CA Metz, ch. com., 30 juin 2016, n° 14-02136
METZ
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Equipements Modernes Agricoles (SARL)
Défendeur :
Schaffer Maschinenfabrik GmbH (Sté), Ministère de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Messias
Conseillers :
Mme Flauss, M. Beaudier
Avocats :
Mes Barré, Henaff
EXPOSE DU LITIGE
Selon acte sous seing privé du 9 décembre 1983, la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH a confié à la SARL Equipement Modernes Agricoles (ci-après désignée SARL EMA) l'exclusivité de l'importation en France de modèles de valets de ferme mécaniques fabriquées en Allemagne ;
Le 20 mars 1987, la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH a dénoncé avec effet immédiat ce contrat tout en acceptant de continuer les livraisons jusqu'à la conclusion d'un nouvel accord;
Dès le 23 mars 1987, la SARL EMA a avisé par courrier son cocontractant de son refus de rompre le contrat, ce qui n'a pas empêché les deux sociétés de poursuivre leurs relations commerciales ;
Par autre acte sous seing privé en date du 27 septembre 2006, la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH a confié l'exclusivité de l'importation en France des modèles de valets de ferme mécaniques précédemment évoqués à la SARL Etablissements Ernest R., avec effet à compter du 1er janvier 2008 et pour une durée de trois ans ;
Le 5 octobre 2006, par lettre recommandée, la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH dénonce une nouvelle fois la poursuite du contrat conclu le 9 décembre 1983 avec la SARL EMA, avec effet immédiat, en raison d'un défaut de collaboration de cette dernière dans la détermination du meilleur prix de vente des machines, d'une pratique de prix de vente excessifs et du refus de communication de ses tarifs ;
La EMA (SARL) a alors adressé, le 11 octobre 2006, à la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH une explication sur sa pratique de prix nets et y joint ses tarifs 2006 ;
Le 7 décembre 2006, la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH annule la rupture contenue dans son courrier du 5 octobre 2006 et en notifie une nouvelle aux termes de laquelle elle accorde à la SARL EMA un préavis expirant au 31 décembre 2007 ;
Au courant de l'année 2007, la SARL EMA indique avoir constaté une pénétration du marché français par la SARL Etablissements Ernest R. pour des produits fabriqués par la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH ;
Entre le 6 avril 2005 et le 25 août 2008, il apparaît que la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH a édité 17 factures à l'intention de la SARL EMA relativement à la vente de pièces détachées et pour un montant de 19 902,06 euros HT et a consenti à cette dernière entre le 28 janvier 2008 et le 12 septembre 2008, un total de sept avoirs pour un montant global de 8 288,35 euros HT ;
La société Schaffer Maschinenfabrik GmbH a délivré une mise en demeure le 4 février 2009 à la SARL EMA qui est restée sans effet quant au règlement de la dette précitée;
Il est enfin précisé que la SARL Etablissements Ernest R. a fait l'objet d'un jugement de liquidation judiciaire en date du 18 mai 2010 prononcé par le Tribunal de commerce de Belfort ;
C'est dans ces conditions que le 26 avril 2007, la SARL EMA a fait assigner devant la chambre commerciale du Tribunal de grande instance de Sarreguemines à jour fixe sur autorisation du président de la juridiction donnée le 3 mai 2007, la SARL Etablissements Ernest R. aux fins de voir ordonné à son encontre :
- l'interdiction de commercialiser sur le territoire français les produits Schaffer Maschinenfabrik GmbH sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;
- une expertise aux fins d'évaluer le préjudice subi du fait de la SARL Etablissements Ernest R. ;
- la condamnation de la SARL Etablissements Ernest R. au paiement de diverses provisions d'un montant total de 200 000 euros à valoir sur ses préjudices divers ;
- la publication dans trois journaux du jugement à intervenir ;
- la condamnation de la SARL Etablissements Ernest R. à lui payer une indemnité de procédure de 4 000 euros ;
- la condamnation de la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH à payer à la SARL EMA les sommes d'un montant de :
* 2 139 006,94 euros en capital, au titre de ses obligations " délictuelles " sus-visées ;
* 20 000 euros au titre de ses frais non compris dans les dépens ;
- la condamnation de la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH à prendre le stock des accessoires neufs en contrepartie du paiement de la somme de 61 170,03 euros ;
- la condamnation de la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH à la publication du jugement à intervenir dans trois journaux nationaux ;
- le rejet des prétentions reconventionnelles de la SARL Etablissements Ernest R. et de la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH ;
Dans son mémoire déposé le 11 juin 2007, la SARL Etablissements Ernest R. a sollicité, outre le prononcé de l'irrecevabilité de la demande de la SARL EMA et de l'incompétence territoriale du Tribunal de grande instance de Sarreguemines, à titre reconventionnelle, le paiement d'une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour abus du droit d'agir en justice et une indemnité en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
De son côté, la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH a fait assigner le 6 octobre 2010 la SARL EMA devant la même juridiction afin de :
- la voir condamnée à lui payer les sommes de :
* 11 614,25 euros en capital, outre les intérêts, au titre du solde de ses engagements contractuels ;
* 20 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- voir rejetées les prétentions développées par la SARL EMA et par l'Etat français ;
Il convient de préciser que l'Etat Français est intervenu volontairement dans la procédure selon mémoires des 19 février 2009, 22 avril 2013 et 18 septembre 2013 afin de voir le Tribunal de grande instance de Sarreguemines condamner la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH à lui payer les sommes de 100 000 euros pour trouble à l'ordre public économique du fait de la rupture brutale des relations commerciales au préjudice de la SARL EMA et 3 0000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;
Les procédures diligentées à l'initiative de la SARL EMA et de la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH ont donné lieu à des ordonnances de jonction des 13 juin 2008 et 8 juin 2012 ;
Par arrêt du 31 mai 2011, la cour de ce siège a infirmé l'ordonnance du juge de la mise en état rendue le 12 juin 2009 aux termes de laquelle le tribunal se déclarait incompétent au profit du Tribunal de commerce de Belfort ;
Par ordonnance du 14 décembre 2012, le juge de la mise en état de la chambre commerciale du Tribunal de grande instance de Metz a constaté le désistement d'action de la SARL EMA à l'égard de la SARL Etablissements Ernest R. ;
Par jugement du 18 mars 2014, la chambre commerciale du Tribunal de grande instance de Sarreguemines a :
1) Dans l'instance principale introduite par la SARL EMA,
- déclaré la SARL EMA recevable et partiellement bien fondée en son action ;
- condamné la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH à payer à la SARL EMA les sommes d'un montant de :
* 186 789 euros au titre de ses obligations "délictuelles" ;
* 3 400 euros au titre de ses frais non compris dans les dépens ;
- condamné la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH à reprendre et à ses frais d'enlèvement les pièces détachées neuves et d'origine Schaffer en stock au 31 décembre 2007 et vendues par la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH à la SARL EMA au cours de la période du 1er janvier 2006 au 31 décembre 2007 et moyennant remboursement des prix d'achats effectivement payés par la SARL EMA ;
- dit qu'à cette fin les parties établiront un inventaire contradictoire du stock, pièce neuve par pièce neuve, et en les confrontant aux facturations émises afin de déterminer leur date d'achat ;
- dit qu'en cas de désaccord des parties, il sera recouru aux services d'un huissier de justice choisi par elles d'un commun accord, et à défaut d'accord, désigné par une ordonnance présidentielle ;
- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement à concurrence de la totalité des créances de 186 789 euros de reprise des stocks de pièces détachées neuves, de frais et des dépens ;
- débouté la SARL EMA de l'ensemble de ses demandes, prétentions, fins, moyens et conclusions de son action principale plus ample ou contraire aux précédentes dispositions ;
- condamné la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH aux dépens de la présente instance principale à concurrence de 65 % et la SARL EMA au reliquat de 35 % ;
2) Dans l'instance reconventionnelle introduite par la SARL Etablissements Ernest R.,
- déclaré la SARL Etablissements Ernest R. irrecevable en son action reconventionnelle ;
- condamné la SARL Etablissements Ernest R. aux entiers dépens de la présente instance reconventionnelle ;
3) Dans l'instance incidente introduite par l'Etat français,
- déclaré l'Etat français recevable et partiellement bien fondé en son action incidente ;
- condamné la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH à payer à l'Etat français la somme d'un montant de :
* 40 000 euros à titre d'amende civile ;
* 2 100 euros au titre de ses frais non compris dans les dépens ;
- débouté l'Etat français de l'ensemble de ses demandes, prétentions, fins, moyens et conclusions plus amples ou contraires aux précédentes dispositions;
- condamné la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH aux dépens de l'instance incidente à concurrence de 70 % et l'Etat français au solde de 30 %;
4) Dans l'instance reconventionnelle introduite par la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH
- déclaré la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH recevable et partiellement bien fondée en son action ;
- condamné la SARL EMA à payer à la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH les sommes d'un montant de :
* 11 641,25 euros augmentés des intérêts moratoires au taux légal commercial triple à compter du 4 février 2009 au titre de ses obligations contractuelles ;
* 716 euros au titre de ses frais non compris dans les dépens ;
- débouté la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH de l'ensemble de ses demandes, prétentions, fins, moyens et conclusions de son action reconventionnelle plus ample ou contraire aux précédentes dispositions;
- condamné la SARL EMA aux dépens de la présente instance reconventionnelle à concurrence de 95 % et la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH au reliquat de 5 % ;
Le 17 juillet 2014, par déclaration effectuée au greffe de cette cour, la SARL EMA a interjeté appel contre dette décision, lequel a été enregistré sous le n° 14/02136, la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH a formé appel incident aux termes de ses conclusions en réponse signifiées le 9 décembre 2014 ;
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 1er mars 2016, la SARL EMA indique que les parties se sont finalement rapprochées et sont parvenues à un accord le 16 décembre 2015, en conséquence de quoi elle se désiste de la présente instance et demande à la cour de prendre acte de son désistement d'instance et d'action ;
Elle précise que, conformément à l'accord conclu le 16 décembre 2015, la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH s'est également désistée de son appel incident formé à l'encontre de la SARL EMA et de toute demande à son encontre ;
En conséquence, la SARL EMA demande à la cour de :
- donner acte à la SARL EMA de son désistement d'instance et d'action ;
- donner acte à la SARL EMA de son acceptation du désistement par la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH de son appel incident formé à l'encontre de la SARL EMA et de toute demande contre la SARL EMA ;
- dire que chacune des parties conservera à sa charge les frais et dépens par elle exposés ;
Dans ses dernières écritures en date du 29 février 2016, la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH demande à la cour de :
- donner acte à la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH de ce qu'elle accepte le désistement de la SARL EMA et se désiste elle-même de son appel dirigé contre la SARL EMA et de toute demande contre la SARL EMA, la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH n'entendant maintenir son appel incident qu'en ce qui concerne la demande du ministre de l'Economie ;
- recevoir la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH en son appel incident concernant les condamnations prononcées à la demande du ministre de l'Economie, au profit de l'Etat ;
- déclarer le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie mal fondé en son intervention volontaire, et le débouter de ses demandes à l'encontre de la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH ;
- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH à une amende et en ce qu'il a condamné la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH à payer à l'Etat une somme de 2 100 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et à 70 % des dépens ;
- débouter le ministre de toute demande au titre de l'article 700 ;
- laisser à chacune des parties la charge de ses dépens ;
S'agissant des dispositions des conclusions concernant la demande du ministre de l'Economie, la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH fait valoir qu'elle n'a commis aucune faute, en tout cas consciemment, dans la rupture des relations commerciales avec la SARL EMA dans la mesure où elle pensait que ces relations étaient soumises au droit allemand, tout comme la SARL EMA, conformément aux prescriptions du contrat conclu en 1983, qu'elle ignorait le droit français, notamment l'article L. 442-6, I, 5 du Code de commerce et qu'elle n'a pas agi dans l'intention de nuire et ne s'est pas rendue coupable d'une pratique abusive ou restrictive de concurrence ;
