerciale correspondait en partie à des services réellement rendus. Ce point n'a en effet jamais été évoqué, ni instruit, pendant la procédure administrative et il est incompatible avec l'analyse des services d'instruction. D'autre part, en admettant qu'une partie au moins de la coopération commerciale ne correspondrait pas à un service, l'Autorité aurait au moins dû exclure cette coopération commerciale de la valeur des ventes pour se rapprocher de la réalité économique.

180. Il résulte du troisième alinéa du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce que "Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le présent titre. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction".

181. Pour proportionner l'assiette de l'amende aux deux critères légaux de gravité et de dommage à l'économie définis à l'article L. 464-2 du Code de commerce, l'Autorité a choisi, comme la Commission de l'Union européenne, de se référer à la valeur des ventes de "produits ou services en relation avec l'infraction" réalisées par chaque entreprise, ainsi qu'elle l'explique dans son communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires (le communiqué sanctions). Selon le paragraphe 23 de ce communiqué, "La valeur de ces ventes constitue en effet une référence appropriée et objective pour déterminer le montant de base de la sanction pécuniaire, dans la mesure où elle permet d'en proportionner au cas par cas l'assiette à l'ampleur économique de l'infraction ou des infractions en cause, d'une part, et au poids relatif sur le(s) secteur(s) ou marché(s) concerné(s), de chaque entreprise ou organisme qui y a participé, d'autre part. (...)".

182. Selon le point 35 du communiqué sanctions, cette " valeur correspond au chiffre d'affaires de l'entreprise ou de l'organisme concerné relatif aux produits ou services en cause ", durant le dernier exercice comptable complet de participation aux pratiques incriminées.

183. Cette référence à la valeur des ventes et au chiffre d'affaires relatif aux produits en relation avec l'infraction n'est pas absolue, dans la mesure où l'article L. 464-2 du Code de commerce ne prévoit pas le mode de calcul de l'amende, sous réserve du respect du plafond défini par cette disposition, soit "10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre ". Au demeurant, des aménagements sont expressément prévus aux points 39 et 67 et suivants du communiqué sanctions, dont l'Autorité a déjà fait usage.

184. Le point 39 du communiqué prévoit, en effet, que " La méthode décrite ci-dessus peut être adaptée dans les cas particuliers où l'Autorité estime que la référence à la valeur des ventes ou ses modalités de prise en compte aboutirait à un résultat ne reflétant manifestement pas de façon appropriée l'ampleur économique de l'infraction ou le poids relatif de chaque entreprise ou organisme qui y a pris part ".

185. En l'espèce, l'Autorité ne s'est pas écartée de sa méthode. Dans la décision entreprise, elle a retenu, comme assiette de la sanction, le chiffre d'affaires réalisé par les entreprises en cause du fait de la commercialisation des produits concernés par les pratiques. Elle a considéré que, conformément aux règles de la comptabilité française, il s'agissait du chiffre d'affaires réalisé par les entreprises en cause sur le marché de l'approvisionnement des produits d'hygiène et d'entretien, déduction faite des seules remises sur facture et des remises conditionnelles, soit le chiffre d'affaires " double net ".

186. L'Autorité a refusé de déduire du chiffre d'affaires concerné le montant de la coopération commerciale (correspondant aux services fournis par le distributeur pour le compte du fournisseur), en rappelant que les dispositions de l'article L. 464-2 du Code de commerce font expressément référence au chiffre d'affaires pour la détermination de la sanction imposée à une entreprise. Elle expose, dans sa décision que, dans la mesure où seules les règles comptables françaises s'imposent à l'ensemble des opérateurs qui exercent une activité économique en France, la notion de chiffre d'affaires renvoie nécessairement au chiffre d'affaires tel que calculé selon ces normes comptables. L'utilisation du chiffre d'affaires au sens de la comptabilité française, seul applicable à toutes les mises en cause à la date des faits, permettrait de garantir la vérifiabilité des données relatives à la valeur des ventes, en conformité avec les dispositions législatives et les principes rappelés dans le communiqué sanctions. Le chiffre d'affaires utilisé est celui qui apparaît dans les liasses fiscales, qui constituent des documents de référence pour les entreprises dans leurs relations avec l'administration. Par ailleurs, le recours au chiffre d'affaires relatif aux produits en cause permettrait, selon l'Autorité, une évaluation proportionnée de l'amende à l'ampleur économique de l'infraction et au poids relatif de chaque entreprise. La circonstance que les remises de coopération commerciale soient, pour la période des pratiques en cause, en partie fictives ne justifie pas, selon l'Autorité, d'écarter le chiffre d'affaires calculé selon les normes comptables françaises, lequel constitue la meilleure référence objective, applicable à toutes les parties en cause à la date des pratiques, et qui ne peut pas être considérée comme ne reflétant manifestement pas l'ampleur de l'infraction au sens du point 39 du communiqué sanctions.

187. La cour relève que l'Autorité a, ce faisant, appliqué la jurisprudence des juridictions et suivi la pratique décisionnelle habituelle des autorités de concurrence en la matière, selon lesquelles la valeur des ventes en relation avec l'infraction est celle des ventes réalisées sur le marché pertinent, à savoir celui concerné par l'infraction. "La part du chiffre d'affaires provenant des marchandises faisant l'objet de l'infraction est de nature à donner une juste indication de l'ampleur de l'infraction sur le marché concerné" (CJUE, arrêt 7 juin 1983, Musique diffusion française e.a./Commission, précité, 100/80 à 103/80 ; point 121).

188. Bien qu'imparfaite, cette donnée est considérée comme un critère adéquat pour apprécier la taille et le pouvoir économique des entreprises concernées, lorsque ce sont des entreprises de produits.

189. Contrairement à ce qui est soutenu par les requérantes, la jurisprudence n'a jamais admis la déduction des coûts, du chiffre d'affaires servant de base au calcul des sanctions. Au contraire, il existe, dans tous les secteurs industriels, des coûts inhérents au produit final que le fabricant ne peut maîtriser, mais qui constituent néanmoins un élément essentiel de l'ensemble de ses activités et qui, partant, ne sauraient être exclus de son chiffre d'affaires lors de la fixation du montant de la valeur des ventes. En effet, la valeur des ventes reflète le prix tel qu'il est facturé au client, sans déduction pour les coûts ou autres frais qui sont intégrés dans le prix et font partie intégrante de la vente du produit. C'est au demeurant ainsi qu'ont statué les juridictions de l'Union (TUE, arrêt 6 mai 2009, KME Germany (T-127/04, point 91) Thyssen Stahl/Commission C-194/99 P, point 86 et 89) et arrêt 18 juin 2013, ICF/Commission, T-406/08, point 176).

190. Les jugements cités par les requérantes au soutien de leur thèse sont, à cet égard, dépourvus de portée. Dans sa décision du 13 avril 2011 relative à une procédure d'application de l'article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et de l'article 53 de l'accord FEE (Affaire COMP/39.579 -Détergents domestiques) (JOUE 2011, C193, p. 14), la Commission se contente de souligner que : "La valeur concernée des ventes correspond aux ventes de détail de poudres peu moussantes pour grosse lessive réalisées par l'entreprise dans les huit États membres couverts par l'infraction, à savoir la Belgique, la France, l'Allemagne, la Grèce, l'Italie, le Portugal, l'Espagne et les Pays-Bas" et ne mentionne pas de coûts intermédiaires. De même, le jugement du Competition Appeal Tribunal du 1er avril 2011 (Eden Brown) est relatif à l'activité des entreprises de travail temporaire et adopte une solution identique à celle adoptée par l'Autorité en 2009, dans le même secteur (décision 09-D-05). L'Autorité rappelle à juste titre dans ses observations que la situation des requérantes se distingue radicalement des précédents qu'elles invoquent où étaient en cause des entreprises actives en tant que structures de commercialisation.

191. Au regard de ces principes, les requérantes ne démontrent pas que le choix du chiffre d'affaires double net "aboutirait à un résultat ne reflétant manifestement pas de façon appropriée l'ampleur économique de l'infraction ou le poids relatif de chaque entreprise ou organisme qui y a pris part" et que l'Autorité aurait violé le principe de proportionnalité des sanctions en retenant ces chiffres pour base de calcul des sanctions.

192. En effet, les pratiques de concertation sanctionnées ont eu pour effet de faire échec à la baisse des prix de détail aux consommateurs, qui sont le reflet des prix double net, souhaitée par les pouvoirs publics de 2003 à 2006, lesquels espéraient atteindre cet objectif par une remontée des services de coopération commerciale en marges avant et par une modération des tarifs des fournisseurs aux distributeurs, toutes mesures auxquelles les fournisseurs se sont précisément opposés de concert par les pratiques litigieuses, afin de maintenir à leur profit l'équilibre tacite qui existait sous l'empire de la loi Galland, au détriment des consommateurs. Ainsi que le résume l'Autorité au point 717 de sa décision, " Les pratiques de concertation, sous la forme d'échanges d'informations portant sur les paramètres de la négociation commerciale, avaient donc lieu de manière régulière, chaque année pendant toute la durée des cycles de négociation avec la grande distribution. Les informations fournies couvraient tout le champ de la négociation (tarif, demande de dérive, offre de dérive, état d'avancement des négociations) et donc l'ensemble des critères impactant la fixation du prix triple net. Ces échanges permettaient une coordination complète et efficace des fournisseurs dans le cadre du processus qui aboutissait à la fixation du prix réellement facturé aux distributeurs ". Or, ainsi que l'admet, notamment, la société Johnson & Johnson Santé Beauté France, " le prix de vente fournisseur issu des conditions générales de vente déterminait directement le prix de vente consommateur ". Ces pratiques ont abouti à ce que les prix de détail aux consommateurs, alignés sur le double net, augmentent à un niveau supra-concurrentiel.

193. Au demeurant, certaines entreprises mises en cause, en admettant que le dommage à l'économie résultant des pratiques soit évalué sur le niveau des prix de vente aux consommateurs, ont tacitement admis que les prix " double net" constituaient, au moment des faits, les références appropriées pour évaluer ce dommage.

194. L'Autorité a donc justement répondu dans ses observations que "l'utilisation du chiffre d'affaires reflète l'ampleur économique de l'infraction et le poids de chaque entreprise sur le marché". Elle relève également à juste titre que "des échanges d'informations sur les chiffres d'affaires organisés par les entreprises mises en cause, qui servaient à comparer la position des entreprises par rapport à celle d'autres opérateurs sur le marché, concernaient le chiffre d'affaires, sans déduction de la coopération commerciale ".

195. Au regard de ces considérations, les autres arguments des requérantes, relatifs à la qualification juridique de la coopération commerciale, et aux règles de comptabilité appropriées, sont dénués de pertinence.

196. Les prestations de coopération commerciale font l'objet de contrats séparés, sont négociées séparément des tarifs de vente consentis par les fournisseurs aux distributeurs dans leurs conditions générales de vente, et constituent un droit d'entrée obligé pour les fournisseurs désireux de vendre leurs produits. Elles sont constituées de services rendus par les distributeurs aux fournisseurs, et parfois réduites au seul droit au référencement dans les linéaires de la grande distribution. La circonstance qu'il s'agisse de services en partie fictifs ne change pas ces éléments d'appréciation. Il ne peut juridiquement s'agir de remises, d'autant que, à cause des pratiques incriminées, elles n'apparaissent pas sur les factures, d'un commun accord entre tous les fournisseurs qui ne souhaitaient pas les faire remonter en marge avant, malgré la volonté contraire des pouvoirs publics. La requalification juridique en remises fictives nécessiterait en toute hypothèse une analyse au cas par cas, fondée sur l'article L. 442-6 du Code de commerce, analyse qui n'a pas été mise en œuvre devant les juridictions compétentes.

197. Il est au surplus indifférent que la loi de modernisation de l'économie du 4 août 2008 ait contraint les opérateurs à inclure les prestations de coopération dans le seuil de revente à perte. En effet, si les requérantes peuvent y trouver la démonstration que la réalité économique différait de la réalité juridique, ce qui n'est contesté par personne, la véritable question est celle de savoir si la prise en compte de la valeur des ventes permet d'aboutir à une sanction proportionnée aux pratiques poursuivies, dans le cadre législatif existant à l'époque.

198. La circonstance que les distributeurs n'ont, en réalité, bénéficié que du prix triple net n'est pas davantage probante, le bénéfice tiré par chaque entreprise de l'infraction ne constituant qu'un critère parmi d'autres de la gravité et du dommage à l'économie et non le seul.

199. De même, l'argument de la double comptabilisation de la coopération commerciale dans le chiffre d'affaires des distributeurs et dans celui des fournisseurs n'est pas opérant, dès lors qu'elle constitue, en tout état de cause, un revenu pour les distributeurs et une charge pour les fournisseurs, qui la répercutent dans leurs tarifs de gros.

200. Enfin, les requérantes ne démontrent pas que le choix du chiffre d'affaires double net aboutirait à discriminer les entreprises en fonction de leur taille et de leur pouvoir de négociation, compte tenu de la part plus importante tenue au sein des plus petites entreprises par la coopération commerciale. En effet, ce chiffre d'affaires est censé conduire à l'appréciation des sanctions, au regard de la contribution de l'entreprise à l'atteinte à l'économie. Il n'y a donc pas à faire de distinction entre les entreprises selon leur capacité de négociation, qui d'ailleurs se manifeste pour tous les intrants des produits. Comme l'a souligné le Tribunal de l'Union dans son arrêt KME Germany e.a./Commission du 6 mai 2009, " (le chiffre d'affaires) ne fait de distinction ni entre les secteurs à forte valeur ajoutée et les secteurs à faible valeur ajoutée, ni entre les entreprises profitables et celles qui le sont moins ". Aucune discrimination ne peut ressortir de l'application d'une règle identique aux entreprises en cause.

201. En définitive il y a donc lieu d'approuver l'Autorité en ce qu'elle a estimé que " le recours au chiffre d'affaires relatif aux produits en cause permet une évaluation proportionnée de l'amende à l'ampleur économique de l'infraction et au poids relatif de chaque entreprise ".

2. Sur la demande d'exclure de l'assiette de la sanction la valeur des ventes des lessives

202. Les sociétés Henkel (Henkel AG, Henkel France - la société Henkel -), Procter & Gamble (sociétés Procter & Gamble France, Procter & Gamble Holding France, The Procter & Gamble Company - la société Procter & Gamble), Unilever, Reckitt Benckiser (Reckitt Benckiser France, RB Holding France et Reckitt Benckiser Plc - la société Reckitt Benckiser -) exposent que la décision n'exclut pas de la valeur des ventes les ventes de lessives universelles en poudre entre août 2004 et mars 2005, alors que la Commission a déjà sanctionné une entente de prix sur ces produits mise en œuvre en France au cours de la même période. Elles précisent que la décision exclut à juste titre de l'assiette de l'amende la valeur des ventes correspondant aux lessives universelles jusqu'au 1er août 2004 pour éviter tout risque de double sanction pour les entreprises concernées par la décision de l'Autorité n° 11-D-17 du 8 décembre 2011 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des lessives, mais que l'Autorité a refusé de tenir compte de la décision de la Commission du 13 avril 2011, précitée, concernant les lessives universelles en poudre, sans motif convaincant. Ceci a abouti, selon elles, à ce que l'Autorité sanctionne deux fois les effets des pratiques sur les lessives universelles en poudre entre août 2004 et mars 2005.

203. Il y a cependant lieu d'approuver l'analyse de l'Autorité en ce qu'elle a relevé que les pratiques sanctionnées par la Commission avaient un objet différent de celui de la présente espèce. En effet, les pratiques en cause devant la Commission visaient à maintenir inchangés les prix des lessives en poudre lorsque le poids et le volume des produits étaient réduits dans le cadre d'une initiative environnementale lancée en Europe. En conséquence, aucune violation du principe non bis in idem ne peut être retenue. Par ailleurs le principe d'équité, dont la violation est alléguée, ne peut être opposé, concernant des sanctions prononcées par une autre autorité de la concurrence sur des éléments de droit et de fait distincts. En outre, il n'est pas démontré que la pratique sanctionnée par la Commission aurait pu recouvrir, même partiellement, la présente concertation, car il ne ressort pas de la décision de la Commission ou des éléments versés aux débats par les sociétés requérantes, que les augmentations directes de prix à la fin de l'année 2004 auraient concerné le marché français. Ce moyen est donc rejeté.

3. Sur la demande des sociétés Reckitt Benckiser

204. Les sociétés Reckitt Benckiser (Reckitt Benckiser France SAS, RB Holding Europe du sud SNC, et Reckitt Benckiser plc.) soutiennent que l'Autorité aurait méconnu le principe d'égalité de traitement en réduisant l'assiette des sanctions des sociétés Unilever, Procter & Gamble, Henkel et Colgate Palmolive, déjà sanctionnées dans la décision n° 11-D-17 précitée. Elles demandent que leur soit octroyée la même réduction de 3 % de la valeur des ventes.

205. Mais ces sociétés ne se trouvant pas dans la même situation que celle des entreprises Unilever, Procter & Gamble, Henkel et Colgate Palmolive, l'Autorité n'a pas méconnu le principe d'égalité de traitement au détriment de la société Reckitt Benckiser.

206. Ces sociétés ont, en effet, été sanctionnées par l'Autorité dans une décision n° 11-D-17, pour avoir pris part à des accords sur les hausses de prix des lessives. Prenant en compte que cette infraction, compte tenu de son caractère particulièrement poussé, intégrait complètement la présente concertation, pour ce qui concerne les lessives universelles et sur la période concernée, l'Autorité a considéré qu'il n'y avait pas lieu de comptabiliser deux fois ces ventes de lessives, une fois au titre des accords sur les prix déjà sanctionnés et une autre fois au titre de la présente pratique concertée. Les sociétés Reckitt Benckiser qui n'ont pas été sanctionnées par la décision n° 11-D-17 ne peuvent donc demander le même traitement que ces sociétés.

4. Sur la valeur des ventes de la société L'Oréal

207. La société L'Oréal expose que le chiffre d'affaires des trois entités du groupe L'Oréal ne reflète pas la réalité de la participation des sociétés L'Oréal et Lascad aux pratiques, car la société Gemey Maybelline Garnier n'y a jamais pris part et, en conséquence, son chiffre d'affaires ne peut être inclus dans la valeur des ventes du groupe L'Oréal.

208. Mais, dès lors que, ainsi qu'il est relevé au point 1272 de la décision, la société L'Oréal, société faîtière du groupe L'Oréal, a participé à l'infraction en communiquant des informations stratégiques sur les déterminants de ses prix et de ceux des sociétés Lascad et Gemey Maybelline Garnier, c'est à juste titre que l'Autorité a pris en compte, au titre de la valeur des ventes, le chiffre d'affaires qu'a réalisé l'ensemble du groupe L'Oréal en commercialisant auprès des enseignes de la grande distribution les produits d'hygiène litigieux, y compris les ventes réalisées par la société Gemey Maybelline Garnier.

209. Contrairement à ce que soutient la société L'Oréal, l'Autorité n'avait pas à démontrer que la société Gemey Maybelline Garnier avait participé aux pratiques en tant qu'auteur pour inclure dans le périmètre de la valeur des ventes le chiffre d'affaires réalisé par elle.

210. La cour rappelle à ce sujet que poursuivie en tant que société mère au titre des pratiques d'une de ses filiales, une entreprise peut se voir opposer, pour le calcul de ses sanctions, la valeur des ventes de l'ensemble du groupe constitué par elle et toutes ses filiales, y compris celles non impliquées dans l'infraction dès lors que les ventes prises en compte relèvent directement ou indirectement, du périmètre de l'entente reprochée. En effet, il serait toutefois porté atteinte à l'objectif poursuivi par l'article L. 464-2 du Code de commerce si cette notion devait être entendue comme ne visant que le chiffre d'affaires réalisé avec les seules ventes pour lesquelles il est établi qu'elles ont réellement été affectées par cette entente.

211. En l'espèce, c'est donc sans commettre d'erreur de droit que l'Autorité a estimé qu'il convenait de prendre en compte, pour déterminer la valeur des ventes de biens ou de services, réalisées par l'entreprise en relation avec l'infraction, le montant des ventes de produits d'hygiène réalisées par la société Gemey Maybelline Garnier, faisant partie du groupe L'Oréal, dont la société L'Oréal est la société faîtière.

B. Sur le montant de base

1. Sur la prise en compte de la participation individuelle des entreprises aux deux ententes uniques

212. Aux fins de la détermination du montant de base, la décision retient un pourcentage de gravité unique de 15 % pour l'ensemble des pratiques et à l'égard de l'ensemble des sociétés mises en cause.

213. La société Hillshire conteste cette méthode et affirme que l'Autorité aurait dû procéder à une différenciation des pourcentages de gravité appliqués aux participants dans les différentes composantes identifiées des infractions. Elle ajoute qu'en s'abstenant de procéder ainsi, la décision aurait méconnu les dispositions de l'article L. 464-2 du Code de commerce qui exigent, entre autres, que les sanctions soient proportionnées à la gravité des faits reprochés.

214. Elle ajoute qu'à défaut de retenir deux infractions caractérisées plutôt qu'une infraction unique et continue, l'Autorité de la concurrence aurait dû prendre en considération le niveau différencié de participation des entreprises concernées dans les composantes de cette infraction unique et continue. Elle demande en conséquence à la cour de diminuer le taux de gravité appliqué aux infractions qui ne constituent pas une "entente injustifiable" ou un cartel de prix. Elle demande aussi une réduction supplémentaire spécifique résultant de la différenciation des taux de gravité en fonction du degré de participation aux concertations.

215. Toutefois, contrairement à ce que soutient la requérante, l'Autorité de la concurrence peut procéder à une appréciation globale de l'importance du dommage à l'économie, comme de la gravité des pratiques, dès lors qu'elle tient compte, de manière individualisée, de la situation de chaque entreprise et de sa contribution personnelle aux pratiques, ce qu'il appartiendra à la cour d'apprécier dans les développements qui suivent. Elle n'est par ailleurs, en vertu du principe d'autonomie procédurale, pas tenue d'appliquer les mécanismes des lignes directrices de la Commission et les parties ne peuvent se prévaloir de cas d'espèce différents de ceux de la cause dans lesquels la Commission a appliqué un coefficient différencié entre les parties.

216. C'est à juste titre et de façon cohérente que l'Autorité a procédé à une appréciation globale de la gravité des faits et du dommage causé à l'économie par l'entente unique complexe et continue commise dans les deux secteurs concernés, afin de déterminer un montant de base unique imposé à chaque entreprise en fonction de la gravité des pratiques et du dommage causé à l'économie. Elle a ensuite tenu compte des éléments propres au comportement et à la situation individuelle de chacune des entreprises, notamment, du fait que certaines d'entre elles, comme la société Sara Lee, n'étaient pas impliquées dans l'intégralité des pratiques concernées.

217. En conséquence, le reproche selon lequel l'Autorité de la concurrence n'a pas pris en compte la gravité relative de la participation individuelle des entreprises à chaque entente unique au stade de la détermination du montant de base n'est pas fondée et la méthode qu'elle a adoptée ne contrevient pas aux dispositions de l'article L. 464-2 du Code de commerce. Le moyen développé sur ce point par la société Hillshire est rejeté. Les autres moyens de cette requérante relatifs aux conséquences qu'il convient de tirer de la moindre participation de la société Sara Lee à l'entente unique, complexe et continue seront examinés ultérieurement dans le çadre de l'examen des moyens portant sur les circonstances propres à chaque entreprise.

2. Sur la gravité des faits

218. Lorsqu'elle apprécie la gravité d'une infraction, l'Autorité tient compte, notamment, de la nature des pratiques qu'elle poursuit, des caractéristiques objectives de l'infraction et de son cadre juridique. Ces trois points sont contestés dans les présents recours.

a. Sur l'appréciation de la gravité des pratiques

219. Selon les sociétés JJSBF (sociétés Johnson & Johnson Santé Beauté France) la société Colgate Palmolive (sociétés Colgate Palmolive Services, Colgate Palmolive SASU, The Colgate Palmolive Company - la société Colgate Palmolive), Henkel, Beiersdorf (société Beiersdorf AG, Beiersdorf Holding France, Beiersdorf SAS - la société Beiersdorf), Reckitt Benckiser, Vania (société Vania Expansion et SCA Tissue France - la société Vania), dont les conclusions sont reprises par la société Johnson & Johnson Consumer Holding France - la société JJCHF), Bolton Solitaire, L'Oréal et Unilever (sociétés Unilever France Holdings et Unilever France - la société Unilever), l'Autorité aurait méconnu la différence entre pratiques concertées et accords. Les pratiques concertées ne présenteraient pas la même intensité anticoncurrentielle que les accords. Par conséquent, elles seraient nécessairement moins préjudiciables au fonctionnement du marché et partant, moins graves.

220. Les pratiques reprochées aux requérantes seraient des pratiques concertées matérialisées par de simples échanges d'informations qui ne peuvent être assimilés à des accords horizontaux de fixation des prix. Contrairement aux observations de l'Autorité, il ne s'agirait pas d'" ententes horizontales secrètes de coordination des prix futurs ". Il ne serait en effet pas démontré que ces échanges auraient permis aux entreprises de reconstituer le prix triple net de chacun des acteurs, les informations échangées étant parcellaires, l'information relative à une hausse tarifaire moyenne n'étant pas un déterminant du triple net et l'information relative à une offre de dérive ne révélant pas la stratégie de l'entreprise.

221. Les requérantes se plaignent d'un glissement quant à l'appréciation de la gravité des pratiques, entre l'accusation formée dans la notification des griefs et la condamnation par le collège, visant à assimiler de simples échanges d'informations à des cartels de prix. En effet, alors que le grief est relatif à des pratiques concertées "concourant, dans le cadre d'un plan d'ensemble, à la réalisation d'un objectif anticoncurrentiel unique, à savoir accroître, à leur seul profit, la transparence de la négociation commerciale", la décision attaquée fait état de "pratiques horizontales secrètes de concertation portant sur les prix futurs et au surplus sur de nombreux paramètres de la négociation commerciale" (point 1292). La décision de l'Autorité ne refléterait pas les griefs qui ont été notifiés aux entreprises et au regard desquels elles ont accepté de ne pas contester les griefs.

222. Enfin, les requérantes soutiennent que, par la qualification de l'infraction comme étant de "gravité particulière", l'Autorité aurait méconnu sa pratique décisionnelle et la jurisprudence antérieures relatives à la gravité des échanges d'informations et n'aurait pas tenu compte des circonstances particulières dans lesquelles ces pratiques se sont inscrites. La gravité moindre des échanges d'informations serait aussi soulignée au point 26 du communiqué sanctions, et aurait été retenue aussi bien par la cour d'appel que par la Cour de cassation. Elles ajoutent que l'Autorité prétend, notamment, faire une distinction entre un "simple échange d'informations", qui reposerait sur l'échange de données passées et les autres informations échangées qui n'autorisaient pas les entreprises mises en cause à lui opposer le point 26 du communiqué sanctions. Elles font valoir que l'Autorité ajoute ainsi une règle au communiqué sanctions, instaurant une distinction purement artificielle.

223. La cour rappelle sur ces différents points que le droit de la concurrence réprime d'autant plus les pratiques qui tendent à s'opposer à un fonctionnement concurrentiel du marché, lorsqu'elles portent sur les prix ou les quantités échangées. La jurisprudence distingue a priori plusieurs niveaux de gravité des pratiques, laquelle s'apprécie in concreto au regard de l'ensemble des éléments pertinents du cas d'espèce.

224. Les accords portant sur les prix, la répartition de quantités ou de clients sont logiquement considérés comme les plus graves. Mais les pratiques concertées constituées par des échanges directs sur les prix futurs des concurrents revêtent, même en l'absence d'accords, le même niveau de gravité, ainsi que l'a rappelé le Tribunal de l'Union, dans son arrêt du 14 mars 2013, Fresh Del Monte Produce/Commission (TUE, T-587/08, point 737). Les pratiques ayant pour objet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu de la concurrence sont par nature des pratiques très graves.

225. Les échanges peuvent aussi porter indirectement sur les prix futurs, qu'il s'agisse de prix de référence servant à l'élaboration de ces prix, ou d'éléments déterminants d'élaboration de ces prix futurs, comme en l'espèce et constituent des pratiques très graves. En effet, ces pratiques concertées horizontales d'échanges d'informations en matière de prix visent par leur nature même à manipuler un paramètre essentiel de la concurrence sur le marché concerné et peuvent être considérées comme faisant partie des violations d'une particulière gravité au sens du communiqué du 16 mai 2011 précité, même s'il ne s'agit pas d'accords de prix ou d'ententes de fixation des prix stricto sensu.

226. Enfin, si les échanges portant sur des informations autres que les prix, mais confidentielles et stratégiques dans certaines configurations de marché, sont généralement considérés comme d'une gravité plus mesurée, c'est, en l'espèce, par une juste appréciation de la gravité objective des pratiques et sans contradiction avec les griefs notifiés, que l'Autorité les a qualifiées de pratiques d'une " particulière gravité ", sans préjudice des autres critères d'appréciation ci-dessous.

227. Il résulte en effet de la motivation de la décision que les échanges d'informations litigieux ont porté "sur les politiques commerciales des fournisseurs et le déroulement des négociations avec les enseignes de la grande distribution" (point 229). Les entreprises ont échangé des informations sur les principaux éléments du prix de vente de leurs produits aux enseignes de la grande distribution lors de chaque évolution du cadre normatif intervenue entre 2003 et 2006 (point 355). Ces échanges ont porté, à chacun des trois stades décrits dans la décision, sur les hausses de tarifs à venir (points 385-386 ; 525 à 528 ; 581-582) ainsi que les dérives (points 306 ; 541 ; 612) et ont permis aux fournisseurs de prendre des positions communes par rapport aux distributeurs.

228. Au regard de la fréquence et du nombre d'informations confidentielles échangées, la circonstance que ces échanges n'auraient pas permis aux entreprises de reconstituer le prix triple net de chacun des acteurs est indifférente, car ils ont à tout le moins permis de dégager des tendances et d'éliminer une grande part d'incertitude sur le comportement des concurrents. Sur ce point la cour observe que des données synthétiques peuvent être plus efficaces pour suivre l'évolution des positions des concurrents que des données plus fines difficiles à analyser et à suivre.

229. Enfin, chacun des deux griefs notifiés aux entreprises était parfaitement clair sur la gravité des pratiques reprochées, ainsi qu'il ressort des points de la décision qui reprennent lesdits griefs (pp.151 à 157 de la décision) : " en poursuivant cet objectif anticoncurrentiel unique [à savoir accroître la transparence des négociations commerciales à leur seul profit], les destinataires des griefs ont imposé, sur le marché français de l'approvisionnement en produits d'entretien d'hygiène, un mode d'organisation substituant au libre jeu de la concurrence, à l'autonomie et à l'incertitude, une collusion généralisée entre la quasi-totalité des grands fournisseurs de produits d'entretien/d'hygiène, portant atteinte à la fixation des prix par le libre jeu du marché, ce qui est prohibé par l'article L. 420-1 du Code du commerce et l'article 101 du TFUE ". Les entreprises ne peuvent donc soutenir s'être méprises sur la portée des griefs.

b. Sur les caractéristiques objectives des infractions

230. L'Autorité a retenu trois particularités pour caractériser les infractions. En premier lieu, leur caractère secret (point 1293 de la décision) ; en deuxième lieu, leur degré élevé de sophistication en raison d'abord du mode d'admission aux réunions par cooptation, ensuite de la structure des pratiques, organisées autour de trois types de contacts, réunions spécialisées entre directeurs commerciaux, réunions entre salariés d'un niveau hiérarchique inférieur et contacts bi ou plurilatéraux, enfin, de l'encadrement des réunions par des échanges de correspondances adressées aux domiciles des participants (points 1294 à 1298), et, en troisième lieu, le fait que les pratiques permettaient une surveillance efficace des politiques de prix des participants aux échanges, même en l'absence de système formalisé de représailles (points 1299 et suivants).

231. Plusieurs requérantes réfutent cette analyse.

i/ caractère secret

232. La société L'Oréal conteste que leur caractère secret puisse être de nature à participer à l'appréciation de la gravité des pratiques. Mais contrairement à ce qu'elle développe à ce sujet, le caractère secret qui résulte de la façon dont les parties se rencontraient et des procédés utilisés pour ne pas laisser d'éléments de preuve, témoigne à la fois de la conscience des parties de participer à la mise en œuvre de comportements prohibés et des précautions prises pour ne pas être découvertes. Elles constituent à juste titre un élément de gravité.

ii/ caractère sophistiqué

233. Plusieurs mises en cause contestent le caractère sophistiqué des infractions. La société Henkel (Société Henkel AG & Co. KgaA et société Henkel France SAS) soutient ainsi que le système d'admission aux réunions par cooptation démontrerait le caractère informel des échanges. La société L'Oréal précise que l'extension de la pratique à tous les acteurs des marchés concernés aurait permis, au contraire, de donner plus d'ampleur aux concertations.

234. La société Henkel affirme, avec la société Unilever, que dans la mesure où seulement trois entreprises participaient aux deux cercles de réunion, entre lesquels il n'est pas démontré qu'il existait un flux d'information, les pratiques ne peuvent être qualifiées de sophistiquées. Ces sociétés ajoutent que tous les participants n'étaient pas systématiquement présents à toutes les réunions.

235. La société Bolton reproche aussi l'appréciation globale du caractère sophistiqué des pratiques sans que soient distingués les différents volets de celles-ci, ni les secteurs de l'hygiène et de l'entretien. Elle estime cette approche globale contraire au principe d'individualisation des sanctions. Elle indique que le degré de sophistication des infractions décrit par la décision ne se vérifierait que pour les pratiques mises en œuvre au sein du cercle " Team HP " et pour les entreprises ayant participé à l'ensemble des volets de l'entente, dès lors qu'aucune procédure particulière d'adoubement n'était prévue dans le cadre des réunions du Cercle des Amis.

236. Aucun de ces arguments n'est cependant de nature à remettre en cause l'analyse de l'Autorité de la concurrence.

237. Sur ces différents points, la cour relève, en effet, que l'analyse des caractéristiques de l'infraction pour apprécier la gravité d'une pratique unique et continue doit se faire, en raison même de ce caractère unique et continu, de façon globale et non pratique par pratique. Pour le même motif, il est par ailleurs justifié que la participation de chaque entreprise et les caractéristiques propres à celle-ci soient appréciées dans le cadre de l'individualisation de la sanction et non dans le cadre de la gravité objective de la pratique unique et continue.

238. C'est en conséquence à juste titre que l'Autorité a retenu, pour caractériser la sophistication des pratiques, l'existence d'un mécanisme de cooptation conférant aux échanges un caractère fermé et sélectif, même si la mise en place de ce mécanisme n'est démontrée que dans le cadre des réunions " Team PCP ". Le constat, ainsi qu'elle l'a souligné dans ses observations, que seulement certaines mises en causes n'étaient admises que dans l'un des deux cercles d'échanges, illustre le choix des entreprises de limiter le nombre de participants à chaque cercle dans le cadre d'un système de cooptation ou d'adoubement. Au surplus, l'argumentation des requérantes sur le fait que les participants aux réunions n'étaient pas les mêmes selon les cercles de réunion est contredite par les constats de la décision, notamment synthétisés dans le tableau figurant au point 354, qui révèlent, ainsi qu'il est ensuite relevé aux points 956 et 957, d'une part, que sur le marché de l'approvisionnement en produits d'hygiène, près de la moitié des entreprises ayant pris part aux réunions Amis participaient également aux Cercles HP et Team PCP, ainsi qu'à des contacts bilatéraux ou plurilatéraux, et d'autre part, que sur le marché de l'approvisionnement en produits d'entretien, les entreprises les plus importantes comme Colgate Palmolive, Reckitt-Benkiser et Henkel participaient à la fois aux cercles HP et Amis, ainsi qu'aux contacts bi ou plurilatéraux, les autres entreprises participant soit uniquement au Cercle des Amis, soit à la fois à ce dernier cercle et à des contacts bilatéraux, comme la société SC Johnson. Il en résulte que, même en l'absence de flux formels d'informations entre les différents cercles, la multiplication des cercles d'échanges et la capacité des entreprises à en agréger les informations constituaient l'un des facteurs de sophistication de chaque infraction unique sur les deux secteurs. Contrairement à ce que soutient la société L'Oréal sur ce point, le fait que les entreprises des deux secteurs aient souhaité restreindre le bénéfice de leurs échanges à certaines d'entre elles seulement, constitue bien un caractère de gravité car, d'une part, parmi ces entreprises se trouvaient les plus importantes des deux secteurs, d'autre part, ce caractère fermé manifeste une précaution à sélectionner les seules d'entre elles susceptibles d'accepter de telles pratiques.

iii/ Existence d'un mécanisme de surveillance

239. Les sociétés Henkel, L'Oréal, Vania et JJSBF font grief à la décision d'avoir considéré que l'existence de mécanismes de surveillance participait à la gravité des pratiques.

240. La société Henkel soutient en ce sens que la mise en place de tels procédés repose sur de simples allégations, qu'il est difficilement concevable qu'un mécanisme de surveillance existe en l'absence d'accord sur le niveau des prix. Elle ajoute que les échanges d'informations sur les chiffres d'affaires passés servaient seulement à déterminer les tendances du marché et non à surveiller les concurrents. Elle conteste le principe même d'utiliser un élément constitutif de la pratique pour en caractériser la gravité.

241. La société L'Oréal prétend que l'absence de mécanisme de représailles et la nature globale des informations échangées faisaient obstacle à l'existence de toute forme efficace de surveillance. Enfin, la société JJSBF fait valoir que les échanges ne permettaient pas de contrôler les prix effectivement appliqués et les performances commerciales, dès lors qu'ils ne portaient pas sur le prix définitif et qu'aucune entreprise ne s'était engagée à respecter les informations données lesquelles se sont souvent révélées erronées. En outre, elle souligne que la négociation annuelle des conditions commerciales s'opposait à toute riposte rapide des participants aux échanges en cas d'écart par rapport à l'équilibre collusif. La société Vania reproche de surcroît à la décision de ne pas avoir traduit l'absence de système de représailles dans la proportion de la valeur des ventes retenue.

242. S'agissant de la possibilité d'une surveillance, c'est à juste titre que l'Autorité de la concurrence a relevé (points 894 et 1300 et s) que les échanges concernés sur les tarifs passés, les conditions générales de vente, et les grilles tarifaires permettaient aux entreprises de surveiller a posteriori le comportement des autres participants à l'entente et de détecter rapidement d'éventuelles déviations à l'équilibre collusif. L'Autorité a aussi exactement relevé que les échanges portant sur des tarifs très récents quoique passés, permettaient le contrôle de la véracité des informations échangées, une fois les tarifs envoyés à la grande distribution, et que les échanges relatifs au chiffre d'affaires permettaient aux participants de contrôler l'évolution de la performance commerciale des autres opérateurs. Cette conclusion, qui se déduit de la nature des informations sur lesquelles portaient les échanges, ne repose nullement sur une allégation, contrairement à ce que soutient la société Henkel. Elle est par ailleurs confirmée par certaines des déclarations que cite elle-même la société Henkel, notamment, celles de M. Remy, ancien directeur commercial de la société Colgate Palmolive, selon lequel, les envois des tarifs et conditions générales de vente permettaient " d'être sûr d'avoir les tarifs de mes principaux concurrents. Le fait d'avoir les conditions générales de vente et les tarifs permettait d'assurer un suivi des tarifs et de veiller au bon positionnement de nos produits par rapport au marché. (...)", ou celles de M. Humblot, ancien directeur commercial de la société Bolton Solitaire, selon lequel " le fait d'avoir des informations passées mais récentes, plus fraîches que Nielsen, est intéressant. Si on croise les informations sur les chiffres d'affaires et les baisses de prix, ça donne un premier signal de quelque chose (une tendance de marché) ".

243. Par ailleurs, l'efficacité de telles possibilités de surveillance n'était pas subordonnée à l'existence d'un système formalisé de représailles ou d'un accord sur le niveau des prix, dès lors qu'elle était en l'espèce assurée par la multiplicité et le caractère récent des informations échangées, de même que par la fréquence des rencontres qui permettaient de contrôler tant la véracité des informations échangées que les déviations à l'équilibre collusif.

244. Il en résulte que l'existence de mécanismes de surveillance, qui étaient de nature à permettre à assurer une plus grande efficacité aux échanges anticoncurrentiels, et sans qu'importe que les parties n'aient pas fixé de concert des prix déterminés, a été démontrée par l'Autorité. C'est donc à juste titre qu'elle a retenu cette caractéristique comme étant de nature à entrer dans l'appréciation de la gravité des pratiques. Elle n'avait par ailleurs pas à en tirer de conclusion particulière dans la détermination du taux applicable à la valeur des ventes.

245. Les moyens doivent être rejetés.

iiii/Nature des personnes susceptibles d'être affectées par les pratiques

246. Les sociétés Reckitt Benckiser et L'Oréal font grief à l'Autorité de ne pas avoir pris en compte la nature des personnes susceptibles d'être affectées par les pratiques, ainsi que le prévoit pourtant le communiqué sanctions. Elles soulignent la puissance économique et le fort contrepouvoir qui en résulte pour les enseignes de la grande distribution. Elles soutiennent que la circonstance que les pratiques aient visé ces acteurs aurait dû être prise en compte au stade de l'appréciation du dommage à l'économie et de la gravité, les entreprises étant réputées être des consommateurs moins vulnérables que le grand public.

247. Il est exact que le communiqué sanctions précise que pour apprécier la gravité des fait, " l'Autorité tient notamment compte des éléments suivants, en fonction de leur pertinence : (...) la nature des personnes susceptibles d'être affectées ". Toutefois, il ne peut être reproché à l'Autorité de ne pas avoir retenu ce critère comme étant en l'espèce de nature à amoindrir la gravité des pratiques. En effet, si celles-ci étaient directement susceptibles d'affecter les distributeurs, elles ne pouvaient qu'avoir des répercussions sur les consommateurs finaux, puisque dans le contexte juridique de la loi Galland, toute augmentation des tarifs avait pour effet d'augmenter le seuil de revente à perte et donc, in fine, le prix de vente au détail des produits. Or, en l'espèce, les pratiques portaient sur des produits de consommation courante pour lesquels, ainsi qu'il sera relevé dans le cadre de l'examen du dommage à l'économie, les clients sont davantage captifs que pour d'autres produits.

248. La société L'Oréal soutient encore que la nature des informations échangées ne permettait pas de les assimiler à des données tarifaires sensibles et qu'au contraire de l'analyse faite à ce sujet par l'Autorité, la nature des informations aurait dû conduire à un amoindrissement de l'appréciation de la gravité. En ce sens, elle affirme que les données échangées ne concernaient pas le taux de marge arrière, permettant de déterminer le prix triple net et n'étaient pas susceptibles de dicter aux fournisseurs leurs comportements en matière de prix individuels compte tenu de leur caractère global et agrégé.

249. Il convient de relever à ce sujet que, comme le précise l'Autorité de la concurrence dans les développements de sa décision (points 671 et s.), les échanges d'informations renforçaient l'assurance des industriels dans leurs négociations avec les distributeurs et favorisaient l'acceptation par les acheteurs de la grande distribution des propositions de tarifs et de dérives de coopération commerciale de leurs fournisseurs, largement convergentes. De même, les échanges portant sur les hausses moyennes pondérées des tarifs ont conduit à leur convergence et réduit le risque de tentative de négociation de la grande distribution, tandis que les échanges d'informations sur les tarifs passés permettaient aux fournisseurs de détecter l'éventuel "bluff" du distributeur. Par ailleurs, les échanges relatifs aux conditions générales de vente et aux grilles tarifaires permettaient aux entreprises, notamment, de suivre et contrôler l'évolution des prix de chacun et de procéder à des comparaisons des évolutions tarifaires produit par produit. Enfin, les échanges sur les taux de coopération commerciale permettaient de mieux évaluer l'importance des dérives demandées par les distributeurs par rapport à celles demandées aux autres participants à l'entente et de calibrer leurs propositions d'offres de façon optimale pour obtenir une meilleur dérive.

250. Il ressort de cet ensemble d'éléments qu'il est inopérant de prétendre que les échanges ne permettaient pas de comparer les tarifs produit par produit et inexact de soutenir que la négociation commerciale entre fournisseurs et distributeurs ne portant pas sur le taux fixe de coopération commerciale, mais sur son évolution d'une année sur l'autre, les échanges à ce titre ne permettaient pas aux entreprises de se positionner les unes par rapport aux autres. En effet, de la même façon que les opérateurs comparaient leurs évolutions de tarifs, ils comparaient également leurs évolutions de dérives, dès lors que la négociation avait pour fondement l'évolution du prix triple net et de ses différentes composantes, et non un niveau fixe de coopération commerciale ou de tarif.

251. En conséquence, l'information sur la dérive présentait, en elle-même, un caractère stratégique et sensible puisqu'elle constituait le principal élément de la marge des distributeurs et permettait de dicter aux fournisseurs leurs comportements individuels en matière de prix.

252. Les moyens invoqués à ce titre sont donc dépourvus de fondement.

iiiii/ Rôle des pouvoirs publics et cadre juridique

253. L'Autorité a écarté dans la décision attaquée les moyens développés par les entreprises en cause soutenant que les initiatives des pouvoirs publics en l'espèce devaient être considérées comme un facteur atténuant de la gravité des pratiques (point 1304 et suivant). Elle a retenu à ce sujet que les réunions organisées par les pouvoirs publics dans le but de discuter des modalités d'application de la circulaire Dutreil et de l'engagement du 17 juin 2004, puis des pistes de réforme de la loi Galland, se différenciaient des rencontres entre fournisseurs concurrents dans le cadre des pratiques anticoncurrentielles en cause. En ce sens, elle a observé que les réunions organisées par les pouvoirs publics, qui regroupaient des représentants des services de l'État et d'organisations professionnelles parlant au nom de leurs adhérents, n'avaient abordé que des questions d'ordre général, et qu'elles n'étaient pas secrètes. Elle a en outre relevé que ces initiatives gouvernementales, qui visaient à restaurer l'incertitude inhérentes aux négociations commerciales, afin de mettre un terme à la spirale inflationniste résultant de la loi Galland, n'étaient pas par elles-mêmes de nature à atténuer la gravité des faits, ni susceptibles de la renforcer. Enfin, elle a précisé que les pouvoirs publics n'ont créé aucune confusion quant à la question de savoir si les pratiques en cause avaient un caractère infractionnel, et qu'ils n'ont pas participé, soutenu ou validé celles-ci.

254. Les entreprises en cause contestent cette analyse et demandent que le contexte législatif et réglementaire soit pris en compte comme facteur atténuant de la gravité de la pratique.

255. La société L'Oréal affirme en ce sens que ces circonstances constitueraient un élément de nature à minorer le montant de la sanction encourue et la société Hillshire prétend qu'elles feraient obstacle à la qualification des pratiques d'anticoncurrentielles par objet.

256. Pour certaines requérantes, l'examen concret du rôle joué par les pouvoirs publics dans le contexte des réformes réglementaires et législatives qui ont marqué la période infractionnelle, révèle un interventionnisme très marqué dans le processus de formation des prix, celui-ci se caractérisant par un fort interventionnisme étatique et se matérialisant par des réunions organisées par les pouvoirs publics qui visaient à interférer dans le détail de tous les aspects de la politique commerciale et tarifaire des fournisseurs dans leurs négociations avec les distributeurs, sans se limiter à des questions générales. Ce faisant le comportement de l'administration aurait, selon elles, fortement réduit l'autonomie des entreprises, les incitant à se concerter collectivement en créant une confusion légitime sur la nature et l'étendue des échanges qu'elles étaient susceptibles, voire contraintes, d'avoir entre elles. Elles ajoutent qu'en encadrant la détermination de la politique commerciale des opérateurs économiques à l'époque des pratiques, les pouvoirs publics auraient créé les conditions propices aux concertations reprochées, tout en limitant la marge de manœuvre des différents opérateurs au regard de leur liberté de négociation avec les acteurs de la grande distribution.

257. Les entreprises en cause soutiennent, enfin, que les autorités de concurrence et juridictions de contrôle considèrent, en effet, que lorsqu'un comportement anticoncurrentiel est incité ou facilité par les pouvoirs publics, il doit en être tenu compte dans l'appréciation de la gravité de l'infraction ou dans le cadre des circonstances atténuantes.

258. Le communiqué sanction (point 45) précise, ainsi que le font valoir plusieurs des requérantes, que " les circonstances atténuantes en considération desquelles l'Autorité peut réduire le montant de hase de la sanction pécuniaire, pour une entreprise ou un organisme, peuvent notamment tenir au fait que : (...) l'infraction a été autorisée ou encouragée par les autorités publiques ". Cependant, aucun élément du dossier ne permet de considérer qu'en l'espèce, les pouvoirs publics auraient participé, encouragé, ou facilité les pratiques mises en œuvre en l'espèce, ou même, auraient validé les politiques de prix en résultant.

259. Il est exact que la mise en œuvre de la loi Galland avait, ainsi qu'il a été décrit dans les développements relatifs au contexte dans lequel les pratiques se sont développées, conduit à un équilibre collusif tacite auquel les pouvoirs publics ont tenté de remédier par trois réformes législatives et réglementaires (Circulaire Dutreil du 16 mai 2003 - Engagement du 17 juin 2004, dit engagement Sarkozy - Loi Galland [sic] du 2 août 2005). Il est aussi exact que les pouvoirs publics ont procédé à ces réformes en impliquant les partenaires du secteur concerné, c'est-à-dire les fournisseurs, leurs associations et les représentants de la grande distribution. Ils ont à cet égard organisé des réunions auxquelles participaient les organisations professionnelles des secteurs concernés et les représentants des services de l'Etat, dont l'objet était de préciser les objectifs des réformes ainsi que les modalités d'application de celles-ci.

260. Toutefois, l'organisation de réunions entre les différents partenaires d'un secteur, afin de les associer à la mise en place de réformes de celui-ci, ne saurait être considérée comme incitatif à une concertation anticoncurrentielle entre elles et encore moins lorsque ces réformes ont pour objectif affiché de réintroduire le jeu de la concurrence dans le secteur considéré. En l'espèce, ces réunions devaient permettre aux professionnels concernés de résoudre les questions et problèmes divers que pouvait leur poser la mise en œuvre des diverses réformes et, si les requérantes exposent les difficultés, ambiguïtés et doutes auxquelles elles pouvaient être confrontées, elles ne démontrent pas en quoi elles auraient été incitées, ou auraient pu se sentir autorisées, à procéder aux concertations qu'elles ont élaborées et auxquelles elles ont participé. En effet, l'objectif affiché des pouvoirs publics dans l'ensemble des éléments de contexte rappelés précédemment était de lutter contre les effets néfastes des marges arrière, notamment, l'équilibre collusif observé par les fournisseurs et la grande distribution. Le but recherché était de réintroduire une concurrence entre les différents acteurs des différents marchés. Il ne peut raisonnablement être soutenu, dans ce contexte, que les entreprises auraient été incitées par ces rencontres organisées par les pouvoirs publics à se concerter, d'autant que ces concertations avaient pour objet de réduire la marge d'incertitude sur des éléments essentiels de formation des prix.

261. En l'espèce, les parties en cause sont allées bien au-delà de ces rencontres publiques et licites et l'instauration par elles d'une concertation sur les tarifs, matérialisée par la mise en place de plusieurs cercles de discussions à caractère secret, ont eu pour objectif non de rechercher des explications sur les textes alors applicables, mais de se concerter sur leur politique commerciale.

262. Par ailleurs, il convient d'observer qu'à supposer, comme le soutiennent les mises en cause, que le contexte législatif et réglementaire d'alors ait été source d'incertitudes juridiques, d'autres voies que celle de la concertation anticoncurrentielle auraient permis aux fournisseurs de lever les interrogations et les doutes en résultant, à commencer par la formulation de demandes de réponse aux services de la DGCCRF, laquelle était impliquée dans la mise en œuvre des réformes et présente aux réunions qu'elles invoquent, ou encore la saisine des organisations professionnelles concernées, comme l'ILEC (Institut de liaisons et d'études des industries de consommations), auxquels plusieurs d'entre elles ont recouru.

263. Enfin, dans les circonstances précédemment décrites d'actions publiques visant à relancer la concurrence là où elle ne fonctionnait qu'imparfaitement, l'existence de réunions entre les partenaires des secteurs de la consommation, grande distribution, d'un côté, fournisseurs représentés par leurs organisations professionnelles de l'autre, ne peut être considérée comme ayant facilité les concertations entre les fournisseurs des secteurs des produits d'entretien et d'hygiène, de nature à réduire le degré de gravité des pratiques.

264. Il s'ensuit que ni le contexte normatif, ni le rôle tenu par les pouvoirs publics, n'était de nature à expliquer, voire encourager, les pratiques reprochées aux entreprises et, en conséquence, à amoindrir le montant des sanctions. C'est donc à juste titre que l'Autorité a rejeté les demandes tendant à ce qu'elle tienne compte de ces éléments dans son appréciation de la sanction. Les moyens développés sur ce point sont donc rejetés.

3. Sur le dommage causé à l'économie

a. Sur la méthode d'analyse du dommage

265. L'article L. 464-2 du Code de commerce dispose que "les sanctions pécuniaires sont proportionnées (...) à l'importance du dommage causé à l'économie".

266. Plusieurs requérantes reprochent à l'Autorité de la concurrence de ne pas définir l'ordre de grandeur du dommage causé à l'économie et contestent la méthode d'analyse utilisée en l'espèce par l'Autorité.

267. Avant d'apprécier la régularité de l'analyse conduite dans la décision, il convient de rappeler, à titre liminaire, que, si le dommage à l'économie ne peut être présumé, l'Autorité de la concurrence n'est toutefois pas tenue de le quantifier précisément. Elle doit cependant en évaluer l'existence et l'importance en se fondant sur une analyse aussi complète que possible des éléments du dossier et en recherchant, par conséquent, les différents aspects de la perturbation générale du fonctionnement normal de l'économie engendrée par les pratiques illicites constatées. Ainsi, dans cette mesure, l'Autorité de la concurrence peut procéder à une appréciation globale de l'importance du dommage causé à l'économie par chaque pratique et lorsque la pratique est unique et continue, par celle-ci dans son ensemble.

268. Il appartient en conséquence à la cour d'apprécier en l'espèce si, en l'espèce, l'Autorité de la concurrence a suffisamment caractérisé et évalué l'existence et l'importance du dommage à l'économie, conformément aux principes susmentionnés, ce que contestent plusieurs requérantes.

b. Sur l'ordre de grandeur du dommage

i/Absence de caractérisation de l'ordre de grandeur du dommage

269. L'Autorité de la concurrence a, dans sa décision, apprécié l'ampleur du dommage à l'économie en se fondant sur plusieurs critères. Elle a au titre de l'ampleur des infractions relevé que la pratique avait concerné l'ensemble du territoire national ainsi que l'ensemble des distributeurs et que les entreprises en cause représentaient environ deux tiers de l'offre sur le territoire français (pts 1319 et s.). Elle en a conclu que les pratiques étaient de grande ampleur. S'agissant des caractéristiques économiques des secteurs en cause, l'Autorité a observé, d'abord, qu'il existait de fortes barrières à l'entrée sur les marchés de l'approvisionnement en produits d'hygiène et d'entretien et, à ce titre, que les produits concernés requéraient d'importants investissements de recherche et de développement, ainsi que de publicité, ensuite, que la contrainte de capacité des linéaires de supermarchés limitait l'accès du marché à de nouveaux entrants, enfin, que les deux secteurs étaient réglementés par des dispositions relatives à la sécurité et à la gestion des risques, lourdes en termes de coûts. Elle a, sur le même sujet, précisé qu'il existait une faible élasticité prix de la demande. L'Autorité a aussi relevé que le contrepouvoir des distributeurs était, en l'espèce, à relativiser en précisant, notamment, d'abord, que le pouvoir de la grande distribution s'exerce plus difficilement lorsque les fournisseurs disposent de marques à forte notoriété, ensuite, que les différents rapports réalisés à l'époque sur la question ne concluaient pas à l'absence de pouvoir de négociation des fournisseurs et que la menace de déréférencement devait elle aussi être relativisée. Elle a conclu que, si, à l'époque des pratiques poursuivies, les fournisseurs des secteurs de l'hygiène et de l'entretien faisaient effectivement face à des acheteurs puissants, leur situation leur permettait de contrebalancer, dans une mesure appréciable, le pouvoir des distributeurs. Plus encore, les pratiques concertées ont permis à la majorité des industriels les plus puissants des secteurs de l'hygiène et de l'entretien d'opposer aux enseignes de la grande distribution une réponse commune, qui leur a permis de faire échec, dans une certaine mesure, à la puissance d'achat des enseignes de la grande distribution.

270. Par ailleurs, pour apprécier l'ampleur du dommage à l'économie, l'Autorité de la concurrence a examiné les conséquences conjoncturelles des pratiques. Elle a retenu à ce titre, que contrairement à ce que soutenaient certaines entreprises en cause, le passage d'un équilibre tacite antérieur aux pratiques à un équilibre collusif pendant la durée des pratiques, n'était pas neutre sur les niveaux de prix qui ont augmenté. Concernant l'impact des pratiques sur les relations fournisseurs/distributeurs, elle a écarté les éléments chiffrés produits par le rapport, lesquels souffraient, selon elle, d'un manque de fiabilité et d'exhaustivité, mais elle a relevé que, sur le plan qualitatif, les concertations avaient, d'une part, réduit l'asymétrie d'information entre fournisseurs et distributeurs altérant de ce fait le processus de négociation, d'autre part, diminué l'incertitude stratégique entre les fournisseurs dans la concurrence qu'ils se livraient entre eux, favorisant ainsi la convergence de leurs comportements. Sur ce dernier point, l'Autorité a précisé que les pratiques constatées ont permis à chaque participant d'intégrer, dans l'élaboration de ses propres propositions tarifaires, les propositions faites par ses concurrents, leur offrant ainsi la possibilité d'identifier une " zone de sécurité ", au sein de laquelle ils n'étaient plus isolés par rapport aux propositions tarifaires de leurs concurrents. Elle explique que les propositions tarifaires situées dans cette zone de sécurité étaient supérieures à celles qui auraient résulté d'une situation de concurrence non faussée, tout en étant cohérentes les unes par rapport aux autres, ce qui les légitimait aux yeux des distributeurs et facilitait de facto leur acceptation. Elle ajoute que, de façon plus rare, les échanges d'informations ont également permis aux participants d'adopter une position différente de celle de leurs concurrents, en toute connaissance de cause, et d'en tenir compte dans le déroulement de leurs propres négociations afin d'en tirer avantage (cote 40 503).

271. Enfin, l'Autorité a examiné l'impact des pratiques sur les prix de vente aux consommateurs. Sur ce point, elle a refusé de tenir compte des analyses économétriques réalisées par les services d'instruction et celles produites par les parties, au motif de la faible qualité des données disponibles dont elle a déduit l'absence de caractère probant des études en cause. Elle a aussi rejeté l'argument selon lequel le montant inférieur de rémunération de la coopération commerciale s'était nécessairement traduite par une baisse des tarifs qui avait, à son tour, nécessairement entraîné une baisse des prix, en observant que les éléments du dossier démontraient au contraire que les pratiques ont aussi porté sur les hausses de tarifs bruts avant leur envoi aux distributeurs, sans qu'il ne soit jamais question d'une quelconque modération tarifaire pouvant bénéficier aux consommateurs. Elle a, enfin, estimé que quel que soit le régime sous lequel on puisse se placer, avant ou après le 1er janvier 2006, le seuil de revente à perte constituait un prix plancher sans que la réforme de la définition de ce seuil conduise à une décorrélation entre le seuil de revente à perte et le prix facturé.

272. En conséquence de l'ensemble de ces éléments, l'Autorité de la concurrence a estimé que, compte tenu de la gravité des faits et de l'importance du dommage à l'économie dans les deux secteurs, elle retenait pour déterminer le montant de base de la sanction une proportion de la valeur des ventes de 15 %.

273. S'il est exact qu'au terme de l'examen détaillé ci-dessus, l'Autorité n'a pas expressément qualifié l'ampleur du dommage à l'économie, il ne peut pour autant être retenu qu'elle n'a pas mesuré cette ampleur ni permis à la cour d'exercer son contrôle, contrairement à ce que soutiennent certaines des parties.

274. En effet, indépendamment d'un qualificatif qu'elle aurait pu, au terme de son analyse, donner à l'ampleur du dommage à l'économie, la description des différents éléments qu'elle a retenu permettent, d'une part, aux parties de contester les termes de l'analyse à laquelle a procédé l'Autorité, ce à quoi elles se sont employées ainsi qu'il sera examiné ci-dessous, d'autre part, à la cour de mesurer si l'ampleur de ce dommage est cohérente avec la décision de retenir le taux de 15 % qu'elle a appliqué à la valeur des ventes. Ces moyens doivent en conséquence être rejetés.

ii/ Rejet des études économétriques

275. À ce sujet encore, la société L'Oréal soutient à tort que le rejet des études économétriques présentées par les parties revient à présumer le dommage. En effet, la recherche d'un montant ou d'une fourchette de montant de surprix lié à la mise en œuvre des pratiques en cause, peut constituer un élément, parmi d'autres permettant d'apprécier l'ampleur du dommage à l'économie. En l'espèce les éléments précédemment relevés sont à cet égard et compte tenu de ce qui sera dit ci-après au sujet des études économétriques (point 366 et s.), pertinents à fonder la détermination du taux de 15 %.

iii/ Absence de prise en compte des sanctions déjà infligées dans le secteur des lessives (décision n° 11-D-17) dans l'appréciation du dommage à l'économie (moyen redéveloppé par la société Reckitt Benckiser)

276. Aux points 1242 et suivants de sa décision, l'Autorité précise que, parmi les entreprises mises en cause, les sociétés Procter et Gamble, Unilever, Henkel et Colgate-Palmolive ont déjà été sanctionnées par elle à l'occasion de la décision n° 11-D-17 du 8 décembre 2011 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des lessives en France. Elle indique que cette précédente décision concerne des faits qui ont été qualifiés d'entente sur les prix, constitutive d'une infraction à l'article 101 du TFUE et à l'article L. 420-1 du Code de commerce. Elle ajoute que l'infraction sanctionnée par la décision n° 11-D-17, bien que distincte de l'entente dans le secteur de l'approvisionnement en produits d'entretien décrite dans la décision, s'est déroulée, pour partie, de façon parallèle, et a concerné, pour partie, les mêmes produits, à savoir les lessives universelles. Elle retient que compte tenu de la nature d'entente de prix, prenant en particulier la forme d'accords sur les hausses des prix de l'ensemble des produits, cette infraction doit être regardée comme intégrant complètement, pour la période et les entreprises concernées, l'entente de concertation sur les prix de la présente affaire pour ce qui concerne les lessives universelles.

277. Sans retenir le principe non bis in idem, dont l'inapplicabilité n'est pas contestée en l'espèce, mais afin d'écarter tout risque de double sanction, l'Autorité a décidé d'exclure de l'assiette de l'amende la valeur des ventes correspondant aux lessives universelles, pour la période au cours de laquelle les deux infractions ont eu lieu simultanément, pour les entreprises mises en cause dans la présente affaire et concernées par la décision n° 11-D-17. A ce titre, les sociétés Unilever, Henkel, Procter & Gamble et de Colgate Palmolive ont, respectivement, bénéficié d'une diminution de la valeur des ventes de, respectivement, 33 %, 25 %, 60 % et 4 %.

278. La société Reckitt Benkiser soutient que, par cette analyse, qui est dépourvue de fondement, l'Autorité a violé, à son préjudice, le principe d'égalité de traitement. Elle expose que dans la mesure où les pratiques étaient différentes de celles de l'espèce, le principe non bis in idem n'avait pas vocation à s'appliquer et que, si l'Autorité pouvait parfaitement choisir, de façon discrétionnaire, de réduire l'assiette de la sanction des entreprises concernées par les ventes de lessives, elle ne pouvait néanmoins le faire que dans le respect du principe de l'égalité de traitement pour toutes les entreprises commercialisant des lessives. Elle expose à ce titre que la distorsion de concurrence sur le marché des lessives découlant des pratiques sanctionnées par la décision n° 11-D-17 intègre, pour la période concernée, les pratiques sanctionnées par la décision attaquée mises en œuvre aussi bien pour les entreprises sanctionnées que pour les entreprises non sanctionnées en 2011.

279. Elle fait valoir qu'elle est traitée plus sévèrement que les quatre autres entreprises puisque, pour elle, qui n'a participé qu'à une infraction, la valeur des ventes de ses lessives est comptabilisée une fois dans le calcul de la sanction pécuniaire, tandis que, pour les quatre autres entreprises qui ont participé à deux infractions, dont une de nature beaucoup plus grave que celle retenue à l'encontre de la société Reckitt Benkiser, la valeur des ventes de leurs lessives pour la période en cause se trouve comptabilisée une seule fois dans le calcul d'une sanction pécuniaire.

280. Selon cette requérante, en la traitant de la même manière que ces quatre autres entreprises qui ont pris part à deux infractions distinctes, l'Autorité a violé le principe d'égalité de traitement alors qu'une telle violation n'est absolument pas justifiée dans la mesure où le principe non bis in idem n'est pas applicable à la situation des sociétés Henkel, Procter & Gamble, Unilever et Colgate Palmolive.

281. Ainsi que le rappelle la société Reckitt Benkiser, le principe d'égalité de traitement s'oppose à ce que des situations comparables soient traitées de manière différentes et à ce que des situations différentes soient traitées de manière semblable à moins qu'un tel traitement ne soit objectivement justifié (...) ".

282. En l'espèce, le traitement particulier dont ont bénéficié les sociétés Henkel, Procter & Gamble, Unilever et Colgate Palmolive est objectivement justifié par le fait qu'ainsi que l'a relevé l'Autorité, elles avaient, avant que soit prononcée la décision attaquée, été sanctionnées pour des pratiques qui incluaient les concertations sur les prix pour lesquelles elles ont été ensuite poursuivies dans le cadre de la présente affaire. Dans ce contexte, et bien que le principe non his in idem n'ait pas à s'appliquer, il eût été non conforme aux droits de ces parties qu'elles soient sanctionnées deux fois pour des faits identiques, dans le même secteur. C'est donc à juste titre que pour éviter cette double sanction, l'Autorité a écarté de l'assiette de la sanction concernant ces sociétés la valeur des ventes correspondant aux lessives universelles pour la période au cours de laquelle les deux infractions ont eu lieu simultanément et dont elle a précisé les périodes au point 1245 de sa décision.

283. La situation de la société Reckitt Benkiser qui n'a pas été sanctionnée avant la décision attaquée n'est donc pas comparable à celle de ces quatre sociétés déjà sanctionnées et qui n'ont pas été favorisées par rapport à elle, dès lors qu'elles sont sanctionnées dans la mesure de leur participation aux concertations de l'espèce, abstraction faite des sanctions qui leur ont déjà été infligées pour la partie comprenant les seules lessives universelles. Son moyen fondé sur la rupture de l'égalité de traitement doit en conséquence être écarté.

c. Sur l'ampleur des infractions

284. Selon les sociétés Vania et L'Oréal, la part de marché cumulée des entreprises en cause doit être relativisée, dans la mesure où des concurrents importants ne participaient pas aux pratiques et que toutes les entreprises n'ont pas participé à l'ensemble des pratiques constitutives de chacune des deux ententes uniques durant toute la durée de chacune d'entre elles. Elles exposent que dans sa décision n° 12-D-27, relative à des pratiques relevées dans le secteur de la billetterie de spectacle, l'Autorité aurait retenu une proportion de la valeur des ventes de seulement 12 %, alors que les parts de marché cumulées des parties concernées s'élevaient à plus de 50 %.

285. Cependant, aucun élément du dossier ne permet de remettre en cause les constatations pertinentes de l'Autorité selon lesquelles les pratiques en cause sont de grande ampleur, tant par leur dimension géographique étendue à l'ensemble du territoire national, que par la part de marché affectée. En effet, les fournisseurs concernés représentaient environ les deux tiers de l'offre sur le territoire français. En outre, la concertation a concerné la majorité des grandes enseignes de la grande distribution et a impacté toute la distribution, en raison du principe de non-discrimination appliqué, à l'époque des faits, dans les relations entre fournisseurs et distributeurs.

286. Par ailleurs, il n'est pas nécessaire, pour qu'une coordination produise des effets sur les prix, qu'elle regroupe la totalité des acteurs du marché, ainsi que le souligne l'Autorité dans ses observations. Il suffit que les principaux opérateurs y participent et que ceux extérieurs à l'entente ne puissent pas la contester. En l'espèce, les produits des entreprises extérieures à l'entente n'étaient pas des substituts suffisamment proches de ceux des membres de l'entente pour représenter une menace crédible (point 1345 de la décision) et les barrières à l'entrée étaient suffisamment élevées pour empêcher, pendant la période des pratiques, l'entrée de nouveaux concurrents (points 1324 à 1340).

287. Enfin, le pouvoir de négociation de la grande distribution doit être relativisé, comme il sera vu dans les développements ultérieurs (points 328 et s.).

d. Sur les caractéristiques économiques des secteurs en cause

288. L'appréciation du dommage à l'économie doit tenir compte, entre autres, des caractéristiques économiques du secteur concerné par les pratiques. En l'espèce, l'Autorité de la concurrence a retenu trois caractéristiques : l'existence de barrières à l'entrée du marché pour de nouveaux opérateurs, une faible élasticité de la demande aux prix, et le contre-pouvoir des distributeurs.

289. Les parties contestent l'analyse réalisée sur ces trois points.

i/ L'existence de barrières à l'entrée

290. Il convient de préciser que l'existence de barrières à l'entrée plus ou moins fortes influence l'importance du dommage à l'économie en ce que, plus ces barrières sont élevées ou fortes, plus il est difficile à des concurrents des parties à l'entente d'entrer sur le marché pour offrir des produits, dont les prix fixés de manière indépendante, seront moins élevés que ceux résultant des concertations. A ce titre, les barrières à l'entrée n'ont pas besoin d'être " insurmontables ", comme l'écrit la société JJSBF, il suffit qu'elles existent pour que les pratiques ne puissent être contrecarrées par le jeu de la concurrence.

291. Plusieurs requérantes contestent le constat de l'Autorité selon lequel les secteurs des produits d'hygiène et des produits d'entretien se caractérisent par l'existence de fortes barrières à l'entrée, liées à l'importance des innovations de produits résultant d'investissements en recherche et développement, à des dépenses publicitaires et de marketing élevées, à la rareté des linéaires et, pour les produits d'entretien, aux normes de sécurité encadrant la production. Ces barrières sont de nature à amplifier les effets dommageables des pratiques (points 1324 à 1340 de la décision).

292. La société L'Oréal reproche à l'Autorité de ne présenter aucun élément chiffré attestant des investissements nécessaires pour entrer sur les marchés des deux secteurs en cause et de ne pas avoir tenu compte de l'entrée de nouveaux producteurs sur les marchés concernés dans les années récentes. La société JJSBF soutient que le secteur de l'hygiène serait dépourvu de barrières technologiques et réglementaires à l'entrée, les produits y étant facilement imités, de même que les brevets et les formules non brevetables y sont facilement " contournables " et reproductibles. Enfin, les sociétés Henkel, L'Oréal, JJSBF et Reckitt Benckiser exposent que la concurrence des marques de distributeur, dont le taux de pénétration dans les linéaires aurait augmenté sur la période concernée pour s'établir, selon la société L'Oréal, au même taux de croissance que celui des autres produits de grande consommation, atteste de l'absence de barrière à l'entrée. Pour la société JJSBF, le fort développement des Marques de distributeur serait également de nature à limiter le dommage à l'économie, dès lors que ces produits représentaient pour les distributeurs une source d'approvisionnement alternative aux produits de marque nationale.

293. Il ressort des éléments relevés dans la décision, notamment, aux points 105 et suivants, ainsi que 1324 et suivants, que c'est à juste titre que l'Autorité a considéré que les secteurs en cause étaient caractérisés par de fortes barrières à l'entrée. En effet, plusieurs pièces du dossier permettent de constater que les produits commercialisés sur ces deux secteurs nécessitent d'importants investissements tant en matière de recherche et d'innovation que de publicité. Ainsi, par exemple, les responsables de la société Unilever, dans une réponse à une demande d'informations des rapporteurs (cote 31111), ont indiqué que, pour le secteur des produits d'entretien, "la possession de brevets est un véritable atout ", qu'il s'agit d'un domaine " dans lequel l'investissement est clé ", ce qui nécessite de forts investissements en termes de recherche et de développement. Ils ont, en outre, précisé, dans le même document, que la publicité était " une clé d'accès au marché " et reconnu que, pour cette entreprise, comme pour toutes les autres du secteur, le montant investi était élevé. Par ailleurs, dans une audition du 1er avril 2011 (cote 30663), les représentants de la société Beiersdorf ont confirmé que les investissements de recherche et développement sont un élément fondamental du secteur des produits d'hygiène et que dans ce domaine, " Le consommateur est friand d'innovation " laquelle est, de plus, un " élément rassurant pour le client ". Contrairement à ce que soutient la société L'Oréal, l'importance des dépenses marketing et publicitaires, confirmée par la société Unilever, dans le document mentionné ci-dessus, est étayée dans la décision par des éléments chiffrés qui précisent qu'elles représentaient, en 2005, 19 % des ventes totales pour l'ensemble du secteur de l'hygiène et même " 26 % dans le cas particulier de Beiersdorf". À ces données, l'Autorité ajoute celles d'une étude de mars 2005 du service des études et statistiques industrielles du ministère de l'Économie constatant que les secteurs " Savons, détergents et produits d'entretien ", d'une part, " Parfums et produits pour la toilette " d'autre part, " étaient à l'époque des pratiques les deux secteurs consacrant la plus grande part de leur chiffre d'affaires à la publicité ". L'ensemble de ces éléments permet de considérer que les barrières à l'entrée sont importantes sans qu'il soit nécessaire à ce stade de disposer de davantage de données chiffrées.

294. Par ailleurs, la circonstance invoquée par la société JJSBF, selon laquelle les brevets d'invention seraient facilement " contournables ", n'est pas de nature à remettre en cause le constat de l'importance des barrières à l'entrée. La cour observe qu'à ce titre la société requérante cite un extrait d'audition, sans aucune précision sur l'auteur des propos tenus ni sur le secteur concerné par la réponse, et qui ne saurait, dans ces conditions, être retenu à titre de considération générale. De plus, le fait que certains produits puissent être imités ne contredit pas qu'ils nécessitent des investissements de recherche et de développement incontournables pour les produits d'hygiène, parce qu'ils sont en contact avec la peau et, pour les produits d'entretien, parce qu'ils sont de nature polluante, ainsi qu'il résulte des pièces du dossier.

295. S'agissant de l'entrée de marques nouvelles sur les marchés concernés, force est de constater qu'elles ne sont pas de nature à renverser l'analyse de l'Autorité. Les marques John Frieda et Yours, citées, notamment, par la société L'Oréal dans ses observations, n'ont en effet pu croître au-delà d'une "niche de marché" restreinte, les shampoings John Frieda et le maquillage Yours s'étant respectivement stabilisés à une part de marché de 1,1 % en 2005 et de 2,5 % en 2003, ainsi que l'attestent les chiffres produits par cette dernière. De même, la marque la Prairie est ciblée comme étant un produit sophistiqué et rare (Cote 30661).

296. En outre, la décision constate que " le taux de pénétration des MDD sur le marché de l'hygiène et de l'entretien reste particulièrement limité " et "qu'au cours de la période concernée par les pratiques, il a connu une croissance moindre par rapport aux autres catégories de grande consommation " (point 1333). Cette faible croissance des marques de distributeurs, confirmant la présence d'obstacles à leur développement, notamment, l'importance pour les consommateurs de l'image de marque ou de l'innovation, atteste qu'en cas de hausse des prix des marques nationales, les marques de distributeurs n'auraient pu, contrairement à ce qu'affirme la société JJSBF, constituer une alternative aux produits de marques nationales, ou qu'elles ne l'auraient été que pour une part limitée des consommateurs. À cet égard, la cour observe que les développements de la société JJSBF sur la croissance des marques de distributeur, au demeurant restreinte à 3,2 points en sept ans, est limitée aux gels douches, qui ne sauraient être représentatifs de l'ensemble des produits d'hygiène ou d'entretien vendus sous marque de distributeur.

297. Il en résulte que l'existence de barrières à l'entrée fortes sur les deux secteurs concernés doit être confirmée et que les moyens des requérantes sur ce point doivent être rejetés.

ii/ L'élasticité de la demande aux prix

298. La décision attaquée relève que la demande de produits d'hygiène et d'entretien est faiblement élastique au prix (points 1341 à 1349) ce qui est de nature à accroître le dommage à l'économie causé par les pratiques.

299. Elle fonde cette conclusion sur les trois indices suivants :

- les produits d'hygiène et d'entretien sont des produits de consommation courante, ce qui rend les consommateurs relativement captifs ;

- le poids des marques, de l'innovation et du marketing joue un rôle central dans le choix des consommateurs ;

- plusieurs attestations de salariés des entreprises qui ne contestent pas les griefs attestent cette caractéristique.

300. Elle ajoute qu'à supposer que les données utilisées par la société Henkel soient suffisamment précises et qu'elles soient dépourvues de biais, les estimations économétriques produites par la société Henkel à partir de données de l'institut Kantar confirment la faible élasticité de la demande aux prix.

301. Il convient de rappeler sur cette question que plus la sensibilité des consommateurs aux prix est faible, plus le dommage à l'économie causé par une pratique anticoncurrentielle peut être qualifié d'important, puisque les participants peuvent augmenter leurs prix sans voir les clients se détourner de leurs produits.

302. Les sociétés JJSBE et L'Oréal soutiennent que l'élasticité-prix devait être examinée sur le marché amont de la distribution plutôt que seulement sur le marché aval de la consommation. Ces requérantes font valoir que la pression concurrentielle exercée par les entreprises ne participant pas aux pratiques, et qui représentent environ 30 % de parts de marché, permettait aux distributeurs de déréférencer les fournisseurs en cas de hausse de prix, ce qui démontre, selon elles, que la demande des distributeurs avait une grande élasticité-prix. Elles indiquent que cette forte sensibilité aux prix empêchait leurs hausses sur le marché aval.

303. L'Autorité explique que les marques de distributeurs, principaux concurrents des mises en cause, ne parvenaient pas à offrir une véritable alternative aux produits visés. Elle rappelle, par ailleurs, que, dans le contexte de la loi Galland, c'était l'élasticité-prix de la demande des consommateurs qui déterminait celle des distributeurs et non l'inverse.

304. Le moyen invoqué par les sociétés L'Oréal et JJSBP repose sur le postulat que la sensibilité aux prix des consommateurs dépend de celle des distributeurs. Or ainsi que le soutient l'Autorité dans ses observations, sous le régime de la loi Galland, les fournisseurs étaient en mesure de fixer les prix de détail, ou du moins, au vu des marges avant très faibles des distributeurs, de les influencer très significativement. Dans ces circonstances c'est donc le comportement du consommateur qui révèle l'élasticité de la demande aux prix et non celui des distributeurs, dont l'influence était minime, et c'est donc à juste titre que l'Autorité a étudié l'élasticité-prix de la demande des consommateurs et non celle des distributeurs.

305. De plus, l'Autorité démontre, par le faible taux de pénétration des marques de distributeurs, représentant environ 17,7 % des parts de marché dans le secteur de l'entretien et 7,9 % dans le secteur de l'hygiène en 2004, que celles-ci ne concurrençaient pas efficacement les marques mises en cause qui détenaient environ 70 % des parts de marché. Il s'en déduit que les distributeurs ne pouvaient, sauf de façon marginale et ponctuelle, que maintenir la place des marques nationales dans leurs linéaires.

306. Par ailleurs, la société L'Oréal conteste la conclusion de l'Autorité au terme de son analyse qualitative de l'élasticité aux prix de la demande, selon laquelle celle-ci serait faible.

307. Elle admet que les marques jouent bien un rôle central dans les choix des consommateurs, mais soutient qu'il ne s'en déduit pas pour autant une possibilité pour les fournisseurs participant à l'entente d'augmenter leurs prix sans perte substantielle de leur clientèle. A propos de la qualification de " produit de consommation courante ", elle oppose qu'il existe une hétérogénéité des produits, lesquels ne sont pas tous indispensables, et estime que plus de 50 % des produits retenus par l'Autorité ne le sont pas. Elle soutient que l'Autorité aurait donc dû étudier distinctement les élasticités-prix des produits, selon qu'ils sont ou non indispensables. La société L'Oréal remet aussi en cause l'analyse de l'Autorité au motif qu'elle s'appuie sur des déclarations vagues et retient les données de l'institut Kantar, au sujet desquelles elle indique dans la suite de son analyse qu'elles ne sont pas fiables. De manière générale, la société L'Oréal conteste la pertinence de l'estimation de l'élasticité-prix de la demande, puisque les entreprises mises en cause ne représentent que 70 % des parts de marché. Selon elle, " il est vain de s'interroger sur l'élasticité prix de la demande car ce n'est pas elle qui peut nous renseigner sur la question de savoir si les entreprises qui participent à la concertation ont la possibilité d'augmenter leurs prix au détriment des consommateurs. Ce qu'il faut savoir c'est si les clients de ces entreprises se reporteront dans une proportion importante sur les autres fournisseurs ", lesquels sont ceux qui ne participaient pas aux concertations.

308. Selon l'Autorité, il ne saurait être contesté que les produits d'hygiène sont pour l'essentiel des produits indispensables pour les consommateurs. Elle précise qu'elle ne s'est référée aux données Kantar, que dans la mesure où elle a répondu à un calcul proposé par la société Henkel que la décision n'a retenu qu'à titre d'illustration.

309. Les critiques de la société L'Oréal ne sont pas fondées. En effet, ainsi qu'il a été relevé précédemment, les pratiques portant sur un grand nombre de produits d'hygiène, lesquels sont des produits de consommation courante représentant un poste de dépense important pour les ménages, c'est à juste titre qu'au stade de l'examen de la sensibilité de la demande aux prix, l'Autorité a adopté une appréciation globale de tous ces produits comme étant indispensables. En tout état de cause, quand bien même ne le seraient-ils pas tous, la faiblesse de l'élasticité de la demande aux prix est confortée par l'importance des dépenses d'investissements en recherche et développement, marketing et publicité. En effet, de telles dépenses ne seraient pas engagées si le fournisseur n'était pas convaincu que le consommateur est davantage sensible à l'attrait du produit en cause plutôt qu'à son prix. De plus, les déclarations de deux salariés des sociétés Vania Expansion, pour l'hygiène, et Colgate Palmolive, pour l'entretien, retranscrites au point 1346 de la décision, démontrent avec précision leur certitude que la concurrence entre ces produits se réalise davantage sur la force des marques que sur le prix.

310. En outre, les données Kantar auxquelles se réfère l'Autorité ne sont invoquées au point 1347 de la décision que pour répondre à un moyen développé par la société Henkel fondé sur ces estimations et l'Autorité émet, préalablement, au sujet de ces données, plusieurs réserves, clairement énoncées, quant à leur crédibilité. Il ne ressort donc de cette référence aucune contradiction interne de la part de l'Autorité.

311. Enfin, il importe peu de savoir sur quel fournisseur est susceptible de se reporter la demande dès lors qu'ainsi qu'il a été démontré, la demande est peu sensible aux prix.

312. Les sociétés Henkel et Unilever soutiennent que l'Autorité aurait dû comparer l'élasticité-prix de la demande de produits d'hygiène et d'entretien avec celle des produits de grande consommation, ce qui l'aurait conduite à relativiser l'estimation du dommage à l'économie. En particulier, la société Unilever oppose que puisque l'Autorité retient la comparaison des taux de pénétration des Marques de distributeur dans la détermination du contre-pouvoir des distributeurs, elle aurait dû examiner l'élasticité-prix de la demande en tenant compte du report de la demande vers les Marques de distributeur. Pour la société Henkel, la variation de la demande en période de baisse de la consommation comme les années 2004 et 2005 démontre que les produits d'hygiène et d'entretien sont les premiers sur lesquels la demande se contracte. Elle ajoute, par ailleurs, que, de façon générale, la dynamique promotionnelle atteste de la sensibilité des consommateurs aux prix.

313. L'Autorité de la concurrence oppose que la comparaison des produits d'hygiène et d'entretien avec les produits de grande consommation ne permettrait pas de tirer de conclusions quant à l'élasticité-prix des produits d'hygiène et d'entretien. Selon elle, les promotions ne seraient pas caractéristiques d'une forte élasticité-prix, car il faudrait également déterminer les quantités supplémentaires vendues à l'occasion de ces promotions.

314. Les moyens des parties relatifs à la mise en comparaison de l'élasticité de la demande de produits d'hygiène et d'entretien avec celle des produits de grande consommation sont inopérants. Ils reposent, en effet, sur l'hypothèse que le dommage causé à l'économie par les pratiques pourrait être relativisé s'il s'avérait que la demande d'autres produits de grande consommation était plus " inélastique " que celle des produits d'hygiène et d'entretien. Or l'élasticité-prix de la demande a pour objet de mesurer la sensibilité des consommateurs à la variation des prix des produits étudiés qui montre la limite à laquelle le consommateur décide, en cas de hausse du prix d'un produit, de cesser de l'acheter ou le cas échéant de se tourner vers un produit substituable. Il est dans ces conditions sans intérêt d'examiner l'influence sur la demande des variations de prix d'autres produits. De même le fait qu'en cas de baisse de la consommation des ménages, la demande de produits d'hygiène et d'entretien soit la première à diminuer n'apporte pas d'élément utile à la caractérisation de l'ampleur du dommage à l'économie en l'espèce.

315. Concernant les promotions, s'il est exact qu'elles permettent d'attirer des consommateurs sensibles aux prix, notamment de nouveaux consommateurs, il ne s'en déduit pas pour autant que la demande de l'ensemble des consommateurs est élastique. Par ailleurs, si, aux périodes de promotion l'attraction de nouveaux clients et l'augmentation de la demande de ceux qui le sont déjà correspondent à un accroissement des volumes vendus, il ne s'en déduit nullement que l'ensemble des clients serait sensible à une variation des prix en période hors promotion. Enfin, dans le cas où une élasticité-prix plus forte serait démontrée en période de promotion, il ne serait pas pertinent de la prendre seule en considération pour estimer l'élasticité-prix de la demande générale, celle-ci devant être étudiée de manière globale, période de promotion comprise.

316. Les sociétés Henkel et L'Oréal soutiennent encore que l'élasticité-prix de la demande aurait dû être analysée par gamme de produits, ainsi que cela avait été fait dans la décision n° 11-D-17, précitée. La société L'Oréal, fait valoir en particulier que la réponse de l'Autorité sur ce point n'est pas motivée et qu'une analyse plus approfondie aurait tempéré l'importance du dommage à l'économie. Elle ajoute que la distinction aurait également dû tenir compte de l'hétérogénéité de la nature des produits (maquillage, coloration capillaire, etc.).

317. La cour relève que la décision n° 11-D-17, citée par les sociétés L'Oréal et Henkel, portait sur des pratiques qui avaient pour but de " préserver des écarts de prix de vente entre les différents segments des lessives standards (haut, milieu et bas de gamme) ". Compte tenu de la nature des pratiques, il était important de déterminer les différences d'élasticité-prix entre les gammes et de les confronter aux volumes touchés par les pratiques. C'est ainsi que l'Autorité a déterminé que les lessives haut de gamme qui représentaient environ 40 % des ventes avaient une faible élasticité-prix et les lessives standard, qui en représentaient 60 %, avaient une forte élasticité-prix. Ce constat était " de nature à tempérer l'importance du dommage causé à l'économie " puisque la gamme la plus achetée était sensible au prix, et que les pratiques avaient essentiellement touché la haute gamine qui ne représentait que 40 % (point 625). En l'espèce, les pratiques n'ont pas été segmentées par gamme et, par conséquent, il n'est pas pertinent d'étudier les élasticités-prix des gammes de produits.

318. Par ailleurs, s'il est avéré, comme l'indique la société L'Oréal, que certains des échanges ont porté sur des produits spécifiques à l'intérieur d'une catégorie, la plupart des échanges portait sur des données agrégées, ce que soulignent plusieurs parties dans leurs conclusions. Dans ces circonstances, il était sans effet d'analyser l'élasticité-prix par produit ou par gamme de produits.

319. Il se déduit de l'ensemble de ce qui précède que c'est par une motivation pertinente que la cour adopte pour le surplus, que l'Autorité a considéré que la demande des produits concernés par les pratiques est faiblement élastique aux prix et que les moyens des requérantes sur ce point doivent être rejetés.

iii/ Le contrepouvoir des distributeurs

320. Selon les sociétés Henkel, Reckitt Benckiser, Johnson, Vania, L'Oréal et Lascad, Unilever, Beiersdorf, Colgate et Colgate en qualité de successeur juridique de la société SLHBC, le contre-pouvoir des distributeurs constituerait un facteur nécessairement minorant du dommage à l'économie causé par les pratiques, dont l'Autorité aurait méconnu la portée.

321. Celui-ci se manifesterait par le poids significatif de chaque enseigne dans le chiffre d'affaires des fournisseurs à l'époque des faits, par le niveau des marges arrière du secteur, le faible taux de pénétration des marques de distributeur, l'opposition des distributeurs aux réformes, leurs pratiques de déréférencement, et, enfin, leur captation de la rente éventuelle tirée de l'infraction.

322. Selon les sociétés Henkel et Reckitt Benckiser, le chiffre d'affaires réalisé par les fournisseurs avec chaque distributeur constitue un indice particulièrement probant, contrairement à ce qu'a estimé l'Autorité au point 1353 de la décision attaquée, ainsi qu'il ressortirait de la décision de la Commission du 15 juillet 2005 déclarant la compatibilité avec le marché commun d'une concentration sur la base du règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil (Affaire COMP/M.3732 - Procter & Gamble/Gillette) JOUE 2008, C 265, p. 6, point 125). Or, la société Reckitt Benckiser représentait à l'époque moins de 1 % du chiffre d'affaires de chaque distributeur alors que les grands distributeurs représentaient en cumulé plus de 98 % de ses ventes.

323. En outre, le niveau des marges arrière consenties aux distributeurs dans le secteur de l'hygiène et de l'entretien est plus élevé que le niveau moyen des marges arrière consenties sur les produits de grande consommation, ce qui démontrerait que le pouvoir de marché des distributeurs y est plus important.

324. Selon la société Reckitt Benckiser, la pénétration plus faible des marques de distributeurs, dans les secteurs en cause par rapport à d'autres produits de grande consommation, témoignerait du pouvoir de marché de la grande distribution.

325. La société JJSBF soutient également que la décision a minimisé le fait que le comportement de la grande distribution explique l'échec des réformes successives. Dans un contexte marqué par la " surpuissance " d'achat de la grande distribution, les échanges d'informations sur les taux de coopération commerciale et le niveau des dérives n'ont pas permis aux fournisseurs d'augmenter leur pouvoir de marché et d'enrayer les demandes croissantes de marges arrière des enseignes de la grande distribution. Enfin, les distributeurs se sont opposés à la mise en œuvre de l'engagement du 17 juin 2004 en refusant le partage égal de la charge financière de la baisse de 2 % exigée par cet engagement. Selon la société Unilever, les distributeurs se sont aussi refusés à appliquer réellement la circulaire Dutreil.

326. Selon les sociétés Vania, Henkel, L'Oréal et Lascad, Colgate et Colgate en qualité de successeur juridique de la société SLHBC, Unilever et ReckittBenekiser, la décision a relativisé l'impact des menaces de déréférencements, qui concernent aussi des marques nationales à forte notoriété, comme l'instruction aurait permis de le constater. La société Colgate souligne que les sociétés Unilever et Reckitt Benckiser ont fait l'objet d'un déréférencement après avoir refusé de céder aux pressions de certaines enseignes de la grande distribution qui souhaitaient unilatéralement leur imposer leur conception de l'engagement du 17 juin 2004 (cotes 31 038 ; 18 804 ; 40 259 ; 40 272).

327. Cette puissance des distributeurs serait en outre démontrée, selon la société Beiersdorf, par leur captation de la rente éventuelle des pratiques. Elle fait observer que sur la période de 2002-2008, si les prix nets (de revente au consommateur) ont effectivement augmenté, la marge arrière a elle aussi augmenté pour compenser cette hausse, si bien que ses prix " triple net" sont finalement restés stables sur la période, voire ont diminué lorsqu'on les corrige de l'inflation générale, ce que la décision omet d'indiquer. La société Colgate Palmolive expose que, de 2003 à 2006, ses prix " triple net " auprès des grandes enseignes de la distribution sont demeurés stables alors que la marge arrière n'a fait qu'augmenter, illustrant ainsi le pouvoir de négociation de la grande distribution au cours de la période infractionnelle. Enfin, les prix " triple net" de la société Reckitt Benckiser auraient perdu 2 % par an pendant la période infractionnelle pendant que les marges arrière des distributeurs progressaient de 8 % la première année, puis restaient stables les années suivantes. Cette évolution croisée des prix et des marges démontrerait, selon les requérantes, que les distributeurs exerçaient un pouvoir de marché leur permettant d'extraire une partie toujours plus importante de la chaîne de valeur. La stabilité des prix " trois fois net" des sociétés L'Oréal et Lascad sur la période attesterait la capacité des distributeurs à exercer une solide pression concurrentielle sur les fournisseurs, la hausse des prix facturés ayant été absorbée par l'évolution des marges arrière.

328. Sur ces différents points la cour retient cependant que l'Autorité, loin d'avoir méconnu le contre-pouvoir des distributeurs, a tenu compte du pouvoir de négociation exercé par les enseignes de la grande distribution sur les fournisseurs, ainsi que du fait que sur un marché de l'approvisionnement oligopolistique, l'accès au linéaire de la grande distribution constitue une ressource rare (point 1351). Elle a souligné que ce pouvoir se manifestait dans les cas les plus extrêmes par des menaces de déréférencement de produits ou des déréférencements effectifs.

329. C'est également par des appréciations pertinentes que l'Autorité a ensuite relativisé ce contre-pouvoir, en soulignant le pouvoir de marché dont disposaient les fournisseurs dans les secteurs concernés.

330. L'argumentation soutenue par les parties n'est pas de nature à remettre en cause les appréciations de l'Autorité selon lesquelles l'importance réelle d'un fournisseur pour une enseigne ne correspond pas à la part qu'il représente dans le chiffre d'affaire total de l'enseigne, mais à sa part dans l'activité d'un rayon déterminé. A ce sujet, l'Autorité relève pertinemment que les négociations des accords commerciaux ont lieu entre les fournisseurs et des responsables des achats, au sein des enseignes de la grande distribution, qui n'interviennent que dans un secteur précis. En effet, les distributeurs doivent maintenir un assortiment minimum répondant aux attentes des consommateurs pour chaque catégorie de produits. Cependant, compte tenu de la concentration du marché de l'approvisionnement, chaque fournisseur représente une part significative du chiffre d'affaires de la catégorie de produits concernés et vend des marques notoires, limitant la facilité avec laquelle les distributeurs peuvent déréférencer ses produits. Les références à la décision de la Commission du 15 juillet 2005 (COMP/M.3732) ou à l'avis du Conseil de la concurrence n° 04-A-18 du 18 octobre 2004 relatif à une demande d'avis présentée par l'Union Fédérale des Consommateurs (UFC-Que Choisir) relative aux conditions de la concurrence dans le secteur de la grande distribution non spécialisée ne sont pas de nature à modifier cette appréciation. En effet, l'avis n° 04-A-18 ne concluait pas à l'absence de pouvoir de négociation des fournisseurs et la décision du 15 juillet 2005 relativise le pouvoir de la grande distribution lorsque les fabricants disposent de marques à forte notoriété ce qui est le cas pour les entreprises sanctionnées en l'espèce.

331. En outre, après avoir rappelé que les participants aux pratiques poursuivies représentaient à l'époque environ deux tiers des secteurs de l'hygiène et de l'entretien, l'Autorité démontre que ceux-ci disposaient de marques nationales à forte notoriété, énumérées au point 1358 de la décision, souvent incontournables, rendant peu probable toute menace de déréférencement de celles-ci ou de sortie effective des linéaires. Les exemples de déréférencement invoqués par les requérantes sont peu circonstanciés et informatifs sur ce point et ne sont pas de nature à remettre en cause les constatations de l'Autorité. En toute hypothèse, les déréférencements évoqués par les sociétés Beiersdorf et L'Oréal ne portent que sur un segment de produits et non sur toute la gamme de ces fournisseurs. En conclusion, les déréférencements ne peuvent qu'être rares, le risque de perte de consommateurs, fidélisés à une marque donnée, n'étant pas négligeable pour les distributeurs.

332. L'Autorité a, par ailleurs, démontré, à partir de données obtenues auprès de l'ILEC, reprises au point 135 de sa décision, que le taux de pénétration des marques de distributeur s'avérait relativement faible, tant pour le secteur de l'hygiène que pour le secteur de l'entretien, en comparaison des autres produits de grande consommation. Les contraintes concurrentielles pouvant provenir de l'introduction de produits de marques de distributeur étaient donc en l'espèce limitées, ainsi qu'il a été précédemment relevé.

333. S'agissant de l'importance des marges arrière qui serait plus élevée dans les secteurs incriminés, l'Autorité souligne à juste titre dans ses observations que le niveau de celles-ci ne peut être à lui seul révélateur du pouvoir de négociation respectif des fournisseurs et des distributeurs dans le cadre de la loi Galland. En effet, des tarifs élevés peuvent ainsi justifier des niveaux de marge arrière accrus, quel que soit le pouvoir de négociation respectif des fournisseurs et des distributeurs. A l'époque de l'application de cette loi, il a en effet été constaté l'existence d'un équilibre tacite entre producteurs et distributeurs, dans lequel la hausse des marges arrière était systématiquement accompagnée d'une hausse concomitante des tarifs bruts des fournisseurs, ainsi que le rappelle le point 1362 de la décision.

334. Enfin, la circonstance que les distributeurs aient pu capter une partie de la rente découlant des pratiques incriminées sous forme de marges arrière plus élevées, ne saurait affecter la mesure du dommage à l'économie. En effet, ce dommage résulte aussi et surtout des prix supra-concurrentiels facturés aux consommateurs. Or, les prix de vente aux consommateurs étaient largement déterminés, dans le cadre réglementaire de l'époque, par les tarifs consentis par les fournisseurs aux distributeurs, ces tarifs constituant le seuil de revente à perte jusqu'au 1er janvier 2006.

335. Sur ce point, la société Bolton Solitaire expose qu'elle représentait 1,2 % du marché et prétend ne commercialiser aucune marque incontournable. Elle soutient qu'une menace de déréférencement étant susceptible de mettre en péril la pérennité de l'entreprise, et que ne jouissant que de marges de négociation extrêmement limitées, voire inexistantes, elle ne pouvait bénéficier des échanges d'informations en cause. Elle en veut pour preuve la période 2004-2006 qui correspond à une période où elle a dû concéder plus d'avantages aux distributeurs qu'à d'autres périodes.

336. Cependant la qualité de PME de cette société ne peut constituer un élément d'atténuation du dommage causé à l'économie, qui s'apprécie de façon globale pour l'infraction en cause, c'est-à-dire au regard de l'action cumulée de tous les participants à la pratique sans qu'il soit besoin d'identifier la part imputable à chaque entreprise prise séparément. Ces arguments ne peuvent être examinés qu'au stade de l'individualisation des sanctions

e. Sur les conséquences conjoncturelles des pratiques

i/ Les conséquences du passage d'un équilibre tacite à une collusion explicite

337. Selon les sociétés JJSBP, Reckitt, L'Oréal et Vania, l'Autorité aurait dû, pour évaluer les effets de la pratique, tenir compte de la situation contrefactuelle résultant d'un équilibre collusif tacite de prix de monopole, naturellement généré par la loi Galland. En l'absence d'échange d'informations, la situation qui aurait été observée aurait été identique à celle observable à l'époque des pratiques, à savoir que les prix pratiqués et les montants de coopération commerciale reversée aux distributeurs auraient été identiques, fournisseurs et distributeurs n'étant pas incités à dévier d'un prix de monopole. La société Unilever expose que l'Autorité n'aurait pas démontré que le passage d'un équilibre de collusion tacite créé par la loi Galland à un équilibre de collusion explicite associé aux échanges d'informations aurait eu un impact à la hausse sur les niveaux de prix. Or, ces éléments seraient, selon les requérantes, de nature à atténuer la gravité et le dommage à l'économie des pratiques.

338. L'Autorité s'oppose, dans ses observations en réponse, à ce que les entreprises entrées en voie de non-contestation des griefs présentent des moyens relatifs à l'existence d'effets anticoncurrentiels. Sur ce point, il convient cependant de rappeler que si ces entreprises n'ont pas la possibilité d'apporter des éléments destinés à démontrer que les griefs ne sont pas constitués, il leur est néanmoins loisible de présenter à la cour des éléments tendant à démontrer que les griefs, dont elles ne contestent pas la réalité, n'ont pas de caractère de gravité et n'ont pas causé de dommage à l'économie. Les moyens développés à ce titre sont donc recevables.

339. Si les parties ne nient pas qu'un équilibre tacite entre fournisseurs et distributeurs soit né de la loi Galland, elles contestent que les pratiques incriminées aient pu modifier cet équilibre tacite.

340. Mais ainsi que le relève l'Autorité, d'une part, un équilibre collusif tacite ne correspond pas nécessairement à un équilibre de monopole, d'autre part, les réformes successives engagées par les pouvoirs publics à partir de 2003 avaient pour objectif de recréer des conditions plus propices à une dynamique plus concurrentielle, en générant une incertitude sur les marchés concernés, enfin, les échanges d'informations incriminés avaient pour objet de s'opposer à ces réformes. En conséquence la situation contrefactuelle à prendre en considération pour mesurer le dommage à l'économie est celle résultant de l'application des réformes et non celle résultant de l'équilibre tacite antérieur, ainsi que l'a justement retenu l'Autorité.

341. Il est en effet démontré, en premier lieu, par l'analyse économique, et, notamment, par les articles cités par l'Autorité en note de bas de page n° 16 de sa décision, qu'un équilibre collusif tacite similaire à celui du contexte de l'espèce, bien que supra-concurrentiel, ne correspond pas nécessairement à un équilibre de monopole, ce dernier ne pouvant être atteint que si les distributeurs n'avaient aucun pouvoir de négociation empêchant les fournisseurs de maximiser leur profit, ce qui n'était pas le cas en l'espèce. L'analyse économique confirme donc l'intérêt, pour les fournisseurs, du passage d'une collusion tacite à une coordination explicite et ses effets potentiels sur les prix de détail. Cette conclusion n'est pas sérieusement remise en cause par l'étude économique versée aux débats par la société Reckitt Benckiser.

342. En deuxième lieu, les réformes successivement engagées par les pouvoirs publics avaient pour objectif de réintroduire de la concurrence sur le marché en générant une incertitude sur le marché concerné (cf points 197 à 221 de la décision) et les parties n'auraient eu aucune incitation à se coordonner sur leur hausse tarifaire ainsi que sur leur niveau de dérive si les initiatives des pouvoirs publics n'avaient eu aucun effet sur l'équilibre tacite issu de la loi Galland.

343. En troisième lieu, l'Autorité a démontré dans sa décision que les pratiques en cause consistant en des échanges sur les principaux éléments du prix entre la quasi-totalité des fournisseurs de grandes marques nationales et concernant tous les distributeurs ne pouvaient qu'avoir un effet significatif sur le processus de négociation avec les distributeurs en faveur des fournisseurs, notamment, en permettant la levée de l'asymétrie d'information entre distributeurs et fournisseurs et de l'incertitude inhérente au processus de négociation sur les secteurs en cause.

344. Les pratiques ont donc eu pour objet de maintenir l'équilibre collusif en dépit des changements voulus par les pouvoirs publics et donc de faire échouer les réformes mises en œuvre par ceux-ci. L'accroissement de la concurrence que permettait la circulaire Dutreil a été mis en échec par les pratiques en cause. De même, s'agissant de l'engagement du 17 juin 2004, les différentes parties ont coordonné la mise en œuvre de cet engagement dans le sens qui leur était le plus favorable. En outre, s'agissant de la loi Dutreil, les entreprises se sont coordonnées pour passer de fortes hausses de tarifs.

345. Enfin, l'Autorité démontre, sans être sérieusement démentie par les parties, qu'une coordination fondée sur des échanges d'informations conduit, en règle générale, à un équilibre plus profitable pour ses auteurs qu'une coordination tacite et que les pratiques de concertation ont, en l'espèce, favorisé la formulation, par les fournisseurs, d'offres tarifaires d'un niveau supérieur à celles qui auraient résulté du libre jeu de la concurrence. En effet, si dans une situation d'incertitude stratégique quant aux choix que feront ses concurrents, le fournisseur n'est pas incité à pratiquer des offres supra-concurrentielles car il prendrait alors le risque d'être concurrencé par des offres plus basses de ses concurrents, dans une situation d'échanges d'informations, il est incité à s'entendre sur des offres tarifaires d'un niveau supra-concurrentiel (point 1391 de la décision).

346. Sur l'ampleur des gains apportés par une collusion explicite plutôt que tacite, la société L'Oréal conteste en vain la position de l'Autorité, selon laquelle la collusion explicite aurait permis une augmentation du niveau des prix au-dessus de leur niveau de collusion tacite, les arguments avancés par celle-ci n'étant pas pertinents. Il n'est en effet pas nécessaire, pour qu'une coordination produise des effets sur le prix, qu'elle regroupe la totalité des acteurs du marché, comme il a déjà été souligné plus haut. Contrairement à ce que soutient la société Reckitt Benckiser, si une coordination explicite ne produit pas toujours les effets escomptés, l'Autorité a suffisamment démontré qu'au cas d'espèce, les caractéristiques des échanges permettaient à leurs participants de se coordonner et de surveiller le bon fonctionnement de la coordination, sans encourir le risque de déstabilisation externe, compte tenu des barrières à l'entrée. Enfin, les conclusions que tire la société Reckitt Benckiser des travaux de Mmes Alain et Chambolle, selon lesquels toute augmentation du pouvoir de négociation du fournisseur aurait pour effet de diminuer le prix de détail, ne sont pas pertinentes en l'espèce, car elles ne correspondent pas à la réalité de marché en cause, caractérisée par un pouvoir de négociation du fournisseur et incorporant des marges arrières. Les travaux de MM. Rey et Vergé, selon lesquels le profit des fournisseurs croît lorsque les prix de détail diminuent, ainsi que le soutient la société Unilever, ne sont pas davantage pertinents, car ils ne sont pas fondés sur la modélisation d'une coordination explicite entre les opérateurs de marché.

347. L'Autorité a donc, au regard de l'ensemble de ces éléments, suffisamment démontré que les pratiques sanctionnées étaient de nature à entraîner un surprix et les moyens sus-exposés sont rejetés.

ii/ L'analyse de l'impact des pratiques au regard de leurs caractéristiques

348. À titre liminaire, il y a lieu de relever que l'Autorité de la concurrence soutient que certaines parties qui ont opté pour la procédure de non-contestation des griefs sont irrecevables à contester certains des éléments retenus par la décision pour caractériser le dommage à l'économie, car ces critiques aboutissent à contester les effets des pratiques. Ainsi en est-il, selon l'Autorité, des moyens portant sur la nature des informations échangées, invoqués par les sociétés Beiersdorf, Colgate Palmolive et JJSBF, et de ceux portant sur la contestation d'une mise en échec des stratégies de " bluff ", invoqués par la société Reckitt-Benckiser.

349.Cependant, ces moyens portent bien sur des éléments retenus par l'Autorité de la concurrence pour caractériser l'ampleur du dommage à l'économie. S'ils peuvent aussi concerner les effets des pratiques, la contestation n'est toutefois pas étendue à cette partie de l'analyse de l'Autorité que ces requérantes ne contestent pas. En conséquence, les moyens en cause qui portent seulement sur des éléments entrant dans l'appréciation du dommage, sont recevables.

a. Sur l'absence d'effet des pratiques qui serait démontré par des éléments quantitatifs résultant de données individuelles propres à certaines requérantes

350. Les sociétés Beiersdorf, Bolton Solitaire, Colgate Palmolive et Colgate Palmolive en qualité de successeur juridique de la société SLHBC, JJSBF, Procter & Gamble, Reckitt Benckiser et Vania, qui avaient présenté à l'Autorité des analyses propres à leur entreprise afin de démontrer que le dommage à l'économie causé par les pratiques était ténu, voire inexistant, reprochent à l'Autorité d'avoir rejeté ces données, au motif qu'elles seraient " d'une valeur limitée pour l'évaluation quantitative du dommage puisqu'elles nécessitent de pouvoir être extrapolées aux autres entreprises pour lesquelles ces données individualisées sont indisponibles ou inexploitables. " (Décision, point 1366).

351. Elles soutiennent que sept entreprises ayant mené des analyses individuelles parvenaient aux mêmes résultats et que l'Autorité aurait dû tenir compte de ces analyses pour procéder à une appréciation globale de l'ampleur du dommage. Pour l'une d'elles, c'est la somme de toutes les analyses économiques qui doit permettre de juger le dommage à l'économie dans son ensemble et si l'évolution des prix d'une entreprise est représentative de l'évolution des prix de marché dans leur ensemble.

