CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 23 novembre 2016, n° 13-20022
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Distribution Services Pharmaceutiques (SAS)
Défendeur :
Cacic (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Luc
Conseillers :
Mme Mouthon Vidilles, M. Thomas
Avocats :
Mes Koerfer Boulan, Perrault, Bernet
FAITS ET PROCÉDURE
La société Distribution Services Pharmaceutique (ci-après, la " société DSP "), exerce une activité de dépositaire dans le cadre de la chaine pharmaceutique de distribution des médicaments et produits de santé. Elle est en charge, en cette qualité, de la distribution de médicaments et produits de santé dont elle n'est pas propriétaire.
La société Centre de Référencement de Conseil et d'Information Hospitalière Privée et Publique (ci-après, la " société Cacic ") est une centrale de référencement qui sélectionne des produits et des fournisseurs auprès desquels les membres de son réseau peuvent acheter à prix convenu.
En 2007, la société DSP et la société Cacic se sont rapprochées pour faire bénéficier les adhérents de la société Cacic des services de dépositaire assurés par la société DSP.
Des difficultés sont apparues au cours des années suivantes, ce qui a conduit la société Cacic à mettre fin au partenariat, par courrier du 15 avril 2011.
Estimant avoir été victime d'une rupture brutale des relations commerciales établies, la société DSP a assigné la société Cacic devant le Tribunal de commerce de Paris, par acte du 14 novembre 2011.
Par jugement du 18 septembre 2013, le Tribunal de commerce de Paris a :
- débouté la société DSP de l'ensemble de ses demandes,
- condamné la société DSP à payer à la société Cacic la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, déboutant pour le surplus,
- dit qu'il n'y a lieu à exécution provisoire,
- condamné la société DSP aux dépens.
LA COUR,
Vu l'appel interjeté par la société DSP ;
Vu les dernières conclusions notifiées et déposées le 30 septembre 2015 par la société DSP, appelante, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- recevoir la société DSP en son appel et l'y déclarer bien fondée,
- infirmer en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 18 septembre 2013,
Et, statuant à nouveau,
- dire que la société Cacic a rompu brutalement et sans préavis suffisant la relation commerciale établie avec la société DSP,
A titre subsidiaire,
- constater en tout état de cause que la société Cacic a abusé de son droit de résiliation engageant sa responsabilité vis-à-vis de la société DSP,
En tout état de cause,
- condamner la société Cacic à verser à la société DSP la somme de 700 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la rupture brutale de la relation commerciale,
- condamner la société Cacic à payer à la société DSP la somme de 150 000 euros à titre de dommages et intérêts pour atteinte à son image,
- condamner la société Cacic à verser à la société DSP la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Virginie Koerfer Boulan ;
Vu les dernières conclusions notifiées et déposées le 18 mars 2014 par la société Cacic, intimée, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du du 18 septembre 2013 en toutes ses dispositions,
- condamner la société DSP à payer à la société Cacic la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel avec distraction au profit de la Selas BCW & associés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;
Sur ce,
Sur la rupture brutale des relations commerciales établies
La société DSP fait valoir que sa relation d'affaires avec la société Cacic est une relation commerciale au sens de l'article L. 442-6 du Code de commerce et, ce, malgré l'absence de formalisme écrit et le fait que cette relation commerciale n'ait pas pour objet une simple opération d'achats et reventes de marchandises.
La société DSP soutient que cette relation, initiée en 2007, s'est inscrite dans la durée et a présenté une réelle stabilité, de sorte qu'elle pouvait légitimement s'attendre pour l'avenir à une continuité de son flux d'affaires avec son partenaire, la société Cacic. Dès lors, elle soutient que le courrier de rupture du 15 avril 2011 de la société Cacic, par lequel cette dernière indique mettre fin à sa coopération avec la société DSP au 30 avril 2011, portant donc le préavis de rupture à 15 jours, ne rend absolument pas compte de la durée et de la stabilité des relations commerciales entre les parties, ni des investissements importants réalisés dans ce cadre par la société DSP et doit donc entrainer la condamnation de la société Cacic pour violation des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce.
La société Cacic soutient en premier lieu qu'il ne saurait être question d'un quelconque préavis au sens de l'article L. 442-6 du Code de commerce, car le partenariat la liant à la société DSP ne saurait être qualifiée d " relation commerciale établie ", les deux sociétés se trouvant simplement associées dans le cadre d'un partenariat d'intérêt commun.
Aux termes des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce : " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, pour tout producteur, commerçant, industriel, ou personne immatriculée au répertoire des métiers :
De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ".
La société Cacic est une SARL, centrale de référencement, dont l'objet est d'assurer des " prestations de tous services répondant aux besoins de toutes collectivités publiques et privées, notamment les cliniques et maisons de repos. Achat, vente de tous produits, mobilier, matériel et accessoires divers relatifs auxdites collectivités ". Elle exerce donc une activité commerciale.
Il faut démontrer, pour entraîner l'application de l'article L. 442-6 du Code de commerce, que les relations entretenues par la Cacic avec la société DSP sont de nature commerciale, ce que réfute la Cacic.
La société Cacic référence des laboratoires fournisseurs qui offrent à ses adhérents des tarifs avantageux. Elle est rémunérée par les laboratoires pour cette prestation de référencement à hauteur de 2 % du chiffre d'affaires HT.
Elle a conclu un partenariat avec DSP, aux termes duquel ce grossiste assure la livraison groupée des médicaments et produits référencés de chaque laboratoire auprès de ses adhérents.
Ce partenariat fonctionne grâce aux contrats de dépositaires signés entre les laboratoires référencés et DSP, le dépositaire grossiste étant rémunéré par les laboratoires 60 cm d'euros par boîte.
Chaque partie trouve un intérêt dans ce partenariat. DSP assure les livraisons groupées des médicaments référencés par Cacic et Cacic fait bénéficier ses adhérents d'un service de livraison groupé.
Bien qu'aucun contrat de partenariat n'ait été signé entre les deux parties, il résulte du contrat-type versé aux débats par Cacic (appelé " contrat Cacic dépositaire 2008 ") que le dépositaire s'engage envers les adhérents Cacic (essentiellement hopitaux et cliniques) à regrouper les articles de plusieurs laboratoires en une seule commande et à les livrer aux adhérents après les avoir stockés en vertu des contrats de dépositaire signés avec les laboratoires référencés. Le dépositaire constitue par ailleurs l'interlocuteur unique des laboratoires, leur faisant ainsi économiser des frais de transport. En contrepartie, Cacic met à disposition de ses adhérents une plate-forme qui leur permet de regrouper les commandes de plusieurs fournisseurs auprès de DSP et de bénéficier de livraisons en franco de port pour toute commande supérieure à 100 euros. Cette répartition des rôles n'est pas contestée par les parties.
Le contrat-type prévoit que DSP rémunère la Cacic à hauteur de 2 % du chiffre d'affaires réalisé par DSP auprès des adhérents Cacic, au titre de cet apport de clients. Mais aucune rémunération n'a jamais été versée à Cacic, compte tenu des difficultés rencontrées par DSP.
Cette relation constitue donc bien une relation commerciale, même si, de facto, les services rendus par Cacic à DSP n'ont pas été rémunérés, pour des raisons conjoncturelles.
Il y a donc lieu d'appliquer l'article L. 442-6, I, 5 du Code de commerce.
Toutefois, il résulte des pièces versées aux débats par la Cacic que pendant les années 2008 et 2009, le système n'a pas fonctionné. De nombreux dysfonctionnements ont été signalés dans les prestations de DSP, Cacic faisant état de 300 réclamations entre septembre et novembre 2008. Une mission d'audit a été confiée au cabinet A22, expert en logistique en juillet 2010, afin de résoudre les problèmes. Etaient notamment mis en évidence des retards de livraison, des ruptures de stock et des problèmes dans la gestion des reliquats imputables à DSP.
L'élévation à 600 euros du montant des commandes en franco de port a entraîné, en mars 2011, l'arrêt de la collaboration des trois plus gros laboratoires. Par ailleurs, ainsi que le souligne à juste titre le tribunal, DSP ne démontre pas avoir suivi les propositions du rapport d'audit pour améliorer ses prestations, alors que la Cacic lui en faisait la demande récurrente, en mars 2011. L'échec du partenariat entre la société Cacic et la société DSP, et l'arrêt des relations de partenariat en découlant, est entièrement imputable à la société DSP car n'est que la conséquence de l'insuffisante qualité des prestations fournies par cette dernière.
Les parties savaient, depuis plus d'une année, que la poursuite du partenariat n'était pas assurée, compte tenu des déficits chroniques de DSP et des dysfonctionnements signalés dès 2008 par les laboratoires et Cacic. Par ailleurs, le plan d'action préconisé par le rapport d'audit n'était pas suivi par DSP.
Dans ces conditions, l'envoi, le 15 avril 2011, par la Cacic, d'un courrier informant DSP de l'arrêt du partenariat au 31 avril 2011 ne saurait être qualifié de rupture brutale de relations commerciales établies. En tout état de cause, cet arrêt a été provoqué par le comportement fautif de DSP, qui dispensait la Cacic du respect de tout préavis.
Il y a donc lieu de débouter la société DSP de sa demande.
Cette demande ne saurait davantage prospérer sur le fondement des articles 1134 et 1147 du Code civil, en l'absence d'abus du droit de résiliation de la part de la Cacic.
Aucune faute n'étant imputable à la Cacic, aucun préjudice d'atteinte à l'image de DSP ne saurait être mis à sa charge.
Il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris, en toutes ses dispositions, par une substitution de motifs.
La société Distribution Services Pharmaceutique, qui succombe, sera condamnée aux dépens, et à payer à la société Cacic la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris, en toutes ses dispositions, Condamne la société Distribution Services Pharmaceutique aux dépens de l'instance d'appel qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, Condamne la société Distribution Services Pharmaceutique à payer à la société Centrale de Référencement de Conseil et d'Information Hospitalière Privée et Publique la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.