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Décisions

Cass. com., 22 novembre 2016, n° 14-28.224

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Euro cargo rail (sté)

Défendeur :

SNCF, Président de l'Autorité de la concurrence, Ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, Procureur général près la Cour d'appel de Paris

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouilard

Avocat général :

Mme Pénichon

Conseillers :

Mme Tréard (rapporteur), Mme Riffault-Silk, Mmes Laporte, Bregeon, M. Grass, Mmes Darbois, Orsini, Poillot-Peruzzetto, MM. Sémériva, Cayrol, Contamine, Mme Le Bras, M. Gauthier

Avocats :

la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, la SCP Hémery, Thomas-Raquin, la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano

Aut. conc., du 18 déc. 2012

18 décembre 2012

LA COUR : - Joint les pourvois n° T 14-28.224 formé par la société Euro cargo rail (la société ECR) et n° M 14-28.862 formé par le président de l'Autorité de la concurrence, qui attaquent le même arrêt ; - Statuant tant sur ces pourvois principaux, que sur les pourvois incidents relevés à l'occasion de chacun d'eux par la Société nationale des chemins de fer français, devenue Société nationale des chemins de fer français mobilités (la SNCF) ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'à la suite d'une saisine d'office de pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport ferroviaire de marchandises et d'une plainte de la société ECR, l'Autorité de la concurrence (l'ADLC), par une décision n° 12-D-25 du 18 décembre 2012, a dit établi que la SNCF a enfreint les dispositions de l'article 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) et de l'article L. 420-2 du Code de commerce, lui a infligé une sanction pécuniaire unique au titre de certaines pratiques (griefs n° 2, 3, 4 et 8) et a prononcé des injonctions au titre des prix d'éviction (grief n° 10) pratiqués sur le marché du transport ferroviaire de marchandises par train massif;

Sur les deuxièmes moyens des pourvois incidents n° T 14-28.224 et M 14-28.862, rédigés en termes identiques, réunis, qui sont préalables : - Attendu que la SNCF fait grief à l'arrêt de rejeter son recours contre cette décision, en ce que celle-ci a dit qu'il est établi qu'elle a enfreint les dispositions de l'article 102 TFUE et de l'article L. 420-2 du Code de commerce en utilisant à son profit, sur le marché du transport ferroviaire de 4 1006 marchandises par train massif, les informations confidentielles dont elle disposait aux fins exclusives de la gestion de l'accès à l'infrastructure ferroviaire française dont elle avait la charge en tant que gestionnaire d'infrastructure déléguée et de lui infliger une sanction pécuniaire alors, selon le moyen, que si, dans la mesure où elles effectuent des activités de production, de distribution ou de services, les personnes publiques peuvent être sanctionnées par l'Autorité de la concurrence agissant sous le contrôle de l'autorité judiciaire, les décisions ou actes qu'elles réalisent dans l'exercice de la mission de service public qui leur incombe ou qui mettent en œuvre des prérogatives de puissance publique relèvent de la compétence de la juridiction administrative pour en apprécier la légalité et, le cas échéant, pour statuer sur la mise en jeu de la responsabilité encourue par ces personnes publiques; qu'en l'espèce, l'utilisation par la SNCF, sur le marché du transport de marchandises par train massif, des informations confidentielles qu'elle a recueilles pour accomplir, en tant que gestionnaire délégué pour le compte de RFF, la mission de gestion de l'accès à l'infrastructure du réseau ferroviaire français est nécessairement liée aux conditions d'organisation de cette mission de service public et à l'usage des prérogatives de puissance publique qu'elle entraîne, permettant à la SNCF d'obtenir et de gérer lesdites informations ; que la mise en jeu de la responsabilité de la SNCF à raison de l'utilisation desdites informations confidentielles relève dès lors de la compétence des juridictions administratives ; qu'en retenant que l'Autorité de la concurrence était compétente pour en connaître, la cour d'appel a violé l'article L. 410-1 du Code de commerce, ensemble le décret du 16 fructidor an III et le principe de la séparation des pouvoirs;