352. La société Beiersdorf expose qu'elle a démontré de manière globale l'impact très limité des pratiques sur les prix de revente aux consommateurs pour l'ensemble des produits concernés de tous les fournisseurs, et non pour ses seuls produits. Elle affirme également que des données agrégées comme celles qui ont été échangées sont nécessairement moins utiles que des données désagrégées pour soutenir une collusion, puisque les données agrégées compensent les hausses de prix de certains secteurs et les baisses de prix dans d'autres secteurs, alors que les données désagrégées permettent de vérifier le comportement de chaque acteur pour chacun de ses produits.

353. À l'exception de la société Beiersdorf dont les moyens seront examinés ci-dessous, les parties ne contestent pas que les données qu'elles ont produites étaient des données individuelles, propres à chacune d'entre elles et qu'elles ne proposaient pas de contrefactuel permettant de mesurer l'ampleur du dommage. S'il est exact que, comme le soulignent plusieurs entreprises, représentant plus de la moitié des sociétés en cause, leurs études présentent des résultats similaires, selon lesquels les hausses de prix de leurs produits auraient été réduites, il n'est toutefois pas démontré que, comme le précise la décision, les périmètres d'analyse aient été identiques pour toutes ces études. Dans ces conditions, il ne peut être reproché à l'Autorité de ne pas avoir cumulé les résultats des études produites pour en tirer une conclusion globale qui n'aurait pas davantage correspondu à la réalité de l'ampleur du dommage à l'économie. La concordance des résultats de ces études individuelles n'étant pas en soi un élément permettant de les tenir pour représentatives, la cour approuve l'Autorité d'avoir considéré que ces études ne permettaient pas d'inférer de manière suffisamment certaine les prix pratiqués par les parties n'ayant pas présenté d'études individuelles.

354. De même, l'analyse économétrique globale, produite par la société Beiersdorf, en plus de l'analyse concernant ses propres produits, permet seulement d'apprécier le résultat de l'exploitation de ses données individuelles, mais ne permet pas d'en tirer de conclusion générale dès lors que le périmètre de mesure peut différer d'une entreprise à une autre et qu'aucun contrefactuel fiable ne permet d'apprécier les résultats.

355. Enfin, il a déjà été précisé que le caractère agrégé des données échangées, ne réduisait pas pour autant, dans les circonstances de l'espèce, l'effet de ces échanges sur le jeu de la concurrence et l'ampleur du dommage à l'économie ne saurait être considéré comme réduit du fait de ce caractère agrégé.

b. Sur la prétendue limitation de la hausse des prix en raison de la réduction des marges arrière

356. Les parties opposent que, du fait de leur nature, les informations échangées n'étaient pas susceptibles d'avoir une influence réelle sur les négociations avec les distributeurs, puisqu'elles étaient agrégées, publiques et non-stratégiques.

357. La cour a déjà rejeté le moyen tiré du faible impact des pratiques du fait de la nature des informations échangées dans la partie relative à la gravité des pratiques à laquelle elle renvoie (point 224 et s). Ces éléments liés à la nature des informations ne sont pas davantage de nature à écarter l'analyse de l'Autorité relative au dommage à l'économie. À cet égard, la cour rappelle que les négociations avec les distributeurs portant sur les familles de produits et non produit par produit, les échanges portant sur les données agrégées concernaient bien des données essentielles au regard de la politique commerciale des concurrents, élément fondamental de la concurrence entre les entreprises.

358. En outre, les données sur lesquelles ont porté les échanges ne peuvent être comparées aux données publiques collectées par l'ILEC et l'institut PBMO, qui étaient agrégées d'un point de vue sectoriel (décision, point 169 et 174). De plus, si des informations historiques peuvent donner une représentation de l'évolution du marché, permettant aux entreprises de mieux répondre à la demande, tel n'est, en tout état de cause, pas le cas en l'espèce puisque les données échangées étaient récentes et ne peuvent être qualifiées d'historiques (décision, point 648).

359. Par ailleurs, les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les données échangées n'étaient pas stratégiques du fait qu'elles concernaient les dérives et non directement le taux de coopération commerciale. En effet, cet argument est inopérant, dans la mesure où la négociation commerciale portait sur la dérive, qui constituait, ainsi que le rappelle l'Autorité de la concurrence au point 152 de sa décision, le seul véritable paramètre de différenciation entre fournisseurs, en raison de l'absence de différenciation par les prix résultant de la définition du seuil de revente à perte.

360. Les sociétés L'Oréal, et Reckitt Benckiser contestent que les pratiques aient eu pour effet de rendre les stratégies de " bluff" des distributeurs inopérantes. Elles font valoir à cet égard que deux des quatre distributeurs interrogés durant l'instruction ont indiqué ne pas avoir recours à cette stratégie.

361. Il convient de rappeler à ce sujet que le " bluff" dont fait état la décision au point 696 (Cf. aussi les points 1377 et s.) consistait pour les distributeurs, dans le cadre de leurs négociations individuelles avec les fournisseurs, à leur faire croire, ou leur laisser penser, de façon fallacieuse que la hausse de tarif proposée était excessive par rapport à celle d'un ou plusieurs concurrents, afin d'obtenir une dérive supérieure. Ce procédé permet aux distributeurs de tirer avantage de ce que chaque distributeur est, sauf dans le cas de pratiques d'échanges d'informations, dans l'ignorance des offres de ses concurrents. Il n'est pas contesté par les parties que le "bluff" était utilisé par certains distributeurs et que les fournisseurs connaissaient cette éventualité. En conséquence, il importe peu de savoir si un ou plusieurs distributeurs ont mis en œuvre ce procédé au moment des pratiques, dès lors que les échanges d'informations, avant même l'envoi des nouveaux tarifs et conditions générales de vente aux fournisseurs, visaient à permettre aux parties de connaître la politique de leurs concurrents et de déjouer éventuellement les méthodes de "bluff" des distributeurs. En tout état de cause, ainsi que le fait observer l'Autorité de la concurrence dans ses observations, le représentant de la société Intermarché, qui avait indiqué lors de son audition par les enquêteurs ne pas recourir au " bluff ", a néanmoins reconnu qu'il comparait les fournisseurs par rapport à leur propre famille de produits et, notamment, par rapport à la performance moyenne de cette famille (cote 34288, réponse à la question 9). De même, le représentant de l'enseigne Carrefour a reconnu qu'il essayait de faire croire dans les négociations qu'il avait de meilleures cartes que celles qu'il avait en main. Dans ces conditions, les parties ne peuvent soutenir que leurs pratiques n'ont pas eu d'effet sur ce point.

362. S'agissant de l'impact des pratiques sur les niveaux de marge arrière, il convient de rappeler que les réformes mises en œuvre par les pouvoirs publics avaient pour objet de réduire ces marges qui représentaient un surplus garanti pour les distributeurs. L'Autorité a relevé dans sa décision que les marges arrière avaient continué de progresser pendant la durée des pratiques. Plusieurs parties ont opposé que les pratiques n'ont pas eu d'effet significatif sur les marges arrière en raison de la puissance de négociation des distributeurs et de la captation par ces derniers du surprofit généré par les pratiques, atténuant ainsi le dommage à l'économie. Cependant, c'est à juste titre que par une motivation que la cour adopte, l'Autorité a rejeté ces moyens en relevant que l'existence du contre-pouvoir des distributeurs ne pouvait annihiler ni modérer les effets des pratiques sur les prix de vente aux consommateurs. En effet, ceux-ci étaient fixés à un niveau très proche du prix facturé qui correspondait, jusqu'au 1er janvier 2006, au niveau du seuil de revente à perte. Dans la mesure où les prix facturés par les fournisseurs aux distributeurs ne faisaient pas l'objet de négociations, les distributeurs étaient contraints par les hausses de tarifs concertées passées par les fournisseurs. Ces hausses se répercutaient donc de façon quasi-automatique, sur les consommateurs.

363. Il est dans ce cas sans effet que les fournisseurs aient pu être privés du surprofit escompté en raison de ce qu'ils aient été contraints d'accepter une dérive de coopération commerciale plus importante.

364. Les sociétés requérantes soutiennent que l'Autorité a méconnu la réalité des négociations entre distributeurs et fournisseurs en particulier le poids des menaces de déréférencement efficaces et crédibles. Elles indiquent que le déréférencement d'une marque à forte notoriété peut sembler plus complexe mais ne peut être ignoré et que de telles situations ont effectivement été rencontrées par les sociétés Unilever, Beiersdorf, et L'Oréal.

365. Ce reproche n'est cependant pas fondé. En effet, l'Autorité a relevé les déréférencements qui sont advenus pendant la durée des pratiques (décision, points 631, 634, 708) et a bien examiné la nature de la pression que pouvait représenter pour les entreprises en cause la menace de déréférencement aux points 1358 à 1360 de sa décision. Elle en a justement et par une motivation que la cour adopte, déduit que la notoriété des marques concernées par les pratiques permettaient d'atténuer la durée et la portée des déréférencements, d'autant plus que les parties ont échangé des informations sur ceux qui étaient décidés par les distributeurs, notamment, pour mutualiser les risques (décision, point 1359) ou les minimiser en adoptant une position commune avec les autres opérateurs (point 1360). Par ailleurs, comme l'indique à juste titre l'Autorité dans ses observations, le simple déréférencement n'est pas nécessairement l'indicateur d'un important contre-pouvoir des distributeurs, puisque, les fabricants peuvent compenser les effets du déréférencement d'un produit par la présence d'autres produits d'une même gamme, les distributeurs devant veiller à limiter le risque de perte de consommateurs comme l'a relevé la Commission européenne dans sa décision COMP/M3732 (point 127) en cas de déréférencement trop étendus.

iii/Le refus de l'Autorité de prendre en compte les analyses économétriques réalisées au cours de l'instruction

366. Ainsi que le rappelle l'Autorité dans sa décision (point 1399), " les services d'instruction, puis les parties, ont tenté d'estimer quantitativement le surprix associé aux pratiques ". Mais elle a estimé que, compte tenu, notamment, de la faible qualité des données disponibles, les analyses économétriques réalisées n'étaient pas probantes. Elle a sur ce point considéré que "les trois bases de données utilisées présentent d'importantes limites" (point 1400), que "les estimations produites par comparaison des indices de prix de l'INSEE avant et pendant la période des pratiques (méthode "avant-après" ou, au cas d'espèce, "avant-pendant" ne sont pas probantes " en raison des modifications du cadre réglementaire concomitantes à la mise en œuvre des pratiques (point 1402), que " l'analyse du dommage à l'économie sur la seule base des prix de détail ne permet pas d'identifier le surprix lié aux pratiques dénoncées, dont les effets se produisent au niveau des prix pratiqués par les fabricants, soit les prix sur facture et les prix triple net" (point 1403) et que " les erreurs des modèles économétriques estimés présentent, en raison de la nature des données de prix disponibles, une auto-corrélation d'ordre supérieur à 1, dont la prise en compte rend les estimations du surprix imprécises " (point 1404). Les parties contestent chacun de ces points.

367. Sur cette question, il convient de préciser à titre liminaire que l'existence d'un surprix (c'est-à-dire d'un prix plus élevé des produits concernés durant ou faisant suite aux pratiques) n'est qu'un élément de l'évaluation du dommage à l'économie. Les études économétriques concernées par le débat constituent des études statistiques tendant à démontrer à partir d'un certain nombre de données si, pendant la durée des pratiques, il était possible de constater un surprix des produits d'hygiène et d'entretien et quelle était sa mesure. Or quand bien même résulterait-il de ces analyses une élévation des prix avec un fort degré de certitude (un surprix significatif), ce surprix ne serait pas l'unique déterminant du dommage à l'économie. A l'inverse, dans le cas extrême où les analyses démontreraient avec un fort degré de certitude un surprix nul, la conclusion serait identique. Le dommage à l'économie, ainsi que le précise le point 27 du communiqué sanctions, " intègre non seulement le transfert et la perte de bien-être que l'infraction est de nature à engendrer au détriment des consommateurs intermédiaires ou finals et de la collectivité dans son ensemble, mais aussi, notamment, son incidence négative sur les incitations des autres acteurs économiques, par exemple en matière d'innovation. Il ne se réduit donc pas à une perte précisément mesurable ", ni donc à un surprix.

368. Sur les raisons qui ont conduit l'Autorité à écarter les analyses économétriques, les parties font valoir que les données en cause provenaient des instituts les plus reconnus et fiables, que le rejet des études économétriques, au motif qu'après toilettages des données " aberrantes ", il ne resterait que 50 à 70 % des données, n'est pas justifié et que la quantité restante de données était suffisante pour être exploitée de manière satisfaisante. Certaines d'entre elles affirment qu'après retraitement, 90 % du chiffre d'affaires des rayons du secteur de l'hygiène était exploitable.

369. Elles ajoutent que les insuffisances de chacune des bases IRI et Kantar auraient pu être atténuées par leur exploitation conjointe et par lissage des données. Elles contestent le bien-fondé de l'affirmation de l'Autorité selon laquelle l'exploitation conjointe des bases n'était pas possible en raison des périodicités différentes étudiées.

370. Par ailleurs, les requérantes contestent le motif selon lequel les données ne seraient pas fiables car elles reposeraient sur des données retraitées par l'ILEC et qu'elles souffriraient de biais dûs à la prise en compte de produits non affectés par les pratiques ou de produits (lessives) déjà sanctionnées dans une autre affaire (n° 11-D-17). Elles précisent que les services d'instruction les avaient corrigées, que leurs études économiques écartent les produits biaisés par le changement de périmètre de certaines catégories de produits dans le temps, et d'autre part, que quelle que soit la méthode ou le type de données (données agrégées, prix de détail) utilisés, les résultats faisaient consensus entre les parties et le service économique de l'Autorité et permettaient de déterminer un surprix faible. Elles ajoutent que l'Autorité n'a pas évalué la fiabilité concrète des retraitements effectués consistant à remplacer les données écartées par des taux de variation.

371. Toutefois, quand bien même les critiques des parties sur la validité des données, y compris le défaut de portée des biais invoqués par l'Autorité, et la pertinence des méthodes, seraient fondées, les requérantes ne contestent pas qu'ainsi que l'a relevé l'Autorité dans sa décision, ces études aboutissent à une autocorrélation des résidus supérieure à 1. Or dans ce cas, les résultats sont non significatifs et ne permettent pas d'établir un ordre de grandeur fiable du surprix.

372. En effet, en présence de séries chronologiques, la mesure des données comporte un aléa quant à l'exactitude de la mesure appelé " erreur " ou " résidu ". Chaque erreur d'une mesure influence l'erreur de la mesure suivante, ce mécanisme est appelé autocorrélation des erreurs. Lorsque l'autocorrélation des résidus ou des erreurs est supérieure à 1, les résultats sont affectés dans leur significativité. Comme les services d'instruction le rappellent dans le rapport au point 117, l'autocorrélation des résidus " diminue les écarts-types estimés des coefficients des variables explicatives. Elle donne ainsi l'illusion d'une plus grande précision de ces coefficients ".

373. Si le rapport des services d'instruction indique avoir inclus l'autocorrélation des résidus d'ordre 1 dans les méthodes économétriques utilisées, plusieurs mises en cause ont, cependant, comme le relève la décision au point 1404, au travers des études économiques qu'elles ont menées, démontré qu'il subsistait une autocorrélation des résidus d'un ordre supérieur à 1 qui n'était pas pris en compte dans les modèles.

374. Or, comme l'Autorité le précise dans sa décision, cette autocorrélation d'ordre supérieur à 1 " rend les estimations du surprix imprécises " (point 1404). Ceci est accrédité par les affirmations de certaines parties. Ainsi la société Beiersdorf indique que le biais introduit par l'autocorrélation d'ordre supérieur à 1 est un biais " à la hausse " et les sociétés Unilever, et Vania, tout en contestant la portée à accorder à l'autocorrélation d'ordre supérieur à 1, en admettent toutefois l'existence et les effets.

375. Ainsi contrairement à ce que soutiennent les sociétés Unilever et Vania, la précision de l'estimation est d'une importance majeure dans l'estimation du surprix et ne permet de considérer que l'ordre de grandeur du surprix, tel qu'il est estimé par les modèles économétriques de l'instruction, est fiable.

376. Par ailleurs, l'examen des études que ce soit celle de l'instruction ou celles produites par les parties, permet de constater une disparité des résultats, même lorsque sont utilisées les mêmes bases de données et les mêmes méthodes économétriques.

377. Il résulte de ce qui précède que, ni l'Autorité, ni les parties n'ont établi une estimation du surprix réellement significative ou fiable. En conséquence, il n'y a pas lieu de répondre aux moyens concernant, d'abord, la fiabilité des données, indices de prix, données désagrégées ou prix de détail, ensuite, les biais qu'elles auraient pu introduire et, enfin, la pertinence de la méthode choisie.

378. En tout état de cause, quand bien même serait-il établi un ordre de grandeur nul ou positif de manière significative, il n'en demeure pas moins que le contexte dans lequel les pratiques ont été mises en œuvre devait aboutir, non à une stagnation ou une hausse des prix, mais à une baisse qui n'a pas été atteinte. En conséquence l'absence de baisse des prix qu'auraient démontré les études invoquées par les parties, participerait néanmoins à l'appréciation de l'existence et de la mesure du dommage à l'économie.

4. Sur le pourcentage de la valeur des ventes

379. Compte tenu de l'appréciation qu'elle a faite de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie dans les deux secteurs sous examen, l'Autorité a retenu, pour déterminer le montant de base de la sanction infligée aux entreprises en cause, une proportion de la valeur de leurs ventes de 15 % (décision, point 1411). Les parties contestent ce taux qu'elles qualifient d'excessif et de disproportionné à plusieurs égards.

380. Elles exposent que ce taux ne refléterait pas la gravité des pratiques. À ce sujet, elles font valoir que la pratique décisionnelle de l'Autorité a démontré que les échanges d'informations étaient moins sévèrement punis que les cartels, que le taux de 15 % a été appliqué à des cartels qui parfois même ont bénéficié de taux inférieurs. Elles font observer que dans le cas des lessives, où l'Autorité a retenu une proportion de la valeur des ventes de 20 %, l'entente constituait un cartel de prix, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Certaines requérantes affirment qu'une comparaison avec les décisions des autorités de concurrence d'autres pays européens et avec la jurisprudence de l'Union révèle l'extrême sévérité dont l'autorité a fait preuve en retenant le pourcentage de 15 % à la valeur des ventes. Elles ajoutent que le taux retenu traduirait l'insuffisante prise en compte des caractéristiques des pratiques mises en cause, ainsi que de leur absence d'effets, et soutiennent à ce sujet que les échanges n'ont pas porté sur les marges arrières, paramètre essentiel de la concurrence, qu'elles ont eu peu d'impact sur les prix de détail, que le mécanisme de surveillance était imparfait et que les échanges sur les prix futurs ont été limités.

381. Les parties font aussi valoir qu'en l'absence de qualification précise du dommage à l'économie ou d'un surprix, cette proportion de la valeur des ventes serait surestimée et que le taux de 15 % serait une erreur de droit, compte tenu de la gravité relative et du dommage limité à l'économie, et qu'il violerait le principe de proportionnalité garanti par l'article L. 464-2 du Code de commerce, puisqu'il ne refléterait pas la participation relative des entreprises et, pour certaines, les griefs qui leur ont été notifiés.

382. Cependant, ainsi qu'il a déjà été dit ci-dessus, contrairement à ce que soutiennent plusieurs des parties requérantes, il résulte des éléments relevés précédemment que l'Autorité a exactement déterminé les éléments de la gravité et du dommage à l'économie pour en déduire la proportion à appliquer à la valeur des ventes sans avoir pour cela à utiliser nécessairement un adjectif qualificatif.

383. Par ailleurs, les parties ne peuvent sur ce point invoquer d'autres décisions du droit interne, ou d'autres autorités nationales de l'Union ou encore de l'Union elle-même, qui correspondent toutes à des cas d'espèce et des circonstances de fait et de droit particuliers.

384. La cour relève en outre que, si les pratiques sanctionnées en l'espèce sont d'une gravité moindre par rapport à celle d'accords anticoncurrentiels, elles sont néanmoins d'une gravité certaine, puisqu'elles ont porté sur des éléments participant à la formation des prix et essentiels au jeu de la concurrence entre elles, dans un contexte où les pouvoirs publics tentaient d'animer la concurrence. Elles ont également causé un dommage à l'économie démontré lors des précédents développements, quand bien même le surprix n'a-t-il pu être clairement établi, ce qui n'est pas exigé pour déterminer le dommage.

385. Par ailleurs le taux appliqué à la valeur des ventes a pour objectif de proportionner la sanction au dommage à l'économie et à la gravité des pratiques. La moindre participation des entreprises ne peut être prise en compte à ce stade, mais seulement dans le cadre de l'appréciation individuelle du montant de la sanction qui fait l'objet d'une analyse propre. Dans ce cadre la société Hillshire a bénéficié pour les pratiques commises par la société SLHBC d'un abattement forfaitaire de 23 % pour les pratiques commises dans le secteur de l'hygiène, le montant de base passant ainsi de 14 629 194 euros à 11 264 479 euros et de 20 % (le montant de base passant de 14 629 194 euros à 11 703 194 euros) pour celles commises dans le secteur de l'entretien (décision points 1441 et 1443). C'est donc de manière inopérante que les sociétés Hillshire et Colgate Palmolive en qualité de repreneur de la société SLHBC reprochent à la décision de ne pas avoir réduit la proportion de la valeur des ventes pour elles, au motif de la moindre participation de la société SLHBC à l'entente.

386. En outre, la lecture du communiqué sanctions ne permet pas, contrairement à ce que soutiennent les parties, de constater que le point 26, relatif à l'appréciation de la gravité des faits comparant, dans un exemple, les degrés de gravité différents des cartels de prix et des échanges d'informations, ne concernerait que les échanges d'information rétrospectifs. En tout état de cause, le taux n'est pas seulement déterminé au regard de la seule gravité des pratiques mais du cumul de ce critère avec celui du dommage à l'économie. L'incohérence qui peut être relevée sur ce point par les parties est donc inopérante.

387. En conséquence de l'ensemble de ce qui précède, c'est par une juste appréciation que la cour adopte que la proportion de la valeur des ventes a été, sans violation du principe de proportionnalité, établie à 15 % par l'Autorité de la concurrence.

388. Il s'en déduit que les moyens portant sur la proportion de la valeur des ventes sont rejetés.

C. Sur les circonstances propres à chaque entreprise

1. Sur la participation individuelle des entreprises aux deux ententes uniques

389. Les sociétés requérantes contestent l'intensité de leur participation aux pratiques et le taux d'abattement retenu par l'Autorité. Elles exposent que l'Autorité, qui n'a pas exposé sa méthode de calcul et a octroyé des taux de réfaction allant de 2 à 23 %, a méconnu les principes d'égalité de traitement et de proportionnalité.

390. L'Autorité, comme elle l'explique au point 1424 de sa décision, a individualisé les sanctions en prenant en compte la plus ou moins grande intensité de la participation aux pratiques des entreprises en cause, conformément au principe rappelé plus haut selon lequel "le fait qu 'une entreprise n'a pas participé à tous les éléments constitutifs d'une entente ou qu'elle a joué un rôle mineur dans les aspects auxquels elle a participé n'est pas pertinent pour établir l'existence d'une infraction dans son chef, étant donné qu'il n'y a lieu de prendre en considération ces éléments que lors de l'appréciation de la gravité de l'infraction et, le cas échéant, de la détermination de l'amende (arrêts précités Commission/Anic Partecipazioni, point 90, et Aalborg Portland e.a./Commission, point 86)". L'état récapitulatif de participation des entreprises aux pratiques figure au point 354 de la décision.

391. Le communiqué sanctions de l'Autorité du 16 mai 2011 expose qu'elle peut, pour assurer le caractère à la fois dissuasif et proportionné de la sanction pécuniaire, adapter à la baisse ou la hausse le montant de base en considération d'autres éléments objectifs propres à la situation de l'entreprise ou de l'organisme concerné.

392. Il convient à titre liminaire de rappeler que le principe d'égalité de traitement et de non-discrimination exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu'un tel traitement ne soit objectivement justifié.

393. Après avoir calculé le montant de base résultant de la gravité et du dommage à l'économie, qui tient aussi compte de la durée de participation de chaque entreprise à chacune des pratiques, l'Autorité a appliqué des pourcentages de réduction reflétant leur plus ou moins grande assiduité aux réunions des deux ententes, allant de 2 à 20 %, s'agissant du secteur de l'entretien, et de 11 à 23 % s'agissant du secteur de l'hygiène.

394. C'est par des considérations exemptes de toute erreur que l'Autorité rappelle que "la sanction d'une infraction, surtout si les faits sont répréhensibles par leur objet même, revêt nécessairement un certain caractère forfaitaire" (décision point 1425). Compte tenu de la complexité des pratiques, l'abattement choisi par l'Autorité pour refléter l'intensité de participation ne peut revêtir la forme d'une formule mathématique.

395. La cour considère que l'Autorité a suffisamment expliqué sa méthode au point 1426, exposant que "le Cercle des Amis présentait des caractéristiques différentes par rapport à celles des Cercles Team. En particulier, son importance économique était moindre du fait que la part de marché cumulée des entreprises participant au Cercle des Amis était inférieure à celle des entreprises participant aux Cercles Team (point 1050). Les échanges de correspondances y revêtaient également un caractère moins institutionnalisé (point 312)".

396. Ceci étant précisé, il y a lieu d'examiner si, ainsi que le prétendent les requérantes, l'Autorité aurait méconnu le principe d'égalité de traitement, en leur octroyant ces réductions personnalisées de sanction.

397. La société Vania expose que l'Autorité aurait dû tenir compte de sa participation limitée aux pratiques en cause ainsi que de la faible intensité de cette participation. Elle fait valoir que l'Autorité lui a appliqué un taux de réduction de 12 %, montant différent des réductions appliquées aux autres entreprises, sans justification, ne la mettant pas en mesure de comprendre cette différence de traitement.

398. Il est cependant précisé au point 1023 de la décision entreprise, que "Vania est tenue pour responsable, dans le secteur de l'hygiène, des seules pratiques concertées suivantes (...) : les pratiques organisées dans le cadre du Cercle Team PCP et un contact trilatéral auquel elle a participé entre le 22 janvier 2003 et le 3 février 2006. En revanche l'entreprise n'est pas tenue responsable des autres pratiques concertées constitutives de l'entente unique dans le secteur de l'hygiène".

399. Il résulte des pièces du dossier que cette société a participé aux réunions Team PCP des 7 juillet, 18 septembre et 2 décembre 2003 (plus un contact trilatéral le 22 janvier 2003) ; des 24 mars, 4 mai, ter juillet, 30 août, 5 octobre, 9 novembre et 7 décembre 2004 (outre des échanges de correspondances en avril, juillet et octobre 2004) ; une réunion mi-janvier 2005 ; réunions Team PCP des 14 février, 9 mars, 11 avril, 17 mai, 15 juin, 11 juillet, 6 octobre et 7 décembre 2005 (outre échanges de correspondances en janvier, avril, septembre, et octobre 2005) ; réunion Team PCP début janvier 2006, soit au total 20 réunions du cercle Team PCP, 7 échanges de correspondances et un contact trilatéral le 22 janvier 2003.

400. La société Vania n'a pas participé aux pratiques organisées dans le Cercle des Amis, comme les sociétés Procter & Gamble, Unilever et L'Oréal. Si elle n'a participé qu'à un seul échange trilatéral sur neuf constatés dans le secteur de l'hygiène (contact inaugural entre les sociétés Colgate Palmolive, Beicrsdorf et Vania du 22 janvier 2003 sur les demandes de dérive des distributeurs), et à une minorité d'échanges de correspondance dans le cadre du cercle Team PCP (8 correspondances sur 18), elle est néanmoins l'entreprise qui a participé à la quasi-totalité des réunions du Cercle Team PHP, soit 20 sur 24.

401. Ainsi, la société Vania ne démontre pas qu'elle se trouvait dans une situation identique à celle de la société Gillette, ayant participé au contact trilatéral du 22 janvier 2003 et à davantage de réunions Team PCP que cette entreprise. Par ailleurs, la participation de la société Gillette aux deux réunions du Cercle des Amis peut être considérée comme objectivement moins grave, compte tenu des caractéristiques de ce cercle, relevées par l'Autorité. La participation de la société Vania aux pratiques a été comparable à celle de la société Beiersdorf qui a obtenu le même taux de réduction qu'elle, avec une participation à 19 réunions Team PCP, 1 contact multilatéral, 15 échanges de correspondances et la participation à 2 réunions Amis. La demande de la société Vania est donc rejetée.

402. La société Bolton expose que le taux de réduction de 17 % qui lui a été appliqué ne tient pas compte de sa contribution aux pratiques et qu'il est contraire aux principes d'égalité de traitement vis-à-vis des autres entreprises.

403. La cour constate que la société Bolton se situe dans le trio des entreprises qui se sont vu octroyer les taux les plus élevés dans le secteur de l'entretien, avec les sociétés Sara Lee et Laboratoires Vendôme (respectivement 20 et 17 %), à cause de leur absence de participation aux réunions considérées comme les plus graves, celles du cercle Team HP, et leur implication dans les seules réunions Amis. Par ailleurs, la société Bolton ne démontre pas que l'Autorité lui aurait imputé à tort le troisième volet relatif aux échanges bilatéraux et multilatéraux dans le secteur de l'entretien. Elle ne peut, à ce sujet, soutenir que l'unique contact bilatéral qui lui est reproché à ce titre pendant les sept mois de participation aux pratiques qui lui sont imputées, émanait d'un de ses commerciaux, ne disposant d'aucune fonction de direction au sein de la société. En effet, ainsi qu'il a déjà été précisé cette condition n'est pas requise pour qu'un salarié engage la responsabilité d'une entreprise (cf. point 66). Enfin, l'Autorité a pris en compte, au point 1447 de la décision, le fait que la société Bolton n'avait pas participé aux réunions du cercle Team HP et à tous les contacts bilatéraux ou plurilatéraux, ces volets de l'infraction ne lui ayant pas été imputés. Sa demande est donc rejetée.

404. La société Hillshire, en sa qualité de société mère de la société SLHBC (Sara Lee), qui s'est vu appliquer un taux de réduction de 23 %, ne peut prétendre avoir été désavantagée par rapport aux autres entreprises qui ont bénéficié de taux de 11 à 15 %. Ce taux reflète bien que, au plan qualitatif, la société Sara Lee est la seule entreprise à n'avoir participé qu'à un seul volet de l'infraction unique dans le secteur de l'hygiène, celui de l'engagement du 17 juin 2004. Cet élément a donc été pris en considération par l'Autorité dans son calcul.

405. Les mêmes observations sont valables dans le secteur de l'entretien. Le fait d'avoir appliqué à la société Hillshire un taux de réduction dans le secteur de l'entretien de trois points inférieur à celui appliqué dans le secteur de l'hygiène est proportionné à sa participation plus importante à l'entente de ce secteur (11 réunions Amis, 1 correspondance et 3 contacts). Cette société ne peut par ailleurs soutenir, sans caricaturer le calcul des sanctions opéré par l'Autorité, que le simple fait d'avoir reçu deux appels téléphoniques d'un concurrent a conduit à alourdir sa sanction finale de près d'un demi-million d'euros, chaque indice de participation n'étant pas affecté d'un coefficient mathématique et étant censé refléter l'intensité de celle-ci. Enfin, la société Hillshire ne saurait faire grief à l'Autorité d'avoir séparé les griefs en deux secteurs et d'avoir comptabilisé deux fois les 11 réunions Amis auxquelles elle a participé. En effet, ces réunions ayant servi de cadre aux échanges portant sur les deux ententes, l'Autorité pouvait à juste titre les comptabiliser au titre de chaque entente. Au vu des éléments qui précèdent, la demande de la société Hillshire, tendant à ce que lui soit appliqué un taux de réduction individualisé d'au moins 80 % pour chacun des deux secteurs est rejetée.

406. La demande de la société Colgate Palmolive en qualité de successeur juridique de la société SLHBC, qui expose que la décote octroyée à la société Sara Lee ne reflète pas la participation limitée de celle-ci aux pratiques est rejetée pour les mêmes motifs.

407. Les sociétés L'Oréal et Lascad, qui ont bénéficié d'une réduction de 14 % au titre de leur implication individuelle, soutiennent que ce taux de réduction ne rend pas pleinement compte du faible degré de leur implication dans les pratiques.

408. L'absence de participation de la société L'Oréal, à titre personnel, au Cercle des Amis, mais ce dont elle est néanmoins tenue à titre de société mère de la société Lascad, ne saurait modifier le taux de réfaction octroyé de 14 %, qui reflète la participation à 8 réunions sur 24 dans le cadre du cercle Team et la participation à une seule réunion sur 12 dans le cadre du Cercle des Amis. La circonstance que la durée de sa participation soit la plus brève, et son absence de participation aux pratiques dans le cadre de l'engagement du 17 juin 2004, ont déjà été prises en compte au titre de la durée de l'infraction. Enfin, la comparaison du taux de réduction accordé à la société L'Oréal avec celui dont ont bénéficié les autres entreprises ne démontre pas une atteinte au principe d'égalité de traitement, le taux de réduction accordé à la société Sara Lee, à savoir 23 %, ne fournissant pas un point de comparaison probant, car cette entreprise n'a participé, dans le secteur de l'hygiène, qu'aux réunions du Cercle des Amis.

409. En revanche, le taux de 14 % appliqué à la société Lascad, est disproportionné au regard de sa participation personnelle à seulement trois réunions du Cercle Team d'octobre 2005 au 13 février 2006 et à une seule réunion des Amis. Il lui sera octroyé en conséquence un taux d'abattement de 23 % à ce titre.

410. La société Procter & Gamble prétend que l'Autorité n'a pas pris en compte sa situation individuelle très particulière qui aurait dû conduire à minorer beaucoup plus significativement le montant de base qui lui a été infligé.

411. Il résulte des éléments du dossier que sa participation a été limitée à seulement deux réunions Team PCP sur vingt-quatre à la fin de l'année 2003 et à la transmission de chiffres d'affaires sous forme de huit tableaux sur trente-cinq dans le cadre des échanges dans le secteur de l'hygiène. Il y a en conséquence lieu de lui octroyer une réduction de 14 % au lieu de celle de 12 % retenue par la décision.

412. La société Reckitt Bensicker estime qu'elle aurait dû bénéficier d'un abattement de 10 % dans le secteur de l'entretien et de l'ordre de 15 % dans le secteur de l'hygiène au regard des principes de proportionnalité et d'égalité de traitement. Elle expose que la motivation de la décision ne permet pas de comprendre ce qui justifie les écarts entre les différents taux d'abattement accordés aux différentes entreprises, qui s'étendent de 2 à 23 %.

413. Dans le secteur de l'entretien, elle soutient que sa situation serait comparable à celle des sociétés Procter & Gamble et Unilever, qui ont bénéficié de réductions supérieures de leurs amendes (respectivement 11 et 12 %).

414. Cependant, ces deux sociétés ne se trouvent pas dans une situation équivalente à celle de la société Reckitt Bensicker, puisqu'elles ne sont pas tenues pour responsables des pratiques concertées organisées dans le cadre du Cercle des Amis ni d'une partie des contacts complémentaires, alors que la société requérante est tenue pour responsable de l'ensemble des pratiques concertées constitutives de l'entente unique dans le secteur de l'entretien, à l'exclusion d'une partie des contacts complémentaires.

415. Dans le secteur de l'hygiène, la requérante prétend qu'elle aurait dû bénéficier d'une réduction de sanction identique à celle de la société Sara Lee.

416. Toutefois, la société Sara Lee ne se trouve pas dans la même situation que la société Reckitt Benckiser puisqu'elle n'a participé qu'aux réunions du Cercle des Amis. La demande est donc rejetée.

417. La société Unilever prétend que sa participation aux pratiques aurait été limitée.

418. Cependant cette situation a été prise en compte par l'Autorité, qui a retenu, aux points 1522 et suivants de sa décision, que la société Unilever a participé à sept réunions Team HP sur neuf, et à dix correspondances sur treize entre janvier 2003 et le mois d'août 2005.

419. Le fait qu'elle n'ait pas pris part aux échanges de l'automne 2005 sur les hausses de tarifs et sur leur date d'application a déjà été pris en compte dans la durée des pratiques qui lui sont imputées, qui s'arrêtent au début du mois d'août 2005. Dans le secteur de l'hygiène, la société Unilever a participé à onze des vingt-trois réunions Team PCP et à neuf correspondances sur dix- huit entre avril 2003 et le 2 janvier 2006. Elle a également participé à des échanges sur les chiffres d'affaires, sur l'avancement des négociations, sur les dérives, sur les hausses de tarifs.

Il n'y a donc pas lieu de lui allouer un taux de réduction supérieur à 11 %. Sa demande est donc rejetée.

420. La société Gillette, aux droits de laquelle vient la société Procter & Gamble, prétend qu'elle n'a participé que de manière limitée aux échanges incriminés.

421. Mais la cour approuve l'Autorité de lui avoir accordé une réduction de 14 % au titre de sa participation à l'entente dans le secteur de l'hygiène. Ce taux tient dûment compte de sa participation assidue aux réunions du Cercle Team PCP (18) et aux échanges de correspondance (12). Ainsi que le souligne l'Autorité, au point 1589 de sa décision, la société Gillette a "participé, de façon assidue, à tous les thèmes d'échanges qui se sont déroulés au sein du Cercle Team PCP. Au surplus, sa participation a été active" (sur les tarifs et les dérives, aussi bien dans le cadre de la circulaire Dutreil que dans le cadre de l'engagement du 17 juin 2004 ou de la loi Dutreil).

422. La circonstance qu'elle ait participé à moins d'échanges que les sociétés Colgate Palmolive et Henkel est reflétée dans le taux de réduction beaucoup plus important qui lui est accordé par l'Autorité. La circonstance qu'elle n'ait joué qu'un rôle passif à certaines réunions, et n'ait communiqué que des informations passées lors de certaines autres, ne peut effacer son assiduité globale aux réunions, et sa communication à ses concurrents, d'informations sur ses futurs tarifs, ainsi que des indications sur son comportement commercial à venir.

423. Par ailleurs, la société Gillette ne rapporte pas la preuve de s'être désolidarisée des autres membres de l'entente, ni d'avoir perturbé, par son comportement, le fonctionnement même de la pratique en cause, ainsi que le souligne le point 1588 de la décision entreprise. Notamment, le fait d'avoir appliqué le "2 % pondéré " au lieu de la méthode " l + 1 " résultant de la collusion sur l'application de l'engagement du 17 juin 2004, ne saurait suffire à rapporter cette preuve.

Il y a donc lieu de rejeter l'ensemble de ses moyens.

2. Sur les circonstances atténuantes ou aggravantes et les autres éléments d'individualisation

a. Sur la majoration de l'amende au titre de la taille et de la puissance économique du groupe

424. Dans le cas où une société est tenue solidairement avec sa société mère, également destinataire des griefs, l'Autorité de la concurrence a majoré la sanction en fonction de la puissance financière actuelle de l'"entreprise", au sens du droit de la concurrence.

425. La société Beiersdorf expose que l'Autorité ne pouvait se fonder sur la seule imputabilité des pratiques de sa filiale au groupe Beiersdorf, fondée sur la présomption d'influence déterminante d'une société-mère sur sa filiale à 100 %, pour utiliser, au sujet de l'individualisation de la sanction, le chiffre d'affaires du groupe Beiersdorf. Elle invoque à ce sujet l'arrêt rendu le 18 février 2014 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans l'affaire dite des monuments historiques (pourvoi n° 12-27.697 et a.), dont il résulte qu'aucun relèvement automatique du montant de la sanction ne saurait résulter de l'appartenance d'une entreprise à un groupe. Selon cette requérante, il revenait à l'Autorité de rechercher si le groupe Beiersdorf avait joué un véritable rôle dans les pratiques litigieuses. A cet égard, l'Autorité n'apporterait aucune justification quant aux éléments l'ayant conduite à augmenter l'amende qui lui a été infligée, ce qui constituerait une violation de ses droits de la défense. Aucun des critères jurisprudentiels posés par la Cour d'appel de Paris ne serait ici rempli. Par ailleurs, la société Beiersdorf expose que le taux de majoration de 10 % qui lui a été appliqué est discriminatoire en comparaison de celui appliqué à d'autres, comme les sociétés L'Oréal et Procter & Gamble. Ces sociétés, dont le chiffre d'affaires est respectivement près de quatre fois et dix fois supérieur au sien, se sont vu appliquer un pourcentage d'une fois et demi et deux fois et demi supérieur à celui qui lui a été appliqué.

426. Il ne résulte cependant pas de la jurisprudence de la Cour de cassation, citée plus haut, l'obligation, pour l'Autorité, de démontrer en quoi l'appartenance à un groupe a joué un rôle dans la commission des pratiques, dès lors que la société faîtière du groupe, société mère, qui s'est vu imputer les pratiques, et la société auteur des pratiques constituent une entreprise unique au sens du droit de la concurrence. Les arrêts de la Cour d'appel de Paris ici invoqués, du 28 mai 2015 (monuments historiques) et du 21 janvier 2016 (travaux d'électrification) concernent des situations différentes de majoration de sanctions en raison de l'appartenance de l'auteur des pratiques à un groupe, sans que la société-mère, tête de groupe, se soit vu imputer les griefs. Les critères posés par la cour dans ces arrêts ne sont donc pas applicables dans la présente espèce.

427. En conséquence, l'Autorité a pu imputer les pratiques à la société Beiersdorf SAS en tant qu'auteur, et aux sociétés mères Beiersdorf Holding France et Beiersdorf AG. Au vu du chiffre d'affaires mondial consolidé de la société mère faîtière du groupe, Beiersdorf AG, soit 66,14 milliards d'euros, l'Autorité a pu augmenter la sanction infligée aux sociétés Beiersdorf d'un montant de 10 % sans encourir le grief de disproportion. En outre, la moindre taille du groupe a été prise en compte dans le choix de ce pourcentage, sans révéler de méconnaissance du principe d'égalité de traitement. L'Autorité relève en effet à juste titre dans ses observations qu'elle n'a pas méconnu le principe d'égalité de traitement en retenant respectivement des taux de 10 %, 15 % et 25 % de majoration au regard de la taille et de la puissance respectives des groupes Beiersdorf, L'Oréal et Procter & Gamble, compte tenu de leurs chiffres d'affaires respectifs de 6,1, 22,9 et 84,1 milliards d'euros.

428. La société Henkel expose que la taille de son groupe ne justifierait pas une majoration de l'amende. Elle fait valoir, d'une part, que la Commission, a déjà considéré que la taille du groupe Henkel ne justifiait pas une majoration de son amende (points 89 et 90 de la décision précitée, du 13 avril 2011 COMP/39. 579), d'autre part, que la décision n°11-D-17 rendue dans l'affaire des lessives qui avait majoré le montant de l'amende infligée à la société Henkel de 15 % n'est pas transposable à la présente affaire, contrairement au point 1491 de la décision.

429. Cependant, c'est par une juste motivation que la cour adopte qu'après avoir préalablement imputé l'infraction commise par la société Henkel France à la société Henkel AG & Co. KGa AG en tant que société mère de l'auteur des pratiques et société faîtière du groupe Henkel, qui a réalisé en 2013 un chiffre d'affaire mondial consolidé de 16,35 milliards d'euros et dont les activités s'étendent bien au-delà du territoire français et sur d'autres secteurs que l'entretien et l'hygiène, l'Autorité a décidé d'augmenter de 15 % la sanction infligée aux sociétés Henkel France et Henkel AG &Co. KGaA, au titre des deux ententes uniques, afin de proportionner la sanction à la taille et à la puissance économique du groupe Henkel.

430. Ainsi que l'Autorité l'a souligné au point 1490 de sa décision, la circonstance que la Commission ait considéré, dans sa décision du 13 avril 2011 (COMP/39.579), précitée, qui concerne une espèce différente, que la taille de la société Henkel ne justifiait aucune majoration au titre de la puissance économique du groupe est inopérante. Par ailleurs, il a déjà été répondu précédemment sur le fait que cette décision de la Commission ne sanctionnait pas les mêmes pratiques que celles concernées par la décision présentement entreprise.

431. La société Henkel soutient encore que la décision est entachée d'une contradiction de motifs en ce qu'elle a augmenté son amende en raison de la taille du groupe auquel elle appartient de 15 %, alors qu'elle ne l'a pas fait pour la société Vania Expansion. Cependant la société Henkel ne se trouve pas dans la même situation que la société Vania. En effet, l'infraction a été imputée à la société Henkel AG & Co. KGaA société faîtière du groupe Henkel, laquelle a réalisé en 2013 un chiffre d'affaires de 16,35 milliards d'euros ce qui démontre une puissance économique importante, alors que la société vania était à la même époque détenue par les sociétés Johnson & Johnson Consumer France devenue Johnson & Johnson Consumer Holdings France, et Georgia Pacific France, devenue SCA Tissue France, qui se sont vu imputer l'infraction, et que le montant cumulé des chiffres d'affaires des trois sociétés s'élevait à 1,23 milliard d'euros. La société Henkel ne se trouve donc pas dans la même situation que la société Vania, et l'Autorité n'a pas méconnu le principe d'égalité de traitement.

432. La société Reckitt Bensicker objecte qu'elle n'aurait pas dû faire l'objet d'une majoration au titre de la taille et de la puissance économique du groupe, dès lors que sa filiale française Reckitt Benckiser France serait autonome et qu'il n'est pas démontré que la société mère aurait joué un rôle dans la commission des pratiques. Par ailleurs, compte tenu des taux de majoration retenus pour les sociétés SC Johnson, Unilever et L'Oréal, l'Autorité aurait méconnu le principe d'égalité de traitement en majorant sa sanction de 15 %.

433. Mais le choix de la procédure de non-contestation des griefs empêche la société Reckitt Benckiser de contester l'imputabilité des pratiques retenue dans la notification des griefs qu'elle a décidé de ne pas contester. Elle ne peut donc remettre en cause le fait que l'infraction commise par la société Reckitt Benckiser France a été imputée aux sociétés RB Holding Europe du Sud et Reckitt Benckiser Plc, en tant que sociétés mères de l'auteur des pratiques.

434. L'Autorité, qui a imputé l'infraction commise par la société Reckitt Benckiser France aux sociétés RB Holding Europe du Sud et Reckitt Benckiser Plc, en tant que sociétés mères de l'auteur des pratiques, la société Reckitt Benckiser Plc étant la société mère ultime, société faîtière du groupe Reckitt Benckiser, qui a réalisé en 2013 un chiffre d'affaires mondial consolidé de 10,043 milliards de livres sterling et dont les activités s'étendent bien au-delà du territoire français et sur d'autres secteurs que l'entretien et l'hygiène, a à juste titre décidé d'augmenter de 15 % la sanction infligée aux sociétés Reckitt Benckiser France, RB Holding Europe du Sud et Reckitt Benckiser Plc au titre des deux ententes uniques, afin de proportionner la sanction à la taille et à la puissance économique du groupe Reckitt Benckiser.

435. Par ailleurs, l'Autorité n'a pas méconnu les principes de proportionnalité et d'égalité de traitement en appliquant aux sociétés Reckitt Benckiser France (auteur des pratiques), RB Holdings Europe du sud (sa société mère à laquelle l'infraction a été imputée en cette qualité et Reckitt Benckiser (à laquelle l'infraction a été imputée en tant que société mère ultime de l'auteur des pratiques) une majoration de 15 % en raison de la taille et de la puissance économique du groupe Reckitt Benckiser, lequel avait réalisé en 2013 un chiffre d'affaires mondial consolidé de 10,0443 milliards de livres sterling, celles-ci ne se trouvant pas dans la même situation que les sociétés SC Johnson France et SC Johnson & Son Inc. qui se sont vu infliger une majoration de 10 % pour un chiffre d'affaires consolidé de 7,35 milliards de dollars américains, ni que les sociétés du groupe Unilever qui ont fait l'objet d'une majoration de 10 % pour un chiffre d'affaires de 2,7 milliards d'euros. La circonstance qu'un pourcentage équivalent de 15 % ait été infligé à la société L'Oréal dont le chiffre d'affaire mondial consolidé est de 22,98 milliards ne peut davantage caractériser une violation du principe d'égalité de traitement au préjudice de la société Reckitt Benckiser. Par ailleurs, la circonstance que le chiffre d'affaires de la société Unilever France Holdings, la société-mère française des auteurs des pratiques Topaze et Unilever France, ait été pris en compte pour calculer la sanction de la société Unilever, ne peut être reproché à l'Autorité, qui n'a pu démontrer que les sociétés ultimes Unilever NV et Unilever Plc, détenant paritairement et indirectement le capital de la société Unilever France Holdings, exerçaient une influence déterminante sur cette société.

436. La société Procter & Gamble estime être victime d'une différence de traitement par rapport à la société Unilever. Elle expose à ce titre qu'alors que la sanction infligée au groupe de sociétés Procter & Gamble a été augmentée de 25 % pour tenir compte de la taille et de la puissance économique du groupe, la décision n'a augmenté le montant de base que de 10 %, s'agissant de la société Unilever, sans que cette discrimination soit justifiée par des différences de situation.

437. Mais il y a lieu de constater que la société Procter & Gambie, qui a demandé le bénéfice de la non-contestation des griefs, n'est plus recevable à contester l'imputation des pratiques à sa société mère, la société The Procter & Gamble Company. Les pratiques de la société Unilever ont été quant à elles imputées à sa société mère française, la société Unilever France Holdings, comme il a été vu plus haut. Dans ces conditions, la situation du groupe Procter & Gamble qui a réalisé un chiffre d'affaire mondial consolidé de 84,17 milliards de dollars, n'est pas identique à celle du groupe Unilever France qui a réalisé un chiffre d'affaires de 2,7 milliards d'euros.

437. La société Hillshire venant aux droits de la société Sara Lee, soutient que le choix d'aggraver la sanction qui lui a été infligée pour le comportement de la société Sara Lee est infondé. Elle expose que la taille du groupe Hillshire en 2013, et non au moment des faits, ne saurait fonder une augmentation de sa sanction. Selon elle, l'aggravation de sa sanction en fonction de la puissance et de la taille du groupe est, en tout état de cause discriminatoire, disproportionnée et excessive. Elle précise que la société Sara Lee a vu son amende majorée de 10 %, soit le même taux que celui appliqué aux sociétés des groupes Johnson et Beiersdorf, alors que ces deux groupes ont réalisé, chacun, un chiffre d'affaires environ deux fois plus importants que le sien.

439. Mais l'Autorité a, à juste titre, décidé d'augmenter de 10 % la sanction infligée à la société Hillshire Brand Company, société mère de la société SLHBC, auteur des pratiques au moment des faits, afin de proportionner la sanction à la taille et à la puissance économique du groupe Hillshire, ayant préalablement imputé l'infraction commise par la société SLHBC à la société Hillshire Brands Company, en tant que société mère qui a réalisé en 2013 un chiffre d'affaire mondial consolidé de 3,92 milliards de dollars et dont les activités s'étendent sur d'autres secteurs que l'entretien et l'hygiène. La prise en compte du chiffre d'affaires consolidé de l'année 2013, telle que prévue par l'article L. 464-2, alinéa 4, du Code de commerce, ne saurait être critiquée, au nom du principe de proportionnalité des sanctions pécuniaires. Par ailleurs, le choix du taux de 10 % n'est nullement disproportionné au regard de celui appliqué aux sociétés Unilever, Johnson ou Beiersdorf, compte tenu de leurs propre taille et puissance économique.

440. La société Colgate-Palmolive en tant que successeur juridique de la société SLHBC, conteste devoir supporter le poids d'un facteur de dissuasion que seule l'entreprise responsable de la pratique devrait supporter. À titre subsidiaire, elle estime que la majoration est disproportionnée au regard du groupe auquel appartenait la société Sara Lee au moment des pratiques.

441. La cour relève sur ce point que la société Colgate Palmolive est tenue solidairement responsable du paiement de l'amende ainsi majorée en tant que successeur juridique de la société auteur des pratiques en considération de laquelle les éléments de détermination de la sanction sont appréciés. À titre surabondant, la cour relève que ses moyens, ci-dessus rappelés sont en conséquence inopérants. Sa demande est donc rejetée.

442. La société Colgate Palmolive conteste également l'augmentation du montant de base de 15 % au titre de la prétendue puissance économique du groupe. Dans son principe, la majoration ne serait pas justifiée car elle revient à faire supporter le prix économique de l'infraction à l'ensemble des centres de profit du groupe, alors que ceux-ci n'ont aucun rapport avec l'entente et le profit illicite qu'elle a généré. A la supposer fondée en son principe, la majoration qui lui a été appliquée n'a pas été motivée puisque l'Autorité n'a pas démontré le rôle concret de l'appartenance de la société Colgate Palmolive à un groupe dans la mise en œuvre de l'infraction. Elle soutient, par ailleurs, que l'Autorité n'a pas expliqué en quoi son chiffre d'affaires était important par rapport à celui des autres entreprises impliquées dans les pratiques. Elle expose aussi qu'elle a subi la violation des principes de proportionnalité et d'égalité de traitement, le pourcentage de 15 % retenu ne reflétant pas les écarts objectifs qui séparent son chiffre d'affaires de celui des membres de l'entente. C'est ainsi qu'alors qu'il existe un rapport de 1 à 5 entre son chiffre d'affaires et celui de la société Procter & Gamble, le rapport des taux de majoration n'est que de 1 à 1,6.

443. Mais l'Autorité a par une juste appréciation décidé d'augmenter de 15 % la sanction infligée aux sociétés Colgate Palmolive, Colgate Palmolive Services et Colgate Palmolive Company au titre des deux ententes uniques, afin de proportionner la sanction à la taille et à la puissance économique du groupe Colgate Palmolive, après avoir préalablement imputé l'infraction commise par la société Colgate Palmolive aux sociétés-mères Colgate Palmolive Services et Colgate Palmolive Company. La cour relève que cette dernière, société faîtière du groupe a réalisé en 2013 un chiffre d'affaire mondial consolidé de 17,42 milliards de dollars et que ses activités s'étendent bien au-delà du territoire français et sur d'autres secteurs que l'entretien et l'hygiène.

444. Par ailleurs, l'Autorité n'avait pas à démontrer le rôle concret de l'appartenance de la société Colgate à un groupe dans la mise en œuvre de l'infraction, pour appliquer cette majoration, prévue expressément par l'article L. 464-2 du Code de commerce, et tenant compte de la circonstance que la sanction doit être, pour être suffisamment dissuasive, proportionnée aux ressources de l'entreprise ayant commis des pratiques, au sens du droit de la concurrence, à savoir de l'unité constituée par les différentes sociétés la composant.

445. La société L'Oréal soutient que la majoration de 15 %, retenue à son encontre, pour tenir compte de la taille du groupe L'Oréal, n'est pas justifiée, la démonstration n'étant pas rapportée que l'appartenance au groupe ait pu jouer un rôle dans la mise en œuvre des pratiques anticoncurrentielles.

