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Décisions

CA Nîmes, 4e ch. com., 10 novembre 2016, n° 15-01957

NÎMES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Etablissements E. Cholet (SA)

Défendeur :

Valérie Distribution (SARL), Torelli (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Codol

Conseillers :

Mmes Rochette, Lefeuvre

Avocats :

Mes Vaillant, Pomies Richaud, Chabaud, Dumas-Lairolle

T. com. Nîmes, du 17 mai 2013

17 mai 2013

EXPOSÉ

Vu l'appel interjeté le 23 avril 2015 par la SA Etablissements E. Cholet à l'encontre du jugement rendu le 17 mai 2013 par le Tribunal de commerce de Nîmes dans l'instance n° 2012J121.

Vu les dernières conclusions déposées le 6 avril 2016 par la SARL Valérie Distribution intimée et par Me Torelli et le bordereau de pièces qui y est annexé.

Vu la constitution en lieu et place reçue le 22 août 2016 annulant et remplaçant un précédent acte, par lequel la Selarl Csm2 indique qu'elle se constitue en lieu et place de la SCP Dumas Lairolle uniquement pour Me Torelli.

Vu les dernières conclusions déposées le 30 août 2016 par l'appelante et le bordereau de pièces qui y est annexé.

Vu les dernières conclusions déposées le 24 août 2016 par Me Torelli intimé et le bordereau de pièces qui y est annexé.

Vu la communication de la procédure au Ministère Public qui l'a visée le 17 juin 2016 en y portant la mention : " qui s'en rapporte ", avis porté le 17 juin 2016 à la connaissance des parties constituées.

Vu l'ordonnance de clôture de la procédure à effet différé au 1er septembre 2016 en date du 6 juin 2016.

Au motif de l'existence de relations d'affaires entretenues pendant plus de treize ans auxquelles il avait été mis fin brutalement par courrier du 24 novembre 2011, la SARL Valérie distribution a, par exploit du 9 février 2012, fait assigner la SA Etablissements E. Cholet devant le Tribunal de commerce de Nîmes, pour obtenir le paiement de la somme de 56 585,24 euros sur le fondement des articles 46 du Code de procédure civile et L. 442-6 du Code de commerce.

Par jugement du 17 mai 2013, le Tribunal de commerce de Nîmes a :

- donné acte de son intervention volontaire à Me Torelli en sa qualité de mandataire liquidateur de la SARL Valérie distribution,

- condamné la SA Etablissements E. Cholet à payer à Me Torelli en sa qualité de mandataire liquidateur de la SARL Valérie distribution la somme de 30 000 euros à titre d'indemnité pour rupture abusive de relations commerciales,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- dit n'y avoir lieu à dommages et intérêts au titre de la perte d'image

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- rejeté toutes autres demandes fins et conclusions contraires,

- condamné la SA Etablissements E. Cholet aux dépens de l'instance que le tribunal a liquidés et taxés à la somme de 132,84 euros en ce non compris le coût de la citation introductive d'instance, le coût de la signification de la décision, ainsi que tous autres frais et accessoires

La SA Etablissements E. Cholet a relevé appel de ce jugement pour voir:

- à titre principal, faire droit à la fin de non-recevoir tirée de la règle d'ordre public investissant la Cour d'appel de Paris du pouvoir juridictionnel exclusif pour statuer sur les appels formés contre les décisions rendues dans les litiges relatifs à l'application de l'article L. 442-6 du Code de commerce et de son décret d'application,

- annuler le jugement déféré,

- renvoyer la SARL Valérie distribution et Me Torelli en sa qualité de liquidateur à saisir à nouveau de leur litige la juridiction compétente

- condamner Me Torelli en sa qualité de liquidateur de la SARL Valérie distribution aux entiers dépens de la procédure conformément aux dispositions de l'article 696 du Code de procédure civile et à lui régler la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- à titre subsidiaire sur le fond, réformer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Nîmes le 17 mai 2013 en ce qu'il a condamné la SA Etablissements E. Cholet à payer à Me Torelli ès qualités la somme de 30 000 euros à titre d'indemnité pour rupture abusive de relations commerciales,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Me Torelli de ses autres demandes,