Mais attendu qu'après avoir constaté, par motifs propres et adoptés, que la SNCF, en qualité de gestionnaire d'infrastructure déléguée (GID), est destinataire d'informations commerciales stratégiques que les entreprises ferroviaires sont dans l'obligation de lui communiquer dans le cadre de leurs demandes de sillons, l'arrêt relève que ces informations ont circulé au sein des équipes commerciales de la branche Fret, ce qui a permis à la SNCF d'adapter sa stratégie commerciale sur les trafics visés par ses concurrents ; qu'il en déduit que le grief concerne ainsi l'utilisation d'informations confidentielles, à des fins commerciales, dans le cadre de l'activité d'entreprise ferroviaire de la SNCF, et ne met pas en cause la détention d'informations confidentielles par celle-ci, prise en sa qualité de GID ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, faisant ressortir que les actes litigieux sont intervenus hors de la mission de service public qui a été déléguée à la SNCF et n'ont mis en œuvre aucune prérogative de puissance publique, la cour d'appel a retenu à bon droit que l'ADLC était compétente pour apprécier le bien-fondé de ce grief; que le moyen n'est pas fondé;

Sur les premiers moyens des pourvois incidents n° T 14-28.224 et M 14-28.862, rédigés en termes identiques, réunis: - Attendu que la SNCF fait grief à l'arrêt de n'accueillir son recours qu'en ce qui concerne le grief n° 10 et en ce qui concerne le montant de la sanction pécuniaire infligée au titre des autres griefs, de ne réformer en conséquence la décision que de ces seuls chefs alors, selon le moyen: 1/ que la position dominante est une positon de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et finalement des consommateurs; que l'existence d'une position dominante résulte en général de la réunion de plusieurs facteurs qui, pris séparément, ne sont pas nécessairement déterminants; que, parmi ces facteurs, figurent notamment, outre la pari plus ou moins élevée détenue sur le marché en cause, l'existence d'entraves à l'entrée ou à l'expansion de concurrents; que si la détention d'une part de marché élevée constitue un indice significatif, celui-ci peut cependant être contredit par des circonstances exceptionnelles qui peuvent notamment résulter d'une entrée de concurrents potentiels ou d'une expansion de concurrents réels qui soient probables, interviennent en temps utiles et soient suffisants; qu'en retenant en l'espèce que, bien que la pari de la SNCF sur le marché des services de train massif, évaluée à environ 77 % en 2009, ait continué à progressivement décroître au profit de ses concurrents, celle-ci, de l'ordre de 70 %, demeure encore " élevée " ou " très élevée " par rapport à celle des autres entreprises ferroviaires et que ces parts de marché, conjuguées aux faits, d'une part, qu'au début des pratiques, la SNCF, opérateur historique dans le secteur, détenait, en raison de son monopole légal, la totalité des parts du marché, d'autre part, que seule ECR détient une part de marché significative et, enfin, que les moyens matériels et humains dont dispose la SNCF lui donnent, à la différence des autres entreprises ferroviaires présentes sur le marché, la capacité d'absorber la totalité de la demande, établissent la position dominante occupée par la SNCF sur le marché en cause, sans rechercher, comme l'y invitait la SNCF dans ses conclusions, si la pression concurrentielle exercée par les sociétés ECR, CFL Cargo, Colas rail ou encore Europorte, qui ont toutes des coûts de production très inférieurs à celui de la SNCF (- 15 % à - 30 %), n'empêchait pas l'exercice par celle-ci d'un pouvoir de marché substantiel et ne déjouait pas toute tentative de sa part d'augmenter les prix, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 102 du TFUE et de l'article L. 420-2 du Code de commerce; 2/ qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la SNCF faisant valoir que la pression concurrentielle exercée par les sociétés ECR, CFL Cargo, Colas rail ou encore Europorte, qui ont toutes des coûts de production très inférieurs à celui de la SNCF (- 15 % à - 30 %), empêchait l'exercice par celle-ci d'un pouvoir de marché substantiel et déjouait toute tentative de sa part d'augmenter les prix, la cour d'appel a entaché sa décision de défaut de motifs, en violation de l'article 455 du Code de procédure civile;

Mais attendu que l'arrêt constate, par motifs propres et adoptés, que les marchés de services ferroviaires, et en particulier l'activité de train massif, se caractérisent par d'importantes barrières à l'entrée, aussi bien réglementaires que techniques, qui font que l'entrée d'un opérateur ferroviaire est un processus long, coûteux et difficile; qu'il rappelle que la SNCF, opérateur historique dans le secteur ferroviaire, détenait, au début des pratiques, la totalité des parts du marché en raison de son monopole légal et constate qu'elle conserve encore une part très élevée par rapport à celle des autres entreprises ferroviaires, de l'ordre de 70 % ; qu'il relève qu'elle a également la capacité d'absorber la totalité de la demande en raison des moyens matériels et humains dont elle dispose, à la différence des autres entreprises ferroviaires présentes sur le marché ; qu'il relève encore, d'un côté, que ses pertes peuvent s'expliquer par d'autres raisons que la pression concurrentielle des nouveaux entrants, telle l'organisation commerciale ou sociale de l'entreprise ou l'existence d'une pratique anticoncurrentielle, de l'autre, qu'un tel élément ne suffit pas, à lui seul, à remettre en cause le fait qu'au regard des éléments précités, elle occupe une position dominante; qu'en cet état, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche, ni de répondre à une argumentation, que ces constatations et appréciations rendaient inopérantes, a légalement justifié sa décision; que le moyen n'est pas fondé;

Sur les troisièmes moyens des pourvois incidents n° T 14-28.224 et M 14-28.862, pris en leurs premières, troisièmes, quatrièmes, cinquièmes, sixièmes et septièmes branches, rédigés en termes identiques, réunis: - Attendu que la SNCF fait grief à l'arrêt de lui infliger une sanction pécuniaire de 48 195 000 euros au titre des pratiques visées aux articles 1er, 2, 3 et 4 de la décision alors, selon le moyen: 1/ que la sanction doit être proportionnée à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné; que, tenue de statuer en fait et en droit, il appartenait à la cour d'appel, saisie d'un recours contestant, au vu des constatations faites par l'Autorité de la concurrence, la proportionnalité de la sanction prononcée par la décision en prenant comme montant de base de celle-ci la proportion de 6 % de la valeur des ventes de services offerts aux chargeurs par train massif réalisées en France par la SNCF, d'apprécier à nouveau la proportionnalité de ce montant de base de la sanction; qu'en retenant qu'il lui revenait " seulement " d'apprécier " si, en définitive, l'Autorité a bien déterminé les sanctions pécuniaires qui ont été infligées aux requérantes au titre des pratiques anticoncurrentielles poursuivies en application des dispositions [...] de l'article L. 464-2 du Code de commerce " et en précisant ensuite, après avoir écarté les deux majorations de 15 % et 10 % appliquées par l'Autorité au montant de base de la sanction à raison respectivement de la puissance économique de la SNCF et pour réitération, que la somme à laquelle elle réduisait en conséquence la sanction correspondait au montant de base déterminé par l'Autorité en proportion des ventes de services offerts aux chargeurs par train massif réalisées en France par le biais de la branche Fret SNCF en 2011 avec application d'un coefficient multiplicateur pour tenir compte de la durée des infractions, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le montant de base de la sanction retenu par l'Autorité était proportionné, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard, ensemble, des articles L. 464-2, L. 464-8 du Code de commerce et 561 du Code de procédure civile ; 2/ que partant ainsi du principe que la certitude du dommage causé à l'économie ne serait pas contestée par la SNCF, la cour d'appel s'est bornée " en conséquence ", s'agissant du dommage causé à l'économie, à renvoyer aux développements de la décision, sans rechercher, comme l'y invitait la SNCF, si, en l'état de la rapidité du développement des nouveaux entrants sur le marché du fret ferroviaire en France et du constat par l'Autorité dans sa décision d'un effet seulement potentiel de l'infraction pariant sur les cours des marchandises objet du grief n° 4, le dommage à l'économie n'était pas présumé ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 464-2 et L. 464-8 du Code de commerce; 3/ que la sanction doit être proportionnée à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ; que, dans ses conclusions d'appel, la SNCF ne contestait pas la possibilité pour l'Autorité de prononcer une sanction unique au titre de plusieurs infractions, mais faisait valoir qu'en l'espèce, la décision d'opportunité prise par l'Autorité de prononcer une sanction unique pour quatre infractions aux caractéristiques très différentes en termes de durée, de gravité et d'impact sur l'économie l'avait conduite au prononcé d'une sanction disproportionnée; qu'en retenant que l'Autorité était " en droit " de conclure que les pratiques visées par les griefs 2, 3, 4 et 8 " peuvent être considérées comme ayant toutes concouru, chacune à sa manière, à permettre à l'opérateur historique de maintenir, voire de renforcer, sa position dominante sur ce marché et d'estimer opportun en l'espèce de n'imposer à la SNCF qu'une seule sanction pécuniaire pour ces quatre infractions ", sans rechercher, comme l'y invitaient les conclusions de la société SNCF, si ce choix n'avait pas conduit au prononcé d'une sanction disproportionnée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard, ensemble, des articles L. 464-2, L. 464-8 du Code de commerce et 561 du Code de procédure civile; 4/ que la SNCF faisait valoir que le choix d'opportunité de prononcer une sanction unique avait conduit l'Autorité à prononcer une sanction disproportionnée au regard notamment des différences de durée des infractions retenues s'étant écoulées selon ses propres constatations sur une période d'un an et onze mois pour le grief n° 2, deux ans et dix mois pour le grief n° 3, un an et dix mois pour le grief n° 8 et de façon continue pour le grief n° 4, et reprochait à l'Autorité d'avoir retenu de manière forfaitaire un coefficient multiplicateur de 1,75 correspondant, selon son communiqué du 16 mai 2011, à une durée d'infraction de deux ans et six mois, manifestement disproportionnée, alors que les infractions retenues au tire des griefs n° 2 et 8 n'avaient duré respectivement qu'un an et onze mois et un an et dix mois et alors qu'elle avait elle-même constaté que l'infraction retenue au titre du grief n° 4, dont la durée continue impactait très significativement le coefficient retenu, n'avait parlé que sur des aspects ciblés (§ 692 de la décision) et n'avait pas eu d'effet réel ou concret mais uniquement des effets potentiels (§ 711 de la décision) ; qu'en retenant en l'espèce qu' " alors que les constatations objectives de l'Autorité sur la durée des infractions ne sont pas contestées, la décision n'encourt aucune critique au titre du défaut de proportionnalité de la sanction, dès lors qu'elle s'est bornée, sur ce point, à mettre en œuvre la méthode prévue par son communiqué sanctions en ce qui concerne la durée, en soi non critiquée par la SNCF ", sans rechercher si l'application d'un coefficient multiplicateur de 1,75, pour tenir compte " de manière forfaitaire " de la durée des différentes infractions, coefficient correspondant, selon le communiqué sanctions, à une durée d'infraction de deux ans et six mois, n'était pas manifestement disproportionnée en l'état de la durée très inférieure des infractions retenues au titre des griefs n° 2 et 8 et des effets seulement potentiels de l'infraction qualifiée de continue retenue au titre du grief n° 4, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 464-2 et L. 464-8 du Code de commerce; 5/ que la SNCF faisait valoir que l'Autorité avait prononcé une sanction disproportionnée en retenant comme assiette unique de calcul de l'amende la valeur des ventes du marché le plus large, à savoir le marché du train massif, ventes s'élevant sur ce marché à 459 M€, quand la valeur des prestations en relation avec l'infraction sanctionnée au titre du grief n° 4 constatée sur le marché des cours de marchandises n'était que de 500 K€; qu'en estimant la sanction sur le fondement du montant de base déterminé par l'Autorité, sans rechercher, comme elle y était invitée, si, en prenant comme assiette unique du montant de base de la sanction la valeur des ventes du marché du train massif, l'Autorité n'avait pas prononcé une sanction disproportionnée, la cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard des articles L. 464-2 et L. 464-8 du Code de commerce; 6/ que la sanction doit être proportionnée à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné et notamment à sa faculté contributive ; que constitue une entreprise au sens du droit de la concurrence toute entité qui, quel que soit son statut juridique, bénéficie d'une autonomie commerciale, financière et technique; qu'en l'espèce, la SNCF faisait valoir qu'il était établi, notamment par la décision de la Commission européenne du 2 mars 2005 relative à l'aide d'Etat accordée à Fret SNCF pour sa restructuration, que sa branche Fret constitue une unité économique pérenne bénéficiant d'une autonomie organisationnelle, fonctionnelle, commerciale, juridique et financière, avec une comptabilité propre et un compte de résultat propre; que la SNCF en déduisait que, rien ne permettant d'imputer à l'ensemble du groupe la responsabilité des infractions retenues et l'Autorité ayant au contraire constaté à plusieurs reprises que les pratiques incriminées n'avaient jamais procédé d'une stratégie globale décidée ou admise au niveau de la direction de l'EPIC mais provenaient des seuls services de la division Fret, il convenait de prendre en compte les difficultés financières avérées de sa branche Fret SNCF au titre de la capacité contributive; qu'en retenant que la division Fret SNCF, étant dépourvue de la personnalité morale, il n'y avait pas lieu d'apprécier la capacité contributive au regard de la situation financière de Fret SNCF, celle-ci ne donnant aucune indication quant à la capacité contributive de l'EPIC SNCF qui doit être tenu pour responsable de l'ensemble des infractions en cause, peu important le degré d'autonomie de la division Fret, la cour d'appel a violé l'article L. 464-2 du Code de commerce;

Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt rappelle à bon droit que si plusieurs sanctions peuvent être infligées à une entreprise ayant commis plusieurs infractions, en déterminant chacune d'elles en fonction des critères prévus par le Code de commerce dans le respect du maximum légal applicable, il est loisible à l'ADLC d'infliger une seule sanction au titre de plusieurs infractions, nonobstant les différences relatives à leur durée, leur gravité ou les dommages qui en résultent, eu égard à l'identité ou à la connexité des secteurs ou des marchés en cause et à l'objet général des pratiques; qu'ayant relevé que les pratiques visées par les griefs n° 2, 3, 4 et 8 étaient toutes de nature à produire un effet d'éviction sur le marché du transport ferroviaire de marchandises par train massif et qu'elles avaient concouru, chacune à sa manière, à maintenir, voire à renforcer, la position dominante de l'opérateur historique sur ce marché, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de la proportionnalité de la sanction que la cour d'appel a validé le coefficient multiplicateur retenu par l'ADLC au titre de la durée des pratiques et a prononcé une sanction unique;

Attendu, en deuxième lieu, que l'arrêt relève, par motifs adoptés, que les pratiques ont été mises en œuvre par l'opérateur historique, qui détenait à l'époque des faits une part de marché très élevée, qu'elles s'inscrivent dans des politiques commerciales générales ayant vocation à produire leurs effets sur la totalité du territoire national et ont été mises en œuvre sur un marché comportant d'importantes barrières réglementaires et techniques; qu'il en déduit que toute élévation artificielle des barrières à l'entrée par l'opérateur historique, notamment du fait de pratiques d'éviction, est susceptible de ralentir la pénétration des nouveaux entrants existants, mais aussi de décourager des entrants potentiels; qu'il précise que le fait que les nouveaux opérateurs ferroviaires aient pu développer leur activité malgré les pratiques d'éviction mises en œuvre par la SNCF atteste qu'une éviction totale n'a pas eu lieu, mais ne remet pas en cause le fait que les concurrents aussi efficaces que la SNCF ont, en raison des pratiques, été empêchés de se développer plus rapidement; qu'il ajoute que ces pratiques ont empêché les chargeurs de tirer parti d'une entrée plus importante de nouveaux entrants, qui leur aurait permis de bénéficier d'effets de volume et de mutualisation des coûts, permettant d'en réduire le niveau et d'améliorer leur qualité de service; qu'il constate que les pratiques en cause étaient toutes de nature à produire un effet d'éviction sur le marché du transport ferroviaire de marchandises par train massif et relève, pour chacune d'elles, leurs effets potentiels ou réellement observés sur ce marché; qu'il retient que ces pratiques ont toutefois porté sur des aspects ciblés et non sur l'ensemble des éléments structurant les coûts des nouveaux entrants, ce qui est de nature à diminuer l'importance du dommage causé à l'économie, même s'il n'en remet en cause ni l'existence ni le caractère certain; qu'en cet état, la cour d'appel, qui a apprécié de façon concrète le dommage causé à l'économie sans en présumer l'existence, a légalement justifié sa décision;

Attendu, en troisième lieu, qu'ayant justifié son choix de prononcer une sanction unique par la constatation que les pratiques caractérisées étaient toutes de nature à produire un effet d'éviction sur le marché du transport ferroviaire de marchandises par train massif, la cour d'appel a pu valider la prise en compte par l'ADLC de la valeur des ventes sur ce marché comme assiette unique du montant de base de la sanction; Et attendu, en dernier lieu, qu'ayant relevé que la division Fret de la SNCF était dépourvue de personnalité morale et que les pratiques visées par les griefs 2, 3, 4 et 8 devaient, de ce fait, être imputées à la SNCF, c'est à bon droit que la cour d'appel a examiné les facultés contributives de l'entreprise sanctionnée et retenu que sa demande d'atténuation de la sanction, accompagnée de pièces qui ne concernaient que la situation financière de sa branche Fret, n'était pas étayée par des éléments de preuve suffisants permettant d'examiner l'incidence des difficultés financières alléguées sur sa capacité contributive; D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les troisièmes moyens des pourvois incidents n° T 14-28.224 et M 14-28.862, pris en leurs deuxièmes branches, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation;

Mais sur le premier moyen du pourvoi principal n° T 14-28.224, pris en sa quatrième branche: - Vu les articles 102 TFUE et L. 420-2 du Code de commerce, ensemble les articles L. 464-8 du Code de commerce, 561 et 562 du Code de procédure civile; - Attendu que pour réformer la décision de l'ADLC en ce qui concerne le grief n° 10 et dire qu'il n'est pas démontré que la SNCF a abusé de la position dominante qu'elle détient sur le marché du transport ferroviaire par train massif en mettant en œuvre des prix d'éviction dans les conditions mentionnées par ce grief, l'arrêt retient que ni le dossier ni les explications présentées par l'ADLC ne permettent de réfuter les objections de la SNCF concernant le fait que la mise en œuvre du test de coûts permettant de déterminer si le comportement tarifaire était de nature à créer un effet d'éviction requiert indiscutablement de prendre en compte l'ensemble des coûts supportés et des prix pratiqués sur l'ensemble de son activité de transport de marchandises par train massif; qu'il ajoute que ni les éléments du dossier ni les explications de l'ADLC ne permettent davantage de contredire utilement les objections de la SNCF concernant le caractère nécessaire ou inévitable de la confusion des seuils de coût évitable moyen et de coût incrémentai moyen à long terme, ni ne permettent de conclure que la durée de trois ans était la seule durée objectivement justifiée au regard des circonstances de l'espèce;

Qu'en statuant ainsi, alors que le recours en annulation ou en réformation de la décision de l'ADLC qui la saisissait lui imposait de vérifier elle-même la licéité de la pratique tarifaire mise en œuvre par la SNCF dans le cadre de son activité de train massif, voire de renvoyer l'affaire pour instruction complémentaire si elle estimait ne pas disposer des éléments lui permettant d'effectuer le test de coût approprié, la cour d'appel, qui a méconnu son office, a violé les textes susvisés;

Sur le troisième moyen du pourvoi principal n° M 14-28.862 : - Vu l'article L. 464-2 du Code de commerce; - Attendu que la circonstance aggravante fondée sur la réitération de pratiques anticoncurrentielles peut être retenue pour de nouvelles pratiques identiques ou similaires, par leur objet ou leurs effets, à celles ayant donné lieu au précédent constat d'infraction, sans que cette qualification n'exige une identité quant à la pratique mise en œuvre ou quant au marché concerné;

Attendu que pour écarter la circonstance aggravante tirée de la réitération et dire qu'il n'y a pas lieu de procéder, de ce chef, à une majoration de la sanction unique infligée au titre des griefs n° 2, 3, 4 et 8, l'arrêt retient que les pratiques d'abus de position dominante imputées à la SNCF au titre du grief n° 4, qui ont consisté à publier, de manière tardive et incomplète, la liste de ses cours de marchandises en protégeant sa position dominante sur le marché des services ferroviaires de marchandises par train massif, ne peuvent être qualifiées d'identiques ou similaires, par leur objet ou leur effet, à celles ayant donné lieu au précédent constat d'infraction, par une décision n° 09-D-06 du 5 février 2009, qui concernait la vente en ligne de titres de transport voyageurs et, notamment, des abus de position dominante en raison de pratiques discriminatoires visant à refuser l'accès des distributeurs de billets;

Qu'en statuant ainsi, après avoir constaté que les pratiques d'abus de position dominante imputées à la SNCF au titre du grief n° 4 tendaient à restreindre l'accès des autres entreprises ferroviaires à ses cours de marchandises, dont elles avaient besoin pour se développer sur le marché du transport ferroviaire de marchandises par train massif, et à rehausser les barrières à l'entrée sur ce marché, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : Rejette les pourvois incidents de la Société nationale des chemins de fer français mobilités; Et sur les pourvois principaux n° M 14-28.862 et T 14-28.224 : Casse et Annule, mais seulement en ce qu'il dit qu'il n'est pas établi que la SNCF a pratiqué des prix d'éviction sur le marché du transport ferroviaire de marchandises par train massif, constate que l'injonction ordonnée au paragraphe 779 de la décision est devenue sans objet, écarte la circonstance aggravante tirée de la réitération et inflige en conséquence à la SNCF une sanction pécuniaire de 48 195 000 euros au titre des pratiques visées aux articles 1, 2, 3 et 4 de la décision n° 12-0-25, et dit que les mentions concernant les prix d'éviction ainsi que l'injonction devront être supprimées du résumé de la décision effectué aux fins de publication et que le nouveau montant de la sanction devra se substituer au montant initial, et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile, l'arrêt rendu le 6 novembre 2014, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée.