Cass. com., 22 novembre 2016, n° 15-15.796
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Séraphin (SAS)
Défendeur :
Louis Vuitton Malletier (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Poillot-Peruzzetto
Avocat général :
Mme Beaudonnet
Avocats :
SCP Sevaux, Mathonnet, SCP Hémery, Thomas-Raquin
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 janvier 2015), rendu sur renvoi après cassation (Chambre commerciale, financière et économique, 24 septembre 2013, pourvoi n° 12-24.155), que la société Séraphin, fabricant de vêtements de peau de luxe pour hommes, qui fournissait depuis 1998 ses produits à la société Louis Vuitton Malletier (la société Vuitton), l'a assignée en paiement de dommages-intérêts pour rupture brutale et abusive de leur relation commerciale à compter de mars 2009 ;
Sur le premier moyen : - Attendu que la société Séraphin fait grief à l'arrêt du rejet de ses demandes fondées sur la rupture brutale d'une relation commerciale établie alors, selon le moyen, qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit, peu important que cette rupture ait pu être prévisible pour la victime de la rupture ; qu'en se fondant sur le motif tiré du caractère " totalement prévisible ", pour la société Séraphin, de la rupture des relations commerciales établies entre elle et la société Louis Vuitton, pour dire que cette rupture n'aurait pas été brutale, la cour d'appel de renvoi a violé l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ;
Mais attendu que l'arrêt constate que les relations entre les parties, qui n'étaient formalisées par aucun contrat, ne prévoyaient aucune obligation à la charge de la société Vuitton de garantir un volume de commande minimal, que le chiffre d'affaires a été très fluctuant selon les années et les collections, le courant d'affaires entre les parties ayant toujours été fonction de la conjoncture, et son augmentation en 2008 n'étant due qu'à une commande exceptionnelle d'un modèle, de sorte qu'il ne peut être reproché à la société Vuitton de n'avoir pas maintenu en 2009 un niveau d'affaires équivalent à celui de 2008 ; qu'il relève en outre que les relations se sont dégradées entre les parties, plusieurs courriels établissant les nombreux dysfonctionnements rencontrés avec la société Séraphin à propos de la qualité des peaux, des prix et du respect des délais de livraison et faisant état des difficultés relationnelles importantes avec M. Zacks, représentant de cette société, et en déduit, au vu des tensions existant entre les sociétés depuis plusieurs années, qui se sont accrues en 2007 et 2008, que la rupture partielle des relations commerciales, à compter de 2009, était prévisible pour la société Séraphin ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, faisant ressortir que la relation commerciale entre les parties ne revêtait pas, avant la rupture, un caractère suivi, stable et habituel, de nature à autoriser la partie victime de l'interruption à anticiper raisonnablement, pour l'avenir, une certaine continuité de flux d'affaires avec son partenaire commercial, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le second moyen : - Attendu que la société Séraphin fait grief à l'arrêt du rejet de ses demandes fondées sur les articles 1134 et 1147 du Code civil, alors, selon le moyen : 1°) que la société Séraphin reprochait à la société Louis Vuitton d'avoir cessé, dès le mois de mars 2008, de lui confier le développement et la fabrication des modèles autres que le blouson " biker " ; qu'en écartant toute faute de la société Louis Vuitton dans cette rupture de leur relation commerciale, au motif que la société Séraphin était accaparée par la fabrication de blousons " biker ", alors même qu'elle constatait qu'en octobre 2009, le stock de ce produit était supérieur à vingt-quatre mois de vente, sans rechercher si la société Louis Vuitton n'avait pas nécessairement conscience que la société Séraphin serait donc disponible pour développer et fabriquer des modèles autres que le blouson " biker ", la cour d'appel de renvoi a privé son arrêt de base légale au regard des articles 1134 et 1147 du Code civil ; 2°) que la société Séraphin reprochait à la société Louis Vuitton d'avoir renoncé à lui confier le développement des manteaux " shearling " à la fin de l'année 2008, alors même que celle-ci s'était bornée à lui demander des informations sur les coûts de développement des coloris sans jamais lui demander la moindre offre de prix sur le produit lui-même ; qu'en se bornant à constater qu'aucune offre de prix n'avait été formulée par la société Séraphin, pour dire la société Louis Vuitton non fautive, sans rechercher, comme l'y appelait la société Séraphin dans ses écritures, si cette absence de formulation d'une offre de prix de vente ne s'expliquait pas par l'absence de demande en ce sens de la société Louis Vuitton elle-même, la cour d'appel de renvoi a privé son arrêt de base légale au regard des articles 1134 et 1147 du Code civil ; 3°) que la société Séraphin faisait valoir que la société Roban's, sa concurrente italienne finalement choisie pour fabriquer les manteaux " shearling ", avait été sollicitée pour formuler une offre de prix bien avant une réunion qui s'était tenue le 17 octobre 2008 entre les sociétés Louis Vuitton et Séraphin à ce propos et qu'il n'y avait donc eu, de la part de la société Louis Vuitton, aucune mise en concurrence claire et loyale de la société Séraphin avec la société Roban's ; qu'en écartant toute faute de la société Louis Vuitton dans cette rupture de leur relation commerciale, en se bornant à décrire la teneur de la réunion du 17 octobre 2008 entre les sociétés Séraphin et Louis Vuitton, sans rechercher, comme la société Séraphin l'y invitait, si la société Louis Vuitton n'avait pas décidé de confier la fabrication des manteaux " shearling " à la société italienne Roban's dès avant cette réunion du 17 octobre 2008, la cour d'appel de renvoi a privé son arrêt de base légale au regard des articles 1134 et 1147 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir relevé que la société Séraphin avait réalisé cent soixante-seize blousons bikers pour la saison automne-hiver 2009-2010, qu'elle avait effectué des livraisons jusqu'au 5 avril 2009 et que, jusqu'à cette date, elle était accaparée par cette fabrication de sorte que la société Vuitton était fondée à confier la fabrication de ses modèles de la collection automne-hiver 2009/2010, autres que le biker, à la société Roban's, la cour d'appel a procédé à la recherche invoquée à la première branche ;
Et attendu, en second lieu, que l'arrêt relève que, par courriel du 6 octobre 2008, la société Louis Vuitton a adressé à la société Séraphin une demande de développement de couleur sur échantillon pour deux modèles de parka de type Shearling en indiquant que la commande serait passée une fois les coloris validés, que la réunion tenue entre les sociétés le 17 octobre suivant n'a pas permis un accord sur les délais et les prix ; qu'il relève encore qu'aucune offre de prix n'a été formulée par la société Séraphin tandis qu'une offre a été adressée à la société Vuitton le 26 novembre de la même année par la société Roban's, avec laquelle elle entretenait des relations avant même de coopérer avec la première ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, dont elle a déduit que le comportement de la société Vuitton n'avait été ni déloyal, ni fautif, ni abusif, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi.