Cass. com., 8 novembre 2016, n° 15-17.355
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Déjoué (Epoux), Massart (ès qual.), Celta Ouest (Sté)
Défendeur :
Renault (SAS), Renault Retail Group (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Tréard
Avocat général :
Mme Pénichon
Avocats :
SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, SCP Spinosi, Sureau
LA COUR : - Statuant tant sur le pourvoi principal formé par M. Déjoué, Mme Déjoué et M. Massart en sa qualité de liquidateur de la société Celta Ouest (la société Celta), que sur le pourvoi incident relevé par la société Renault et la société Renault Retail Group (la société RRG) ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (Chambre commerciale, financière et économique, 1er juin 2010, pourvoi n° 09-15.636), que le contrat de vendeur agréé conclu le 24 décembre 1992 entre la société Celta, dirigée par M. et Mme Déjoué, et les sociétés Renault et Reagroup, devenue la société RRG, a été résilié par ces dernières en 2000 ; qu'estimant que la liquidation judiciaire de la société Celta, prononcée le 9 janvier 2002, était imputable au comportement fautif des sociétés Renault et Reagroup dans l'exécution de leurs obligations contractuelles, M. et Mme Déjoué, ainsi que M. Massart, ès qualités, les ont assignées en réparation de leurs préjudices ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en ses deuxième, troisième, quatrième, cinquième, sixième, huitième et neuvième branches : - Attendu que M. et Mme Déjoué et M. Massart, ès qualités, font grief à l'arrêt de rejeter les demandes formées à l'encontre de la société RRG alors, selon le moyen : 1°) que, dans un contrat de vente agréé de véhicules neufs, dans lequel le vendeur s'engage à une obligation d'exclusivité d'achats de véhicules neufs au concessionnaire, manque nécessairement à son obligation d'exécution loyale et de bonne foi du contrat de vente le concessionnaire qui, disposant d'une succursale voisine, consent à ses clients des rabais que les conditions dans lesquelles il vend lui-même les véhicules à son vendeur agréé ne permettent pas à ce dernier de proposer ; qu'en excluant toute faute de la société RRG au motif que rien ne l'obligeait à vendre et aligner ses tarifs sur ceux du vendeur agréé, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil, ensemble l'article 1147 du même code ; 2°) qu'en affirmant qu'aucune faute ne pouvait être imputée au concessionnaire au titre des tarifs de vente des véhicules neufs dès lors que l'essentiel de l'activité de la société Celta aurait consisté à vendre des véhicules d'occasion, sans rechercher si les conditions tarifaires qui lui étaient imposées par le concessionnaire n'avaient pas pour conséquence d'inciter la société Celta à recentrer son activité sur la vente de véhicules d'occasion, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1147 du Code civil ; 3°) qu'en affirmant que la lettre du 24 mars 1997, par laquelle la société Celta faisait état d'une rupture brutale de l'encours de 1 200 000 francs dont elle avait toujours bénéficié, ne démontrait pas la réalité de cet encours sans s'expliquer sur le fait, pourtant rappelé par les conclusions de la société Celta, que Renault n'avait pas contesté les termes de celle-ci, pas davantage qu'elle n'avait au demeurant contesté la seconde lettre, en date du 30 juillet 1997, qu'elle lui avait adressée à ce sujet, la cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ; 4°) qu'en décidant que la suppression brutale et injustifiée, à compter de janvier 1998, des conditions de paiement des véhicules neufs et des pièces de rechange, suppression qui n'était pas contestée par la société Renault, n'était pas fautive dès lors qu'elle était une précaution résultant du refus d'encaissement de certains moyens de paiement, sans rechercher, ainsi que cela lui était demandé, si ces rejets n'étaient pas directement dus aux difficultés de trésorerie qu'avait engendrées la décision de la société Renault de priver la société Celta de l'encours dont elle avait jusque-là toujours bénéficié, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ; 5°) que le juge devant lequel est contestée l'authenticité d'un document ou d'une pièce doit procéder à une vérification d'écritures ; qu'en écartant le décompte établi par M. Cotte, directeur administratif de la société Renault, dont l'authenticité était mise en doute par cette dernière, sans ordonner une vérification d'écritures, la cour d'appel, qui n'a pas exercé son office, a violé les articles 287 et 288 du Code de procédure civile, ainsi que l'article 1324 du Code civil ; 6°) qu'en écartant toute faute de la société Renault quant aux délais anormaux de paiement invoqués par la société Celta, sans rechercher, ainsi qu'il lui était demandé, si, conformément à l'article XII du contrat liant les parties, le concessionnaire avait versé à la société Celta les sommes qui lui étaient dues " dans les délais d'usage en matière commerciale et compatibles avec une saine gestion de l'entreprise ", la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1147 du Code civil ; 7°)qu'en se bornant, sur cette question, à des considérations tenant aux rapports ayant existé entre la société Celta et la société Elf, sans même avoir recherché dans quels délais la société Renault avait payé la société Celta, la cour d'appel, qui a statué par des motifs inopérants, a derechef privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1147 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant retenu que la preuve d'une politique tarifaire déloyale en matière d'approvisionnement de véhicules neufs n'était pas établie, en considération, d'une part, de l'absence de valeur probante du document sur la base duquel la société Celta établissait le taux moyen des remises que la société Renault Rennes appliquait à ses clients, d'autre part, du fait, qu'à supposer cette analyse conforme à la réalité, le vendeur agréé n'avait jamais fait part de difficultés au concessionnaire Renault Rennes concernant les conditions de vente et de tarifs qui lui étaient appliquées, la cour d'appel a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision, les motifs critiqués par le moyen, en ses deux premières branches, étant dès lors surabondants ;
