CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 20 octobre 2016, n° 15-02714
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Franchise Développement Océan Indien (SARL) ; Hirou (ès qual.), Sainte Clotilde
Défendeur :
Monsieur Bricolage (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dabosville
Conseillers :
M. Loos, Mme Schaller
Avocats :
Mes Janet, Poitrasson, Teytaud, Marcerou, Julien
FAITS ET PROCÉDURE
La société Mr Bricolage a pour activité l'exploitation d'une centrale de référencement spécialisée en articles de bricolage, de jardinage et d'aménagement intérieur et extérieur, pour les adhérents du réseau Mr Bricolage, exploitant des magasins sous enseigne " Mr. Bricolage " et " Catena ".
La société Franchise Développement Océan Indien dite " FDOI " est une société unipersonnelle dont le gérant est Monsieur Gilles Koening. Elle avait signé le 30 avril 2003, avec la société Tabur Logistique et Services, filiale du groupe Mr Bricolage, un contrat de développement en franchise de l'activité Catena sur le département de la Réunion. Par lettre du 17 mars 2010, ce contrat a été résilié moyennant préavis au 31 décembre 2010, au motif que les magasins sous enseigne Catena de la Réunion ont quitté le statut de franchisé et sont passés sous enseigne Mr Bricolage.
Le 21 septembre 2010, la société FDOI, d'une part, et la société Mr Bricolage et la société Catena d'autre part, ont conclu un nouveau contrat, intitulé " contrat de partenariat ", aux termes duquel, Mr Bricolage et Catena ont confié à FDOI, sur le territoire de la Réunion, une mission d'animation commerciale et de conseil des points de vente sous enseigne Catena, désormais affiliés au réseau Mr Bricolage. Ils ont signé le 21 octobre 2010 un avenant de résiliation au contrat de développement de 2003 moyennant versement d'une indemnité de 10 000 euros.
Le contrat est entré en vigueur rétroactivement au 1er avril 2010 pour une durée déterminée d'un an. Il était renouvelable par tacite reconduction pour une durée d'un an, sauf dénonciation par Mr Bricolage ou par FDOI trois mois avant le terme du contrat. Le 19 décembre 2011, Mr Bricolage a notifié à FDOI, la résiliation du contrat avec effet au 1er avril 2012.
Par courrier du 24 avril 2012, reçu le 15 mai, la société FDOI a mis en demeure la société Mr Bricolage de lui régler la somme de 800 000 euros, en invoquant la circonstance que le contrat " ne peut s'analyser que comme une résiliation d'un contrat d'agent commercial ouvrant droit à réparation au profit de la société FDOI. ". Le conseil de Mr Bricolage a rejeté cette demande par courrier du 11 juillet 2012.
C'est dans ces conditions que la société FDOI a assigné le 8 juillet 2013 la société Mr Bricolage en rupture brutale des relations commerciales établies.
Après avoir bénéficié d'un plan de redressement ordonné par jugement du 26 janvier 2011, modifié le 10 juillet 2013, FDOI a été mise en liquidation judiciaire le 14 mai 2014, les Selarl EMJ et MJ Synergie agissant en qualité de mandataires liquidateurs, remplacés ensuite par Maître Hirou.
Par jugement rendu le 3 décembre 2014, le Tribunal de commerce de Paris a :
- pris acte de l'intervention volontaire de la société Hirou, ès qualités de mandataire judiciaire de la liquidation judiciaire de la société FDOI venant aux droits de l'étude de M. Christophe Piec et au lieu et place de la société EMJ et M. Synergie ;
- débouté la société Hirou, ès qualités de mandataire judiciaire de la liquidation judiciaire de la société FDOI venant aux droits de l'étude de M. Christophe Piec et au lieu et place de la société EMJ et M. Synergie, de l'ensemble de leurs demandes ;
- fixé la créance de la société Mr Bricolage à l'égard de la société Hirou, intervenante volontaire, remplaçant les sociétés EMJ et M. Synergie agissant ès qualités de liquidateurs judiciaires de la société FDOI, à la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,
- condamné la société Hirou, ès qualités de mandataire judiciaire de la liquidation judiciaire de la société FDOI venant aux droits de l'étude de M. Christophe Piec et au lieu et place de la société EMJ et M. Synergie, aux dépens.
Vu l'appel interjeté le 5 février 2015 par la société Hirou à l'encontre de cette décision.
Vu les dernières conclusions signifiées par la société Hirou ès qualités de mandataire judiciaire de la liquidation judiciaire de la société FDOI venant aux droits de l'étude de M. Christophe Piec et au lieu et place de la société EMJ et M. Synergie datant du 5 juin 2015, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- dire et juger que le contrat de partenariat conclu le 21 septembre 2010 constitue un contrat d'agent commercial ;
Subsidiairement,
- dire et juger que les relations contractuelles entre les sociétés Mr Bricolage et FDOI doivent être qualifiées de relations commerciales établies ;
En tout état de cause,
- constater que la résiliation notifiée le 19 décembre 2011 constitue une rupture brutale des relations commerciales établies entre la société FDOI et la société Mr Bricolage.
En conséquence,
- condamner la société Mr Bricolage à verser à la société FDOI, la somme de 800 000 euros au titre du préjudice économique et financier résultant de la rupture brutale des relations contractuelle ;
- condamner la société Mr Bricolage au paiement de la somme de 7 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi que sur les dépens.
Vu les dernières conclusions signifiées par la société Mr Bricolage le 4 août 2015, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions ;
En conséquence,
- débouter la société Hirou ès-qualités de l'ensemble de ses demandes ;
- fixer la créance de la société Mr Bricolage à l'égard de la société Hirou ès-qualités de mandataire judiciaire de la société FDOI à la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner la société Hirou ès-qualités aux entiers dépens.
Maître Hirou, agissant au nom de la société FDOI, soutient que le contrat de partenariat conclu le 21 septembre 2010 avec la société Mr Bricolage est un contrat d'agent commercial, que la société FDOI était bien en charge du développement de Mr Bricolage sur l'Ile de la Réunion, que la résiliation de ce contrat ouvre droit à réparation en application de l'article L. 442-6 I 5°, les parties ayant entendu se placer hors du cadre fixé par l'article L. 134-11 du Code de commerce, qu'en tout état de cause ce contrat s'inscrivait dans une relation commerciale établie depuis 1998, qu'il existait une relation ininterrompue d'une durée de 14 ans qui a pris fin le 1er avril 2012, que le contrat conclu le 30 avril 2003 n'a fait que poursuivre la relation commerciale précédemment établie, nonobstant la période transitoire du 8 octobre 2002 au 28 mai 2003, que le dirigeant de FDOI a continué d'assurer ses prestations au nom de la société KG pendant cet intérim, qu'il en est de même pour la période du 17 mars au 5 octobre 2010, qu'il convenait de prendre en compte la durée effective de la relation et l'état de dépendance économique de la société évincée, que la rupture a privé de ressources la société FDOI qui a dès lors fait l'objet d'un redressement judiciaire en février 2010 converti en liquidation judiciaire le 14 mai 2014, qu'elle a subi des préjudices tant financiers que moraux, en raison de la rupture brutale, ce qui justifie l'octroi d'une indemnisation à hauteur de 800 000 euros au titre de ces préjudices, comprenant notamment un préavis de 24 mois à hauteur de 120 000 euros et le paiement de rémunérations demeurées impayées à hauteur de 58 500 euros.
La société Mr Bricolage indique en réponse que le contrat conclu le 21 septembre 2010 n'est pas un contrat d'agence commerciale, mais un contrat de prestations de services exclusif de tout mandat, que la société FDOI ne disposait d'aucun pouvoir de négociation et ne pouvait en aucune manière agir au nom et pour compte du groupe intimé, ce qui est confirmé à l'article 8 du contrat, que la rupture du contrat par la société Mr Bricolage est conforme à l'article 7 du contrat, que le préavis contractuel a été parfaitement respecté, que la rupture des relations commerciales n'est empreinte d'aucune brutalité, que le point de départ des relations ne peut être fixé au 25 août 1998, qu'il y a lieu de constater l'absence de relations continues depuis 1998, que le contrat de 2003 a pris fin en mars 2010, moyennant versement d'une indemnité forfaitaire de rupture de 10 000 euros, que la relation commerciale n'a commencé que le 1er avril 2010 et n'a duré que 24 mois, qu'il n'est pas établi qu'un volume constant d'affaires ait lié les parties entre les deux périodes, qu'elles ne constituent pas une relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, qu'en tout état de cause, au vu de ces circonstances, la durée du préavis de 3 mois était suffisante, qu'aucune indemnisation supplémentaire n'est due. Elle conteste ensuite les demandes d'indemnisation au titre de rémunérations prétendument impayées, d'un préavis de 24 mois sur la base du chiffre d'affaires et non de la marge brute, et d'indemnisation d'un préjudice financier et moral dont le lien de causalité n'est pas démontré entre la prétendue faute de Mr Bricolage et le préjudice allégué.
LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
Sur ce, LA COUR,
Sur la nature du contrat conclu le 21 septembre 2010 entre FDOI et Mr. Bricolage
Considérant qu'aux termes de l'article L. 134-1 al. 1er du Code de commerce l'agent commercial est défini comme " un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de service, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux " ;
Considérant qu'en l'espèce, l'article 1er du contrat de partenariat conclu le 21 septembre 2010 met à la charge de la société FDOI les missions suivantes :
" - conseiller les points de vente s'agissant des assortiments et des gammes présentés à la vente ; suivre l'activité des points de vente et contrôler le bon usage de la marque par ceux-ci ;
- assurer l'animation commerciale des points de vente par la création et la diffusion d'opérations promotionnelles ;
- promouvoir les achats des points de vente auprès des entrepôts du groupe " ;
Que les parties ont expressément prévu que FDOI " ne sera en aucun cas habilitée à agir d'une quelconque manière au nom et pour le compte de Mr Bricolage ou de Catena France, à la/les représenter ou à souscrire des engagements en leur nom " ;
Que c'est par des motifs précis et circonstanciés que la cour adopte que les premiers juges ont estimé qu'il n'était pas établi que la société FDOI remplissait les conditions prescrites à l'article L. 134-1 sus rappelé pour pouvoir être qualifiée d'agent commercial, n'exerçant aucune activité remplissant ces conditions ;
Qu'il y a lieu de confirmer le jugement sur ce point ;
Sur la rupture des relations commerciales
Considérant qu'aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, "engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :
5) de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels (...) " ;
Considérant que le champ d'application de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce s'étend, au-delà des simples relations contractuelles, à des situations très diverses ;
Qu'une relation commerciale établie avec un donneur d'ordre peut se poursuivre avec un autre partenaire dès lors que les parties ont manifesté leur intention de se situer dans la continuation de la relation antérieure ;
Considérant qu'en l'espèce, les parties ont précisé dans le contrat signé en 2010 que la société FDOI a animé et développé le réseau de points de vente franchisés sous enseigne Catena à la Réunion depuis 2003 ;
Que toutefois elles ont également précisé, par un avenant de résiliation du contrat de 2003 signé entre les parties le 21 octobre 2010, qu'une indemnité forfaitaire de résiliation a été versée pour un montant de 10 000 euros, l'avenant précisant que " les parties conviennent, d'un commun accord, de mettre un terme au contrat de franchise susvisé à compter du 1er avril 2010 et ce, en contrepartie d'une indemnité forfaitaire fixée entre les parties (...) qui solde les comptes entre les parties au titre du contrat de franchise susvisé " ;
Que par ailleurs, la société FDOI a bénéficié d'un préavis de neuf mois suite à la résiliation du contrat de 2003 ;
Que le nouveau contrat signé entre Mr Bricolage et la société FDOI qui venait d'être placée en redressement judiciaire le 24 février 2010, portait non plus sur le développement des franchises Catena, mais sur la diffusion de conseils aux points de vente passés sous enseigne Mr Bricolage, sur l'animation commerciale et sur la promotion des achats dans le cadre d'un contrat de partenariat ;
Qu'il s'agit par conséquent d'une nouvelle relation commerciale, basée sur un contrat à durée déterminée d'une année renouvelable par accord tacite, sauf préavis de trois mois avant le terme ;
Que c'est par conséquent à juste titre, par des motifs que la cour adopte, que les premiers juges ont retenu l'existence d'une relation commerciale établie à compter du 1er avril 2010 et non de 2003 ;
Considérant que par application des dispositions d'ordre public de l'article L. 442-6-I, 5° du Code de commerce, l'existence d'une stipulation contractuelle de trois mois de préavis ne dispense pas la cour, qui en est requise, de vérifier si le délai de préavis contractuel ainsi fixé tient compte de la durée des relations commerciales ayant existé entre les parties et des autres critères liés au volume d'affaires et de la progression du chiffre d'affaires, aux investissements effectués, à l'objet de l'activité, à la dépendance économique ;
Que la finalité du délai de préavis est de permettre au partenaire de prendre ses dispositions pour réorienter ses activités en temps utile ou pour rechercher de nouveaux clients ;
Qu'en l'espèce, au regard de la faible durée du contrat (deux ans), et compte tenu de ce que la relation était précarisée par la situation fragile de la société FDOI qui avait été mise en redressement judiciaire avec poursuite d'exploitation, son chiffre d'affaires étant déjà en baisse, un préavis d'une durée de trois mois est parfaitement compatible avec cette situation et avec les usages de la profession, nonobstant le fait que la société FDOI soit dans une situation de dépendance économique qui résulte en grande partie de son propre fait, compte tenu de sa parfaite connaissance du marché local sur l'Ile de la Réunion et qui ne saurait imposer des obligations supplémentaires au groupe Mr Bricolage, suite à la disparition des franchises Catena en 2010 ;
Considérant qu'il y a lieu par conséquent de confirmer la décision des premiers juges sur ce point et de débouter Monsieur Hirou de ses demandes d'indemnisation au titre de la rupture brutale, ce dernier ne justifiant d'aucun préjudice supplémentaire, ni financier ni moral ;
Sur les autres demandes d'indemnisation
Considérant que la société FDOI sollicite un dédommagement à hauteur de 800 000 euros se décomposant comme suit :
* rémunérations impayées sur 7 mois (déc. 2009 - juin 2010) ; 42 000 euros
* rémunérations impayées sur 6 mois (nov. 2011 - avril 2012) : 16 500 euros
* sommes dues au titre du préavis de 24 mois : 120 000 euros
* préjudice financier correspondant au montant du passif : 500 000 euros
* préjudice moral : 121 500 euros
Considérant toutefois, qu'ainsi qu'il vient d'être démontré, aucune indemnisation n'est due au titre d'une rupture brutale, et qu'aucun élément relatif à un préjudice moral ou financier supplémentaire n'est versé aux débats ;
Considérant que la société FDOI soutient ne pas avoir été réglée pour des prestations effectuées entre décembre 2009 et juin 2010 puis entre novembre 2011 et avril 2012 ;
Que toutefois aucune facture correspondant aux périodes visées ne vient appuyer cette demande ;
Qu'il y a lieu de confirmer la décision des premiers juges qui ont débouté Monsieur Hirou de toutes ses demandes ;
Considérant que compte tenu de la liquidation judiciaire intervenue en cours de procédure, il y a lieu de laisser aux parties la charge de leurs frais irrépétibles en cause d'appel et de mettre les dépens à la charge de la Selarl Hirou.
Par ces motifs : Statuant publiquement et contradictoirement, et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions. Y ajoutant, Dit n'y avoir lieu à fixer une indemnisation complémentaire au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Ordonne l'emploi des dépens en frais privilégiés de procédure collective.