CA Versailles, 3e ch., 27 octobre 2016, n° 14-07444
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Fonds de Garantie des Victimes des Actes de Terrorismes et d'Autres Infractions
Défendeur :
Cousins (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Boisselet
Conseillers :
Mmes Bazet, Derniaux
En février 2009, la société Cousins d'Amérique (nouvellement dénommée la société Cousins SAS, ci-après la société Cousins) a organisé un voyage en Egypte au profit d'une cinquantaine d'adolescents envoyés par la mairie de Levallois Perret (92) et de différents comités d'entreprise. La société Cousins était assurée auprès de la société Aviva Assurances Iard (ci-après Aviva).
Le 22 février 2009, un attentat terroriste a eu lieu au [...].
Cet attentat a causé le décès d'une jeune fille et des blessures à une soixantaine de personnes faisant partie du groupe.
En application des dispositions de l'article L. 126-1 du Code des assurances, le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et autres infractions (ci-après le Fonds) a indemnisé les victimes et ainsi réglé des indemnités d'un montant de 721 621,11 euros sauf à parfaire.
Par acte du 4 décembre 2012 le Fonds a assigné devant le Tribunal de grande instance de Nanterre la société Cousins et Aviva aux fins d'obtenir, en application de l'article L. 422-1 du Code des assurances, le remboursement des sommes versées au profit des victimes.
Par jugement du 19 septembre 2014, le Tribunal de grande instance de Nanterre l'a débouté de toutes ses demandes et condamné à payer à la société Cousins et Aviva la somme de 2 500 euros chacune au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Le Fonds en a relevé appel le 14 octobre 2014, et prie la cour, par dernières écritures du 13 janvier 2016, de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré le Fonds recevable en son action et l'infirmer pour le surplus,
- condamner in solidum, la société Cousins et Aviva à lui rembourser la somme de 721 621,11 euros sauf à parfaire, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation,
- si la cour estimait que la preuve de l'appartenance des consorts C., S., H., au groupe n'était pas rapportée, déduire des condamnations les sommes qui leur ont été réglées, soit un total de 26 707,40 euros,
- donner acte au Fonds de ses réserves quant aux règlements futurs qu'il sera conduit à faire aux victimes de l'attentat,
- condamner en outre, in solidum, la société Cousins et Aviva à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en application de l'article 1382 du Code civil, et celle de 8 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner in solidum la société Cousins et Aviva aux dépens de première instance et d'appel.
Par dernières écritures du 6 mars 2015, la société Cousins demande à la cour de :
- infirmant le jugement sur la recevabilité de la demande du Fonds, dire le Fonds irrecevable à agir faute de prouver son droit sur le fondement de l'article L. 211-16 du Code du tourisme, et subsidiairement dire qu'il n'est recevable qu'en ce qui concerne Quentin Area Darses,
- confirmer le jugement sur le débouté du Fonds et sa condamnation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- subsidiairement, juger que la preuve n'est pas faite que les victimes soient des clients de la société Cousins,
- en toute hypothèse, condamner Aviva à la garantir et à lui payer la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive, outre le remboursement des honoraires exposés,
- condamner le Fonds à lui payer la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par dernières écritures du 20 avril 2015, Aviva demande à la cour de :
- à titre principal,
- confirmer le jugement en ce qu'il a retenu que l'attentat survenu le 22 février 2009 au Caire en Egypte est un cas de force majeure exonérant la société Cousins de toute responsabilité et Aviva par voie de conséquence, et en ce qu'il a condamné le Fonds en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens,
- à titre subsidiaire,
- juger que la clause d'exclusion de la garantie des dommages corporels en cas d'actes de terrorisme figurant dans la police Aviva est valable et, en conséquence, débouter le Fonds de garantie de sa demande,
- à titre infiniment subsidiaire, constater que le plafond de garantie dont bénéficie la société Cousins en application du contrat d'assurance est d'ores et déjà atteint et, en conséquence, débouter le Fonds et la société Cousins de leurs demandes contre elle,
- débouter le Fonds de sa demande faute de pièces probantes intéressant les sommes versées aux victimes,
- débouter la société Cousins de sa demande tendant à voir Aviva la garantir des condamnations mises à sa charge, et de celle tendant à voir condamner Aviva à 50 000 euros de dommages et intérêts pour résistance abusive ainsi qu'à lui rembourser l'intégralité des frais et honoraires exposés pour les besoins de sa défense,
- condamner le Fonds à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 8 septembre 2016.
Sur quoi, LA COUR :
Le tribunal a retenu pour l'essentiel qu'un lien contractuel était établi entre les victimes de l'attentat et l'agence Cousins, en sorte que l'action subrogatoire du Fonds était recevable. Le caractère irrésistible et insurmontable de l'attentat n'étant pas contesté, le tribunal a considéré qu'il n'était pas démontré que l'attentat du 22 février 2009 était prévisible pour la société Cousins, la ville du Caire n'étant pas spécifiquement déconseillée, les plus récents attentats remontant à plus de deux ans et demi et ayant touché d'autres régions, notamment les stations balnéaires de la côte, et qu'ainsi l'attentat constituait un cas de force majeure de nature à exonérer la société Cousins de sa responsabilité à l'égard des participants au séjour qu'elle organisait.
L'argumentation développée par le Fonds devant la cour est la suivante :
Le voyagiste est tenu d'une obligation de résultat pour la bonne exécution des prestations convenues au contrat, et notamment d'une obligation de sécurité. Au regard de la connaissance géopolitique du pays d'accueil auquel il est tenu, un attentat terroriste dans un pays tel que l'Egypte ne peut être considéré comme imprévisible, et ainsi ne réunit pas les éléments constitutifs d'un cas de force majeure, notamment à raison des nombreux attentats perpétrés dans ce pays depuis 1996, et notamment au bazar El Khalili du Caire en 2005. En particulier, les recommandations du ministère des affaires étrangères faisaient état du risque terroriste sur l'ensemble du territoire égyptien, et invitaient les touristes à faire preuve de vigilance lors de leurs déplacements, notamment dans les souks, et dans tous lieux où ils pouvaient être isolés. Or en l'espèce un groupe de mineurs encadré par du personnel de la société Cousins, facilement repérable, était plus exposé encore.
La société Cousins fait valoir que le lien contractuel de vente entre les victimes indemnisées par le Fonds et elle-même n'est pas démontré, et que certaines victimes indemnisées n'en avaient aucun avec elle. La charge de la preuve du contrat de vente ayant lié les victimes à la société Cousins n'étant pas faite, la demande est irrecevable.
Sur l'existence d'un cas de force majeure, elle observe qu'un acte de terrorisme est toujours imprévisible par définition et par nature, et qu'aucun obstacle lié à des raisons de sécurité ne s'est élevé lorsqu'elle a organisé le voyage auprès de ses partenaires commerciaux.
Elle conteste également l'argumentation d'Aviva sur l'épuisement de sa garantie et sur la clause d'exclusion de garantie pour terrorisme.
Sur la recevabilité :
Il est reconnu par la société Cousins (p.6 de ses écritures) qu'elle est bien l'organisateur du voyage auquel participaient 43 adolescents de la ville de Levallois Perret et 11 jeunes envoyés par des comités d'entreprise, voyage commercialisé par ses distributeurs habituels. Les victimes sont donc bien les acheteurs du voyage qu'elle a organisé et vendu, peu important que le contrat de vente ait été régularisé par l'intermédiaire de tiers. L'article L.211-16 du Code du tourisme, qui prévoit la responsabilité de plein droit de toute personne ayant concouru à l'organisation de la prestation vendue, est donc bel et bien applicable et l'action du Fonds a justement été déclarée recevable.
Sur le fond :
Un cas de force majeure est usuellement défini comme présentant cumulativement les caractères d'extériorité, irrésistibilité et imprévisibilité.
Il n'est pas contesté que l'attentat du 22 février 2009 constitue une circonstance extérieure et irrésistible.
En ce qui concerne l'imprévisibilité, la cour adopte les motifs suffisamment détaillés par lesquels le tribunal a rappelé que, si l'Egypte restait exposée à la période considérée au risque terroriste, comme tous les pays de la région, la ville du Caire n'était pas spécifiquement déconseillée par le ministère des affaires étrangères. Il est d'ailleurs souligné par la pièce n° 1 du Fonds qu'aucune attaque contre des touristes occidentaux en Egypte n'avait été constatée depuis 2006.
Il convient d'observer, en outre, qu'il y a lieu de distinguer entre le risque d'attentat lui-même, lequel était en l'espèce connu, et sa réalisation en un endroit et sur des victimes déterminés, laquelle était, par nature, totalement aléatoire et imprévisible. Ainsi et réciproquement, on ne saurait concevoir qu'en l'état du risque terroriste actuel dans les pays européens et notamment en France, la responsabilité d'un voyagiste, d'une municipalité, ou d'un restaurateur ou débitant de boissons, puisse être recherchée en application de son obligation de sécurité au titre d'un dommage causé par l'attaque du 14 juillet 2016 à Nice, ou celle du 13 novembre 2015 à Paris, attaques qui, malgré le risque terroriste précédemment identifié, demeuraient imprévisibles. Retenir le contraire reviendrait à faire peser sur tout prestataire de service une obligation de sécurité générale parfaitement disproportionnée avec l'objet du contrat.
Le jugement sera donc confirmé en ce que le Fonds a été débouté de toutes ses demandes, et l'action de la société Cousins contre Aviva déclarée sans objet.
Sur les autres demandes :
Aucune considération d'équité ne justifie l'application en la cause de l'article 700 du Code de procédure civile et le jugement sera infirmé sur ce point.
Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement déféré en ce que la demande du Fonds a été déclarée recevable, mais rejetée au fond ; Infirmant le jugement sur les demandes d'indemnité de procédure et statuant à nouveau ; Rejette les demandes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Dit que le Fonds supportera les dépens d'appel, avec recouvrement direct.