446. Mais la prise en compte de la taille et de la puissance économique du groupe L'Oréal est suffisamment motivée par les développements des points 1554 et suivants de la décision auxquels la cour renvoie. La cour rappelle que la société L'Oréal SA, société faîtière du groupe L'Oréal, est tenue pour responsable de l'infraction en tant qu'auteur et en tant que société-mère de la société Lascad. Elle ne peut donc utilement faire valoir qu'elle n'aurait pas joué un rôle concret dans la mise en œuvre des pratiques. Par ailleurs, l'Autorité a dûment pris en compte la taille et la puissance du groupe L'Oréal par rapport à celle des autres entreprises mises en cause.

447. Concernant la société Gillette, la société Procter & Gamble soutient que l'Autorité a méconnu le principe d'égalité de traitement en majorant la sanction de la société Gillette de 25 % au titre de la taille et de la puissance du groupe alors que la société Groupe Gillette France était une société autonome.

448. Mais l'infraction commise par la société Groupe Gillette France a été imputée à la société Procter & Gamble France en tant que successeur juridique. Elle a également été imputée à la société Procter & Gamble Holding France en tant que société-mère française de l'auteur des pratiques à compter du 30 novembre 2005 et à la société Procter & Gamble Company, en sa qualité de successeur juridique de la société The Gillette Company, mère directe de la société Groupe Gillette France avant le 8 novembre 2005, puis en sa qualité de société-mère ultime de Groupe Gillette France entre le 8 novembre 2005 et la fin des pratiques. Le chiffre d'affaire mondial consolidé de la société Procter & Gamble Company s'est élevé en 2013 à 84,17 milliards de dollars et ses activités s'étendent bien au-delà du territoire français et sur d'autres secteurs que l'entretien et d'hygiène.

449. C'est donc sans commettre d'erreur qu'au regard de la taille et de la puissance économique du groupe l'Autorité a augmenté de 25 % la sanction infligée aux trois sociétés Procter & Gamble France, Procter & Gamble Holding France et The Procter & Gamble Company.

450. Par ailleurs, la société Groupe Gillette France, auteur des pratiques, était détenue entre 2003 et le 8 novembre 2005 par la société The Gillette Company. Elle n'était donc pas autonome et l'infraction a été imputée à juste titre à la société Procter & Gamble Company, en sa qualité de successeur juridique de The Gillette Company.

b. Sur les réductions supplémentaires d'amende

i/ Absence de prise en compte des précédentes sanctions infligées à la société Henkel, ancienneté des faits, et coopération

451. La société Henkel oppose que le principe général d'équité aurait dû conduire l'Autorité à modérer l'amende qu'elle lui a infligée puisqu'elle avait déjà été sanctionnée pour des pratiques anticoncurrentielles commises au même moment (entre 2003 et 2005), concernant partiellement les mêmes personnes, et une même catégorie de produits. Elle ajoute que l'ancienneté des faits, et la mise en œuvre d'un programme de conformité auraient dû conduire l'Autorité à minimiser sa sanction.

452. Mais il y a lieu de rejeter cette demande, pour les mêmes motifs que ceux ayant conduit à rejeter précédemment la demande de la société Henkel tendant à diminuer la valeur de ses ventes de celles opérées dans le secteur des lessives en poudre (points 202 et s. du présent arrêt).

453. En effet, la Cour de justice a considéré, dans son arrêt du 13 février 1969, Walt Wilhelm et a. (14/68, point 11) qu'il est possible de sanctionner deux fois une même pratique, sur des fondements juridiques différents, en l'espèce le droit européen et le droit national de la concurrence, sous réserve d'une exigence d'équité obligeant à tenir compte de la première sanction prononcée : "Si, cependant, la possibilité d'une double procédure, devait conduire à un cumul de sanctions, une exigence générale d'équité, telle qu'elle a trouvé par ailleurs son expression dans la fin de l'alinéa 2 de l'article 90 du traité CECA, implique qu'il soit tenu compte de toute décision répressive antérieure pour la détermination d'une éventuelle sanction". Cette jurisprudence n'est, cependant, pas utilement invoquée, en l'espèce, car elle concerne un cumul de qualification pour les mêmes pratiques, alors qu'en l'espèce, la société Henkel a été sanctionnée pour des pratiques distinctes. De plus, ainsi qu'il a été précédemment relevé, l'Autorité a tenu compte de sa décision n° 11-D-17, concernant des pratiques distinctes, pour réduire le montant de base de l'amende de la société Henkel, afin de prendre en compte le fait que les effets des pratiques d'entente sanctionnées dans la décision n° 11-D-17 englobaient ceux des pratiques réprimées dans la décision sous revue. La société Henkel ne saurait bénéficier à deux reprises cumulatives de cette approche.

454. S'agissant des pratiques sanctionnées par la Commission, il a été constaté plus haut (Cf. points 202 et s. du présent arrêt) qu'elles avaient un objet différent et qu'il n'était pas démontré qu'elles aient pu affecter le marché français au même moment et donc englober les effets des pratiques en cause. Au surplus, il a été rappelé que le principe d'équité n'est pas opposable, ainsi que l'a déjà jugé la Cour d'appel de Paris, s'agissant de sanctions prononcées par une autre autorité de concurrence sur des éléments de droit et de fait distincts. Ce moyen sera donc rejeté.

455. Par ailleurs, la circonstance que le Conseil de la concurrence ait pu octroyer des réductions de sanction pour l'ancienneté des faits dans des affaires différentes ne saurait lier l'Autorité de la concurrence.

456. Enfin, la prétendue mise en œuvre d'un programme de conformité, bien après les faits, au demeurant non démontrée, ne saurait entraîner une réduction automatique de sanction.

ii/ Sur la réduction supplémentaire revendiquée au titre du caractère d'entreprise mono-produit

457. La société Vania fait valoir que l'Autorité a pris en compte, pour apprécier le caractère " mono-produit " de la société, le chiffre d'affaires de ses deux sociétés mères, ce qui, selon elle, serait contraire au premier alinéa du point 48 du communiqué sanctions et s'avérerait contraire à la pratique décisionnelle de l'Autorité, selon laquelle le caractère mono-produit d'une entreprise devrait être apprécié en tenant compte de la part que représentent les ventes réalisées en relation avec l'infraction dans le chiffre d'affaires de la seule société auteur des pratiques, et non dans le chiffre d'affaires de l'entreprise tenue pour responsable de l'infraction. Elle se prévaut à cet égard de l'analyse conduite dans les affaires dites du "papier peint " de décembre 2014 et du "porc charcutier " de 2013.

458. La société Vania indique qu'elle réalisait plus de 92 % de son chiffre d'affaires à l'époque des faits en relation avec l'infraction et qu'elle aurait donc dû bénéficier au moins de la réduction octroyée à la société Laboratoires Vendôme, de 50 %.

459. Cependant l'Autorité relève à juste titre que le communiqué sanctions rappelle, s'agissant du montant de base de la sanction, qu'elle peut l'adapter à la baisse pour tenir compte du fait que "l'entreprise concernée mène l'essentiel de son activité sur le secteur ou marché en relation avec l'infraction (entreprise " mono-produit "). C'est donc bien à l'entreprise au sens d'entité économique du terme que se réfère le communiqué sanctions. Il s'agit dans ce cas d'identifier une situation dans laquelle l'assiette de la sanction, c'est-à-dire la valeur des ventes en lien avec l'infraction, est proche du chiffre d'affaires de l'entreprise sanctionnée, ce qui peut conduire à adapter la méthode de détermination de la sanction, ainsi que l'a rappelé l'Autorité dans une décision récente n° 16-D-11 du 6 juin 2016.

460. Par ailleurs, dans son arrêt du 25 septembre 2014, rendu dans l'affaire dite du " porc Charcutier " (2013/05595), la cour d'appel ne s'est pas prononcée sur cette question, mais a estimé que l'Autorité avait méconnu le principe d'égalité de traitement ou de non-discrimination en ne prenant pas en compte le même périmètre des ventes selon les entreprises et en pratiquant une différence de traitement selon l'organisation juridique des marques. L'arrêt du 14 avril 2016, rendu dans l'affaire dite " des papiers-peints" (2015/01855) prend bien en considération le chiffre d'affaires de l'entreprise au sens économique du terme, même s'il rapporte la valeur des ventes des produits concernés par l'infraction, mais vendus par l'ensemble des sociétés composant l'entreprise, à la totalité des ventes de ces mêmes entreprises. Cependant, les parties ne sauraient tirer de cet arrêt une interprétation de portée générale du communiqué sanction de l'Autorité, dès lors qu'il précise statuer sur cette question au regard des seuls éléments d'explication présentés à la cour en l'espèce.

461. Il ressort de l'examen des situations des sociétés requérantes que l'Autorité n'a fait qu'appliquer les principes de sa pratique décisionnelle sur la question de savoir si celles-ci pouvaient revendiquer une réduction de sanction au titre de leur situation d'entreprise mono-produit dans le contexte de l'infraction, dont elle apprécie l'existence en rapportant le chiffre d'affaires des ventes en relation avec l'infraction au chiffre d'affaires global de l'entreprise sanctionnée. Cette analyse, permettant d'identifier une situation dans laquelle l'assiette de la sanction, c'est-à-dire la valeur des ventes en lien avec l'infraction est proche du chiffre d'affaires de l'entreprise sanctionnée.

462. C'est ainsi qu'elle a écarté à juste titre et sans discrimination, le caractère mono-produit invoqué par l'entreprise Vania en comparant les ventes réalisées en relation avec l'infraction, soit 203 millions d'euros, avec le chiffre d'affaire total réalisé par l'entreprise Vania, composée de Vania Expansion SNC et de ses deux sociétés mères, Georgia Pacifie France et Johnson & Johnson Consumer France SAS soit, 1,23 milliard d'euros.

463. Il en va de même s'agissant de la société Bolton Solitaire qui réalise 90 % de son chiffre d'affaires dans la commercialisation de produits d'entretien aux enseignes de la distribution. Puisqu'en effet les ventes réalisées en relation avec l'infraction s'élevaient en 2005 à 54,72 millions d'euros qui doivent être rapportées au chiffre d'affaire mondial consolidé de l'entreprise, constituée par la société mère Bolton Manitoba, soit 1,28 milliard d'euros. Dans ces conditions, l'Autorité a à juste titre estimé que l'entreprise, qui ne menait pas l'essentiel de son activité dans le secteur ou le marché en relation avec les infractions à la date des faits ne constitue pas une entreprise mono-produit au sens du point 48 du communiquée sanctions.

464. De façon identique, la société Johnson & Johnson Santé Beauté France conteste en vain la réduction de 50 % obtenue par la société Laboratoires Vendôme à ce titre, en soutenant que tous les cas d'application de cette réduction des sanctions par l'Autorité auraient été supérieurs à 50 %, dès lors que l'entreprise réalisait plus de 90 % de son chiffre d'affaires en relation avec les produits ou les services en cause, une partie sanctionnée n'étant pas fondée à contester sa condamnation en la comparant avec celle imposée à d'autres entreprises dans d'autres affaires.

465. Enfin et au regard des mêmes principes, c'est par une juste appréciation des faits de la cause que l'Autorité a refusé ce bénéfice à la société Reckitt Bensicker en retenant que l'entreprise Reckitt Benckiser, dont la société mère ultime, Reckitt Benckiser Plc s'est vu imputer des griefs est un groupe d'envergure mondiale et les ventes réalisées en relation avec les infraction, qui s'élevaient en 2005 à 435,7 millions d'euros dans le secteur de l'entretien et à 79,6 millions d'euros dans le secteur de l'hygiène, devaient être rapportées au chiffre d'affaires mondial consolidé de l'entreprise Reckitt Benckiser, soit 6,11 milliards d'euros.

466. L'ensemble des demandes fondées sur le caractère mono-produit des entreprises sont en conséquence rejetées.

iii/ Sur la réduction supplémentaire qui aurait dû être accordée au titre du statut de PME de l'entreprise

467. La société Bolton Solitaire soutient qu'elle se différencie nettement des autres entreprises par sa taille, sa part de marché et par l'absence de détention de marques incontournables, ses marques " Carolin " et " WC Net" étant très concurrencées sur leurs segments.

468. Mais le fait que l'entreprise mise en cause soit une PME, ou l'absence de détention de marques incontournables, au demeurant non démontrée, ne constitue pas en soi une circonstance individuelle de nature à justifier une réduction d'amende.

469. La société Johnson & Johnson Santé Beauté France soutient aussi que la société Laboratoires Vendôme était une PME, au chiffre d'affaires de 143 millions et qu'elle était plus exposée à la puissance d'achat de la grande distribution à cause de son pouvoir de négociation limité au regard de sa taille. Elle fait aussi valoir que les informations échangées ne lui étaient pas utiles, ses concurrents ne participant pas aux réunions des Amis qui portaient quasi exclusivement sur le secteur de l'entretien où elle n'était pas active. Enfin, elle soutient que l'Autorité n'a pas tenu compte du fait que la société Laboratoires Vendôme n'a participé qu'à un seul et unique échange sur ses tarifs futurs.

470. La cour renvoie aux réponses qu'elle a apporté précédemment à tous ces arguments : la qualité de PME ne justifie pas en soi une réduction d'amende ; la puissance d'achat de la grande distribution a été prise en compte au niveau de la fixation du montant de base de l'amende de chaque entreprise, l'Autorité estimant à juste titre que les fournisseurs contrebalançaient par leur entente cette puissance d'achat. Par ailleurs, ainsi qu'il sera précisé ci-dessous (point 477), la concurrence ne jouant pas seulement entre les produits considérés comme substituables par les consommateurs, mais, plus largement, entre les produits considérés comme substituables du point de vue des distributeurs, la circonstance que les concurrents de la société Laboratoires Vendôme ne participent pas aux réunions des Amis ne saurait priver d'intérêt les échanges auxquels celle-ci a pris part ; enfin, l'Autorité a pris en compte l'intensité de la participation de la société Laboratoires Vendôme aux points 1448 et 1449 de la décision par une juste motivation que la cour adopte.

iiii/ Sur la réduction supplémentaire qui aurait dû être accordée au titre du comportement pro-concurrentiel de l'entreprise et de sa participation limitée aux pratiques

471. La société Unilever soutient avoir eu un rôle pro-concurrentiel qui n'a pas été pris en compte, et qui aurait consisté dans la " remontée en marge avant " des remises conditionnelles de 0,40 % en application de la circulaire Dutreil, dans l'application très volontariste de l'engagement du 17 juin 2004 conduisant à des baisses de prix supérieures à 2 %, et la multiplication des promotions à sa charge exclusive au bénéfice du consommateur.

472. Elle soutient avoir adopté durablement un comportement concurrentiel, en ne suivant pas la concertation sur l'application de la circulaire Dutreil et consistant à refuser toute intégration en marge avant des réductions consenties en arrière. Elle explique avoir, en effet, décidé en octobre 2003 le basculement à l'avant d'une ristourne de 0,4 % dans le secteur de l'entretien et avoir fait de même dans le secteur de l'hygiène. S'agissant des échanges dans le cadre de l'engagement du 17 juin 2004, la société Unilever expose qu'elle n'a que très faiblement participé aux échanges relatifs à la sortie de cet engagement, aux échanges sur l'état d'avancement des remboursements par les distributeurs et sur les évolutions tarifaires. Elle n'aurait que faiblement participé aux échanges sur la dérive dans le cadre dudit engagement. S'agissant des échanges intervenus, dans le cadre de la loi Dutreil, sur les hausses de tarifs, la société Unilever souligne que, dans le secteur de l'hygiène, elle a conduit une politique autonome d'augmentation de ses tarifs de 5 % de façon isolée et n'a partagé cette information passée qu'avec un seul concurrent, la société Colgate Palmolive. Sa participation a été très limitée dans les échanges sur la dérive de la coopération commerciale demandée par les distributeurs (une seule réunion sur huit dans le secteur de l'hygiène ; aucune dans le secteur de l'entretien).

473. L'Autorité a justement répondu au point 1514 de sa décision que pour être retenu au titre de circonstance atténuante, le comportement concurrentiel d'une entreprise doit "avoir perturbé, en tant que franc-tireur, le fonctionnement même de la pratique en cause", ainsi qu'il est rappelé au point 45 du communiqué sanctions. Elle a exactement opposé que seul un non-respect systématique des positions annoncées par la société Unilever à ses concurrents, qui aurait perturbé le fonctionnement de l'entente, aurait pu être considéré comme un comportement de franc-tireur. Or, en participant aux échanges dans le cadre de la circulaire Dutreil et de l'engagement du 17 juin 2004, elle a reçu des informations de ses concurrents et les a informés de son comportement sur les marchés concernés. Cette société ne démontre donc pas avoir à aucun moment perturbé le fonctionnement de l'entente et sa demande à ce titre est rejetée.

c. Sur les autres circonstances aggravantes ou atténuantes

i/ Sur le rôle particulier de la société Colgate Palmolive

474. La société Colgate Palmolive conteste avoir joué le rôle de meneur dans l'entente. Elle fait valoir à ce titre que la décision finale n'établit que trois prises de contact effectuées par elle sur un total de huit participants aux réunions Team. Par ailleurs, elle explique que la décision de convier une entreprise à une réunion émanait de l'ensemble des participants et que l'organisation des réunions Amis a relevé de plusieurs sociétés, elle-même n'étant pas le meneur. Enfin, les échanges de correspondances ne visaient, selon elle, qu'à compléter les informations échangées au cours des réunions et ne sauraient suffire à faire de la société Colgate Palmolive un leader de l'entente.

475. Mais l'Autorité a exactement expliqué, au point 1478 de sa décision, que " le rôle de meneur est apprécié au travers d'un ensemble d'éléments qui témoignent de l'implication toute particulière de Colgate Palmolive dans l'ensemble des pratiques poursuivies ". Elle a estimé à juste titre que la convocation des nouvelles personnes physiques aux réunions Team HP témoignait du dévouement particulier de la société Colgate Palmolive à la concertation, et que la circonstance que le recrutement ou l'acceptation des nouveaux participants soient décidés en commun était indifférente. Par ailleurs, à ces éléments doivent être ajoutés, l'organisation des réunions des " Amis " et la coordination, par la société Colgate, des échanges de correspondances relatives aux conditions générales de vente ainsi qu'aux chiffres d'affaires s'étant déroulés entre les participants au Cercle Team HP et au Cercle Team PCP. Ces éléments établissent suffisamment le rôle de meneur de la société Colgate Palmolive, sans qu'importe que les sociétés Henkel et Johnson soient elles aussi intervenues dans l'organisation des réunions " Amis ".

ii/ Sur l'absence de participation aux pratiques des concurrents directs de Gillette sur le marché aval (Procter & Gamble)

746. La société Procter & Gamble expose que la société Gillette se trouvait dans une position de négociation très différente de celle des autres participants aux réunions, compte tenu de l'absence de ses concurrents sur le marché aval. Elle fait valoir que sa participation aux réunions a probablement été dans ce contexte très largement motivée par son besoin de comprendre le contexte réglementaire évolutif de l'époque et qu'elle n'a, en tout état de cause, pas pu affecter de manière significative ni ses concurrents, ni les consommateurs. Elle ajoute que la société Gillette n'aurait pas jugé rentable d'augmenter les prix nets de ses lames et rasoirs, car cette augmentation se serait traduite par une hausse des prix de détail et une partie significative de la demande des consommateurs finals se serait tournée vers ses concurrents Wilkinson, Bic ou des marques de distributeur.

477. Cependant, et ainsi que le relève l'Autorité, les fournisseurs avaient en l'espèce intérêt à coordonner leurs conditions commerciales, indépendamment du fait qu'ils soient ou non des concurrents sur le marché aval. En effet l'Autorité explique au point 120 de sa décision, auquel la cour renvoie, que dans le secteur de l'hygiène et dans le secteur de l'entretien, des produits qui ne sont pas substituables du point de vue du consommateur, le sont à un degré plus ou moins fort, du point de vue du distributeur. Elle expose que l'acheteur de la grande distribution peut décider de favoriser le produit qui génère le plus de marge, bien que non directement substituable au produit déréférencé, du point de vue du consommateur. Ainsi que le souligne l'Autorité, au point 122, "la concurrence à laquelle se livrent les fournisseurs dans le secteur de l'approvisionnement est donc significativement plus large que celle à laquelle ils se livrent, à l'aval, auprès des consommateurs".

478. Ainsi, la société Gillette trouvait bien un intérêt à coordonner sa politique commerciale avec celle d'autres fournisseurs du secteur, au détriment des distributeurs et des consommateurs finals. La société Procter & Gamble ne peut donc soutenir que la participation de la société Gillette aux pratiques n'aurait eu aucun effet. Il s'ensuit que sa demande à ce titre est rejetée.

d. Sur l'application du IV de l'article L. 464-2 du Code de commerce relatif au programme de clémence

479. La société Colgate Palmolive sollicite de la cour que soit retranchée du calcul de la sanction qui lui a été imposée la durée de l'infraction comprise entre janvier 2003 et le 4 novembre 2004, dont elle est la première à avoir fourni les preuves permettant d'en établir l'existence.

480. Elle invoque à cette fin l'application du point 19 du communiqué de procédure du 2 mars 2009 relatif au programme de clémence français (le communiqué de procédure du 2 mars 2009) qui prévoit que, lorsque l'entreprise présentant la demande de clémence "fournit des preuves incontestables permettant à l'Autorité d'établir des éléments de fait supplémentaire ayant une incidence directe sur la détermination du montant des sanctions (...), cette contribution supplémentaire sera prise en compte dans la détermination individuelle de la sanction qui pourra faire l'objet d'une exonération partielle " (point 19), exonération qui ne saurait en principe excéder 50 % du montant de la sanction (point 20).

481. Selon la société Colgate Palmolive l'analyse de l'Autorité confond la fixation du montant de base de la sanction, laquelle ne doit pas faire intervenir la durée supplémentaire de l'entente dénoncée par elle, et la fixation de la réduction au titre de la clémence, qui doit tenir compte de la valeur ajoutée des éléments qu'elle a produits. Elle précise qu'une fois que l'Autorité a calculé un montant de base en excluant la durée supplémentaire dénoncée par le demandeur de clémence, elle doit appliquer à ce montant de base la réduction à laquelle ce demandeur a droit au titre de sa coopération. Elle estime que selon le libellé du point 19 précité l'exonération au titre de la clémence vient après la détermination de la sanction et se cumule ainsi avec l'absence de prise en compte de la durée de l'entente pour la partie dénoncée par l'entreprise.

482. Elle demande en conséquence que soit appliqué au montant de base de sa sanction un coefficient de durée de 1,08 (coefficient pour la durée de un an et deux mois comprise entre le 4 novembre 2004 et le 3 février 2006) et non de 2 (coefficient de durée retenu pour une participation de trois ans).

483. L'Autorité de la concurrence a, dans ses observations, renvoyé aux motifs de sa décision et rappelé que la société Colgate Palmolive ne peut bénéficier d'une réduction de sanction allant au-delà de 50 % et qu'elle ne peut sur ce point invoquer à son profit la pratique européenne qui n'est pas applicable en application du principe d'autonomie procédurale.

484. Les motifs auxquels renvoie l'Autorité se trouvent aux points 1625 et 1626 de la décision. Outre l'impossibilité d'invoquer la pratique de la Commission, l'Autorité oppose que la demande de clémence de la société Colgate Palmolive est antérieure à la publication du communiqué de procédure du 2 mars 2009 qu'elle invoque et rappelle qu'en tout état de cause, cette requérante ne pourrait bénéficier d'une exonération partielle excédant 50 % du montant de la sanction qui lui aurait été imposée si elle n'avait pas bénéficié de la clémence. Elle ajoute que, même en l'absence de disposition spécifique, la contribution supplémentaire de la société Colgate Palmolive relative aux réunions Team HP est dûment prise en compte par la décision, puisque c'est la révélation de ces réunions qui lui vaut de bénéficier d'une exonération partielle de 50 %.

485. Le ministre de l'Économie indique que pour ne pas pénaliser l'entreprise qui a permis de révéler une durée d'infraction plus longue, il y a lieu d'admettre que la réduction spécifique prévue à l'article 19 du communiqué de procédure 2 mars 2009 puisse jouer pleinement sur le montant de base du calcul du montant de la sanction. Quand bien même cette disposition ne serait-elle pas applicable en l'espèce, il précise que pour des motifs d'équité il ne s'oppose pas à une réduction de sanction spécifique à ce sujet.

486. Le ministère public partage l'analyse de l'Autorité et propose à la cour d'écarter le moyen.

487. L'article 19 du communiqué de procédure du 2 mars 2009 est situé dans la partie consacrée aux conditions d'octroi d'une exonération partielle dans le cas dit de " type 2 ", c'est-à-dire celui où l'Autorité dispose déjà d'éléments d'informations relatives à une entente présumée. Il précise que " Par ailleurs, si l'entreprise qui présente la demande fournit des preuves incontestables permettant à l'Autorité d'établir des éléments de fait supplémentaires ayant une incidence directe sur la détermination du montant des sanctions pécuniaires infligées aux participants à l'entente, cette contribution supplémentaire sera prise en compte dans la détermination individuelle de la sanction qui pourra faire l'objet d'une exonération partielle ".

488. Ce communiqué de procédure qui révise le précédent du 11 avril 2006, a pour objet de préciser les conditions dans lesquelles l'Autorité met en œuvre les dispositions des articles L. 464-2, IV, et R. 464-5 du Code de commerce relatifs à la procédure de clémence. Il n'a pas valeur législative ou réglementaire et constitue une grille d'analyse pour les parties et l'Autorité. Dans cette mesure, son application n'est pas soumise aux principes d'applicabilité de la loi dans le temps et il est sans effet qu'il ait été adopté, postérieurement aux pratiques et à l'avis de clémence dont a bénéficié la société Colgate Palmolive. En revanche, et puisqu'il comporte des règles applicables à une sanction, une partie peut invoquer son application en vertu du principe selon lequel une disposition relative à une sanction plus douce que le régime antérieur doit être mise en œuvre de façon immédiate.

489. Il convient de relever que l'Autorité ne conteste pas qu'elle ne disposait pas d'éléments relatifs au cercle de réunions Team HP permettant de faire remonter la pratique à une période antérieure au 4 novembre 2004. Toutefois ces éléments n'ont pas permis d'établir une infraction différente de celle pour laquelle l'Autorité disposait déjà d'éléments, lesquels lui avaient été apportés dans le cadre de la première demande de clémence. En outre, la société Colgate Palmolive a bénéficié d'une exonération de sanction de 50 % pour l'apport de ces éléments, ainsi que l'énonce le point 1622 de la décision. Or il est prévu par l'article 20 du communiqué de procédure du 2 mars 2009 que l'exonération partielle des sanctions pécuniaires accordée à une entreprise ayant apporté une valeur ajoutée significative ne saurait en principe excéder 50 % du montant de la sanction qui lui aurait été imposée si elle n'avait pas bénéficié de la clémence. Elle ne peut donc revendiquer une diminution supplémentaire de sa sanction.

490. Sur ce point, la société Colgate Palmolive n'est pas fondée à soutenir que l'article 19 précisant que "cette contribution supplémentaire sera prise en compte dans la détermination individuelle de la sanction qui pourra, faire l'objet d'une exonération partielle ", elle doit bénéficier d'une exemption au titre de la durée de l'infraction qu'elle a aidé à établir dans le cadre du calcul de la sanction. En effet, cette formulation ne peut se lire comme signifiant que l'entreprise qui apporte des éléments à valeur ajoutée significative doit bénéficier d'une diminution de la sanction qui peut aussi faire l'objet d'une exonération partielle, puisque l'article 20 qui le suit énonce seulement une exonération de sanction qui ne peut, en principe excéder 50 %.

491. La société Colgate Palmolive, en sa qualité de successeur juridique de la société Sara Lee sollicite, par ailleurs, que le bénéfice de la clémence qui lui a été accordée le 19 juin 2006 en tant qu'auteur des pratiques soit étendu à la sanction qui lui est infligée en sa qualité de successeur juridique de la société Sara Lee. Elle fait valoir en ce sens que c'est à l'entreprise comprise comme désignant une unité économique qu'est octroyé le profit de ces procédures de sorte que toutes les entités juridiques qui la composent doivent pouvoir en bénéficier. Dans l'hypothèse où la cour ferait droit à cette demande, elle requiert de surcroît une réduction additionnelle de la sanction de Sara Lee dans le secteur de l'entretien afin qu'il soit tenu compte des pratiques antérieures au 4 novembre 2004 que la société Colgate Palmolive a permis d'établir, par application du système dit de " Leniency Plus" ou d'" Amnesty Plus ".

492. Il convient sur ce point de rappeler que c'est l'unité économique qui a déposé une demande de clémence et transmis les preuves décisives qui a bénéficié de la procédure de clémence, à savoir la filiale et la société mère qui la détient à 100 % au moment de cette demande. Cependant, force est de constater que, ainsi que le souligne la décision, au moment du dépôt de sa demande de clémence en juin 2006, la société Colgate Palmolive n'a pu déposer de demande que pour l'unité économique qu'elle formait à l'époque, dont la société Sara Lee, qui n'a rejoint l'entreprise qu'en 2011, ne faisait pas partie. Il en résulte que la requérante " ne pouvait pas engager, au moment du dépôt de sa demande de clémence, une future société dont elle n'était pas encore le successeur, juridique " (point 1628). Il importe peu sur ce point qu'en dénonçant ses propres pratiques, la société Colgate Palmolive ait aussi dénoncé celles de la société Sara Lee, ou que le rachat de cette filiale ne l'ait pas conduite à absorber les moyens matériels et humains ayant concouru à l'infraction.

493. Au surplus, il ressort des éléments du dossier que la société Sara Lee, antérieurement à son absorption par la société Colgate Palmolive SAS le 1er décembre 2011, n'a pas sollicité le bénéfice de la procédure de clémence. Pour ces motifs, seule l'unité économique qui a en l'espèce déposé la demande de clémence, à savoir le groupe Colgate Palmolive et les entités juridiques qui le composaient lors du dépôt de cette requête, peuvent bénéficier de l'exonération de sanction attachée à cette procédure. A ce sujet il convient de relever que la société requérante a été récompensée de sa coopération dans le cadre de la procédure de clémence par une exonération de 50 % de sa sanction et qu'elle n'est pas fondée à revendiquer une récompense complémentaire au titre de sa filiale, qui n'a elle-même déposé aucune demande ni n'a coopéré à l'établissement des infractions. Les moyens de la requérante doivent en conséquence être rejetés.

e. Sur la mise en œuvre cumulée des dispositions des III et IV de l'article L. 464-2 du Code de commerce

494. Les sociétés Colgate Palmolive et Henkel soutiennent qu'elles auraient dû bénéficier d'une réduction cumulée d'amende au titre des procédures de clémence et de non-contestation des griefs. Elles font valoir à ce sujet que l'application en cascade des réductions retenue en l'espèce par la décision, au lieu du cumul des taux de réduction, serait contraire aux dispositions du communiqué sanctions selon lesquelles " l'Autorité réduit (...) le montant de la sanction pécuniaire pour tenir compte de l'exonération totale ou partielle accordée au titre de la clémence régie par le IV de l'article L. 464-2 du Code de commerce et de la réduction accordée au titre de la non-contestation des griefs prévue par le III du même article " (point 61). Elles considèrent que l'application de cette disposition telle qu'elle résulte de la décision conduit à une inégalité de traitement au détriment des demandeurs de clémence et qu'elle nuit à l'attractivité de la procédure de clémence. Elles soutiennent en outre qu'une addition des pourcentages de réduction correspondrait à la solution retenue par la Commission en matière de transaction.

495. Le ministre de l'Economie observe que la méthode retenue par l'Autorité conduit à une forme d'inégalité de traitement entre les bénéficiaires de la procédure de non-contestation des griefs. En effet, selon lui, pour un même pourcentage de réduction obtenu au titre de la non-contestation des griefs par une entreprise bénéficiant de cette seule procédure et par une entreprise bénéficiant par ailleurs de la clémence, l'effet de réduction est plus faible dans le second cas puisque la réduction de l'amende au titre de la clémence diminue l'assiette à laquelle est appliqué le taux de réduction obtenu dans de cadre de la non-contestation des griefs.

496. Il estime que l'application dite " en cascade " plutôt que cumulative des réductions aboutit à ce que les entreprises décidant de coopérer le plus et avant les autres (clémence) soient moins bien traitées que celles qui n'ont pas fait ce choix. Il est en conséquence favorable à une solution de cumul des réductions.

497. Le Ministère public s'en remet sur ce point à l'appréciation de la cour,

498. Il convient de rappeler qu'à l'article 6 du communiqué de procédure portant sur la procédure de non-contestation des griefs, du 10 février 2012, l'Autorité précise que dans les affaires dans lesquelles les procédures de clémence et de non-contestation des griefs sont envisageables, il convient d'inciter les entreprises à s'orienter en premier lieu vers la clémence, qui revêt plus d'intérêt dans la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles, mais que " cela est néanmoins sans préjudice de la possibilité d'accorder à une seule et même entreprise, à l'initiative du rapporteur général, une réduction de sanction au titre tant du III que du IV de l'article L. 464-2 du Code de commerce, lorsque l'Autorité estime que les gains procéduraux attendus d'un tel cumul sont suffisants ". Il résulte des termes de ce texte que s'il fait référence à un cumul, celui-ci porte sur les procédures, mais ne laisse nullement penser que l'Autorité procéderait à un cumul des taux. Il convient en conséquence de rejeter le moyen par lequel les requérantes soutiennent que l'application " en cascade " des taux de réduction serait contraire à cette disposition du communiqué de procédure du 10 février 2012. En outre, les parties n'apportent aucun élément qui permettrait de constater que l'Autorité aurait laissé penser qu'elle cumulerait les taux de réduction accordés au titre de la clémence puis de la non-contestation des griefs. Les dispositions du III et du IV de l'article L. 464-2 du Code de commerce ne permettent pas davantage d'infirmer ce constat.

499. Par ailleurs, il appartient à l'Autorité de la concurrence chargée de la régulation de la concurrence sur les marchés, de définir la façon dont elle estime devoir articuler les différentes procédures de clémence et de non-contestation des griefs dans le respect des droits des parties.

500. Lorsque, conformément au point 6 du communiqué de procédure du 10 février 2012 précité l'Autorité décide de mettre en œuvre les deux procédures conjointement, il se déduit des dispositions de celui-ci qu'elle doit d'abord appliquer au montant de base l'exonération totale ou partielle accordée au titre de la clémence avant de faire application de la réduction accordée au titre de la non-contestation des griefs. Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, cette application en cascade des deux réductions n'aboutit pas à une inégalité de traitement au détriment des bénéficiaires de la procédure de clémence dès lors que l'exonération totale ou partielle dont ceux-ci bénéficient est nécessairement supérieure à la réduction pouvant être accordée au titre de la non-contestation des griefs afin de ne pas nuire à l'attractivité de cette première procédure.

501. Par ailleurs, en vertu du principe d'autonomie procédurale, il ne saurait sur ce point être reproché à l'Autorité de ne pas adopter la même façon de procéder que la Commission.

502. Il se déduit de l'ensemble de ce qui précède qu'en ayant appliqué au montant de base de la sanction des sociétés Colgate Palmolive et Henkel une réduction de 50 % pour Colgate Palmolive et de 25 % dans le secteur de l'entretien et de 30 % dans le secteur de l'hygiène pour la société Henkel, au titre de la clémence, puis de 18 % au titre de la procédure de non-contestation des griefs, la décision n'a pas méconnu les principes susmentionnés ni les droits des parties.

f/ Sur la méconnaissance du principe d'égalité de traitement concernant les réductions accordées au titre des programmes de conformité

503. Plusieurs requérantes invoquent une méconnaissance du principe de l'égalité de traitement concernant les réductions de sanction accordées au titre des programmes de conformité dans le cadre de la procédure de non-contestation des griefs.

504. La société Henkel estime ainsi que la décision est entachée d'une contradiction de motifs dans la mesure où elle a bénéficié de la même réduction d'amende de 8 % que la société Colgate Palmolive au titre de ses engagements, alors qu'elle en a souscrit davantage que celle-ci. La requérante souligne sur ce point s'être engagée à appliquer son programme de conformité à l'ensemble de ses activités, à imposer à chacun de ses responsables la signature annuelle d'une attestation du respect du droit de la concurrence par les équipes dont elle a la charge, d'instaurer une protection de tout employé dénonçant des pratiques anticoncurrentielles ainsi qu'à conduire des enquêtes internes en cas d'alerte.

505. L'Autorité de la concurrence précise que la société Henkel ne peut prétendre avoir souscrit des engagements d'amélioration de son programme de conformité supérieurs à ceux de la société Colgate Palmolive dès lors qu'elle n'a pas proposé, contrairement à celle-ci, des vérifications successives du bon fonctionnement du programme de conformité pendant dix ans, progrès qu'elle avait décidé de valoriser.

506. Il résulte de la lecture des engagements pris par les sociétés Henkel et Colgate Palmolive que les mesures de contrôle et d'audit qu'elles ont proposées sont similaires tant dans leur portée que leur fréquence. La société Henkel s'est ainsi engagée à réaliser un audit tous les trois ans, pendant dix ans, sur le respect du droit de la concurrence ainsi qu'un audit annuel s'agissant du respect du programme de conformité durant cinq ans. De la même façon, la société Colgate Palmolive s'est engagée à mettre en œuvre trois audits de droit de la concurrence dans les dix ans ainsi que trois audits dits de " compliance " sur le programme dans les six ans. Le même constat s'impose s'agissant des autres améliorations proposées de leur programme de conformité, consistant, notamment, en la délivrance d'un message de la direction en faveur du respect du droit de la concurrence, en la nomination d'un responsable conformité, en des mesures de formations en ligne et en présence des salariés, ainsi qu'en l'insertion dans les contrats de travail d'une clause obligeant au respect du droit de la concurrence. En outre, la société Henkel s'est engagée à adresser un rapport annuel à l'Autorité de la concurrence pendant cinq ans à la suite de l'audit annuel relatif au respect du programme, détaillant de surcroît le suivi des formations. Ces engagements sont semblables à ceux souscrits par la société Colgate Palmolive.

507. Mais, de plus, la société Henkel a également pris d'autres engagements plus amples que la société Colgate Palmolive, notamment, d'une part, celui substantiel consistant à étendre l'application de son programme à l'ensemble de ses activités, d'autre part, celui d'augmenter la fréquence des formations au rythme d'une formation annuelle obligatoire de manière " présentielle" à laquelle s'ajoute une formation en ligne deux fois par an durant dix ans et une formation spécifique chaque fois qu'un ou des employé(s) est (sont) affecté(s) par un nouveau texte.

508. Il s'en déduit qu'en appliquant la même réduction d'amende de 18 % à la société Colgate Palmolive et à la société Henkel au titre de leurs engagements, alors que l'importance des propositions d'améliorations du programme de conformité de cette dernière était supérieure à celles de la société Colgate Palmolive, la décision a méconnu le principe d'égalité de traitement entre ces deux requérantes. Elle devra en conséquence être réformée sur ce point et la réduction d'amende accordée à la société Henkel sera augmentée d'un point, pour s'élever à 19 %.

509. Les sociétés SCA Tissue France, Reckitt Benckiser, Procter & Gamble et Beiersdorf, qui ont obtenu une réduction de 16 % du montant de leur sanction, soutiennent par ailleurs que la décision aurait méconnu le principe d'égalité de traitement en ne leur accordant pas une réduction totale de 18 %.

510. La société SCA Tissue France affirme que l'Autorité aurait procédé à une différence de traitement à son encontre en omettant de mentionner certaines caractéristiques essentielles de ses propositions, dont les éléments matériels et humains mobilisés pour l'instauration d'une formation par Internet, qu'avec la société Reckitt Benckiser elle est seule à avoir proposée. Elle ajoute que la formulation selon laquelle le programme de conformité a vocation à concerner l'ensemble de ses activités est un engagement réel sur ce point. En ne lui accordant qu'une réduction de 16 %, alors que ses propositions correspondaient aux bonnes pratiques du document cadre de conformité, l'Autorité a appliqué une différence de traitement injustifiée à son égard. Elle ajoute que l'Autorité n'a pas pris en compte sa situation particulière puisqu'elle n'est dans la cause qu'en tant que successeur juridique d'une des anciennes sociétés mères de la société Vania, ce qu'elle est devenue postérieurement aux pratiques. Elle a choisi de s'aligner sur la démarche de son ancienne filiale en entrant, en son nom et pour son compte, dans une procédure de non-contestation des griefs tout en proposant des engagements. Elle estime qu'une réduction au moins équivalente à celle de 18 %, obtenue par la société Vania qui elle a participé aux pratiques, aurait dû lui être accordée pour tenir compte de sa situation particulière. Enfin, elle fait valoir qu'en raison de la qualité de son programme de conformité existant, les améliorations possibles qu'elle pouvait proposer étaient nécessairement limitées.

511. Aucun de ces arguments n'est de nature à remettre en cause l'appréciation de l'Autorité sur la portée des engagements pris. En effet, ainsi que l'indique l'Autorité dans ses observations, la création d'un dispositif de formation par Internet proposée par la requérante n'est pas un engagement aussi substantiel que ceux pris par les parties ayant obtenu un taux de réduction plus élevé, ainsi, par exemple, celui de compléter un tel système par un autre de formation en présence des personnes concernées (mode "présentiel ") qu'ont instauré les entreprises qui ont obtenu une réduction supérieure. Le coût de la formation mise en œuvre est sur ce point sans influence. Par ailleurs, certaines de ces autres parties ont pris un engagement d'élargir le périmètre d'activités couvert par le programme existant à toutes leurs activités, ce que n'a pas fait la société SCA Tissue France, qui s'est contentée d'indiquer que son programme avait seulement " vocation " à s'appliquer aux autres activités, ce qui, quoiqu'elle en dise, ne constitue pas un engagement d'étendre le champ du périmètre des engagements.

512. Au surplus, la requérante n'est pas fondée à solliciter le même pourcentage de réduction de 18 % accordé à la société Vania. Il y a lieu de rappeler sur ce point, ainsi que le relève la décision, que l'ensemble des entreprises concernées disposaient déjà d'un programme de conformité, dont elles n'ont fait que proposer des améliorations (point 1652) et que la société SCA Tissue France n'a pas été désavantagée. C'est donc à juste titre, compte tenu de ces éléments et sans porter atteinte au principe d'égalité de traitement, que l'Autorité a fixé à 16 % la réduction de sanction accordée à la société SCA Tissue France. La cour relève au surplus que l'appréciation conduite à ce sujet porte seulement sur la valeur des engagements en tant que telle, sans qu'importe de savoir si l'entreprise en cause a participé aux pratiques en cause ou si elle en est seulement le repreneur de l'auteur de celles-ci.

513. La société Reckitt Benckiser reproche à l'Autorité d'avoir rompu l'égalité de traitement en ne lui accordant pas une réduction totale de 18 % alors que son programme de conformité était similaire à celui souscrit par les entreprises ayant bénéficié de cette réduction.

514. Cependant, et contrairement à ce qu'elle soutient, la cour constate que ses propositions d'améliorations de son programme de conformité ne sont pas aussi substantielles et sont d'une importance inférieure à celles des entreprises ayant obtenu une réduction plus élevée que celle qui lui a été accordée. En particulier, la formation en ligne dispensée à tout nouveau mandataire social, cadre et salariés présentant des profils de risque, dans les plus brefs délais à compter de leur prise de fonction, ainsi que la formation ponctuelle d'une demi-journée organisée au profit de ces mêmes salariés, que s'est engagée à mettre en œuvre la requérante, sont de moindre portée que les dispositifs de formation en ligne et dispensés en présence des personnels. La cour observe sur ce point que les engagements de formation des mises en cause ayant obtenue une réduction de 18 % visent l'ensemble des salariés suivant une fréquence régulière. De la même façon, les deux audits de concurrence visés par le programme de la société Reckitt Benckiser constituent un engagement moins exigeant que les trois audits concernant le respect du droit de la concurrence, ainsi que ceux relatif au respect du programme de conformité que se sont engagées à réaliser les entreprises ayant obtenu une réduction plus importante. Pour ces motifs, la décision n'a pas méconnu le principe d'égalité de traitement en accordant une réduction de 16 % à la société Reckitt Benckiser. Il en résulte que le moyen doit être rejeté. La cour relève de surcroît que l'Autorité qui a suffisamment motivé sa décision sur ce point n'a pas défavorisé la société Reckitt Benckiser et toutes celles qui avaient mis en place un programme après les infractions, mais a apprécié ces programmes dans leur ensemble pour en comparer les exigences.

515. La société Procter & Gamble oppose que la décision a violé le principe de non-discrimination et d'égalité de traitement en la traitant différemment des entreprises ayant obtenu une réduction de 18 %, alors qu'elle avait consenti des engagements comparables, en particulier ceux jugés valorisables par l'Autorité.

516. La requérante s'est en effet proposée de mettre en place l'un des engagements jugé valorisable par la décision, consistant en l'instauration d'un audit de conformité au droit de la concurrence tous les trois ans pendant six ans et " en tant que besoin ". Cependant, il y a lieu d'observer que tant la fréquence des contrôles similaires instaurés par les entreprises ayant obtenu une réduction supérieure, en moyenne trois tous les dix ans, c'est-à-dire un tous les trois ans pendant dix ans, que le champ couvert par ceux-ci, à savoir le respect du droit de la concurrence et du programme de conformité, sont substantiellement plus importants que ceux proposés par la mise en cause. Le fait qu'un tel audit puisse être mis en place " à chaque fois qu'un besoin significatif sera identifié" est à ce sujet un engagement vague, faute de précision de ce que peut recouvrir les termes de " besoin significatif". La cour constate, au surplus, que la circonstance selon laquelle la mise en cause s'est engagée à renforcer la communication à l'intention de ses employés durant cinq ans concernant l'existence d'une ligne téléphonique leur permettant de dénoncer les atteintes au droit de la concurrence, leur garantissant la confidentialité et l'anonymat, ne permet pas d'infirmer cette appréciation. Par ailleurs, s'il ressort des éléments du dossier que cet engagement est comparable à celui consenti par les entreprises ayant obtenu une réduction d'amende supérieure, l'importance des améliorations du programme de conformité de celles-ci, consistant notamment en l'organisation régulière de formation en ligne et en présence des salariés à destination de l'ensemble de ceux-ci et en l'insertion d'une clause contractuelle relative au respect du droit de la concurrence, sont plus importantes que celles de la société Procter & Gamble. Il en résulte que cette dernière n'est pas fondée à soutenir que les engagements qu'elle a souscrits sont comparables à ceux des entreprises ayant obtenu une réduction de 18 % et que, contrairement à ce qu'elle affirme, la décision n'a pas porté atteinte au principe de non-discrimination et d'égalité de traitement en ne lui accordant qu'une réduction de 16 % au titre de ses engagements. Le moyen doit en conséquence être rejeté.

517. La société Beiersdorf fait grief à la décision de lui avoir accordé sans motivation et de façon erronée une réduction d'amende inférieure à celle des entreprises ayant obtenu une réduction de 18 %, alors que ses engagements étaient similaires. Elle relève, en particulier, avoir souscrit l'extension de son programme à " l'ensemble des activités en matière d'hygiène, beauté et parfumerie de Beiersdorf à destination de la grande distribution en France ", soit un périmètre plus large que celui des pratiques, car il inclut les produits de parapharmacie commercialisés par elle sous la marque Hansaplast qui ne sont pas concernés par les pratiques. Elle précise que, dans ces conditions, c'est de facto 100 % de son chiffre d'affaires en France, incluant l'ensemble de ses activités de produits d'hygiène, beauté et parfumerie, qui est concerné par cet engagement. Elle soutient qu'elle s'était déjà engagée à réaliser des audits de concurrence ponctuels en fonction des besoins dans son programme de conformité existant, de sorte qu'elle ne pouvait prendre un engagement de ce type.

518. Toutefois, il y a lieu d'observer que le périmètre du programme de la requérante tel qu'il est énoncé dans ses engagements, ne dépasse pas les produits d'hygiène, beauté, parfumerie, à destination de la grande distribution, contrairement à celui de certaines entreprises ayant obtenu une réduction supérieure, qui ont étendu leur programme à l'ensemble de leurs activités, y compris celles qui ne relèvent pas de la grande distribution. Si elle indique que cet engagement concerne aussi le secteur de parapharmacie avec la marque Hansaplast vendue dans le secteur de la grande distribution, la cour relève qu'il résulte des éléments précisés au point 80 de la décision que la société Beiersdorf distribue aussi l'une de ses marques en pharmacie et une autre très haut de gamme en parfumerie. Elle ne peut, dans ces conditions, prétendre que 100 % de son chiffre d'affaires serait concerné par les engagements pris.

519. En outre, chacune des entreprises concernées disposait déjà d'un programme de conformité, de sorte qu'afin de pouvoir leur attribuer un pourcentage de réduction, l'Autorité a en l'espèce apprécié les améliorations proposées par celles-ci. Elle précise dans ses observations que le dispositif mis en place par la société Beiersdorf " ne comporte pas le renforcement du dispositif d'alerte professionnelle par la création d'une ligne téléphonique préservant l'anonymat", ce qui ne se vérifie pas puisque la société Beiersdorf produit les pièces permettant de constater que la note interne d'information individuelle sur la mise en place du dispositif d'alerte envoyée le 22 juin 2015 aux salariés " vise à donner la possibilité à n'importe quel employé de la société en France d'alerter les départements de gestion, d'audit et de conformité du siège (...) en cas d'infraction au droit de la concurrence ". Cette note précise que ce service est disponible 24 H sur 24, que tant que la personne ne révèle pas son identité, le système d'alerte professionnelle protège son anonymat techniquement et qu'il sera préservé tant que la loi le permet. Par ailleurs, la société Beiersdorf a souscrit des engagements de même nature et identiques à ceux pris par les entreprises ayant bénéficié du taux de 18 %.

520. Toutefois, si les observations de l'Autorité sur ce point ne sont pas fondées, la cour relève que la société Beiersdorf, n'a pas souscrit d'engagement portant sur l'accomplissement d'un audit régulier pendant une période déterminée permettant de vérifier l'adéquation du programme de conformité aux exigences du droit de la concurrence et son respect, comme l'ont fait les entreprises qui ont obtenu un taux de réduction plus élevé que celui de 16 %. Pour ces deux motifs (absence d'engagement d'extension du périmètre du programme de conformité et absence d'engagement portant sur l'accomplissement d'un audit régulier et renouvelé) la requérante ne peut soutenir que son programme de conformité était similaire à celui des entreprises ayant obtenu une réduction supérieure. Il s'ensuit que le pourcentage de réduction de 16 % qui lui a été accordé au titre de ses engagements doit être confirmé.

Les moyens soutenus sur ces différents points sont en conséquence écartés à l'exception de ceux invoqués par la société Henkel.

D. Sur le montant des sanctions

521. Il se déduit de l'ensemble de ce qui précède que les recours sont rejetés, sauf en ce qui concerne les sanctions prononcées à l'égard des sociétés Lascad, Procter & Gamble, et Henkel dont les sanctions seront modifiées de la façon suivante

522. Société Lascad

523. Ainsi qu'il a été jugé au point 409 du présent arrêt, l'abattement au titre du degré de participation de la société Lascad doit être augmenté, à - 23 % au lieu de - 14 %. Ce taux appliqué au montant de base de 46 058 268 euros (décision, point 1424, page 264), donne un nouveau montant de base de 35 464 866 euros auquel est appliquée le reste de la méthode de l'Autorité (en l'occurrence une majoration de + 15 % au titre de l'appartenance à un groupe puissant), de laquelle résulte une sanction finale de 40 784 596 euros, arrondie au millier inférieur comme le fait l'Autorité, c'est-à-dire 40 784 000 euros.

Société Procter & Gamble

Ainsi qu'il a été jugé au point 411 du présent arrêt, l'abattement au titre du degré de participation de la société Procter & Gamble doit être augmenté, dans le secteur de l'hygiène, à - 14 % au lieu de - 12 %. Ce taux appliqué au montant de base de 42 325 920 euros (décision, point 1424) donne un nouveau montant de base de 36 400 291 euros auquel est appliqué le reste de la méthode de l'Autorité (en l'occurrence une majoration de +15 % au titre de l'appartenance à un groupe puissant, puis une diminution de - 16 % pour ses engagements dans la procédure de non-contestation des griefs), de laquelle résulte une sanction finale de 38 220 306 euros dans le secteur de l'hygiène, arrondie à 38 220 000 euros.

524. Société Henkel

Ainsi qu'il a été jugé au point 508 du présent arrêt, le taux de réduction accordé au titre des engagements est porté à - 19 % au lieu de - 18 %. En conséquence, la sanction infligée à la société Henkel sera fixée à 58 384 460 euros, arrondie à 58 384 000 euros, dans le secteur de l'entretien et à 49 452 147 euros, arrondie à 49 452 000 euros, dans le secteur de l'hygiène.

Par ces motifs : - Déclare irrecevable la demande de la société Hillshire invitant la cour à poser une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel relative à la nécessité de traduction de la notification de griefs ; - Déclare irrecevable la demande de la société Hillshire tendant à ce que la cour prenne acte de ce que l'Autorité de la concurrence aurait abandonné la partie des griefs notifiés en ce qu'ils visaient des pratiques anticoncurrentielles par leurs effets ; - Rejette les recours à l'exception de ceux des sociétés Lascad, Procter & Gamble, et Henkel ; - Infirme la décision n° 14-D-19 de l'Autorité de la concurrence en ce qu'elle a infligé les sanctions de : 59 105 000 euros, solidairement, aux sociétés Henkel France et Henkel AG & Co. KgaA au titre des pratiques mises en œuvre dans le secteur de l'entretien (article 3) ; 50 062 000 euros, solidairement, aux sociétés Henkel France et Henkel AG & Co. KgaA au titre des pratiques mises en œuvre dans le secteur de l'hygiène (article 5) ; 39 109 000 euros, solidairement, aux sociétés Procter & Gamble France, Procter & Gamble Holding France et The Procter & Gamble Company (article 5) ; 189 494 000 euros à la société L'Oréal (SA) la société Lascad étant solidairement responsable du paiement de cette somme à hauteur de 45 551 000 euros (article 5) ; Statuant à nouveau : - Inflige les sanctions suivantes : 189 494 000 euros à la société L'Oréal (SA) la société Lascad étant solidairement responsable du paiement de cette somme à hauteur de 40 784 000 euros ; 58 384 000 euros, solidairement, aux sociétés Henkel France et Henkel AG & Co. KgaA au titre des pratiques mises en œuvre dans le secteur de l'entretien ; 49 452 000 euros, solidairement, aux sociétés Henkel France et Henkel AG & Co. KGaA au titre des pratiques mises en œuvre dans le secteur de l'hygiène ; 38 220 000 euros, solidairement, aux sociétés Procter & Gamble France, Procter & Gamble Holding France et The Procter & Gamble Company ; - Rejette l'ensemble des demandes fondées sur l'article 700 du Code de procédure civile.