CA Paris, Pôle 5 ch. 10, 24 octobre 2016, n° 15-08065
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Marti Services (SARL) ; Billioud (ès qual.), Lamart Developpement (SARL) ; Grandjean (ès qual.)
Défendeur :
SNF (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Loos
Conseillers :
Mmes Castermans, Simon-Rossenthal
Avocats :
Mes Verrecchia, De Belval, Fromantin, Hotte
FAITS ET PROCÉDURE
Depuis le 1er août 1995, la société Marti Services réalisait des prestations de maintenance industrielle dans deux sites de la société SNF.
Par courrier du 16 mars 2012, la société SNF a informé la société Marti Services du non-renouvellement du contrat en raison de la mauvaise qualité des prestations. La société Marti Services a été placée en liquidation judiciaire par jugement du Tribunal de commerce de Vienne du 1er octobre 2013.
La société Lamart Développement, principal actionnaire de la société Marti Services, a été placée en liquidation judiciaire par jugement du Tribunal de commerce de Romans du 3 juin 2015
Par exploit d'huissier du 9 août 2013, la société Marti Service représentée par Maître Billioud en sa qualité de liquidateur et la société Lamart ont assigné la société SNF devant le Tribunal de commerce de Vienne sur le fondement d'une rupture brutale des relations commerciales et en paiement de la somme de 2 000 000 euros et de 750 000 euros au profit respectivement des sociétés Marti Services et Lamart et à chacune des requérantes celle de 10 000 euros pour préjudice moral ainsi qu'une indemnité de procédure de 10 000 euros.
Par jugement du 6 février 2014, le Tribunal de commerce de Vienne s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Lyon.
Les requérantes ont repris leurs demandes et invoqué l'annonce du non-renouvellement du contrat début juin 2013 pour un départ fin juin 2013 et soutenu que les dysfonctionnements invoqués n'étaient qu'un prétexte.
La société SNF a conclu au rejet des demandes et sollicité, à titre reconventionnel la condamnation de la société Marti Services à lui payer la somme de 198 291 euros en réparation du préjudice subi en raison des nombreux dysfonctionnements, celle de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et celle de 10 000 euros à titre d'indemnité de procédure ainsi qu'aux dépens.
Par jugement du 16 février 2015, le Tribunal de commerce de Lyon a débouté la société Lamart de ses demandes estimant que celle-ci n'avait aucun lien contractuel avec la société SNF, débouté la société Marti Services de ses demandes estimant que cette dernière était informée depuis mars 2012 des dysfonctionnements et que le préavis de 15 mois était suffisant, débouté la société SNF de ses demandes, estimant que les rapports de dysfonctionnement n'avaient pas été établis contradictoirement, et que la moins-value due à la récupération par Marti de certaines activités n'était pas chiffrée.
Le tribunal a condamné solidairement la société Marti Services et la société Lamart à payer à la requérante une indemnité de procédure de 750 euros ainsi qu'aux entiers dépens. Maître Jean-Louis Billioud ès qualités de mandataire liquidateur de la société Marti Services et Maitre Nicols Grandjean ès qualités de mandataire judiciaire de la société Lamart Développement ont relevé appel du jugement le 10 avril 2015.
Par conclusions notifiées le 21 septembre 2015, les appelantes demandent à la cour, au visa des articles L. 442-6 I 5° du Code de commerce et 1382 du Code civil de :
- réformer le jugement dont appel,
- dire et juger que la société SNF a commis une rupture brutale des relations commerciales établies aux préjudices des sociétés Marti Services et Lamart Développement,
- dire et juger que, malgré les démarches pré-contentieuses, la société SNF a refusé d'assumer ses responsabilités,
- dire et juger que la société SNF doit indemniser les sociétés Marti Services et Lamart Développement du préjudice subi par elles,
- la condamner à leur payer la somme de : pour Marti Services : 2 000 000 euros selon détail dans les conclusions, pour Lamart Développement : 750 000 euros à parfaire compte tenu de son placement en liquidation judiciaire, à chacune, la somme de 10 000 euros pour préjudice moral,
- dire irrecevable à tout le moins infondée la demande reconventionnelle de SNF,
- condamner la même à leur payer la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi que les entiers dépens d'instance dont distraction au profit de Maître Verrecchia, avocat constitué.
Sur les préjudices, Maître Billioud ès qualités de mandataire liquidateur de la société Marti Services invoque la mise en liquidation judiciaire de cette dernière et le coût des licenciements ainsi que le passif.
La société Lamart représentée par son mandataire judiciaire invoque la perte de valeur du fonds de commerce et de mise en redressement puis en liquidation judiciaires.
Par conclusions notifiées le 27 juillet 2015, la société SNF demande à la cour, au visa des articles L. 442-6 I 5° du Code de commerce, 1134, 1147 et 1235 du Code civil, de : dire et juger que le préavis de 15 mois notifié officiellement par la société SNF à la société Marti Services est suffisant et que la société SNF et la société Lamart Développement n'ont jamais entretenu de relations commerciales,
En conséquence de : débouter la société Marti Services et la société Lamart Développement de l'intégralité de leurs demandes indemnitaires au titre d'une prétendue rupture brutale des relations commerciales avec la société SNF.
A titre reconventionnel, de :
- dire et juger que la société Marti Services à facturé à tort la société SNF au titre de prestations dont elle n'avait plus la charge à compter du 1er janvier 2013,
- constater les nombreux dysfonctionnements causés par l'incompétence de la société Marti Services et ayant justifié la non-reconduction du contrat de maintenance,
En conséquence,
- ordonner la fixation au passif de la société Marti Services de la somme de 198 291 euros à titre de dommages et intérêts pour l'ensemble des dysfonctionnements constatés,
- condamner Maître Jean-Michel Billioud ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Marti Services à payer à la société SNF la somme de 198 291 euros en réparation du préjudice subi,
- ordonner la fixation au passif des sociétés Marti Services et Lamart Développement la somme de 10 000 euros chacune,
- condamner in solidum Maître Jean-Michel Billioud ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Marti Services et Maître Nicolas Grandjean ès qualités de mandataire judiciaire de la société Lamart Developpement à payer à la société SNF la somme de 10 000 euros pour procédure abusive,
En toute hypothèse,
- condamner in solidum Maître Jean-Michel Billioud ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Marti Services et Maître Nicolas Grandjean ès qualités de mandataire judiciaire de la société Lamart Developpement à payer à la société SNF la somme de 10 000 euros chacun au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner in solidum Maître Jean-Michel Billioud ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Marti Services et Maître Nicolas Grandjean ès qualités de mandataire judiciaire de la société Lamart Developpement à payer à la société SNF aux entiers dépens,
- mettre à la charge de Maître Jean-Michel Billioud ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Marti Services et Maître Nicolas Grandjean ès qualités de mandataire judiciaire de la société Lamart Developpement, en cas d'exécution forcée de la décision à intervenir, les sommes retenues par l'huissier de justice instrumentaire au titre de l'article 10 du décret 2001-212 du 8 mars 2001.
La clôture de l'instruction est intervenue par ordonnance du 5 septembre 2016.
Sur ce,
Sur la demande formée pour la société Lamart Developpement
La société Lamart Développement qui est l'actionnaire principal de la société Marti Services n'est pas partie au contrat liant les sociétés Marti Services et SNF et n'a pas de relations commerciales avec SNF de sorte qu'elle est irrecevable pour défaut d'intérêt à agir à solliciter l'indemnisation du préjudice qu'elle a subi en raison de la rupture des relations commerciales entre SNF et Marti Services. Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.
Sur la demande pour Marti Services au titre de la rupture brutale des relations commerciales
Les appelants soutiennent qu'il n'a jamais été spécifié officiellement que le contrat devait impérativement se terminer fin juin 2013 après que Marti ait soumissionné à l'appel d'offre lui laissant croire qu'elle ne devait pas s'inquiéter de la poursuite du contrat et alors que SNF avait déjà pris la décision de rompre le contrat. Elle souligne que 20 de ses salariés intervenaient sur le les deux sites de SNF. La société SNF soutient que la cessation de la relation entre SNF et Marti Services est caractérisée par la bonne foi et le respect du donneur d'ordre envers son prestataire de services. Il n'est pas contesté par les parties que les sociétés SNF et Marti Services sont en relations commerciales établies depuis le 1er août 1995. Le 30 décembre 2010, la société SNF et la société Marti Services ont conclu un nouveau contrat confiant à la société Marti Services la maintenance industrielle des sites SNF d'Andrezieux-Boutheon SNF pour une durée de deux ans à compter du 1er janvier 2011, reconductible par tacite reconduction par période de 12 mois à compter de cette date ; chaque partie pouvant résilier le contrat avec un préavis de 60 jours préalablement à la date prévue pour son terme du 31 décembre 2012 ou à celle de chacun des renouvellements.
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 16 mars 2012, la société SNF a informé la société Marti Services de sa décision de ne pas renouveler les contrats de maintenance conclus le 30 décembre 2010 pour les sites de Saint-Avold et Andrézieux-Bouthéon avec effet au 30 juin 2013. Par ce même courrier, la société SNF a informé la société Marti Services de l'organisation d'un appel d'offres destiné à sélectionner le prochain prestataire de la maintenance industrielle des sites sur la base d'un nouveau cahier des charges et de nouvelles conditions contractuelles.
Par courrier du 3 juin 2013, la société SNF a informé la société Marti Services du refus de son offre. La société Marti Services soutient que la société SNF a rompu de manière abusive les relations commerciales les unissant et sollicite, sur le fondement de l'article 442-6 5° du Code de commerce, l'allocation de la somme de à titre de dommages et intérêts.
Or, en l'espèce, c'est donc 9 mois avant le terme conventionnel du contrat du 31 décembre 2012 que la société SNF a informé la société Marti Services de son souhait de ne pas renouveler le contrat conclu le 30 décembre 2010 avec effet au 1er janvier 2011, octroyant un préavis jusqu'au 30 juin 2013, au-delà du délai conventionnel de 60 jours. Ce délai de préavis de 15 mois est tout à fait raisonnable et suffisant pour permettre à la société Marti Services de pallier les conséquences de la rupture. Ainsi, c'est donc à bon droit que les premiers juges n'ont estimé qu'aucune rupture brutale des relations ne pouvait être reprochée à la société SNF ; le fait de laisser la société Marti Services participer au nouvel appel d'offre ne pouvant valoir renoncement de la société SNF à ne pas renouveler les relations commerciales ; la soumission à un appel d'offre étant, par nature, aléatoire.
Le jugement entrepris sera dès lors confirmé en ce qu'il a débouté la société Marti Services de ses demandes de dommages et intérêts au titre de la rupture des relations commerciales d'une part et du préjudice moral d'autre part.
Sur la demande reconventionnelle d'indemnisation de la société SNF
La société SNF sollicite l'indemnisation des préjudices subis du fait des dysfonctionnements pour lesquels la société Marti Services s'était engagée à apporter des améliorations concrètes dans le cadre du préavis de quinze mois et invoque des manquements qui ont entraîné la fabrication de produit de qualité non marchande qu'il a fallu détruire ou retraite. La société SNF invoque donc une exécution défectueuse par la société Marti Services de ses obligations pendant la période de préavis. La société SNF évalue son préjudice à la somme de 198 291 euros. Elle produit de nombreux rapports de dysfonctionnements de maintenance mais n'évalue son préjudice que sur la base de 7 rapports (n° 61, 64, 68, 81, 85, 86 et 90). Le rapport n° 68 n'est pas produit. Sur les 6 rapports, trois ne comportent aucune explication de l'entreprise intervenante et les trois autres comportent des explications qui en l''état ne permettent pas à la cour de déterminer si la société Marti a exécuté ses obligations de manière défectueuse.
En outre, la société SNF évalue son préjudice sans justifier de la réalité du mode d'évaluation du celui-ci ; la seule attestation de son expert-comptable étant insuffisante à rapporter cette preuve.
Ainsi, l'absence de faute de la société Marti Services et de préjudice de la société SNF font obstacle à l'indemnisation sollicitée.
Le jugement entrepris sera dès lors confirmé en ce qu'il a débouté la société SNF de sa demande de dommages et intérêts.
Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive
La société SNF ne démontre pas qu'en relevant appel d'une décision leur faisant grief, les sociétés Marti Services et Lamart Développement ont fait dégénérer leur droit de faire appel en abus même si elles succombent à la présente procédure. La société SNF sera dès lors déboutée de sa demande de dommage et intérêts. Le jugement déféré sera confirmé sur les dépens et sur l'article 700 du Code de procédure civile sauf à préciser que ceux mis à la charge de la société Marti Services seront employés en frais privilégiés de la procédure collective.
Les sociétés Marti Services et Lamart Développement, parties perdantes, seront condamnées aux dépens de la présente procédure qui sera employés en frais privilégiés des liquidations judiciaires. Elles seront déboutées de leur demande d'indemnité de procédure.
La société SNF succombe en sa demande reconventionnelle, sera également déboutée de sa demande d'indemnité de procédure.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Lyon le 16 février 2015 en toutes ses dispositions sauf à préciser que la société Marti Services est représentée par Me Billioud, liquidateur et la société Lamart Developpement par Me Grandjean, mandataire judiciaire ; Y ajoutant, Précise que les dépens de première instance mis à la charge de la société Marti Services seront employés en frais privilégiés de la procédure collective ; Déboute la société SNF de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ; Condamne les sociétés Marti Services et Lamart Développement aux dépens d'appel qui seront employés en frais privilégiés des liquidations judiciaires des sociétés Marti Services et Lamart Développement ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile.