CA Paris, Pôle 1 ch. 1, 25 octobre 2016, n° 15-24534
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Socomec (SAS)
Défendeur :
DM Elektron (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Guihal
Conseillers :
Mmes Salvary, Rey
Avocats :
Mes Grappotte-Benetreau, Clever, Peguet, Vidoni, Lauriol
La société Socomec, anciennement dénommée Socomec-Sicon, était en relation d'affaires avec la société italienne DM Elektron, anciennement dénommée Flextronics International Udine SpA.
La société Socomec-Sicon et la société Flextronics International Udine SpA ont signé un accord logistique en langue anglaise le 7 juin 2001 en vue de la fourniture par cette dernière de cartes électroniques.
Par courrier en date du 6 juin 2011, la société Socomec a mis fin, à compter du 30 juin 2011, aux relations avec la société DM Elektron, invoquant des manquements de cette dernière quant à la qualité des produits et au respect des délais de livraison et des prix convenus.
La société DM Elektron a fait assigner la société Socomec le 28 novembre 2014 devant le Tribunal de commerce de Nancy au visa de l'article L. 442-6 5° du Code de commerce pour rupture brutale des relations commerciales établies.
La société Socomec a, à titre principal, soulevé l'incompétence territoriale du Tribunal de commerce de Nancy au motif de l'existence d'une clause attributive de juridiction désignant les tribunaux de Strasbourg.
La société DM Elektron SpA, qui avait d'abord conclu au rejet de cette exception, a fait part de son acquiescement au renvoi de l'affaire devant le Tribunal de commerce de Strasbourg.
Par jugement du 27 novembre 2015, le Tribunal de commerce de Nancy, estimant n'y avoir lieu à renvoi d'une question préjudicielle devant la Cour de justice de l'Union européenne comme sollicité à titre subsidiaire par la société Socomec, a déclaré celle-ci recevable en son exception d'incompétence, a déclaré cette exception irrégulière et s'est déclaré compétent au motif que le Tribunal de Strasbourg, désigné par la clause attributive de compétence, ne figure pas dans la liste des huit tribunaux auxquels la compétence exclusive a été attribuée pour connaître des procédures applicables aux commerçants sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce.
La société Socomec a formé un contredit à l'encontre de ce jugement et, dans ses écritures du 12 septembre 2016 reprises oralement à l'audience, demande à la cour de déclarer le contredit recevable, de dire que le Tribunal de grande instance de Strasbourg, chambre commerciale, est compétent, de renvoyer l'affaire devant ladite juridiction, de déclarer irrecevables les prétentions de la société DM Elektron et de rejeter celles-ci, de condamner la société DM Elektron aux frais et dépens et à payer à la société Socomec la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Subsidiairement, elle sollicite le renvoi à la CJUE de la question préjudicielle suivante :
" Lorsque les parties ont convenu une convention attribuant compétence à un tribunal déterminé d'un Etat membre, conformément à l'article 23 du règlement 44/2001, et que les règles internes (articles L. 442-6, D. 442-3 et D. 442-4 du Code de commerce) prévoient la compétence territoriale de certaines juridictions pour connaître des actions en responsabilité pour rupture brutale de relations commerciales, en application de l'article L. 442-6 5° du Code de commerce, la spécialisation des juridictions prévue en droit interne peut-elle prévaloir sur l'application de la clause attributive de compétence convenue valablement entre les parties dans un contexte international ? ''.
La société Socomec fait valoir à l'appui de ses demandes que DM Elektron a finalement acquiescé à l'exception d'incompétence, reconnaissant ainsi son bien- fondé. Elle estime en outre que DM Elektron ne respecte pas les principes en matière de procédure en se contredisant à plusieurs reprises et en ne se conformant pas à l'obligation de concentration des moyens. Sur la compétence, soutient que la clause parfaitement opposable à DM Elektron et applicable aux litiges nés de la rupture brutale des relations commerciales établies et que les règles internes françaises d'organisation judiciaire, notamment en ce qu'elles ont entendu réserver ce contentieux à quelques juridictions du territoire, ne sauraient prévaloir sur la clause attributive de juridiction en droit international.
La société DM Elektron SpA demande à la cour, à titre principal, de dire que la compétence du Tribunal de commerce de Nancy est d'ordre public, à titre subsidiaire, que la clause attributive de juridiction visant les tribunaux de Strasbourg n'est pas opposable à DM Elektron SpA, en toute hypothèse, de rejeter le contredit formé par la société Socomec et de condamner celle-ci à payer à la société DM Elektron SpA la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle fait valoir que la clause invoquée par la société Socomec ne lui est pas opposable ; qu'en présence d'un contentieux de nature délictuelle, le Règlement Bruxelles I offre le choix de saisir soit la juridiction de l'Etat membre où le défendeur a son domicile (article 2.1), option retenue en l'espèce, soit le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire (article 5 3). Elle invoque le caractère d'ordre public des règles issues du décret n° 2012-1444 du 24 décembre 2012 codifié par les articles D. 442-3 et D. 442-4 du Code de commerce qui a désigné 8 juridictions compétentes en première instance et la cour d'appel de Paris en appel, ce qui conduit à écarter le Tribunal de commerce de Strasbourg, exclu de la liste, au profit de celui de Nancy.
Sur quoi :
Sur l'existence et l'opposabilité de la clause à DM Elektron
Considérant que selon l'article 23 point 1 du règlement (CE) 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale,
"Si les parties, dont l'une au moins à son domicile sur le territoire d'un Etat membre, sont convenues d'un tribunal ou de tribunaux d'un Etat membre pour connaître des différends nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet Etat membre sont compétents. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties. Cette convention attributive de juridiction est conclue :
a) par écrit ou verbalement avec confirmation écrite, ou
b) sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles, ou
c) dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties avaient connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée" ;
Considérant que le contrat dit logistique liant les parties ne contient pas de clause attributive de juridiction ;
Qu'en revanche, l'article 17 des "Conditions générales d'achat Socomec", intitulé " Droit applicable - attribution de juridiction ", stipule :
"La loi applicable est la loi française. En cas de différend, les tribunaux de Strasbourg (France) sont seuls compétents" ;
Que de même, les bons de commande de la société Socomec, sur la base desquels tous les contrats avec la société DM Elektron ont été passés, contiennent au recto les mentions en anglais suivantes selon traduction :
"Juridiction compétente : Tribunaux de Strasbourg (France)
Lieu de juridiction Strasbourg (France)
Le vendeur accepte formellement les conditions générales d'achat de Socomec".
Considérant qu'il n'est pas contesté que les parties étaient en relation d'affaires régulière et ancienne ; que chaque commande de la société Socomec donnait lieu à l'établissement de bons contenant sur la première page, en recto, de façon apparente, une formule d'élection de for au profit des "tribunaux de Strasbourg" ainsi qu'un renvoi explicite aux conditions générales d'achat et à leur acceptation formelle par le vendeur ;
Qu'en exécutant sans réserve ces ordres successifs depuis plusieurs années, la société DM Elektron en a ainsi nécessairement connu et accepté les conditions ;
Considérant par ailleurs que, dans les conditions générales d'achat, sont visés les "différends" entre les parties, sans autre précision, que sur les bons de commande n'est faite aucune référence à un contentieux particulier susceptible de limiter le champ d'application de la clause ; que la cette dernière apparaît donc libellée de manière suffisamment large et compréhensive pour s'appliquer à des faits de rupture brutale des relations commerciales établies, peu important la qualification délictuelle, au regard du droit interne, de la responsabilité en cause ;
Qu'il convient donc de retenir le principe de l'application de la clause au présent litige ;
Sur le tribunal compétent
Considérant que la société DM Elektron a engagé son action au visa de l'article L. 442-6 5° du Code de commerce pour rupture brutale des relations commerciales établies ;
Considérant qu'en désignant les tribunaux de Strasbourg, la volonté commune des parties était manifestement de faire juger leurs différends par la juridiction française dans le ressort de laquelle se trouve le siège social de la société Socomec ;
Considérant cependant qu'aux termes du décret n° 2009-1384 du 11 novembre 2009 et en particulier de son article D. 442-3, pris en application de l'article L. 442-6 III du Code de commerce, le siège et le ressort des juridictions commerciales compétentes en métropole et dans les départements d'outre-mer pour statuer sur les litiges en application de l'article L. 442-6 du Code de commerce sont fixés conformément à un tableau qui confie désormais au Tribunal de commerce de Nancy le pouvoir exclusif de statuer dans les affaires du ressort de la Cour d'appel de Besançon, Colmar, Dijon, Metz et Nancy, à l'exclusion du Tribunal de commerce de Strasbourg ;
Considérant que s'agissant d'une règle d'ordre public touchant au pouvoir de juger, c'est à bon droit que le Tribunal de commerce de Nancy a passé outre l'acquiescement de DM Elektron à l'exception soulevée par la société Socomec ;
Qu'en considération de ces éléments et de la volonté commune des parties telle qu'il y a lieu de l'interpréter en ce sens que la juridiction dont dépend désormais le siège social de la société Socomec est le Tribunal de commerce de Nancy, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a retenu la compétence de cette juridiction ;
Qu'il n'y pas lieu à renvoi d'une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne ;
Sur les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile
Considérant que la société Socomec qui succombe sera condamnée aux dépens et à payer à la société DM Elektron la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Par ces motifs : Rejette le contredit ; Confirme le jugement du Tribunal de commerce de Nancy en ce qu'il s'est déclaré compétent ; Renvoie l'affaire devant cette juridiction ; Déboute la société Socomec de sa demande d'indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Socomec aux dépens du contredit et à payer à la société DM Elektron la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.