Attendu, en deuxième lieu, que, s'agissant des conditions de paiement relatives à l'achat des véhicules d'occasion, l'arrêt constate que le contrat ne prévoit pas d'encours ; qu'il retient que les éléments versés aux débats démontrent que les règlements à 60 jours n'ont été ni systématiques ni permanents, entre les parties, et en déduit que la société Celta ne peut en invoquer la suppression brutale ; qu'en cet état, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de s'expliquer sur un élément qui n'était pas de nature à établir l'accord des parties sur les conditions de paiement invoquées, tiré du silence que la société Renault avait conservé après que la société Celta lui ait fait part de ses contestations concernant la suppression de l'encours dont elle revendiquait l'existence, a légalement justifié sa décision ;
Attendu, en troisième lieu, que, s'agissant des conditions de paiement relatives à l'achat des véhicules neufs et pièces de rechange, l'arrêt retient que les incidents de paiement de la société Celta à l'égard de la société RRG sont avérés, qu'aucun élément probant n'est produit concernant la réalité d'une créance détenue par la société Celta à l'égard du concessionnaire Renault, et en déduit que les exigences d'un paiement comptant ou par chèques de banque, suivant la nature des achats, ne peuvent être qualifiées d'injustifiées ou d'abusives ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations souveraines, la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'effectuer la recherche invoquée à la quatrième branche, que ces appréciations relatives à l'absence de preuve d'un encours systématique rendait inopérante, ni de procéder à la vérification d'écriture d'un décompte anonyme non signé, qu'elle a estimé dépourvu de valeur probante, a légalement justifié sa décision ;
Attendu, en quatrième lieu, que, s'agissant de la dégradation de trésorerie que la société Celta imputait aux délais de paiement anormaux qui lui avaient été appliqués par la société Renault, et qu'elle considérait comme étant en relation directe avec la dénonciation du contrat de commission qui la liait à la société Elf, l'arrêt retient que les difficultés survenues entre les sociétés Elf et Celta ont chronologiquement précédé les protestations adressées à la société Renault concernant les conditions de règlement des primes exigibles en vertu du contrat de vendeur agréé et constate que ces dernières ne représentaient qu'une part minime des recettes ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations souveraines, faisant ressortir l'absence de lien de causalité entre le règlement différé des primes et la mise en péril de la trésorerie de la société Celta, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche relative aux délais de paiement appliqués et à leur conformité aux délais d'usage, que ces appréciations rendaient inopérante, a légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen, inopérant en ses première et deuxième branches, n'est pas fondé pour le surplus ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en ses première, septième, et dixième branches, ainsi qu'en sa branche supplémentaire non numérotée, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Mais sur le moyen unique du pourvoi incident, pris en sa première branche : - Vu l'article 455 du Code de procédure civile ; - Attendu que pour condamner la société RRG au paiement de la somme de 14 930,54 euros, l'arrêt constate que le tribunal a fondé sa condamnation sur l'affirmation faite dans le décompte établi par M. Massart, ès qualités, de ce que la société RRG est débitrice de sommes impayées, motif pris de ce que les compensations dont se prévalait cette dernière pour ramener le décompte à un solde nul n'avaient pas fait l'objet de déclaration de créances à la liquidation judiciaire de la société Celta ; qu'il relève qu'en première instance, le principe de cette créance détenue par la liquidation n'a été discuté qu'en ce qui concernait la compensation que la société RRG entendait opposer avec d'autres règlements qu'elle avait faits et retient que, faute de justifier de créances déclarées à la liquidation, la compensation ne peut effectivement s'opérer ;
Qu'en statuant ainsi, sans constater que l'argumentation soutenue en première instance par la société RRG constituait un aveu judiciaire, manifestant sans équivoque la reconnaissance de l'existence d'une créance de 14 930,54 euros, lui permettant d'écarter le moyen présenté par la société RRG, tiré de l'obligation faite à celui qui réclame l'exécution d'une obligation de la prouver, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Par ces motifs et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : Rejette le pourvoi principal ; Et statuant sur le pourvoi incident : Casse et annule, mais seulement en ce qu'il condamne la société Renault Retail Group à payer à M. Massart, ès qualités, la somme principale de 14 930,54 euros majorée des intérêts au taux légal à compter du 19 août 2003, l'arrêt rendu le 30 janvier 2015, entre les parties, par la Cour d'appel de Rennes ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel d'Angers.