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Décisions

Cass. crim., 23 novembre 2016, n° 15-81.131

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guérin

Rapporteur :

Mme Chaubon

Avocat général :

M. Wallon

Avocats :

SCP Piwnica, Molinié, SCP Baraduc, Duhamel, Rameix

Versailles, 1er prés., du 22 janv. 2015

22 janvier 2015

LA COUR : - Statuant sur les pourvois formés par la société X, la société Y, contre l'ordonnance du premier président de la Cour d'appel de Versailles, en date du 22 janvier 2015, qui a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant les rapporteurs des services d'instruction de l'Autorité de la concurrence à effectuer des opérations de visite et de saisie, en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles et a prononcé sur la régularité desdites opérations ; - Joignant les pourvois en raison de la connexité ; - Vu les mémoires en demande, en défense et les observations complémentaires produits ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme, L. 450-4 du Code de commerce, 591 et 593 du Code de procédure pénale, du principe de séparation des fonctions de poursuite et d'instruction, du principe d'impartialité du tribunal, du droit à un procès équitable, du droit à être entendu par un tribunal défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'ordonnance attaquée a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Nanterre, en date du 13 mars 2013, autorisant les opérations de visites et saisies ;

"aux motifs que, selon les pièces produites, la demande d'enquête a été formulée par la rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence dans les conditions prévues à l'article L. 450-4 du Code de commerce, sur proposition et au vu d'une note de présentation établie par M. Kerguelen, rapporteur désigné ; que selon l'ordonnance attaquée, le juge des libertés et de la détention a été saisi par une requête du 8 mars 2013 de la rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence ; qu'il est constant, que le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence désigne, aux termes de l'article L. 450-6 du Code de commerce, le rapporteur chargé de l'instruction de l'affaire ; qu'en premier lieu, il doit être rappelé que les services d'instruction de l'Autorité de la concurrence, placés sous l'autorité hiérarchique de la rapporteure générale, ne participent en aucun cas, à l'exercice du pouvoir de sanction, ni au pouvoir décisionnel de l'organisme de jugement ; que la saisine de l'Autorité de la concurrence n'opère ainsi pas de confusion entre les fonctions de poursuite et d'instruction, d'une part, et les pouvoirs de sanction, d'autre part ; qu'ensuite la demande d'enquête faite par le rapporteur général, sur proposition du rapporteur, de même que la requête aux fins de se voir autoriser à procéder à une visite domiciliaire, constituent des actes d'instruction et non des actes de poursuite, au sens des règles applicables en matière pénale, qui impliqueraient le cas échéant une séparation entre l'exercice des attributions dévolues au rapporteur général, lequel, désigne le rapporteur et est habilité à solliciter une autorisation de visite, et l'exercice des attributions confiées aux services d'instruction de l'Autorité de la concurrence ; qu'enfin, l'instruction faite par les services de l'Autorité de la concurrence ne constitue pas une instruction judiciaire conduite par un juge indépendant ; que les enquêtes conduites en droit de la concurrence et leur instruction, ne relèvent pas des dispositions du Code de procédure pénale relatives à l'instruction judiciaire qui, séparent les fonctions de poursuite et d'instruction ; qu'il s'ensuit, que la procédure de demande d'autorisation de visites et saisies prévue par l'article L. 450-4 du Code de commerce, faite par le rapporteur général sur proposition d'un rapporteur qu'il a désigné, ne contreviennent à aucun principe de séparation des pouvoirs de poursuite et d'instruction et ne méconnaissent pas les exigences du procès équitable résultant des dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'Homme ; que le grief sera dès lors rejeté ;

"1°) alors que le droit à un procès équitable, tel qu'il résulte des dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'Homme, impose en matière pénale, au sens de la Convention, que l'instruction soit menée sans a priori, à charge et à décharge pour la personne mise en cause, partant que soit respectée la séparation des fonctions de poursuite et d'instruction ; que constitue un acte de poursuite, la saisie du juge des libertés et de la détention aux fins de voir autoriser des opérations de visite, et saisie en vue d'établir la preuve de pratiques anticoncurrentielles ; que l'ordonnance a constaté que la demande d'autorisation de visites et saisies émanait du rapporteur général de l'Autorité de la concurrence, lequel dirige les services d'instruction de l'Autorité ; qu'en retenant cependant, pour dire que la procédure de demande d'autorisation de visites et saisies prévue par l'article L 450-4 du Code de commerce, ne contrevient à aucun principe de séparation des pouvoirs de poursuite et d'instruction et ne méconnaît pas les exigences du procès équitable, résultant des dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'Homme, partant rejeter le recours formé par les exposantes, que la requête aux fins de se voir autoriser à procéder à des visites domiciliaires ne constitue pas un acte de poursuite, au sens des règles applicables en matière pénale, le délégué du premier président de la cour d'appel a méconnu la notion d'acte de poursuite, en violation de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'Homme ;

"2°) alors que le droit à un procès équitable, consacré par les dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'Homme, impose en matière pénale la séparation des fonctions de poursuite et d'instruction ; que la " matière pénale ", au sens de la Convention, est déterminée à la lumière des principes généraux applicables aux expressions " accusation en matière pénale " et " peine " figurant respectivement aux articles 6 et 7 de la Convention, de sorte qu'elle inclut toute procédure répressive pouvant aboutir à une sanction ayant un caractère de punition ; que l'ordonnance a constaté que la demande d'autorisation de visites et saisies, émanait du rapporteur général de l'Autorité de la concurrence, lequel dirige les services d'instruction de l'Autorité ; qu'en affirmant cependant, pour dire que la procédure de demande d'autorisation de visites et saisies, prévue par l'article L. 450-4 du Code de commerce, ne contrevient à aucun principe de séparation des pouvoirs de poursuite et d'instruction et ne méconnaît pas les exigences du procès équitable résultant des dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'Homme ", partant rejeter le recours formé par les exposantes, que " les enquêtes conduites en droit de la concurrence et leur instruction ne relèvent pas des dispositions du Code de procédure pénale, relatives à l'instruction judiciaire qui séparent les fonctions de poursuite et d'instruction ", le délégué du premier président de la cour d'appel a violé par refus d'application, les dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'Homme" ;

Attendu que les dispositions invoquées n'exigent pas que les fonctions d'instruction et de poursuite soient confiées à deux entités distinctes ; d'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, 7 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, L. 450-4 du Code de commerce, 591 et 593 du Code de procédure pénale, du droit au respect du domicile, du droit au respect de la vie privée, du droit au respect de sa correspondance, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'ordonnance attaquée a rejeté le recours formé par la société X SAS en annulation des opérations de visite et saisie diligentées le 28 mars 2013, dans les locaux sis à Villeurbanne et, à titre subsidiaire, en annulation de la saisie des documents personnels, étrangers à l'objet de l'autorisation, et en restitution de ces documents ;

"aux motifs qu'il est constant que les messageries professionnelles utilisées par la société Y, (en réalité la société X), sont de type IBM Lotus Notes, qu'ont été saisies celles de MM. A, B, C et D ; que la défenderesse affirme que ce type de messagerie n'interdit pas de faire une sélection au sein de la messagerie, que les rapporteurs auraient pu effectuer ; qu'elle se prévaut ainsi de la sécabilité de la messagerie électronique ; que, pour autant, un fichier de messagerie doit être regardé comme étant un fichier informatique indivisible qui peut être saisi dans son entier, s'il est susceptible de contenir des éléments intéressant l'enquête ; qu'il est, en effet, difficilement envisageable, même si cela est techniquement possible, d'individualiser sur place au cours des opérations les seuls messages pertinents en les analysant un à un, au risque de paralyser le fonctionnement de l'entreprise et de réduire l'efficacité de l'enquête ; que l'Autorité de la concurrence souligne opportunément la nécessité de préserver l'intégrité et l'authenticité des éléments de preuve, ce que garantit davantage la saisie globale des messageries dans lesquelles a été constatée la présence de documents, entrant dans le champ de l'autorisation évitant ainsi de créer sur l'ordinateur des éléments qui n'existaient pas ou d'altérer des métadonnées des fichiers ; que la copie intégrale des fichiers de messageries, sans individualisation de chaque message, leur saisie dans leur globalité, dès lors qu'ils contiennent des éléments pour partie utiles à la preuve des agissements présumés, ne méconnaissent, dès lors, pas les exigences de l'article 8 de la Convention de sauvegarde dans la mesure où ces mesures sont prévues par la loi qui permet aux enquêteurs de saisir tous documents ou supports d'information, en rapport avec les agissements prohibés visés par l'autorisation et, où elles demeurent proportionnées ; que, sur la saisie de documents personnels étrangers à l'autorisation, la société X explique qu'ont été saisis dans la messagerie de M. A, des e-mails personnels, qu'il n'existe aucune garantie que ces messages seront restitués, et qu'il appartient au premier président statuant sur son recours de s'assurer de l'absence de messages privés et non à elle de les identifier et de les énumérer ; qu'elle fait néanmoins état de 17 e-mails classés dans un fichier " pers " des messageries ; que, contrairement aux allégations de l'appelante, dont il sera noté qu'elle ne représente pas les intérêts de M. A, il lui incombe d'identifier les messages dont elle sollicite le contenu, afin de mettre le premier président de la cour d'appel, en mesure de se prononcer sur le caractère irrégulier ou non de la mesure ; qu'il n'est pas possible, en effet, d'exclure a priori de la saisie, un fichier présent dans un fichier global de messagerie au seul motif, qu'il serait nommé fichier personnel, alors qu'il est susceptible de contenir des informations autres que des informations à caractère purement privé ; qu'il en résulte que la saisie intégrale de la messagerie, en l'état de la technique, effectuée sur autorisation judiciaire, même si elle est susceptible de contenir des données à caractère personnel, n'est pas disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi ; qu'à défaut de rapporter la preuve qui lui incombe, selon laquelle a été opérée une saisie de documents de nature à porter atteinte à ses droits fondamentaux ou au secret des affaires, le grief présenté par la société X sera rejeté ;

"1°) alors que toute personne a droit au respect de sa vie privée et de sa correspondance ; que si des opérations de visite et saisie, peuvent être autorisées, en vue de rechercher la preuve de pratiques anti-concurrentielles, dès lors que le législateur l'a prévu, qu'elles sont nécessaires et proportionnées, la saisie ne peut, sauf à méconnaître la protection de la sphère d'activité privée des personnes juridiques, garantie en tant que droit fondamental dans une société démocratique, porter que sur des documents ou informations relatifs à l'objet de la recherche autorisée ; qu'en affirmant cependant, pour refuser d'annuler les opérations de saisie ayant porté, notamment, sur l'ensemble de la messagerie électronique de quatre dirigeants ou salariés de la société X, qu' " un fichier de messagerie doit être regardé comme étant un fichier informatique indivisible, qui peut être saisi dans son entier, s'il est susceptible de contenir des éléments intéressant l'enquête ", qu'il est " difficilement envisageable, même si cela est techniquement possible, d'individualiser sur place au cours des opérations les seuls messages pertinents en les analysant un à un, au risque de paralyser le fonctionnement de l'entreprise et de réduire l'efficacité de l'enquête ", que " l'Autorité de la concurrence souligne opportunément la nécessité de préserver l'intégrité et l'authenticité des éléments de preuve, ce que garantit davantage la saisie globale des messageries ", que " la copie intégrale des fichiers de messageries, sans individualisation de chaque message, leur saisie dans leur globalité, dès lors qu'ils contiennent des éléments pour partie utiles à la preuve des agissements présumés, ne méconnaissent pas les exigences de l'article 8 de la Convention de sauvegarde dans la mesure où, ces mesures sont prévues par la loi qui permet aux enquêteurs de saisir tous documents ou supports d'information, en rapport avec les agissements prohibés visés par l'autorisation et où elles demeurent proportionnées " et que " la saisie intégrale de la messagerie, en l'état de la technique, effectuée sur autorisation judiciaire, même si elle est susceptible de contenir des données à caractère personnel, n'est pas disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi " l'ordonnance attaquée, qui a statué par pure pétition de principe, a méconnu par refus d'application les articles 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme et 7 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

"2°) alors, en tout état de cause, que toute personne a droit au respect de sa vie privée et de sa correspondance ; que les garanties prévues par le droit interne, encadrant les visites et saisies réalisées en matière de droit de la concurrence, doivent être appliquées de manière concrète et effective ; que le juge, saisi d'allégations motivées selon lesquelles des documents précisément identifiés ont été appréhendés, alors qu'ils étaient sans lien avec l'enquête, doit statuer sur leur sort au terme d'un examen précis et ordonner, le cas échéant, leur restitution ; qu'en l'espèce, la société X désignait expressément dans ses conclusions les courriels saisis, personnels, sans lien avec les nécessités de l'enquête, soit trois courriels figurant dans le dossier " perso " de la messagerie " a_[xxx]_avant 080313.nsf ", deux courriels figurant dans le fichier " perso " de la messagerie " [xxx].nsf ", cinquante-sept des courriels, soixante figurant dans la messagerie "a_[A].nsf ", classés dans un fichier " pers ", vingt-deux courriels figurant dans la messagerie " [A]3.nsf " classés dans un fichier " pers " et la totalité des cent trente-quatre courriels figurant dans la messagerie " a_[C].nsf " classés dans un fichier " [C] " ; qu'en refusant néanmoins de procéder à l'examen de ces courriels en vue, le cas échéant d'en ordonner leur restitution, le juge d'appel a, derechef, méconnu les textes susvisés" ;

Attendu que, pour rejeter le recours formé par la société X en annulation des opérations de visite et saisie diligentées le 28 mars 2013 dans les locaux sis à Villeurbanne, l'ordonnance prononce par les motifs repris aux moyens ;

Attendu qu'en statuant, par des motifs exempts d'insuffisance comme de contradiction et qui répondent aux chefs péremptoires des conclusions dont il était saisi, le juge, qui n'a pas méconnu les dispositions conventionnelles invoquées, a justifié sa décision ;

Attendu que, d'une part, il résulte des énonciations de l'ordonnance que la saisie des documents a porté sur les fichiers comportant des éléments entrant dans le champ de l'autorisation accordée par le juge des libertés et de la détention ;

Attendu que, d'autre part, le juge a pu souverainement admettre la copie intégrale des fichiers de messageries, sans individualisation de chaque message, et leur saisie dans leur globalité, dès lors qu'ils contenaient des éléments pour partie utiles à la preuve des agissements présumés ;

Attendu qu'enfin, il appartenait à la société Y de justifier que le contenu des fichiers litigieux saisis dans la messagerie de M. A étaient sans lien avec l'enquête, la seule identification des courriels portant la mention " personnel " étant insuffisante à établir qu'ils ne contenaient que des données d'ordre privé et qu'ils ne pouvaient, en raison de leur objet, être saisis ; d'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l'ordonnance est régulière en la forme ;

Rejette le pourvoi.