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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 27 octobre 2016, n° 15-06830

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Mach 3 (SARL)

Défendeur :

La Poste (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dabosville

Conseillers :

Mmes Schaller, du Besset

Avocats :

Mes Fisselier, Chiloux, Fromantin, Guedj

T. com. Paris, 15e ch., du 16 févr. 2015

16 février 2015

Faits et procédure

Suite à une mise en concurrence, la société Mach 3, spécialisée dans le transport national et international de marchandises, a conclu avec la société La Poste un contrat à durée déterminée prenant effet le 4 janvier 2010 de " prestation de livraisons de colis sur rendez-vous" au départ de l'agence ColiPoste d'Aubervilliers, sans qu'aucune exclusivité ne lui soit consentie.

Ce contrat, aux termes de son article 3, était d'une " durée ferme de 12 mois", mais renouvelable par tacite reconduction pour des périodes successives de 1 an et dans la limite de deux fois, " sauf dénonciation par lettre recommandée avec avis de réception postal par l'une ou l'autre des parties, au moins trois mois avant l'échéance naturelle du contrat ". En application de ces stipulations, il a été renouvelé deux fois, et ce, jusqu'au 4 janvier 2013.

Ensuite, trois avenants successifs l'ont prolongé :

- le premier, signé les 4 janvier et 6 février 2013, pour une durée de 4 mois, soit jusqu'au 30 avril 2013,

- le deuxième, signé les 25 février et 12 avril 2013, pour une autre durée de 4 mois, soit jusqu'au 30 août 2013,

- et le troisième et dernier, signé les 19 et 23 juillet 2013, pour une durée d'un mois ayant pour terme définitif le 30 septembre 2013.

Au cours de l'exécution du second avenant, le 1er juillet 2013, la société La Poste a publié une consultation en vue d'une mise en concurrence concernant le renouvellement du marché (dans des conditions identiques, avec prise d'effet au 31 août 2013), consultation à laquelle a postulé la société Mach 3, qui a toutefois été avisée - selon les dires non contestés de la première - de son annulation par lettre recommandée avec avis de réception (RAR) du 18 juillet 2013. Le 19 juillet 2013, la société La Poste a publié une seconde consultation avec prise d'effet au 1er octobre 2013 à laquelle la société Mach 3 a de nouveau postulé, mais dont l'offre finalement n'a pas été retenue, ce dont elle a été informée par courrier RAR du 5 septembre 2013.

A compter du 10 septembre 2013, la société Mach 3 a sollicité, en vain, une indemnité de préavis qui lui a été refusée par la société La Poste. C'est dans ces conditions que le 27 décembre 2013, elle a fait assigner la société La Poste aux fins d'obtenir l'indemnisation des préjudices découlant de la brutalité de la rupture de leurs relations commerciales établies.

Par jugement en date du 16 février 2015, le Tribunal de commerce de Paris a débouté la société Mach 3 de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée, outre aux dépens, à payer à la société La Poste la somme de 3 000 euros, en application de l'article 700 du Code de procédure civile, le surplus des demandes étant rejeté.

Vu l'appel interjeté contre cette décision le 27 mars 2015 par la société Mach 3 ;

Vu les dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 19 juin 2015 par cette dernière, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

- condamner la société La Poste à lui payer la somme de 35 000 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale des relations commerciales et non-respect du préavis,

- condamner la société La Poste à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, et aux dépens de première instance et d'appel dont distraction pour ceux d'appel au profit de la SCP AFG, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Concernant l'existence d'une relation commerciale établie, l'appelant rappelle qu'une succession de contrats ponctuels peut être suffisante à établir l'existence d'une relation commerciale établie, à condition que cette succession démontre les caractères stable et régulier de ladite relation. Elle considère que c'est le cas en l'espèce puisqu'elle a été prestataire de transport pour la société La Poste de 2010 à 2013, sans interruption. En outre, le fait que la société La Poste ait souhaité renouveler le contrat initial par trois avenants, alors même que cette dernière avait émis un appel d'offre pour conclure un contrat identique à celui qui la liait à elle démontre, selon elle, l'existence d'une relation commerciale établie au sens de l'article 442-6,I 5° du Code de commerce. Elle ajoute que le recours, par la société La Poste, à un appel d'offre ne suffit pas à lui-même à exclure, par principe, l'existence d'une relation commerciale établie au sens de l'article 442-6, I 5° du Code de commerce. Elle relève à ce propos que sa relation avec la société La Poste ne présentait en aucun cas des circonstances qui permettraient de penser qu'il existait une certaine précarité dans la relation entretenue par les sociétés la conclusion de trois avenants successifs ne démontre pas une précarité, mais au contraire, prouve la stabilité et la régularité de la relation qu'elle entretenait avec la société La Poste. L'appelante considère ainsi que par la conclusion du troisième avenant le 24 juillet 2013, la société La Poste était légalement tenue de lui donner un préavis écrit et ce afin de lui permettre de réorganiser son activité. Or, selon elle, la société La Poste ne démontre pas l'avoir informée d'un éventuel début de préavis, et ce même au moment où cette dernière a émis son appel d'offre le 1er juillet 2013, contrairement à ce qu'elle prétend.

Concernant la durée du préavis, la société Mach 3 considère qu'elle aurait dû obtenir, au titre de la rupture de leur relation contractuelle avec la société La Poste, un préavis d'une durée de trois mois, comme le contrat conclu entre elles le prévoit. A cela, elle ajoute que cette obligation contractuelle est même une obligation légale, au regard de l'article 442-6, I 5° qui renvoie indirectement au décret n° 2003-1295 du 26 décembre 2003, par interprétation de la Chambre commerciale de la Cour de cassation. Ainsi, en ne donnant pas un tel préavis à l'appelante, cette dernière considère que la société La Poste a enfreint ses obligations contractuelles et légales, lui causant un préjudice.

Concernant l'indemnisation du préjudice découlant de la brutalité de la rupture des relations commerciales, la société Mach 3 fait valoir que la brutalité de la rupture des relations commerciales dont est à l'origine la société La Poste, lui a causé deux préjudices financiers importants : d'une part, une perte de chiffre d'affaires du fait de son impossibilité à se réorganiser et réorienter ses activités à temps, et, d'autre part, un préjudice financier résultant du refus pour la société La Poste de transférer les contrats de travail de ses salariés à son profit.

L'appelante finit par relever deux incohérences juridiques dont faire preuve, selon elle, le jugement rendu par le tribunal de commerce en 1re instance. En effet, elle estime curieux que les juges du fond considèrent que la prorogation d'un contrat par avenant n'entraîne pas l'existence d'un préavis alors que sur le plan juridique, plus un contrat est long, plus le préavis l'est aussi car la relation entre les parties est d'autant plus stable. Par conséquent, approuver cette décision consisterait à considérer que plus les relations contractuelles sont longues, plus la précarité augmente, ce qui rend, de ce fait, les dispositions de l'article 442-6, I 5° relatifs à la brutalité de la rupture inapplicables.

Vu les dernières conclusions signifiées par la société La Poste le 15 juin 2016 par lesquelles il est demandé à la cour de :

- confirmer le jugement rendu le 16 février 2015 dans toutes ses dispositions.

Y ajoutant,

- condamner la société Mach 3 à payer à la société La Poste la somme de 3.000euros supplémentaires sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Mach 3 aux entiers dépens d'appel, dont la distraction au profit de la SCP Bommart-Forster & Fromantin, Maître Edmond Fromantin, Avocat aux offres de droit, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

A titre principal :

Concernant l'absence de relations commerciales établies, l'intimée relève que le recours systématique par la société La Poste à des mises en concurrence pour la conclusion de contrats de livraisons de colis sur rendez-vous, comme cela a été le cas en l'espèce pour le contrat conclu avec la société Mach 3, instaure une certaine précarité dans les relations et exclut ainsi la reconnaissance du caractère établi des relations commerciales. En effet, ces relations ne sont plus stables, suivies et régulières puisque la société Mach 3 a dû candidater une nouvelle fois à l'appel d'offre émise par elle le 1er juillet 2013, afin de conclure un nouveau contrat déterminé, identique à celui du 4 Janvier 2010.

En outre, l'intimée ajoute que la société Mach 3 ne peut pas faire valoir la conclusion des multiples avenants puisque ces derniers ont été signés dans l'attente de la publication d'une nouvelle consultation, comme le démontre une clause dans le dernier avenant.

A titre subsidiaire :

Sur le respect du préavis, la société La Poste considère que, si par extraordinaire, la cour décidait qu'une relation commerciale était effectivement établie entre les parties, il ne saurait lui être reproché d'avoir brutalement mis fin à sa relation avec la société Mach 3. En effet, à ses dires, en émettant un appel d'offre dont la société Mach 3 était destinataire et dont elle a été informée puisqu'elle a candidaté, elle a délivré un préavis de rupture à l'attention de l'appelante. Cet appel d'offre ayant été réalisé le 1er juillet 2013 et le dernier avenant ayant pris fin le 30 septembre 2013, le préavis de 3 mois prévu par le contrat initial a alors été respecté par l'intimée.

Au soutien de cette démonstration, l'intimée démontre que l'arrêt de la Cour d'appel de Versailles du 26 juillet 2012 invoqué à ce sujet par l'appelante pour dire que l'appel d'offre ne fait pas écouler le délai de préavis ne s'applique pas en l'espèce car il s'agissait d'une rupture d'un contrat écrit de sous-traitance de transport à durée indéterminée, et qui plus est, dans lequel les parties admettaient l'existence d'une relation commerciale établie au sens de l'article 442-6, I 5°.

A titre très subsidiaire :

Sur l'absence de préjudice, la société La Poste considère que, si par extraordinaire, la cour décidait qu'elle est à l'origine d'une rupture brutale des relations commerciales qu'elle entretenait avec la société Mach 3, elle ne saurait se voir reprocher d'avoir causé un préjudice à celle-ci car un tel préjudice n'existe pas. En effet, l'évaluation du préjudice subi par la victime de la rupture se fait par référence au manque à gagner, calculé sur la base de la marge brute perdue, et non par référence au chiffre d'affaires perdu, comme l'invoque l'appelante.

En outre, l'intimée soulève que l'appelante ne fournit aucun document probant, démontrant la réalité et le quantum du préjudice subi.

Enfin, elle démontre que le préjudice découlant de l'absence de transfert des contrats de travail des salariés de la société Mach 3 dédiés à l'activité de la société La Poste n'existe pas car l'article 1224-4-1 du Code de travail ne s'applique pas au cas d'espèce et qui plus est, est une question qui relève uniquement du conseil des prud'hommes, comme l'ont déjà souligné les juges du fond dans leur décision du 16 février 2015.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 23 juin 2016.

Sur ce, LA COUR :

L'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce dispose en substance qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

La relation commerciale, pour être établie au sens de ces dispositions, doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.

Or, en l'espèce, si les relations commerciales des sociétés La Poste et Mach 3, dont l'intensité n'est pas discutée, ont certes présenté une durée significative pour s'être étendues du 4 janvier 2010 au 30 septembre 2013, elles ne revêtaient pas pour autant le caractère de stabilité requis, compte tenu du recours systématique à une mise en compétition avec d'autres concurrents en début (en 2010) et en fin (en 2013) de contrat, laquelle est d'ailleurs obligatoire statutairement pour l'intimée depuis 2006, ce dont il découlait que l'appelante, informée et candidate malheureuse à l'appel d'offres final, ne pouvait ignorer la précarité annoncée de la relation, précarité au surplus corroborée par la durée fixe déterminée du contrat originaire, fut-il tacitement reconductible deux fois, puis très limitée des prolongations intervenues par avenants (pour deux fois 4 mois, puis 1 mois). En effet, ainsi que l'ont estimé à juste titre les premiers juges, par motifs que la cour adopte, '"e recours à la mise en compétition avec des concurrents, avant chaque nouveau contrat, privait les relations commerciales de toute permanence garantie et les plaçait dans une perspective de précarité certaine qui ne permettait pas à la SARL Mach 3 de considérer qu'elles avaient une pérennité". La preuve d'une relation commerciale établie n'est donc pas rapportée.

En conséquence, la preuve de la caractérisation d'au moins l'une des conditions nécessaires à l'engagement de la responsabilité de la société La Poste sur le fondement précité, ainsi d'ailleurs que sur le fondement de l'article L. 1224-1 du Code du travail, n'étant pas rapportée par l'appelante, le jugement entrepris sera confirmé en toutes ses dispositions et celle-ci sera déboutée de sa demande indemnitaire.

L'appelante qui succombe supportera les dépens et sera condamnée à payer à l'intimée, par équité, la somme de 2 500 euros, en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; Y ajoutant, Condamne la société Mach 3 à payer à la société La Poste la somme de 2 500 euros, en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette le surplus demandes ; Condamne la société Mach 3 aux dépens, dont distraction au profit de la SCP Bommart-Forster & Fromantin, Représentée Par Maître Edmond Fromantin, en application de l'article 699 du Code de procédure civile.