La société Schaffer Maschinenfabrik GmbH soutient que le fait qu'elle ait accordé un préavis de 15 mois à la SARL EMA est insuffisant pour avoir créé un trouble à l'ordre public économique et la déstabilisation de la SARL EMA ;
Elle fait observer que la fin des relations commerciales entre la SARL EMA et elle n'a eu ni pour objet, ni pour effet, de restreindre la concurrence. Elle reproche en outre à la DIRECCTE d'avoir pris fait et cause pour la SARL EMA sans vérifier ses dires alors que, saisie par cette dernière le 21 septembre 2007, elle n'a pris l'attache de la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH qu'un an plus tard, en septembre 2008, sans lui demander des explications ou des commentaires sur les allégations de la SARL EMA ;
La société Schaffer Maschinenfabrik GmbH rappelle que l'enquête s'est limitée à un simple rendez-vous au siège de la SARL EMA le 19 mars 2008 aux termes duquel la DIRECCTE lui a demandé un relevé du chiffre d'affaires réalisé avec la SARL EMA et le contrat conclu avec la SARL Etablissements Ernest R. Dès lors, la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH conteste comme manquant d'impartialité les conclusions de la DIRECCTE, notamment lorsqu'elle conclut à une nette progression du chiffre d'affaires à partir des chiffres de 1998 et de 2006 alors qu'en réalité il y a eu stagnation en termes d'achats de la SARL EMA à la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH de 2004 à 2006, tous inférieurs à 2002 ;
La société Schaffer Maschinenfabrik GmbH avance cinq exemples établissant que la DIRECCTE n'a rien contrôlé. Le premier a trait à la baisse du chiffre d'affaires de la SARL EMA en 2007, ce qui correspond à l'année du préavis; le deuxième concerne l'absence de commandes passées par la SARL EMA à la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH en 2006 en exécution de l'engagement d'achat minimum; le troisième revient sur les délais de livraison allongés après la résiliation, le quatrième est relatif aux investissements que la SARL EMA dit avoir effectués; le cinquième s'applique à la dépendance de la SARL EMA ;
Nonobstant les remarques et les documents transmis à la DIRECCTE par la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH, l'Administration a continué à mettre en cause cette dernière alors que la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH constate que :
- elle ne s'est pas livrée à des pratiques graves ;
- la SARL EMA n'a pas procédé à des licenciements et ne justifie pas en quoi que ce soit une désorganisation à raison de la délivrance d'un préavis d'un an et 24 jours ;
- l'activité de la SARL EMA a continué jusqu'à aujourd'hui, ses dirigeants ayant rapidement créé, dès mai 2008, une nouvelle société chargée de distribuer en France des produits Tobroco concurrents de ceux de la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH ;
- il n'est pas justifié de la moindre désorganisation de toute la distribution de certaines machines agricoles et des distributeurs français ou à leurs clients ;
Au final, la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH expose que le prononcé d'une amende, en tout cas d'un montant de 40 000 euros est injustifié puisqu'elle est une société allemande, sans comparaison à Lidl, Sofinco ou Ikea, évoquées par la DIRECCTE, que la SARL EMA n'est pas en liquidation judiciaire et s'est reconvertie et qu'enfin, la rupture des relations avec la SARL EMA ne tendait pas à asservir un partenaire commercial et que l'amende prononcée ne saurait se justifier par le fait qu'elle a pour but de prévenir la réitération par la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH de pratiques restrictives de concurrence ;
Au visa de ses dernières conclusions d'appel en réplique et récapitulatives n° 2 du 16 juillet 2015, le ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique justifie de son intervention dans la présente procédure au regard de son incidence sur l'ordre public économique et de sa mission, à travers la DIRECCTE, de veiller à la bonne application du titre IV du livre IV du Code de commerce relatif à la transparence dans les relations commerciales et aux pratiques restrictives de concurrence ;
Il rappelle que le contrat de concession conclu entre la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH et la SARL EMA faisait de cette dernière la concessionnaire exclusive des produits Schaffer en France et que, bien que résilié le 20 mars 1987, les relations commerciales entre les deux sociétés ont perduré jusqu'en 2007. A cet égard, le ministre fait observer que le chiffre d'affaires réalisé par la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH avec la SARL EMA a toujours été supérieur à un million d'euros (hormis en 1999 : 919 866,36 euros), compris entre 1 010 674,72 euros en 2007 (chiffre le plus bas) et 1 749 486,86 euros en 2002 (chiffre le plus haut);
Selon les responsables de la SARL EMA, ce partenariat a permis le lancement des produits Schaffer en France et leur développement ;
Au bout de 23 ans de relations commerciales, la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH a informé par courrier en date du 7 décembre 2006 la SARL EMA de sa décision de cesser leurs relations moyennant un préavis d'un an, arrivant à échéance le 31 décembre 2007 et période durant laquelle la SARL EMA était censée être assurée de l'exclusivité de la distribution des produits Schaffer en France;
Selon les déclarations des responsables de la SARL EMA, cette société réalisait 50 % de son chiffre d'affaires avec la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH. Ainsi, du 1er octobre 1997 au 30 septembre 2007, la part représentée par les relations commerciales avec la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH variait entre 28 %, en 2002-2003 et 56 % en 2004-2005 et 2005-2006 ;
Il est rapporté par ailleurs l'importance des investissements réalisés par la SARL EMA pour la promotion des produits Schaffer matérialisée par des formations assurées par la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH ou par d'autres centres de formation à des personnels de la SARL EMA mais toujours financées par cette dernière, par des frais pour la préparation du certificat Caces, indispensable pour la manipulation des engins Schaffer et par des participations à des salons notamment à Paris . Le gérant de la SARL EMA, Roland C., par courrier en date du 20 mars 2008 évalue à plus de 10 600 euros le coût des foires et expositions auxquelles sa société a participé en 2007 ;
Le ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique considère que le préavis d'un an arrivant à échéance le 31 décembre 2007 n'a pas été respecté au motif que la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH a conclu un contrat d'exclusivité avec la SARL Etablissements Ernest R. le 27 septembre 2006 pour les importations de ces machines agricoles en France, dont l'article 10 prévoit que la concession exclusive ne prendrait effet qu'à compter du 1er janvier 2008.
Or, les responsables de la SARL EMA produisent des documents attestant de la commercialisation début 2007 de produits Schaffer par la SARL Etablissements Ernest R., dont une circulaire établie en janvier 2007 par cette dernière entreprise et adressée aux clients de la SARL EMA dans laquelle le futur concessionnaire indique être "dès à présent" (janvier 2007) en mesure de fournir les machines de type chargeurs articulés Schaffer Laden, un fax du 8 janvier 2007 de la société Sobepa à la SARL EMA relatif à une offre de prix faite par la SARL Etablissements Ernest R. à ladite société Sobepa pour un chargeur Schaffer 221S ou encore un courrier du 12 janvier 2007 envoyé par la société MAM à la SARL EMA et relatant la vente par la société Sobepa d'un valet de ferme Schaffer 221S, avant le 3 janvier 2007 ;
Il en est déduit que la part des achats réalisés auprès de la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH, en constante progression de 1998 à 2006 était en nette diminution en 2007 alors que le délai de préavis courrait jusqu'au 31 décembre 2007. Cette diminution est corroborée par les documents transmis par le conseil de la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH dont il s'évince que le montant des commandes passées par la SARL EMA avant le 31 décembre 2007 s'élevait à 800 000 euros, montant en net recul par rapport aux exercices précédents. Les responsables de la SARL EMA évoquent en outre des difficultés de livraison à leurs clients durant la période de préavis en raison de l'allongement des délais de livraison des machines par la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH ;
Le ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique, en conclut que le non-respect de ces délais n'est pas le résultat de difficultés de production comme le démontre le client que se disputait la société Sobepa et la société MAM, la première fournie par la SARL Etablissements Ernest R. ayant pu proposer un délai de livraison de sept semaines alors que la société MAM, fournie par la SARL EMA n'a pu proposer mieux qu'un délai de onze semaines ;
Il précise de surcroît que les factures établies par la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH ont toujours été acquittées par la SARL EMA dans les délais contractuels, sauf en cas de litige ;
Le ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique soutient qu'en ne respectant pas le délai de préavis de rupture dans la mesure où l'exclusivité prévue dans le contrat entre les deux parties, délais qu'il considère en tout état de cause, insuffisant, la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH a engagé sa responsabilité en application de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ;
A cet égard, il estime qu'est établi d'une part, l'établissement d'une relation commerciale entre les parties et, d'autre part, le caractère brutal de la rupture intervenue. Si le premier critère n'est pas réellement discuté, la relation commerciale ayant débuté le 9 décembre 1983 et la rupture du 5 octobre 2006 ayant été révoquée le 7 décembre 2006 et ayant réitérée à cette date, avec effet définitif cette fois au 31 décembre 2007, le second critère, à savoir le caractère brutal de la rupture se caractériserait par la brièveté de la durée du préavis accordé ;
Sur ce second point, reconnaissant l'absence d'usages par des accords interprofessionnels, la DIRECCTE se fonde sur la jurisprudence pour faire valoir que le délai de préavis doit tenir compte de l'ancienneté des relations commerciales, c'est-à-dire un mois de préavis par année de relation commerciale, des investissements réalisés par la victime de la rupture au profit de l'auteur de celle-ci et des difficultés pour ladite victime à trouver un marché de remplacement ;
En conséquence, le ministre conclut en la nécessité d'un préavis de 23 mois et en l'absence de pertinence du délai d'un an prévu par le contrat conclu en 1983 dans la mesure où il a été résilié le 20 mars 1987 ;
Dans ces conditions, selon le concluant, en insérant un article 10 dans le contrat conclu le 27 septembre 1996 avec la SARL Etablissements Ernest R. prévoyant la prise de la concession exclusive en France des produits Schaffer à compter du 1er janvier 2008, la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH n'a pas respecté le délai de préavis normalement dû de 23 mois et que même, en prenant en compte le délai d'un an consenti par la société allemande qui arrivait à expiration le 31 décembre 2007, il apparaît qu'avant cette date, la SARL Etablissements Ernest R. avait déjà commercialisé les produits Schaffer ;
Le ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique précise que la relation de dépendance dans laquelle se trouvait la SARL EMA par rapport à la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH constitue une circonstance aggravante de la rupture brutale des relations commerciales justifiant une indemnisation plus conséquente du préjudice subi, en application de l'article L. 442-6 I 2° b) en vigueur à l'époque des faits ;
Il rappelle qu'au visa de la jurisprudence, la situation de dépendance se définit comme " la situation d'une entreprise qui ne dispose pas de la possibilité de substituer à son ou ses distributeurs un ou plusieurs distributeurs répondant à sa demande d'approvisionnement dans des conditions techniques et économiques comparables. ", définition applicable au cas de la SARL EMA qui avait plusieurs fournisseurs et donc ne s'est pas volontairement placée dans une situation de dépendance mais, de fait, réalisait 50 % de son chiffre d'affaires avec la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH, avait beaucoup investi pour faire connaître les produits Schaffer, a eu beaucoup de difficultés pour trouver un fournisseur de substitution et a perdu une grosse clientèle qui était attachée à la marque Schaffer ;
La DIRECCTE écarte par ailleurs le moyen soulevé par la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH tendant à justifier la rupture des relations commerciales avec la SARL EMA en raison de l'inexécution de ses obligations contractuelles et en application de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce. Elle indique que le fait que le contrat conclu en 1983 ait été résilié rend inopposable l'allégation de la violation des obligations contractuelles indiquées par la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH, à savoir l'absence de discussion avec elle de la fixation du prix de vente de ses produits et l'application d'une marge excessive nuisant à la compétitivité de ses machines agricoles ;
Elle ajoute que les manquements supposés de la SARL EMA à ses obligations contractuelles ont, en tout état de cause, été tolérés par la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH sur une période relativement longue dans la mesure où la progression insatisfaisante des ventes des produits Schaffer en France a fait l'objet d'une tolérance de près de huit ans de la part de la société allemande. Elle souligne par ailleurs que le seul cas dans lequel le service après-vente de la SARL EMA a été critiqué, c'est-à-dire l'Ecurie Mittelstemmuehle du 15 décembre 2006 présente un caractère isolé et en tout cas insuffisant pour caractériser un manquement grave de la SARL EMA qui eut pu justifier une rupture sans préavis ;
Il ressort enfin des conclusions du ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique que le fondement de son action en vue du prononcé d'une amende civile résulte de la mission spécifique que lui reconnaît la jurisprudence et qui tient à la constatation d'une pratique abusive visée à l'article 442-6 du Code de commerce ;
A cette fin, il rappelle que la rupture brutale des relations commerciales constitue une pratique restrictive de concurrence relevant de l'article 442-6 précité et générant un trouble à l'ordre public économique dès lors qu'elle ne se justifie pas par le manquement à l'une de ses obligations par l'entreprise victime ou par un cas de force majeure. Il précise qu'eu égard à sa mission de défense de l'ordre public économique, il peut formuler des demandes autonomes, fondées sur l'application du Code de commerce ;
Par ailleurs, en réplique à l'argumentation développée par la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH dans ses conclusions et mettant en exergue sa partialité dans la présente procédure, le ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique soutient que son enquête a été menée conformément aux dispositions applicables prévues par le Code de commerce. C'est dans le cadre de la brigade spécifique chargée de contrôler la bonne application des dispositions du Code de commerce issues de la loi de modernisation de l'économie, créée en 2009, outre celui de gardien de l'ordre public économique confié au ministre par la loi, que les inspecteurs de la DIRECCTE ont effectué les opérations de contrôle critiquées. Les procès-verbaux ont été établis en respectant les dispositions de l'article L. 450-2 du Code de commerce ;
Il est en outre précisé que la DIRECCTE étant en phase d'enquête administrative, elle était soumise au secret professionnel et n'était pas, en conséquence, astreinte au respect du contradictoire ;
S'agissant du montant de l'amende civile, le ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique fait valoir que la rupture brutale est une pratique abusive en soi qui porte atteinte à la loyauté des relations commerciales qui ne nécessite pas de causer un préjudice au marché pour pouvoir être sanctionnée. Le quantum de l'amende civile, au vu de la jurisprudence, varie selon les circonstances de l'espèce et en tout cas, doit être dissuasif afin d'éviter la réitération de telles pratiques ;
Dans le présent litige, le ministre soutient que la rupture brutale est intervenue dans le cadre d'une situation de dépendance ;
Au final, le ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique sollicite de la cour de :
- confirmer le jugement de la chambre commerciale du Tribunal de grande instance de Sarreguemines en ce qu'il a jugé que la rupture des relations commerciales mise en œuvre par la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH est brutale au sens de l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce ;
- confirmer que la rupture des relations commerciales mise en œuvre par la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH vis-à-vis de la SARL EMA constitue un trouble à l'ordre public économique ;
- confirmer en conséquence la condamnation de la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH à une amende civile de 40 000 euro ;
- condamner la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH au paiement au profit de l'Etat de la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH aux dépens ;
L'ordonnance de clôture a été différée du 3 mars 2016 au 10 mars 2016, en raison de l'existence de pourparlers transactionnels entre les parties.
SUR CE
Sur les désistements d'instance et d'action et d'appel de la SARL EMA et de la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH
Attendu qu'aux termes de l'article 384 du Code de procédure civile, l'instance s'éteint accessoirement à l'action par l'effet du désistement ;
Attendu par ailleurs que le désistement d'action n'a pas à être accepté si la partie adverse ne justifie pas d'un intérêt ;
Qu'en l'espèce, la SARL EMA se désiste tant de son action à l'égard de la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH que de l'instance la concernant, compte tenu de l'avènement d'un accord intervenu postérieurement au jugement entrepris ;
Attendu par ailleurs que si l'article L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce institue une responsabilité d'ordre public à laquelle les parties ne peuvent renoncer par anticipation, il ne leur interdit pas de convenir des modalités de la rupture de leur relation commerciale ou de transiger sur l'indemnisation du préjudice subi par suite de la brutalité de cette rupture ;
Attendu que la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH a accepté le désistement d'instance et d'action de la SARL EMA et s'est, à son tour, désistée de son appel ;
Qu'en revanche, l'acceptation par la DIRECCTE des désistements intervenus, d'ailleurs non contestés, n'a pas besoin d'être acceptée par cette dernière ;
Attendu qu'il résulte de l'article 401 du Code de procédure civile que " le désistement de l'appel n'a besoin d'être accepté que s'il contient des réserves ou si la partie à l'égard de laquelle il est fait a préalablement formé un appel incident ou une demande incidente. ";
Qu'en conséquence, il convient de déclarer le désistement d'instance et d'action de la SARL EMA et le désistement d'appel de la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH parfaits et d'en donner acte aux parties ;
Sur la demande formée par le ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique
S'agissant de la qualité pour agir du ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique et de la compétence territoriale de la chambre commerciale du Tribunal de grande instance de Sarreguemines et de la cour d'appel de Metz
Attendu qu'il résulte de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le fait par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de "rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Lorsque la rupture de la relation commerciale résulte d'une mise en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis est double de celle résultant de l'application des dispositions du présent alinéa dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de six mois, et d'au moins un an dans les autres cas" ;
Que le même article L. 442-6 III stipule que : "L'action est introduite devant la juridiction civile ou commerciale compétente par toute personne justifiant d'un intérêt, par le ministère public, par le ministre chargé de l'Economie ou par le président de l'Autorité de la concurrence lorsque ce dernier constate, à l'occasion des affaires qui relèvent de sa compétence, une pratique mentionnée au présent article.
Lors de cette action, le ministre chargé de l'Economie et le ministère public peuvent demander à la juridiction saisie d'ordonner la cessation des pratiques mentionnées au présent article. Ils peuvent aussi, pour toutes ces pratiques, faire constater la nullité des clauses ou contrats illicites et demander la répétition de l'indu. Ils peuvent également demander le prononcé d'une amende civile dont le montant ne peut être supérieur à 2 millions d'euros. Toutefois, cette amende peut être portée au triple du montant des sommes indûment versées ou, de manière proportionnée aux avantages tirés du manquement, à 5 % du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France par l'auteur des pratiques lors du dernier exercice clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques mentionnées au présent article ont été mises en œuvre. La réparation des préjudices subis peut également être demandée. Dans tous les cas, il appartient au prestataire de services, au producteur, au commerçant, à l'industriel ou à la personne immatriculée au répertoire des métiers qui se prétend libéré de justifier du fait qui a produit l'extinction de son obligation. La juridiction peut ordonner la publication, la diffusion ou l'affichage de sa décision ou d'un extrait de celle-ci selon les modalités qu'elle précise. Elle peut également ordonner l'insertion de la décision ou de l'extrait de celle-ci dans le rapport établi sur les opérations de l'exercice par les gérants, le conseil d'administration ou le directoire de l'entreprise.
Les frais sont supportés par la personne condamnée. La juridiction peut ordonner l'exécution de sa décision sous astreinte. Les litiges relatifs à l'application du présent article sont attribués aux juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret." ;
Attendu qu'il résulte de ces dispositions que le ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique a qualité pour agir dès lors qu'il peut être imputé une relation brutale des relations commerciales ;
Attendu que si l'article D. 442-3 du Code de commerce et le tableau de l'annexe 4-2-1 s'y référant ne prévoit pas la compétence des tribunaux du ressort de la Cour d'appel de Metz pour connaître de ce type de contentieux, avec appel devant la Cour d'appel de Paris, il convient de rappeler que la procédure a été introduite le 26 avril 2007 et qu'aux termes du décret n° 2009-1384 du 11 novembre 2009, en son article 8, la juridiction primitivement saisie demeure compétente pour statuer sur cette procédure dès lors qu'elle a été introduite avant la date d'entrée en vigueur du décret précité ;
Qu'en conséquence, la chambre commerciale du Tribunal de grande instance de Sarreguemines a été valablement saisie et la cour de céans est compétente pour statuer sur les appels interjetés contre la décision qu'elle a rendue ;
Sur l'exigence d'un trouble à l'ordre public pour asseoir la compétence pour agir du ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique
Attendu qu'il ne s'évince pas expressément du texte des articles L. 442-6 I et L. 442-6 III du Code de commerce que la constatation d'un trouble à l'ordre public soit une condition requise pour valider l'action du ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique ;
Que, cependant l'article L. 442-6 III prévoit que le ministre de l'Economie (ou l'Autorité de la concurrence) n'intervient que pour les "affaires qui relèvent de sa compétence", c'est-à-dire qu'il lui appartient d'assurer la protection générale d'un ordre public économique lié à la liberté des prix et au libre jeu de la concurrence mais aussi d'exercer une mission de police juridique pour une exacte et uniforme application des dispositions du Code de commerce afférentes aux deux principes énoncés et tenant à la libre et juste concurrence ;
Qu'en conséquence, contrairement à ce qui est affirmé dans le jugement entrepris, la démonstration de l'existence d'un trouble public à l'ordre public économique n'est pas simplement une cause d'aggravation de l'amende civile encourue par le contrevenant mais constitue le fondement même de cette dernière, ceci établissant par là-même l'autonomie de l'action de la personne privée victime à l'encontre de la responsabilité contractuelle ou délictuelle de son partenaire commercial, de l'action du ministre de l'Economie ;
Sur l'existence d'une rupture brutale des relations commerciales commise par la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH à l'encontre de la SARL EMA
* S'agissant des conditions présentant un caractère préliminaire
Attendu qu'il convient de rappeler que l'article L. 442-6 du Code de commerce confie au ministre de l'Economie une action autonome aux fins de protection du marché et de la concurrence (Cass. com., 16 décembre 2014, n° de pourvoi : 13-21.363) ;
Que la rupture brutale des relations commerciales suppose en premier lieu la qualité de producteur, d'industriel ou de commerçant de la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH ;
Attendu qu'il est constant que cette dernière produit des machines agricoles dont les valets de ferme mécaniques dont la SARL EMA était la concessionnaire exclusive en vertu du contrat conclu en 1983 ;
Qu'une telle activité, couplée au fait que la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH est immatriculée au registre du commerce du Tribunal de Paderborn (Allemagne) en qualité de commerçante, permet d'établir qu'il est satisfait au premier critère préliminairement requis pour l'examen d'une éventuelle rupture brutale des relations commerciales ;
Attendu qu'il est en outre exigé l'existence de relations commerciales établies entre les deux parties ;
Qu'en l'espèce, il ressort des pièces versées aux débats comme des écritures produites par les parties qu'elles ont été contractuellement liées du 9 décembre 1983 au 31 décembre 2007, la cessation des relations commerciales étant officiellement initiée le 20 mars 1987 avec effet immédiat mais de fait les relations se sont poursuivies jusqu'au 7 décembre 2006 avec préavis de rupture d'un an, soit jusqu'au 31 décembre 2007 ;
Que cependant, les relations commerciales peuvent être contractuelles ou post-contractuelles et il doit être admis que des contrats successifs ayant un objet identique constituent des relations commerciales au sens de l'article L. 442-6 I du Code de commerce et que lesdites relations peuvent avoir été formalisées par un écrit ou non ;
Qu'en l'espèce, tant au regard de la durée que de l'intensité des relations, il apparaît que l'exécution des accords passés entre la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH et la SARL EMA correspond à un courant d'affaires significatif d'au moins un million d'euros par an, ce qui révèle le caractère stable, suivi et même habituel des relations nouées par les deux entreprises et ce, même si l'on doit considérer que le premier contrat a été résilié le 20 mars 1987 mais réactivé aussitôt pour perdurer jusqu'en fin 2007;
Attendu qu'en outre le fait que par courrier du 8 janvier 2007, la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH ait affirmé à la SARL EMA qu'elle conservait son droit de distribution exclusive en France jusqu'au 31 décembre 2007 renforce davantage encore le caractère durable et intense des relations commerciales entre les deux parties ;
Qu'en conséquence, il existe bien une relation commerciale établie et continue entre les deux sociétés de 1983 à fin 2007 ;
* S'agissant de la détermination du caractère brutal de la rupture
Attendu que l'appréciation de la rupture doit se faire en fonction du type de relation commerciale établie et en fonction de l'objet du contrat et que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou de l'insuffisance de la durée de ce préavis au regard des relations commerciales antérieures ;
Attendu que la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH a accordé à la SARL EMA un préavis d'une année arrivant à expiration avant le 1er janvier 2008 et que durant cette période transitoire, la SARL EMA conserverait l'exclusivité de la distribution des produits Schaffer en France;
Qu'il doit être rappelé que la rupture des relations entre les deux sociétés, toujours à l'initiative de la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH, s'est produite en deux temps: d'abord le 20 mars 1987 mais que cette résiliation a été en quelque sorte annihilée par la poursuite des relations commerciales entre les deux parties, puis le 5 octobre 2006 par un courrier par lequel la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH informe la SARL EMA de sa décision définitive de mettre un point final à leur collaboration, courrier dont la SARL EMA reconnaît la transmission avant le 21 novembre 2006 ;
Que dès avant, le 27 septembre 2006, la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH avait trouvé un autre partenaire auquel était promis l'exclusivité de la distribution en France de ses machines, en l'occurrence la SARL Etablissements Ernest R. ;
Attendu néanmoins que le 7 décembre 2006, la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH fait part à la SARL EMA de sa décision de fixer l'expiration du délai de préavis au 31 décembre 2007; de sorte que le préavis contenu dans la lettre du 5 octobre 2006 est devenu sans effet ;
Qu'ainsi, il est acquis que les relations commerciales entre la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH et la SARL EMA ont duré 23 ans et ont été réellement rompu à compter du 7 décembre 2006 ;
L'importance de la relation commerciale entre les parties sur le chiffre d'affaires de la SARL EMA et l'état de dépendance par rapport à la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH
Attendu qu'il résulte des investigations menées par les services du ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique que les achats Schaffer ont représenté dans l'activité de la SARL EMA, un volume croissant de 1998 à 2002, puis une chute d'environ - 58 % pour l'exercice 2002-2003, puis sur les trois derniers exercices précédant la rupture, un volume toujours supérieur à un million d'euros mais ne représentant pas une hausse constante :
- exercice 2002/2003 : 1 024 147 euro ;
- exercice 2003/2004 : 1 442 450 euro ;
- exercice 2004/2005 : 1 269 045 euro ;
Qu'en revanche, le chiffre d'affaires de la SARL EMA n'a cessé de décliner sur les trois exercices considérés, avec respectivement : 3 687 997 euro, 3 293 234 euro, 2 263 159 euro, de sorte que la part du volume des achats réalisés par la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH dans le chiffre d'affaires de la SARL EMA n'a cessé de s'accroître, ce qui induit que l'activité déployée par la SARL EMA en dehors de ses relations commerciales avec la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH a fléchi de manière régulière sans que ce mouvement puisse être imputable à cette dernière ;
Attendu qu'en effet, pour les trois exercices considérés la part des achats de la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH dans le chiffre d'affaires de la SARL EMA a respectivement représenté 28 %, 44 % et 56 %, soit une moyenne pondérée sur les trois années en question d'environ 42 %, pourcentage qui se retrouve quasiment pour l'exercice 2007 qui correspond à celui du préavis donné par la Schaffer Maschinenfabrik GmbH ;
Attendu qu'il s'évince de ces données qu'il ne peut en être déduit l'existence d'une dépendance économique entretenue par la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH étant établie que la part du chiffre d'affaires de la SARL EMA qui décline le plus vite est sans lien avec l'activité tissée avec la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH ;
Attendu par ailleurs que si la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH était bien leader sur le marché des machines agricoles, spécifiquement des valets de ferme mécaniques commercialisés par la SARL EMA, elle n'avait pour autant aucune influence sur les 58 % de l'activité commerciale restante et dont il appert que la SARL EMA, pour des raisons non explicitées par cette dernière et par l'Etat français, n'a pas été en mesure de développer pour se placer dans une indépendance économique à l'égard de la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH, alors même que la SARL EMA était un distributeur multi-produits, non cantonné à la distribution des seuls produits Schaffer ;
La capacité de la SARL EMA à se repositionner sur le marché des machines agricoles
Attendu qu'il ressort des pièces versées aux débats que l'activité de la SARL EMA n'a jamais cessé et que même, à partir de mai 2008, les associés initiaux de cette entreprise ont créé au même siège social, une nouvelle société avec un objet social identique, société qui commercialise sur le même créneau que la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH avec la société néerlandaise Tobroco des valets de ferme mécaniques ;
Attendu que néanmoins, au seul regard de la durée des relations commerciales entre les deux sociétés en cause et de leur intensité, à savoir plus du tiers du chiffre d'affaires de la SARL EMA, la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH devait un délai de préavis qui devait être de 23 mois, de sorte que la rupture sera qualifiée de brutale s'il est établi que la SARL EMA n'a pas elle-même failli à ses propres obligations ;
Sur l'inexécution par la SARL EMA de ses propres obligations
Attendu qu'il ressort de la lettre adressée le 7 décembre 2006 par la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH à la SARL EMA que, contrairement aux énonciations figurant dans le jugement entrepris, la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH fait état d'un accord intervenu en janvier 2006 en vertu duquel elle devait effectuer la livraison de six machines par semaine toutes les deux semaines ;
Que de fait, aucune des parties ne conteste que cet engagement n'a pas été respecté ;
Qu'il ne saurait être imputé à la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH cette défaillance à partir du moment où il n'y a eu aucune rupture dans la chaîne de livraison mais que celle-ci est due au fait que la SARL EMA a demandé à diverses reprises une spécification des modèles correspondants et qu'il n'y a pas eu de spécification précise du volume de livraison pour les semaines planifiées ;
Que cette carence a entraîné un mécontentement des clients qui insistaient pour être livrés et qu'à cet égard, la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH a appelé l'attention de sa cocontractante les 11 avril 2006, 28 avril 2006 et 12 mai 2007;
Que de même, ce courrier fait expressément référence à une demande de transmission de prix valables pour le marché français en date du 11 juillet 2006 et à une proposition de rendez-vous, toutes deux n'ayant pas été honorées, la liste de prix étant finalement transmise le 5 octobre 2006, soit après la lettre de résiliation envoyée par la société allemande ;
Attendu que, si ce dernier point ne saurait constituer une inexécution de ses obligations par la SARL EMA à raison de la résiliation du contrat liant celle-ci à la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH intervenue le 20 mars 1987 et donc, de l'inapplicabilité des dispositions contractuelles en question aux relations extra-contractuelles poursuivies entre les parties, en revanche il est constant que la SARL EMA s'était engagée, hors contrat, à acheter à la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH au moins six machines par quinzaine et même au départ huit machines par quinzaine ;
Qu'il ne peut être soutenu valablement, au gré des griefs exposés, tantôt que le contrat de 1983 résilié depuis 1987 ne produit plus d'effet et tantôt affirmer que ce contrat agit dans les relations entre les parties pour justifier du non-respect de l'obligation d'acheter un certain nombre de machines par mois ;
Que la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH soutient, sans être valablement contredite, que de février 2006 à août 2006, la SARL EMA a commandé 43 machines au lieu des 84 machines prévues ;
Qu'en effet, il résulte d'un courrier en date du 12 octobre 2006 adressé à la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH que la SARL EMA écrit : " En ce qui concerne le chiffre d'affaires et la part de marché, une quantité de deux machines par mois était exigée à la conclusion du contrat général. En janvier 2006, nous avons convenu avec Monsieur B. d'une quantité de 6 machines tous les 15 jours et pour le démarrage d'une livraison de huit machines tous les 15 jours pour la constitution d'un stock. Ceci a bien démarré mais a été interrompu par vous en raison de difficultés relatives aux délais de livraison " ;
Qu'il ressort de ce courrier l'aveu de l'engagement pris par la SARL EMA en termes de commande, postérieur à la résiliation du 20 mars 1987 et donc non concerné par la force jugée évoquée par les premiers juges de l'arrêt rendu le 31 mai 2011 par cette Cour à propos du contrat originel du 9 décembre 1983;
Que par ailleurs, les difficultés relatives aux délais de livraison alléguées par la SARL EMA ne sont pas démontrées par elle mais qu'au contraire sont imputables à la SARL EMA qui n'a pas indiqué à son fournisseur les spécifications des machines qu'il fallait lui livrer, de sorte que la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH n'était pas en mesure de les fabriquer et, du coup, affectait ses salariés à la satisfaction d'autres commandes;
Qu'il apparaît, selon les pièces versées aux débats, qu'à trois reprises, les 11 et 28 avril 2006 et le 12 mai 2006, la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH a envoyé à la SARL EMA trois courriers avec la mention " urgent-urgent " afin de lui réclamer les spécifications des machines à livrer selon les prévisions convenues ;
Que sur ce point, force est de constater que dans ses conclusions, le ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique n'explique pas les carences de la part de la SARL EMA et ne rapporte pas la preuve de la commande des 84 machines prévues, de l'aveu même de cette dernière ;
Attendu qu'en conséquence, à raison de l'inexécution par la SARL EMA d'une partie de ses obligations, il doit être considéré que la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH était fondée à résilier sans préavis, conformément à l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce, les relations commerciales qu'elle avait avec la SARL EMA ;
Qu'il s'ensuit que la décision entreprise sera infirmée en ce qu'elle a condamné la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH à payer à l'Etat français une amende civile ;
Sur les autres demandes
Attendu que l'Etat français succombant en cause d'appel dans sa demande de confirmation de l'amende civile infligée par les premiers juges, il convient de le débouter de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile tant en première instance qu'en appel ;
Qu'il y a lieu, en application de l'article 696 du Code de procédure civile, de condamner l'Etat français aux dépens de première instance et d'appel incident.
Par ces motifs : LA COUR, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, sur les désistements entre la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH et la SARL Equipements Modernes Agricoles (EMA) donne acte à la SARL Equipements Modernes Agricoles (EMA) de son désistement d'instance et d'action ; donne acte à la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH du désistement de son appel dirigé contre la SARL EMA et de toute demande contre cette dernière ; donne acte à la SARL Equipements Modernes Agricoles (EMA) de son acceptation du désistement par la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH de son appel incident formé à son encontre et de toute demande contre elle ; donne acte à la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH de ce qu'elle accepte le désistement de la SARL EMA; dit que chaque partie conservera à sa charge les frais et dépens par elle exposés ; sur l'appel incident de la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH déclare l'appel incident de la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH concernant les condamnations prononcées à la demande du ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique recevable ; infirme le jugement entrepris dans ses dispositions relatives à l'instance incidente introduite par l'Etat français ; et statuant à nouveau, déboute le ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique des demandes formées à l'encontre de la société Schaffer Maschinenfabrik GmbH ; Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en première instance par ledit ministre ; déboute le ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique de sa demande en cause d'appel fondée sur l'application de l'article 700 du Code de procédure civile ; condamne le ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique aux entiers dépens de première instance et d'appel ; déboute les parties du surplus de leurs demandes, fins, moyens et conclusions plus amples ou contraires.