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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 25 novembre 2016, n° 16-08557

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Bassin Nord (SCI)

Défendeur :

Au Marahja du Millénaire (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bartholin

Conseillers :

Mmes Gallen, Fremont

Avocats :

Mes Guizard, Rosenfeld, Pinet, Lamothe

TGI Paris, JME, du 5 avril 2016

5 avril 2016

FAITS ET PROCÉDURE

Vu l'ordonnance du juge de la mise en état du Tribunal de grande instance de Paris du 5 avril 2016 qui sur conclusions d'incident de la SCI Bassin du nord a déclaré que le Tribunal de grande instance de Paris était seul compétent pour connaître de l'ensemble du litige opposant la SARL Au Marahja du Millénaire à la SCI Bassin du Nord et ce au visa de l'article D. 442-4 du Code de commerce à raison de la demande formée par la société Au Marahja du Millénaire sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce, débouté les parties du surplus de leurs demandes, dit que cette affaire sera rappelée à la mise en état du 3 mai 2016, réservé les dépens.

Vu la requête de la société Bassin du Nord tendant à être autorisée à plaider à jour fixe devant la cour d'appel à laquelle il a été fait droit par ordonnance du 18 avril 2016,

Vu les dernières conclusions signifiées par la SCI Bassin du Nord demandant d'infirmer l'ordonnance entreprise, dire et juger que l'article L. 442-6 du Code de commerce n'est pas applicable au litige, dire et juger que le Tribunal de grande instance de Paris n'est pas compétent pour statuer, renvoyer les parties à se pourvoir devant le Tribunal de grande instance de Bobigny ou si mieux n'aime à la cour, faire usage de son pouvoir d'évocation et condamner la société Au Marahja du Millénaire à lui verser la somme de 15 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile en première instance, la somme de 10 000 euros par application du même article en cause d'appel, et aux entiers dépens dont distraction.

Vu les dernières conclusions signifiées par la société Au Marahja du Millénaire le 17 juin 2016 demandant :

- de confirmer l'ordonnance du Juge de la mise en état rendue le 5 avril 2016 en toutes ses dispositions ;

- de débouter la SCI du Bassin Nord de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

- de condamner la SCI du Bassin Nord au paiement des entiers dépens de première instance et d'appel et à une somme de dix mille (10 000) euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Sur ce,

La société Au Marahja du Millénaire a assigné la SCI Bassin du Nord devant le Tribunal de grande instance de Paris, pour voir dire, à titre principal, qu'elle a manqué à ses obligations contractuelles au visa de l'article 1134 du Code civil et à son obligation de délivrance au visa de l'article 1719 du même Code et, à titre subsidiaire, au visa de l'article L. 442-6 I 2° du Code de commerce, que les clauses de non-responsabilité contenues dans le bail traduisent un déséquilibre significatif engageant la responsabilité de la SCI Bassin du Nord,

Motif pris qu'une des demandes, fût-elle présentée à titre subsidiaire, ressortait de la compétence du Tribunal de grande instance de Paris par application de l'article D. 442- 4 du Code de commerce, le juge de la mise en état a déclaré le Tribunal de grande instance de Paris seul compétent pour statuer sur l'entier litige.

L'appelante soutient tout d'abord que le juge de la mise en état a méconnu ses pouvoirs en refusant de statuer sur la question de l'application de l'article L. 442-6 au litige, se bornant en quelque sorte à constater que la demande présentée par la société Au Marahja sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce, fût-ce à titre subsidiaire, justifiait la compétence du Tribunal de grande instance de Paris par application de l'article D. 442-4 du Code de commerce qui désigne les juridictions compétentes au plan national pour connaître du contentieux né de l'application de l'article L. 442-6.

Or le juge de la mise en état était compétent pour statuer sur l'exception de compétence qui lui était soumise ;

En ne tranchant cependant pas, comme il lui était demandé, la question, préalable à tout débat au fond, de l'application de l'article L. 442-6 au litige en cours tout en désignant le Tribunal de grande instance de Paris comme compétent en vertu des dispositions prises pour l'application de cet article, le premier juge n'a pas méconnu l'étendue de ses pouvoirs mais fait une appréciation inexacte de la question de compétence qui lui était soumise.

Il ressort en effet des dispositions de l'article R. 145-23 du Code de commerce, et ce par dérogation à l'article 42 du Code de procédure civile qui détermine de façon générale les règles de compétence territoriale des juridictions de l'ordre judiciaire, que la juridiction territorialement compétente pour statuer en matière de bail commercial est celle du lieu de situation de l'immeuble dont dépendent les lieux loués.

L'allégation par la société Au Marahja que les parties à un bail commercial peuvent néanmoins conventionnellement déroger à la règle de compétence territoriale édictée par l'article R. 145-23 qui n'est pas d'ordre public par le biais d'une clause élisant le tribunal de grande instance d'un ressort autre que celui du lieu de situation de l'immeuble est inopérante au cas d'espèce ; précisément, les parties ne sont pas convenues d'une telle clause attributive de compétence d'une autre juridiction que celle désignée par l'article R. 145-23 qui trouve à s'appliquer en l'absence de clause contraire voulue par les parties à la condition qu'elles soient commerçantes ;

La société Au Marahja soutient également que les relations bailleur/preneur au titre d'un bail commercial portant sur la mise à disposition d'une cellule dans un centre commercial relèvent d'un véritable " partenariat commercial ", lorsque :

- le bailleur est propriétaire de l'ensemble de l'infrastructure du centre ;

- le loyer est binaire, donc partiellement dépendant du chiffre d'affaires généré par le commerçant.

Citant un arrêt du Conseil d'Etat en date du 29 décembre 1995 ayant retenu que l'existence d'un loyer proportionnel à l'utilisation de cuves louées par une société civile immobilière conférait un caractère commercial à l'activité de location de cette société par ces motifs :

" Considérant que, si la location de biens immeubles nus ne constitue pas, par nature, un acte de commerce, une telle opération peut, toutefois, revêtir un caractère commercial lorsqu'il résulte des circonstances particulières de l'espèce que la location consentie a pour effet d'entraîner une participation indirecte du bailleur à la gestion ou aux résultats d'une entreprise commerciale exploitée par le preneur (...) que, par suite, en jugeant que la location avait entraîné une participation de la société civile immobilière aux résultats de l'entreprise commerciale preneuse, de nature à conférer un caractère commercial à cette location au regard des dispositions du 2 de l'article 206 du Code général des impôts, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit "

L'existence d'un véritable " partenariat commercial " entre bailleurs de centres commerciaux et locataires est également, selon la société Au Marahja, mise en évidence par une décision récente de la Cour d'appel de Paris du 3 juillet 2013 :

" Le succès du centre commercial et sa pérennité dépendent de l'attractivité et de la diversité des enseignes qu'il réunit ; qu'il doit, pour maximiser sa fréquentation, réunir une gamme complète de commerces de détail; que selon l'article V du bail commercial, une part des loyers perçus par le bailleur est proportionnelle au chiffre d'affaires réalisé par chaque enseigne ; qu'il n'est aucunement démontré que cette part soit minime ; qu'inversement, les preneurs tirent individuellement profit de l'attractivité globale du centre commercial, résultant de la politique de recrutement du bailleur, de sa publicité et des différents investissements sur les parties communes, que les deux parties ont donc un intérêt commun à préserver (...) ". CA Paris, 3 juillet 2013, Jurisdata n° 2013-014059.

Or, les relations entre bailleur et preneur liés par d'un bail commercial, qu'il porte sur une boutique ou la cellule d'un centre commercial, s'inscrivent dans le cadre des dispositions du statut des baux commerciaux prévues aux articles L. 145-1 et suivants du Code de commerce, dont certaines sont d'ordre public et auxquelles les parties ne peuvent déroger et pour le surplus de celles supplétives du Code civil relatives au contrat de bail ;

Les dispositions du statut des baux commerciaux qui tendent dans leur ensemble à assurer l'équilibre des droits de chaque partie au contrat de bail sont exclusives de toute application conjointe ou alternative des dispositions de l'article L. 442- 6 du Code de commerce qui visent pour leur part à réguler les relations commerciales entre professionnels, portant sur la fourniture ou la distribution de produits ou de services.

Au cas d'espèce, bailleur et preneur ne concourent pas ensemble à des actes portant sur une activité de production, de distribution ou de service au sens de l'article L. 442-6 du Code de commerce;

Le fait que le loyer prévu soit binaire et dépende pour une part du chiffre d'affaires du commerçant locataire ne fait pas pour autant du bailleur l'associé ou le partenaire commercial du locataire même si au sein d'un centre commercial, le locataire participe par son activité propre à l'attractivité du centre ; la décision précitée du Conseil d'état qui approuve une cour administrative d'appel d'avoir qualifié de commerciale l'activité de la société bailleresse en raison de sa participation aux résultats de la locataire ne vaut qu'au regard des dispositions fiscales applicables et elle est sans portée pour qualifier la nature des relations bailleur-preneur au sens des dispositions applicables du Code de commerce et du Code civil ;

En conséquence, la société Au Marahja invoque en vain l'application au litige des dispositions des articles L. 442-6 I 2° et D. 442-4 du Code de commerce pour voir retenir la compétence exclusive du Tribunal de grande instance de Paris ;

Il convient en conséquence d'infirmer l'ordonnance déférée, de dire que le tribunal de grande instance compétent pour statuer sur le litige est, par application de l'article R. 145-23 du Code de commerce, celui de Bobigny auquel l'affaire sera renvoyée, sans qu'il y ait lieu à évocation, quoique la cour soit juridiction d'appel des deux juridictions.

Il n'y a pas lieu en équité à application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : Infirme l'ordonnance déférée en ce qu'elle a déclaré que le Tribunal de grande instance de Paris était exclusivement compétent pour connaître de l'ensemble du litige au visa de l'article D. 442-4 du Code de commerce en raison de la demande formée par la société Au Marahja du Millénaire sur le fondement de l'article L. 442-6 du même code, Désigne comme juridiction territorialement compétente pour connaître du litige, par application de l'article R. 145-23 du Code de commerce, le Tribunal de grande instance de Bobigny auquel le dossier de l'affaire sera renvoyé, les articles L. 442-6 et D. 442-4 du Code de commerce étant sans application en la cause. Déboute les parties de leurs autres demandes, Condamne la société Au Marahja du Millénaire aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.