Cass. com., 8 novembre 2016, n° 15-12.445
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Editions Jalou (SARL), Gorins (ès qual.)
Défendeur :
Parlan Publishing (sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Poillot-Peruzzetto
Avocat général :
Mme Pénichon
Avocats :
SCP Odent, Poulet, SCP Baraduc, Duhamel, Rameix
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que par contrats conclus en 1997 puis le 28 décembre 2001, la société Les Editions Jalou (la société Jalou), éditeur du magazine " L'Officiel de la couture et de la mode de Paris ", a concédé à la société New Sovereign Ltd une licence exclusive en vue de sa publication et diffusion, en langue russe, en Russie et dans certains pays voisins jusqu'au 31 décembre 2011 ; que le contrat de 2001 prévoyait, au bénéfice de la société New Sovereign Ltd, un droit de préemption sur tout contrat de licence que la société Jalou souhaiterait conclure avec un tiers, afin de lui garantir la reconduction dans ses droits ; que le 1er octobre 2006 les droits et obligations de la société New Sovereign Ltd ont été transférés à la société CJSC Parlan Publishing (la société Parlan) ; que le 1er janvier 2007 cette dernière et la société Jalou ont conclu un contrat " standard " pour une durée de cinq ans, conférant à cette dernière l'exclusivité d'exploitation du magazine sur tout le territoire ; que les parties s'étant opposées sur les conditions de reconduction du contrat amendé de 2001, la société Jalou a notifié, le 4 août 2010, la résiliation unilatérale de ce contrat, avec effet au 30 août suivant, à la société Parlan et, ultérieurement, l'a assignée pour faire constater le caractère légitime de la résiliation de ce contrat et demander des dommages-intérêts pour inexécution contractuelle ; que reconventionnellement, la société Parlan a demandé la réparation des préjudices résultant de la violation de son droit de préemption, en raison de la conclusion par la société Jalou de deux contrats de licence avec un tiers, et de la rupture brutale et abusive de la relation commerciale établie ; que devant la cour d'appel, la société Jalou a présenté des demandes en réparation de préjudices résultant d'actes commis postérieurement à la résiliation ;
Sur le troisième moyen : - Attendu que la société Jalou fait grief à l'arrêt du rejet de sa demande tendant à ce que le juge dise que la société Parlan a commis une faute grave contractuelle en résiliant le contrat de sous-traitance alors, selon le moyen : 1°) que les juges du fond ne peuvent dénaturer les termes clairs et précis des contrats ; qu'en énonçant que la société Parlan était libre de gérer le contrat de sous-licence et pouvait en conclure un nouveau en Ukraine après l'éviction de la société Vavilon, quand il résultait de l'article 9.4 du contrat du 1er janvier 2007 que le licencié ne pouvait concéder qu'une seule sous-licence en Ukraine, laquelle avait été concédée à la société Vavilon, toute nouvelle sous-licence devant être autorisée par la société Jalou, la cour d'appel a dénaturé le contrat, en violation de l'article 1134 du Code civil ; 2°) que le contrat fait la loi des parties ; qu'en énonçant que la société Parlan pouvait librement conclure une nouvelle sous-licence en Ukraine après l'éviction de la société Vavilon, quand le licencié ne pouvait, aux termes de l'article 9.4 du contrat du 1er janvier 2007, conclure librement qu'une seule sous-licence en Ukraine, la seconde après résiliation de la première devant ainsi être autorisée par la société Jalou, la cour d'appel a méconnu la loi du contrat, en violation de l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu qu'après avoir constaté que l'article 9.4 de l'avenant au contrat de licence du 1er janvier 2007 autorisait le licencié à concéder une sous-licence du magazine au Kazakhstan et en Ukraine à un quelconque tiers, dans la limite d'une pour chaque pays, et que l'article 1.3 du contrat de licence stipulait qu'il pourrait utiliser à son gré le droit de réaliser les " éditions régionales de la revue russe ", l'arrêt retient que la société Parlan pouvait résilier à son gré le contrat de sous-licence et engager des pourparlers pour la conclusion d'un nouveau contrat sans en informer préalablement la société Jalou, puis proposer un remplaçant à cette dernière, sa seule obligation étant de l'informer de la conclusion d'un contrat de sous-licence, ce qui a été fait, avec la communication du nom du candidat envisagé ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations et dès lors qu'il n'était pas soutenu que la société Parlan avait conclu le nouveau contrat sans l'autorisation de la société Jalou, la cour d'appel, sans dénaturer l'article 9.4 du contrat, et sans en méconnaître les termes, en a exactement déduit qu'aucune faute ne pouvait être reprochée à la société Parlan ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le quatrième moyen : - Attendu que la société Jalou fait grief à l'arrêt, après avoir déclaré la loi française applicable, du rejet de la demande en indemnisation de la société Parlan au titre de la rupture brutale d'une relation commerciale établie alors, selon le moyen, que la loi applicable à l'action née d'une rupture brutale de relation commerciale établie est la loi du lieu du fait dommageable ; qu'en déclarant l'article L. 442-6 I 5° applicable, au prétexte de l'existence d'un délit complexe, la cour d'appel a violé les articles 3 du Code civil et L. 442-6 du Code de commerce ;
Mais attendu que la société Jalou est sans intérêt à critiquer le chef de l'arrêt ayant rejeté la demande de la société Parlan, qui ne lui fait pas grief ; que le moyen est irrecevable ;
Sur le cinquième moyen : - Attendu que la société Jalou fait grief à l'arrêt du rejet de sa demande en indemnisation de la publication de revues après la rupture du contrat de licence alors, selon le moyen, que la publication sans droit de licence d'une revue protégée par une marque constitue une contrefaçon engendrant réparation, peu important le contenu d'une clause de non-concurrence post-contractuelle ; qu'en déboutant la société Jalou de sa demande d'indemnisation fondée sur la publication fautive, par la société Parlan, de revues après la rupture du contrat de licence conclu avec la société Jalou, aux motifs inopérants tirés du contenu de l'article 13 du contrat et de l'absence de manquements à la bonne foi, sans rechercher si une telle publication ne constituait pas une contrefaçon engendrant réparation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 du Code civil et L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle ;
Mais attendu qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni des conclusions de la société Jalou que celle-ci se soit prévalue devant la cour d'appel de la violation de l'article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle ; que le moyen, nouveau et mélangé de fait et de droit, est irrecevable ;
Sur le sixième moyen : - Attendu que la société Jalou fait grief à l'arrêt de la condamner à payer la somme de 2 217 000 euros à la société Parlan alors, selon le moyen : 1°) que les juges du fond ne peuvent apprécier l'étendue d'un préjudice en se fondant exclusivement sur un rapport établi de manière non contradictoire à la demande d'une des parties, peu important qu'il ait été soumis à la libre discussion de celles-ci ; qu'en se fondant exclusivement, pour fixer le montant du préjudice subi par la société Parlan à la suite de la rupture du contrat de licence, sur le rapport du cabinet d'audit et de Consulting Gorislavstev établi à la seule demande de la société Parlan, la cour d'appel a violé les articles 9, 15 et 16 du Code de procédure civile et 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ; 2°) que le montant du préjudice doit être évalué au jour de l'arrêt ; qu'en évaluant les pertes subies par la société Parlan au jour de survenance du préjudice et non à celui de l'arrêt, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil ;
Mais attendu, d'une part, que loin de se fonder exclusivement sur le rapport du cabinet Gorislavstev pour déterminer le montant de l'indemnisation du préjudice résultant de la rupture abusive du contrat, l'arrêt relève que l'estimation faite par ce cabinet de l'excédent brut d'exploitation a été certifiée par la directrice du service de contrôle interne de la société Parlan puis écarte les assertions du rapport Mazars sur la prise en considération de l'année 2010 ;
Et attendu, d'autre part, qu'en retenant que la perte totale au titre des mois d'août 2010 à décembre 2011 s'élevait à 94 490 mille roubles et qu'il convenait de déduire les bénéfices de la publication du magazine après la résiliation anticipée du contrat, la cour d'appel a fixé au jour où elle statuait le montant du préjudice ; d'où il suit que le moyen, qui manque en fait en sa première branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
Mais sur le premier moyen, pris en sa seconde branche : - Vu l'article 455 du Code de procédure civile ; - Attendu que pour déclarer irrecevables comme nouvelles les demandes en paiement de dommages-intérêts de la société Jalou fondées sur la responsabilité délictuelle de la société Parlan pour des actes postérieurs à la résiliation du contrat, l'arrêt retient que ces demandes ne tendent pas aux mêmes fins que les autres demandes de la société Jalou, fondées sur l'inexécution du contrat ;
Qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la société Jalou qui soutenait que ces demandes tendaient à opposer compensation, la cour d'appel a méconnu les exigences du texte susvisé ;
Et sur le deuxième moyen, pris en sa troisième branche : - Vu les articles 1226 et 1229 du Code civil ; - Attendu que pour condamner la société Jalou à payer une indemnité au titre de la violation du droit de préemption dont bénéficiait la société Parlan, l'arrêt retient que la clause contenue dans l'article 10.5 du contrat de licence, qui prévoit qu'à défaut d'avoir mis la société Parlan en mesure d'exercer son droit de préemption, la société Jalou lui doit le paiement d'une pénalité de 2 000 000 USD, est une clause de dédit organisant la liberté du débiteur de s'échapper de l'obligation s'il ne l'exécute pas, de sorte que l'indemnité prévue par ces dispositions, qui n'a pas le caractère d'une clause pénale, ne peut être réduite par le juge ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la clause litigieuse, qui sanctionne l'inexécution de son obligation par la société Jalou et prévoit une option de substitution de la société Parlan dans les droits du tiers cocontractant, ne peut constituer une clause de dédit, laquelle permet au débiteur de se libérer unilatéralement de son engagement dans les conditions fixées au contrat, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : Casse et Annule, sauf en ce que, infirmant le jugement, il condamne la société les Editions Jalou à payer à la société CJSC Parlan Publishing la somme de 2 217 000 euros à titre de compensation pour l'interruption du contrat au 30 août 2010 au lieu du 31 décembre 2011 ; Rejette la demande de délais de la société Les Editions Jalou, l'arrêt rendu le 28 janvier 2015, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; Remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée.