Cass. 1re civ., 3 novembre 2016, n° 15-24.189
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Institut national de la propriété industrielle
Défendeur :
Mylan (SAS), Qualimed (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Batut
Rapporteur :
Mme Canas
Avocat général :
Me Cailliau
Avocats :
Mes Bertrand, Blondel
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 mai 2015), qu'invoquant le préjudice subi du fait de l'action en contrefaçon et concurrence déloyale engagée contre elles par la société Daiichi Sankyo, et soutenant que ce préjudice résultait de la faute qu'aurait commise le directeur de l'Institut national de la propriété industrielle (l'INPI) à l'occasion de l'exercice de ses attributions relatives à la délivrance, au rejet ou au maintien des titres de propriété industrielle, les sociétés Mylan et Qualimed (les sociétés) ont agi en réparation devant la cour d'appel de Paris ; que l'INPI a soulevé une exception d'incompétence au profit de la juridiction administrative et, subsidiairement, contesté la compétence de la cour d'appel pour connaître du litige en premier et dernier ressort ;
Attendu que l'INPI fait grief à l'arrêt de déclarer la cour d'appel de Paris compétente pour connaître directement de l'action en responsabilité engagée par les sociétés, alors, selon le moyen : 1°) que si la compétence des juridictions judiciaires, édictée par l'article L. 411-4 du Code de la propriété intellectuelle pour statuer sur les recours formés contre les décisions que prend le directeur de l'INPI à l'occasion de la délivrance, du rejet ou du maintien des titres de propriété industrielle, s'étend, par dérogation à la compétence du juge administratif comme juge de droit commun de la responsabilité administrative, aux actions relatives aux conséquences dommageables des fautes que cette autorité aurait pu commettre à l'occasion de l'exercice de ses attributions, cette compétence ne peut concerner l'action en responsabilité engagée contre l'INPI, indépendamment de tout recours contre une décision de délivrance, de rejet ou de maintien d'un titre de propriété industrielle, et par un tiers auquel une telle décision ne fait pas grief ; que les sociétés ne prétendant à aucun droit sur le titre objet de la décision du directeur de l'INPI du 26 janvier 2005 constatant la déchéance du certificat complémentaire de protection dont était titulaire la société Sankyo, auxquelles cette décision ne faisait pas grief, et n'exerçant aucun recours ni contre cette décision ni contre la décision du 3 juillet 2006 rejetant la requête en annulation de la décision de déchéance, la cour d'appel ne pouvait décider qu'elle avait compétence pour statuer sur l'action en responsabilité exercée, contre le directeur de l'INPI, par ces mêmes sociétés à raison des fautes qu'elles reprochaient à cette autorité d'avoir commises à l'occasion de la prise de ces décisions sans violer l'article L. 411-4 du Code de la propriété intellectuelle ensemble la loi des 16 et 24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ; 2°) que les décisions, objet du recours dont l'article L. 411-4 du Code de la propriété intellectuelle attribue la connaissance directe à la cour d'appel, sont les décisions prises par le directeur de l'INPI à l'occasion de la délivrance, du rejet ou du maintien des titres de propriété industrielle ; que la réparation des dommages résultant de la faute que pourrait commettre cette autorité dans l'exercice de ces attributions étant étrangère à la délivrance, au rejet ou au maintien des titres de propriété industrielle, la cour d'appel ne peut être saisie directement, sur le fondement de ce texte, de l'action tendant à la réparation de ces dommages ; qu'en décidant au contraire qu'elle pouvait être saisie directement de l'action en réparation des dommages résultant de la faute imputée au directeur de l'INPI à l'occasion de la décision constatant la déchéance du certificat complémentaire de protection et de la décision rejetant la requête en annulation de cette décision, la cour d'appel a violé l'article L. 411-4 du Code de la propriété intellectuelle ; 3°) que les décisions, objet du recours dont l'article L. 411-4 du Code de la propriété intellectuelle attribue la connaissance directe à la cour d'appel, sont les décisions prévues par le Code de la propriété intellectuelle à l'occasion de la délivrance, du rejet ou du maintien des titres de propriété industrielle ; que ce Code ne comportant aucune disposition relative aux décisions prises par le directeur de l'INPI sur les demandes indemnitaires qui pourraient lui être présentées en raison d'une faute qu'il aurait pu commettre dans l'exercice de ses attributions, la cour d'appel ne pouvait décider qu'elle pouvait être saisie directement, sur le fondement de ce texte, de l'action en responsabilité exercée contre le directeur de l'INPI sans violer l'article L. 411-4 du Code de la propriété intellectuelle ; 4°) qu'une partie ne peut, en l'absence d'une disposition spéciale, être privée du bénéfice de la règle du double degré de juridiction, qui constitue le droit commun ; qu'aucune disposition expresse ne dérogeant à la règle du double degré de juridiction pour l'exercice de l'action relative aux conséquences dommageables de la faute imputée au directeur de l'INPI dans l'exercice de ses attributions, la cour d'appel ne pouvait décider que cette action pouvait être directement portée devant elle sans violer les articles L. 411-4 du Code de la propriété intellectuelle, 527 et 543 du Code de procédure civile, ensemble le principe du double degré de juridiction ;
Mais attendu, d'une part, qu'après avoir énoncé que c'est dans la continuité d'une tradition qui soumet au juge civil la matière des brevets que les dispositions de l'article L. 411-4 du Code de la propriété intellectuelle, qui sont dérogatoires au principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires, opèrent un transfert de compétence au bénéfice de la juridiction judiciaire pour statuer sur les recours en annulation formés contre les décisions prises par le directeur de l'INPI dans l'exercice de ses pouvoirs en matière de délivrance, de rejet ou de maintien des titres de propriété industrielle, l'arrêt retient que le Tribunal des conflits a étendu la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire pour statuer sur les recours contre les décisions du directeur de l'INPI en cette matière aux actions relatives aux conséquences dommageables des fautes qu'il aurait pu commettre à l'occasion de l'exercice de ses attributions ; qu'en l'état de ces énonciations, dont elle a déduit que, sauf à instituer une rupture d'égalité entre les justiciables et à contrevenir à la logique d'un bloc homogène de compétence judiciaire pour l'ensemble des contestations liées aux décisions prévues par l'article L. 411-4 du Code de la propriété intellectuelle, il n'y a pas lieu de distinguer selon que l'action en responsabilité est engagée par l'auteur du recours en annulation, accessoirement à ce recours, ou par un tiers, indépendamment de toute contestation de la décision faisant grief, la cour d'appel a, à bon droit, retenu la compétence de l'ordre judiciaire ;
Et attendu, d'autre part, que l'arrêt énonce exactement que l'article L. 411-4 du Code de la propriété intellectuelle, qui confère à la cour d'appel une compétence en premier et dernier ressort, déroge expressément au principe du double degré de juridiction, lequel n'est ni consacré à titre de principe général du droit ayant valeur constitutionnelle ni exigé par le droit à un procès équitable garanti par l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi.