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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 10 novembre 2016, n° 15-05788

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Daniel Grenin (SAS)

Défendeur :

Chronopost (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dabosville

Conseillers :

M. Loos, Mme Schaller

Avocats :

Mes Cholay, Gombert, Valentie, Lawson

T. com. Paris, 15e ch., du 16 fév. 2015

16 février 2015

Faits et procédure

La société Daniel Grenin (ci-après " la société Grenin ") est une société de transports de colis. Elle a signé avec la société Chronopost divers contrats de transport de colis depuis 1999. La société Chronopost dont l'activité principale est celle de commissionnaire de transport, organise pour le compte de ses clients des livraisons en express avec un suivi informatique consultable à tout moment pour cette activité, elle a recours à la sous-traitance et conclut notamment des contrats de transport par lesquels elle charge un sous-traitant d'acheminer par voie routière des lots de marchandises d'une agence à une autre ou de distribuer les plis et colis sur des secteurs déterminés.

La société Chronopost a ainsi conclu avec la société Grenin un contrat de transport sur le département de la Nièvre le 4 mai 1999, suivi d'un nouveau contrat sur les départements 58 et 03 le 25 juillet 2000. A la suite d'un premier appel d'offres en 2003, puis de plusieurs appels d'offres sur des secteurs géographiques différents, les divers contrats successifs signés entre la société Grenin et la société Chronopost ont été résiliés moyennant préavis puis, selon les cas, reconduits à de nouvelles conditions.

Le dernier contrat signé daté du 1er septembre 2008 a été résilié le 13 juin 2012 par la société Chronopost avec un préavis de cinq mois que la société Grenin a considéré comme notoirement insuffisant. La société Grenin n'a par ailleurs pas été retenue pour le nouvel appel d'offres lancé par la société Chronopost.

C'est dans ces conditions que la société Grenin a fait assigner la société Chronopost pour rupture abusive des relations commerciales établies et indemnisation des divers préjudices subis.

Par jugement rendu le 16 février 2015, le Tribunal de commerce de Paris a :

- Débouté la SAS Daniel Grenin de l'ensemble de ses demandes ;

- Condamné la SAS Daniel Grenin à payer à la SAS Chronopost la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du CPC ;

- Dit les parties mal fondées pour leurs demandes plus amples ou autres, et les en déboute ;

- Condamné la SAS Daniel Grenin aux dépens, dont ceux à recouvrer par la le greffe, liquidés à la somme de 82,44 dont 13,52 euros de TVA.

Vu l'appel interjeté par la société Grenin le 17 mars 2015 contre cette décision,

Vu les dernières conclusions signifiées par la société Grenin le 15 juin 2015 par lesquelles il est demandé à la cour de :

- Réformer la décision rendue par le Tribunal de commerce de Paris ;

- Venir la société Chronopost s'entendre condamnée à réparer l'insuffisance de préavis accordé à la société requérante et, en tout cas, en raison des circonstances de fait survenues au moment de la rupture de la relation.

En conséquence, la condamner à payer :

- au titre du préjudice lié à l'insuffisance de préavis de rupture une somme de 191 539 euros.

- au titre du préjudice lié au coût social et salarial, une somme de 33 400 euros.

- au titre des pertes sur véhicules utilisés, la somme de 6 900 euros.

- Ordonner l'exécution provisoire nonobstant appel et sans caution.

- Condamner la société Chronopost à payer 8 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Vu les dernières conclusions signifiées par la société Chronopost le 22 juillet 2015 par lesquelles il est demandé à la cour de :

- Confirmer purement et simplement le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Daniel Grenin de l'ensemble de ses demandes comme étant mal fondées et injustifiées ;

- Dire et juger que le délai de préavis accordé à la société Daniel Grenin était suffisant ;

- Dire et juger que la résiliation intervenue n'est ni brutale ni abusive ;

En conséquence,

- Débouter la société Daniel Grenin de l'ensemble de ses demandes comme étant infondées ;

Subsidiairement,

- Dire et juger que la société Daniel Grenin ne justifie pas de sa marge brute, ni de la matérialité des frais annexes dont elle sollicite le remboursement, en contravention avec les articles 9 du CPC et 1315 du Code civil ;

En conséquence,

- La débouter de l'ensemble de ses demandes d'indemnisation comme étant injustifiées ;

- La condamner à payer une indemnité de 6 000 euros au titre de l'article 700 du CPC ainsi que les entiers dépens d'appel dont distraction au profit de Maître Christian Valentie, Avocat au barreau de Paris, et ce dans les termes de l'article 699 du CPC.

La société Grenin soutient, au visa de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, qu'en l'état de la durée des relations commerciales qui remontent au 4 mai 1999 sans interruption jusqu'au 13 juin 2012, soit pendant plus de 13 ans, la société Chronopost a engagé sa responsabilité délictuelle en n'accordant pas un préavis d'une durée suffisante, nonobstant les clauses du contrat-type de transport qui ne sont que supplétives de la volonté des parties, que les juges du fond conservent un pouvoir d'appréciation de la durée du préavis à accorder en fonction de la durée de la relation commerciale et des usages, que les parties sont convenues d'un préavis plus long dans chaque contrat renouvelé, que la société Chronopost a accordé à plusieurs reprises des durées de préavis supérieures à celles prévues au contrat afin de permettre à la société Grenin de disposer du temps nécessaire pour se réorganiser, qu'au regard de la durée de treize ans de relations commerciales établies, seul un préavis de 24 mois aurait permis une véritable réorganisation, qu'en effet, en 2006, la société Chronopost lui avait accordé un préavis de 10 mois alors que la relation n'avait duré que six ans, ce qui rendait dès lors vraisemblable qu'elle lui accorderait nécessairement un préavis très largement supérieur alors que la relation avait duré treize ans, que les cinq mois accordés - qui sont au demeurant supérieurs à la durée du contrat-type, démontrant ainsi la renonciation des parties à l'application stricte du contrat-type - sont insuffisants, qu'elle fait valoir son droit à indemnisation sur le fondement de sa marge brute moyenne des 36 derniers mois, outre le préjudice lié au coût social et salarial et aux pertes sur véhicules utilisés.

La société Chronopost soutient en réponse qu'en raison des appels d'offres successifs, la relation commerciale ne pouvait être qualifiée d'établie car elle était empreinte d'un aléa, puisqu'en treize ans les parties ont conclu 6 contrats qui ont tous été résiliés pour appels d'offres ou changement de secteurs, qu'en tout état de cause, le dernier contrat conclu entre les parties prévoyait un préavis contractuel de 3 mois, qu'elle a même respecté un préavis supérieur de 5 mois, que l'article L. 442-6, I, 5° est inapplicable au contrat de transport soumis au contrat-type de sous-traitance, que les parties n'ont pas entendu déroger audit contrat-type, que le fait d'avoir accordé un préavis supérieur est uniquement une preuve de loyauté, sans pour autant pouvoir être reproché à Chronopost, qu'ainsi la société Grenin a disposé d'un délai suffisamment long pour se retourner, qu'elle a été informée de l'appel d'offres et a été invitée à y répondre, ce qu'elle a fait, qu'elle a même disposé encore de deux mois supplémentaires du préavis restant à courir après avoir appris qu'elle n'était pas retenue, qu'elle ne peut se prévaloir d'aucun précédent, les conditions de rupture en 2006 ayant été très différentes, qu'elle ne peut non plus se prévaloir de la novation du contrat qui n'est pas applicable en l'espèce, qu'il n'y avait aucun état de dépendance économique avéré, que les investissements faits par la société Grenin en qualité de transporteur lui servent pour son activité et n'ont pas été imposés par la société Chronopost, qu'il n'y a eu aucun abus de la part de la société Chronopost. Elle conteste subsidiairement le calcul du préjudice sollicité sur la base d'un calcul de marge brute non justifié, ainsi que les demandes d'indemnisation au titre des dépenses sociales et salariales, et de location d'un véhicule.

LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

Sur ce, LA COUR,

Considérant qu'aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, "engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :

5) de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels (...) " ;

Considérant que le champ d'application de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce s'étend, au-delà des simples relations contractuelles, à des situations très diverses ;

Qu'il est constant que l'article L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce ne s'applique pas à la rupture des relations commerciales de transports publics routiers de marchandises exécutés par des sous-traitants lorsque le contrat-cadre liant les parties se réfère expressément au contrat-type institué par la LOTI, qui prévoit en son article 12.2. la durée des préavis de rupture ;

Que par ailleurs il est constant que l'instauration d'une procédure régulière d'appels d'offres peut précariser une relation commerciale, même ancienne ;

Qu'enfin, même si le juge n'est pas lié par la durée du préavis contractuel, la durée ainsi prévue peut néanmoins constituer une base à prendre en considération, notamment au regard des usages de la profession ;

Considérant qu'en l'espèce, dès le deuxième appel d'offres, en 2006, puis de plus fort en 2012, lors du troisième appel d'offres, la société Grenin savait que le contrat allait être résilié et qu'elle n'avait aucune garantie de remporter le nouvel appel d'offres, auquel elle a répondu ;

Que le fait qu'elle ait remporté celui de 2003 et celui de 2006 ne lui donnait aucune garantie pour l'appel d'offres de 2012 ;

Que c'est dès lors à juste titre, par des motifs que la cour adopte, que les premiers juges ont retenu que la relation commerciale était empreinte d'un fort aléa ;

Qu'il n'est pas contesté que les conditions du marché avaient considérablement évolué et que les contrats successifs souscrits prenaient en compte des secteurs géographiques différents ;

Qu'à chaque résiliation suivie d'un appel d'offres, la société Chronopost a toujours soit respecté le préavis contractuel, soit accordé un préavis d'une durée plus longue, afin de tenir compte des circonstances, des changements de réglementation en matière de transport et des usages ;

Que la société Grenin n'établit pas avoir été placée, à un quelconque moment de la succession de contrats, dans un état de dépendance économique à l'égard de la société Chronopost, ne réalisant au demeurant avec cette dernière que 14,2 % de son chiffre d'affaires ;

Qu'au regard de l'ensemble de ces éléments, des usages de la profession, de la commune intention des parties et de la précarisation progressive des relations commerciales entre elles, celles-ci ayant déjà fait l'objet d'au moins deux appels d'offres, le préavis de 5 mois accordé, supérieur au préavis de trois mois fixé contractuellement, était suffisant pour permettre à la société Grenin de se réorganiser et de se tourner vers d'autres marchés ;

Qu'il n'y a pas lieu de qualifier la rupture de brutale ;

Qu'il y a lieu par conséquent, par motifs propres et adoptés, de confirmer la décision entreprise et de débouter la société Grenin de ses demandes d'indemnisation, les demandes au titre des dépenses salariales et des frais de location de véhicule n'ayant pas de fondement distinct de celle formée au titre de la rupture brutale ;

Considérant qu'il y a lieu de faire droit à la demande d'indemnisation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile dans les termes exposés au dispositif ci-après.

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme, par motifs propres et adoptés, le jugement déféré en toutes ses dispositions. Y ajoutant, Condamne la société Grenin à payer à la société Chronopost la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. La condamne aux dépens qui seront recouvrés au profit de Maître Christian Valentie, Avocat au barreau de Paris, et ce dans les termes de l'article 699 du CPC.