- déclarer que la responsabilité de la SA Etablissements E. Cholet ne saurait être engagée par la rupture partielle de ses relations commerciales avec la SARL Valérie distribution,

- plus subsidiairement encore, limiter le montant du préjudice de la SARL Valérie distribution à la somme de 1 043 euros HT et en tout état de cause,

- condamner Me Torelli ès qualités aux entiers dépens de l'instance et au paiement de la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

La SARL Valérie Distribution et Me Torelli ayant initialement constitué avocat commun ont formé appel incident pour voir au visa des articles 564 du Code de procédure civile, L. 442-6 et D. 442-4, 122, 123 et 125 du Code de procédure civile et 1134 du Code civil:

- la cour se déclarer compétente pour connaître du litige,

- confirmer le jugement entrepris sur le principe,

- le réformer sur le montant et statuant à nouveau,

- condamner la SA Etablissements E. Cholet à payer à Me Torelli ès-qualités la somme de 47 313,08 euros HT soit 56 585,24 euros TTC en indemnisation du préjudice subi par la SARL Valérie Distribution,

- condamner la SA Etablissements E. Cholet à payer à Me Torelli une somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la SA Etablissements E. Cholet aux entiers dépens de première instance comme d'appel.

Dans ses dernières conclusions du 24 août 2016 déposées après constitution d'avocat distinct de celui de la SARL Valérie Distribution, Me Torelli conclut pour voir :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel,

- y ajoutant condamner la SA Etablissements E. Cholet à lui payer en sa qualité de liquidateur de la SARL Valérie distribution la somme de 3000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile

- condamner la SA Etablissements E. Cholet aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Pour un plus ample exposé il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.

Discussion

Sur la fin de non-recevoir et la demande d'annulation du jugement

Au visa des articles 122, 123, 125 du Code de procédure civile mais également L. 442-6 du Code de commerce, la SA Etablissements E. Cholet oppose à titre principal une fin de non-recevoir tirée de la règle d'ordre public investissant la Cour d'appel de Paris du pouvoir juridictionnel exclusif pour statuer sur les appels formés contre les décisions rendues dans les litiges relatifs à l'application de l'article L. 442-6 du Code de commerce et de son décret d'application, soulignant que dans leurs conclusions, la SARL Valérie distribution et Me Torelli avaient expressément fait référence aux dispositions de l'article précité du Code de commerce. Elle conclut que le Tribunal de commerce de Nîmes avait méconnu les règles de compétence d'attribution en excédant ainsi ses pouvoirs de sorte que son jugement encourt la nullité sans que l'effet dévolutif de l'appel ne puisse s'opérer en raison de l'incompétence rationae materiae de la cour qui ne pourra que renvoyer les intimés à saisir la juridiction compétente de leur litige.

Me Torelli admet que le moyen "d'incompétence" soulevé par la partie adverse pour la première fois en cause d'appel est considérée par la jurisprudence comme une fin de non-recevoir d'ordre public mais il soutient que la cour peut l'écarter et confirmer un jugement n'ayant fait qu'application de l'article 1134 du Code civil, soulignant qu'il ne développe en appel que des moyens de fond au visa exclusif de ce texte de sorte que la cour peut statuer en jugeant d'une part, l'irrecevabilité des demandes présentées au visa des textes dérogatoires mais aujourd'hui abandonnés pour condamner ensuite la partie adverse par la seule application du droit commun des obligations. Il invoque une faute consistant dans la rupture sans préavis de relations d'approvisionnement qu'il ne caractérise plus au visa de l'article L. 442-6 5° du Code de commerce mais qui s'inscrivent dans une relation incontestable fournisseur/client au sein d'un réseau de distribution sélective dont elle avait été exclue sans que la SA Etablissements E. Cholet ne lui explicite les critères qualitatifs devant être réunis pour intégrer la nouvelle distribution mise en place alors que la licéité de la distribution sélective est soumise à trois conditions tenant à la nature du produit, au caractère objectif des critères de sélection et à leur caractère proportionné. Il lui reproche en conclusion un manquement à l'obligation de loyauté et de bonne foi présidant aux relations contractuelles consistant dans le fait fautif de ne pas l'avoir avertie de cette modification à intervenir malgré l'existence de relations commerciales établies.

La SARL Valérie Distribution conclut à l'irrecevabilité de la demande d'incompétence faisant valoir qu'en première instance, la SA Etablissements E. Cholet n'avait à aucun moment soulevé cette exception de procédure objectant également que la demande tendant à voir appliquer les dispositions de l'article D. 442-4 du Code de commerce est une prétention nouvelle au sens de l'article 564 du Code de procédure civile. Elle objecte également que la Cour d'appel de Paris est compétente pour connaître des décisions rendues par les juridictions énumérées à l'article D. 442-4 de sorte que l'appel d'un jugement du Tribunal de commerce de Nîmes fut-il incompétent dépend bien de la Cour d'appel de Nîmes. Elle ajoute que les dispositions des articles L. 442-6 III alinéa 5 et D. 442-3 du Code de commerce ne privent pas une Cour d'appel de statuer sur l'application de l'article 1134 du Code civil lorsque les demandes sont fondées à la fois sur cet article et sur les dispositions précitées du Code de commerce soulignant encore que le jugement entrepris est fondé sur l'article 1134 du Code civil. En réponse à la demande du conseiller de la mise en état qui par ordonnance du 8 mars 2016 faisait injonction aux parties de compléter leurs observations au visa des articles 122, 123, 125 du Code de procédure civile dans l'hypothèse où le défaut de pouvoir d'attribution de la Cour d'appel de Nîmes pour connaître de l'action fondée sur les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce, devrait s'analyser comme une fin de non-recevoir et de fournir les explications de droit et de fait sur ce moyen d'irrecevabilité, elle fait valoir que l'appelante ne demande pas que sa demande soit déclarée irrecevable et qu'elle se contente de demander pour des motifs de fond, à savoir l'absence de relations commerciales établies, le rejet des prétentions adverses, ajoutant que le litige n'entre manifestement pas dans les cas prévus au second alinéa de l'article 125 du Code de procédure civile.

Aux termes des dispositions de l'article D. 442-3 du Code du commerce, le siège et le ressort des juridictions commerciales compétentes en métropole et dans les territoires d'outre-mer, pour l'application de l'article L. 442-6 du Code du commerce, ont été fixés selon un tableau figurant en annexe de ces dispositions, aux termes duquel, le Tribunal de commerce de Marseille est seul compétent pour le ressort des cours d'appel d'Aix-en-Provence, Bastia, Montpellier et Nîmes.

Il résulte d'autre part, de la combinaison des articles L. 442-6, III, alinéa 5, et D. 442-3 du Code de commerce que la Cour d'appel de Paris est seule investie du pouvoir de statuer sur les appels formés contre les décisions rendues dans les litiges relatifs à l'application de l'article L. 442-6 du même code.

Les dispositions des articles L. 442-6 III, alinéa 5, et D. 442-3 du Code de commerce ont pour conséquence de priver toute cour d'appel, autre que celle de Paris du pouvoir juridictionnel de connaître des demandes fondées sur les dispositions du premier de ces textes, et ce quelle que soit la juridiction initialement saisie. Dès lors que le droit des pratiques restrictives de concurrence est invoqué, les règles de compétence spéciale, d'ordre public, doivent recevoir application.

Il est constant que l'inobservation de ces textes est sanctionnée par une fin de non-recevoir qui doit être relevée d'office compte tenu de son caractère d'ordre public.

Il est inopérant de la part de la SARL Valérie distribution d'invoquer les dispositions de l'article 122 du Code de procédure civile donnant une liste des fins de non-recevoir qui n'est pas limitative ni de se prévaloir des dispositions de l'article 564 du même Code dès lors que l'article 123 prévoit que les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause et donc pour la première fois en appel.

En l'espèce, l'assignation délivrée le 9 février 2012 par la SARL Valérie distribution à l'encontre de la SA Etablissements E. Cholet visait expressément les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce, qui servaient encore de fondement exclusif aux demandes présentées en intervention volontaire devant le tribunal de commerce par Me Torelli, ès qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Valérie distribution.

Si les premiers juges ont visé l'article 1134 du Code civil dans leur jugement, force est de constater qu'ils ont conclu, au visa des premier et dernier alinéa de ce texte, qu'il n'existait aucun contrat cadre régissant les relations contractuelles et commerciales entre les parties au litige pour asseoir ensuite leur décision en considération de "relations commerciales devant s'apprécier de façon économique" dont ils ont retenu qu'elles avaient bien existé entre les parties, de manière permanente et continue pendant plus de treize années, pour conclure ensuite à une rupture brutale et abusive de ces relations, dénoncée sans respect du moindre préavis.

Le tribunal de commerce n'a donc pas motivé sa décision en considération d'un manquement à l'obligation de loyauté ou d'exécution de bonne foi d'une convention voire d'une inexécution contractuelle. Ainsi, bien que visant l'article 1134 du Code civil, il a tranché la question de droit qui lui était soumise sous l'angle de la rupture brutale de relations commerciales établies au sens de l'article L. 442-6 5° du Code de commerce alors invoqué par les parties et de la responsabilité quasi-délictuelle qu'il institue.

L'appel formé par la SA Etablissements E. Cholet devant la Cour d'appel de Nîmes est donc irrecevable au visa des textes précités et elle ne peut en présence d'un appel irrecevable statuer sur le moyen tiré de la nullité du jugement qui lui a été déféré.

Si dans ses dernières conclusions déposées le 24 août 2016 Me Torelli ne demande plus que la confirmation du jugement déféré en fondant cette prétention sur les dispositions de l'article 1134 du Code civil, les éléments de fait et de droit développés au soutien de celle-ci comme ceux développés par la SARL Valérie distribution ne se distinguent pas de ceux présentés en première instance au visa exclusif de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce en ce que la faute reprochée à la SA Etablissements E. Cholet est celle d'une rupture sans préavis de relations commerciales entretenues entre sociétés depuis plusieurs années. Me Torelli et la SARL Valérie distribution situent cette faute dans la mise en œuvre de nouveaux critères d'intégration au sein d'un système de distribution sélective dont la SARL Valérie distribution n'avait pas été avertie mais il n'en demeure pas moins que le préjudice dont il entend obtenir réparation est celui résultant de la rupture sans préavis, ne plaidant pas ainsi qu'il prend soin de le préciser, ni la nullité du réseau ni son caractère anticoncurrentiel.

Ses demandes et l'appel incident de la SARL Valérie distribution en ce qu'il tendait pour ce qui la concerne à confirmer sur le principe le jugement entrepris sont tous aussi irrecevables.

Sur les frais de l'instance :

La SA Etablissements E. Cholet appelante qui succombe dans sa demande de nullité du jugement devra supporter les dépens de l'instance. Il paraît conforme à l'équité de laisser à la charge de chaque partie les frais non compris dans les dépens engagés dans le cadre de la présente instance.

Par ces motifs : LA COUR, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Déclare irrecevable l'appel formé devant la Cour d'appel de Nîmes contre le jugement déféré ainsi que l'appel incident des intimés. Dit que la SA Etablissements E. Cholet supportera les dépens de première instance et d'appel sans application de l'article 700 du Code de procédure civile.