Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5-7, 1 décembre 2016, n° 2012-11639

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Colas midi méditerranée (SA)

Défendeur :

Ministre de l'Economie et des Finances, Autorité de la concurrence

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Douvreleur

Conseillers :

Mme Faivre, M. Le Donge L'Henoret

Avocats :

Mes Teydaut, Donnedieu de Vabre-Tranié

T. com. Toulouse, du 5 janv. 1998

5 janvier 1998

Faits et procédure

LA COUR est saisie du recours formé par la société Colas Midi Méditerranée contre la décision du Conseil de la concurrence n° 96-D-65 du 30 octobre 1996 relative à des pratiques relevées à l'occasion de la passation de marchés publics dans le secteur des travaux routiers, du terrassement, des canalisations et de l'assainissement dans le département du Var. Par cette décision, le Conseil de la concurrence a infligé des sanctions pécuniaires à 14 entreprises, dont la société requérante, pour s'être livrées, dans le cadre de ces marchés, à des pratiques prohibées par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 420-1 du Code de commerce.

Le Conseil avait été saisi, le 12 août 1990, par le ministre chargé de l'Economie, sur la base d'une enquête de ses services dans le cadre de laquelle les enquêteurs avaient, notamment, procédé à des visites et saisies dans les locaux de plusieurs entreprises, sur autorisation délivrée par une ordonnance du 15 juillet 1989 du président du Tribunal de grande instance de Draguignan. Saisi ultérieurement d'une demande d'annulation de ces opérations, ce magistrat l'avait, par ordonnance du 16 octobre 1996, jugée irrecevable comme tardive, pour n'avoir pas été introduite dans un délai de deux mois. Statuant sur les pourvois formés par deux sociétés, dont la société Colas Midi Méditerranée, la Cour de cassation a, par arrêt du 15 juin 1999, cassé et annulé cette ordonnance, en jugeant que le recours tendant à l'annulation des visites et saisies n'était enfermé dans aucun délai légal.

Elle a renvoyé l'affaire devant le Tribunal de grande instance de Toulon, mais il s'avère que cette juridiction n'a pas été saisie par les parties. Sur le fond, le Conseil de la concurrence a considéré qu'il était établi que les 14 entreprises en cause - qui avaient soumissionné à plusieurs appels d'offres lancés en 1987 et 1988 par le département du Var et les communes de Draguignan, Fréjus, Puget-sur-Argens, Arcs-sur-Argens et Tourrettes pour la réalisation de travaux routiers, de terrassement, de canalisation et d'assainissement - s'étaient concertées préalablement au dépôt de leurs offres et, par la décision du 30 octobre 1996 déférée devant la cour, il a, en conséquence, prononcé à leur encontre des sanctions pécuniaires. C'est ainsi qu'il a infligé une sanction pécuniaire de 2 500 000 F (soit 381 122 euros) à la société Colas Midi Méditerranée, pour s'être livrée à des pratiques anticoncurrentielles dans le cadre d'un appel d'offres pour la réalisation de grosses réparations de la voirie et d'aménagements de trottoirs à Fréjus et dans le cadre d'un appel d'offres pour l'aménagement d'un carrefour giratoire à la sortie est du Muy, en ayant dans les deux cas bénéficié d'une offre de couverture de la société Garnier Pisan. Il a, par ailleurs, infligé une sanction pécuniaire de 300 000 F (soit 45 734 euros) à la société Jean-François, aux droits de laquelle vient la société Colas Midi Méditerranée, pour s'être livrée à des pratiques anticoncurrentielles dans le cadre d'un appel d'offres pour l'aménagement et la construction d'un collecteur d'eaux pluviales pour la liaison CD 557-Nartuby et dans le cadre d'un appel d'offres pour l'aménagement du CD 557 entre le PK 53 000 et le PK 54 000, en ayant dans les deux cas bénéficié d'une offre de couverture.

Saisie d'un recours contre cette décision, la Cour d'appel de Paris a, par arrêt du 21 novembre 1997, rejeté les moyens de procédure soulevés, sursis à statuer jusqu'à ce qu'il soit justifié d'une décision judiciaire irrévocable concernant la régularité des visites et saisies et invité les parties à conclure sur les conséquences de ce que la décision déférée avait été délibérée par la commission permanente du Conseil de la concurrence. Le pourvoi formé contre cet arrêt a, par arrêt du 22 février 2000, été déclaré irrecevable par la Cour de cassation.

L'instance ayant été reprise en 2004, la Cour d'appel de Paris a, par arrêt du 16 novembre 2004, révoqué le sursis à statuer précédemment ordonné - en constatant la carence des parties qui n'avaient pas saisi le Tribunal de grande instance de Toulon -, annulé la décision déférée en raison de la participation du rapporteur et du rapporteur général au délibéré du Conseil de la concurrence et renvoyé à celui-ci l'examen des griefs notifiés aux parties.

Par arrêt du 31 janvier 2006, la Cour de cassation a jugé qu'il appartenait à la cour d'appel, après avoir annulé la décision du Conseil de la concurrence, de statuer en fait et en droit sur les demandes des parties; elle a, en conséquence, annulé l'arrêt, sauf en ce qu'il avait révoqué le sursis, et renvoyé les parties devant la Cour d'appel de Paris autrement composée.

Statuant sur ce renvoi, la Cour d'appel de Paris a, par arrêt du 16 juin 2009, annulé la décision du Conseil de la concurrence, au motif que le rapporteur et le rapporteur général avaient, en méconnaissance de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (ci-après article 6 § 1 CEDH), assisté au délibéré, rejeté comme mal fondé le recours dirigé contre l'ordonnance d'autorisation de visites et saisies prise par le président du Tribunal de grande instance de Draguignan le 15 juin 1989, rejeté comme irrecevables les contestations relatives aux opérations de visites et saisies et, enfin, infligé à la société Colas Midi Méditerranée, tant pour elle-même que venant aux droits de la société Jean-François, des sanctions pécuniaires de 350 000 euros et 45 000 euros.

Par arrêt du 26 juin 2011, la Cour de cassation a cassé et annulé cet arrêt dans toutes ses dispositions, au motif que " l'examen de l'existence de présomptions de pratiques anticoncurrentielles autorisant les visite et saisie par la même formation de jugement que celle appelée à statuer sur le bien-fondé des griefs retenus et de la sanction prononcée au titre de ces pratiques est de nature à faire naître un doute raisonnable sur l'impartialité de la juridiction ", et a renvoyé l'affaire devant la Cour d'appel de Paris autrement composée.

L'instance a été reprise à l'initiative de la société Colas Midi Méditerranée qui, pour elle-même et venant aux droits de la société Jean-François, a, par déclaration du 26 juin 2012, saisi la cour d'appel de Paris " d'un recours en contestation de l'ordonnance du président du Tribunal de grande instance de Draguignan en date du 15 juin 1989 ayant autorisé des visites et saisies sur le fondement de l'article 48 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 450-4 du Code de commerce " et " d'un recours en annulation et subsidiairement en réformation de la décision n° 96-D-65 du Conseil de la concurrence en date du 30 octobre 1996 relative à des pratiques relevées à l'occasion de la passation de marchés publics dans le secteur des travaux routiers, du terrassement, des canalisation et de l'assainissement dans le département du Var ".

Le magistrat délégué par le Premier président de la Cour d'appel de Paris a, par ordonnance du 3 juillet 2012, ordonné la disjonction de ces recours. Par arrêt du 30 octobre 2013, la Cour d'appel de Paris a rejeté le recours formé contre l'ordonnance d'autorisation du 15 juin 1989. La Cour de cassation a, par arrêt du 25 février 2015, rejeté le pourvoi que la société Colas Midi Méditerranée avait formé contre cet arrêt.

Le recours dirigé contre la décision du Conseil de la concurrence est l'objet de la présente instance.

LA COUR,

Vu la décision du Conseil de la concurrence n° 96-D-65 du 30 octobre 1996 relative à des pratiques d'ententes à l'occasion de la passation de marchés publics dans le secteur des travaux routiers, du terrassement, des canalisation et de l'assainissement dans le département du Var ;

Vu la déclaration de recours de la société Colas Midi Méditerranée, pour elle même et venant aux droits de la société Jean-François, en date du 26 juin 2012 ;

Vu les conclusions récapitulatives, en réplique et récapitulatives, additionnelles et en réplique de la société Colas Midi Méditerranée, en date des 15 octobre 2015, 7 avril et 30 mai 2016;

Vu les observations et les observations en réplique de l'Autorité de la concurrence en date des 21 janvier et 13 mai 2016 ;

Vu les observations du ministre chargé de l'Economie en date du 21 janvier 2016;

Vu l'avis du Ministère public en date du 30 mai 2016;

Après avoir entendu à l'audience publique du 4 juin 2016 les conseils de la requérante, qui a été mise en mesure de répliquer, ainsi que le représentant de l'Autorité de la concurrence, celui du ministre chargé de l'Economie et le Ministère public ;

SUR CE,

Sur la demande préliminaire tendant à ce que soient écartées les observations écrites déposées par l'Autorité de la concurrence

A titre préliminaire, la société Colas Midi Méditerranée demande à la cour d'écarter les observations écrites déposées dans la présente instance par l'Autorité de la concurrence, au motif qu'il en résulterait une atteinte à l'article 6 § 1 CEDH. A l'appui de cette demande, elle invoque deux arrêts rendus les 10 septembre 2014 et 10 septembre 2015 par la première Chambre civile de la Cour de cassation qui, ayant jugé que " l'exigence d'un procès équitable, au regard des principes d'égalité des armes et d'impartialité du juge, impose qu'une juridiction disciplinaire de première instance ne soit pas partie au recours contre ses propres décisions " et qu'au cas d'espèce le Conseil des ventes volontaires " qui prononce une sanction disciplinaire constitu[ait] une telle juridiction ", a cassé et annulé l'arrêt de la cour d'appel qui avait statué " au vu des observations écrites déposées " par ce conseil.

Mais force est de constater, en premier lieu, que si l'Autorité de la concurrence, lorsqu'elle prononce des sanctions pécuniaires à l'encontre d'entreprises s'étant livrées à des pratiques anticoncurrentielles, statue en " matière pénale " au sens de l'article 6 précité, avec les conséquences qui s'y attachent, elle a la nature non d'une juridiction, mais d'une autorité administrative, comme le prévoit expressément l'article L. 461-1 du Code de commerce.

En second lieu, la cour relève que les observations écrites de l'Autorité ont été déposées dans des conditions pleinement contradictoires et conformes aux règles du procès équitable, la société Colas Midi Méditerranée ayant, en particulier, eu la possibilité, dont elle a fait usage, d'y répliquer.

La demande de la société Colas Midi Méditerranée tendant à ce que soient écartées les observations écrites déposées par l'Autorité de la concurrence sera, en conséquence, rejetée.

Sur la demande d'annulation de la décision du Conseil de la concurrence

A titre principal, la société Colas Midi Méditerranée demande à la cour d'annuler la décision du Conseil de la concurrence qui lui est déférée et elle développe à cet effet quatre moyens d'annulation, tous tirés de l'article 6 § 1 CEDH. C'est ainsi qu'elle soutient que le recours ouvert à titre transitoire par l'ordonnance du 13 novembre 2008 - qui permet de contester devant la Cour d'appel de Paris les ordonnances d'autorisation de visite et saisie rendues antérieurement à l'entrée en vigueur de ce texte - est contraire à ce même article en ce que, d'une part, il n'offre pas les garanties d'un juge impartial, dans le cas où la Cour de cassation aurait rejeté le pourvoi formé contre l'ordonnance, et que, d'autre part, sa mise en œuvre n'est, en l'espèce, pas conforme à l'exigence de délai raisonnable. Elle invoque, par ailleurs, ce même délai raisonnable en ce qui concerne la procédure engagée en 1990 devant le Conseil de la concurrence, dont elle juge la durée excessive et attentatoire aux droits de la défense. Enfin, elle fait valoir que, comme l'a jugé la Cour de cassation dans son arrêt de principe du 5 octobre 1999, la présence du rapporteur et du rapporteur général au délibéré, contraire au principe de l'égalité des armes posé par cet article, entache de nullité la décision du Conseil.

Sur les moyens relatifs la conventionalité du recours transitoire institué par l'ordonnance du 13 novembre 2008

La société Colas Midi Méditerranée met en cause la conformité à l'article 6 § 1 CEDH du recours prévu à titre transitoire par l'article 5 IV alinéa 2 de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 portant modernisation de la régulation de la concurrence.

C'est ainsi qu'elle soutient, en premier lieu, que ce recours n'offre pas les garanties d'un juge impartial lorsque, comme en l'espèce, sont déjà intervenus un arrêt de rejet par la Cour de cassation du pourvoi formé contre l'ordonnance d'autorisation des visites et saisies et une décision de condamnation au fond. Elle fait valoir, en second lieu, que ce même recours ne répond pas en l'espèce à la condition de délai raisonnable au sens de l'article 6 § 1 précité, dès lors qu'elle n'a pu contester en fait et en droit l'ordonnance autorisant les visites et saisies que près de vingt ans après ces opérations. Elle demande, en conséquence, à la cour d'annuler pour ces motifs la décision déférée.

Il est constant que la société Colas Midi Méditerranée a précédemment soutenu ces mêmes moyens d'annulation dans le cadre du recours qu'elle a formé devant la Cour d'appel de Paris contre l'ordonnance d'autorisation de visites et saisies rendue le 15 juin 1989 par le président du Tribunal de grande instance de Draguignan. La cour d'appel ayant statué sur ces moyens par arrêt du 30 octobre 2013, frappé d'un pourvoi que la Cour de cassation a rejeté par arrêt du 25 février, il y a lieu de constater que la demande de la société Colas Midi Méditerranée se heurte à l'autorité de la chose jugée et qu'elle est irrecevable.

Sur le moyen tiré de la longueur de la procédure

La société Colas Midi Méditerranée soutient que la procédure est d'une durée excessive, contraire à l'exigence d'un délai raisonnable posée par l'article 6 § 1 CEDH, et qu'il en est résulté une " atteinte personnelle, effective et irrémédiable " à ses droits de la défense.

Elle fait valoir, d'abord, que l'instruction de l'affaire devant le Conseil de la concurrence a été " d'une durée anormalement longue ", comme en atteste, selon elle, la longueur des délais séparant, d'une part, la saisine du Conseil de la notification des griefs (3 ans), de la notification du rapport et du rapport complémentaire (5 ans et 7 mois) et de la décision (6 ans et 2 mois) et, d'autre part, la période des faits reprochés de la décision (8 ans). Elle observe, ensuite, que l'affaire n'est pas encore jugée, alors que la décision attaquée a été prise 20 ans auparavant par le Conseil de la concurrence.

S'agissant de la durée de la procédure devant le Conseil de la concurrence, la cour relève que c'est à tort que la société Colas Midi Méditerranée prétend que l'affaire " ne revêtait aucun caractère de complexité ". Il ressort au contraire du dossier des éléments de complexité justifiant pleinement les délais dans lesquels cette procédure s'est déroulée. C'est ainsi que le Conseil de la concurrence avait à connaître non d'une seule entente, mais de nombreuses pratiques concertées mises en œuvre dans le cadre de la passation de 13 marchés publics différents, dont certains étaient divisés en plusieurs lots, portant sur divers secteurs d'activité, ces marchés ayant donné lieu à des appels d'offres distincts, lancés par le département du Var et par plusieurs communes. Ces mêmes pratiques, par ailleurs, ont impliqué une multiplicité d'entreprises, au nombre de 14, qui étaient intervenues, à des degrés divers, dans un ou plusieurs de ces appels d'offres.

S'agissant de la procédure juridictionnelle qui a suivi la décision du Conseil, la société Colas Midi Méditerranée se borne à souligner que la décision déférée a été rendue il y a 20 ans, alors qu'il convient de rappeler que la Cour de Paris a rendu son premier arrêt dans cette affaire en 1997 et de constater que le délai qui s'est depuis écoulé a pour cause l'exercice - légitime - des voies de recours offertes aux parties et les évolutions jurisprudentielle et législative subséquentes.

En toute hypothèse, à supposer que la durée de la procédure ne réponde pas à la condition du délai raisonnable prévue par l'article 6 § 1 CEDH, il en résulterait, non la nullité de la décision déférée, mais la possibilité pour la requérante d'obtenir, le cas échéant, réparation du préjudice qu'elle aurait pu subir. Il n'en irait autrement que s'il était démontré une atteinte personnelle, effective et irrémédiable au droit de la société Colas Midi Méditerranée de se défendre; or, cette démonstration n'est nullement rapportée en l'espèce.

En effet, les griefs ont été notifiés aux entreprises en cause le 17 août 1993, de sorte que la société Colas Midi Méditerranée et la société Jean-François aux droits de laquelle elle vient, ont été, à cette date, informées, clairement et précisément, des faits qui leur étaient reprochés et se sont donc trouvées à même de préparer utilement leur défense, étant rappelé que la société Jean-François avait été, le 6 juillet 1989, l'objet de visite et saisie dans ses locaux. A cet égard, la requérante ne peut sérieusement soutenir que, les faits s'étant déroulés en 1988, il était alors trop tard, à la date de la notification des griefs, pour réunir les documents et témoignages qu'elle aurait jugé utiles à sa défense. Les entreprises en cause - et parmi elles, la société Colas Midi Méditerranée - ayant ensuite exercé, comme elles en avaient le droit, plusieurs recours, il appartenait à la requérante de garder à sa disposition les éléments et pièces réunis à l'appui de sa défense, dans l'attente qu'une décision définitive ait été rendue et mette fin à la procédure. Aussi est-ce en vain que la société Colas Midi Méditerranée affirme que les études effectuées en vue de la soumission aux marchés examinés et les agendas des personnes responsables " ne sont plus disponibles ", alors qu'elle avait, seule, la responsabilité de les conserver, au cas où elle aurait estimé qu'ils présentaient un intérêt en vue de faire valoir ses moyens et arguments devant les juridictions, étant d'ailleurs observé qu'elle n'indique ni la date jusqu'à laquelle elle détenait ces documents, ni les circonstances dans lesquelles elle en a perdu la disposition.

Il ressort de ces constatations que la société Colas Midi Méditerranée ne démontre pas en quoi les délais écoulés tant dans le cadre de la procédure menée devant le Conseil de la concurrence que depuis la décision de celui-ci ont porté à son droit de se défendre une atteinte personnelle, effective et irrémédiable. Le moyen d'annulation qu'elle soutient à ce titre sera donc rejeté.

Sur le moyen tiré de la présence du rapporteur et du rapporteur général au délibéré

Il est constant que, comme le fait valoir la société Colas Midi Méditerranée au soutien de sa demande d'annulation de la décision déférée, le Conseil de la concurrence a délibéré sur cette affaire en présence du rapporteur et du rapporteur général, comme le prévoyaient les dispositions, alors applicables, de l'article 25 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence.

Or, la participation au délibéré, serait-ce sans voix délibérative, du rapporteur ayant procédé aux investigations utiles pour l'instruction des faits dont le Conseil était saisi et du rapporteur général, sous le contrôle duquel cette instruction a été menée, est contraire aux exigences du procès équitable posées par l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ; il convient donc d'annuler la décision déférée.

Investie par le recours d'un pouvoir d'évocation, la cour doit dès lors statuer sur les griefs reprochés à la société Colas Midi Méditerranée et à la société Jean-François aux droits de laquelle elle vient.

La société Colas Midi Méditerranée soutient, cependant, que la cour ne peut en l'espèce faire usage de ce pouvoir. Elle fait valoir, en effet, que d'une façon générale la cour dispose, dans le cas où elle a annulé la décision déférée, d'un pouvoir d'évocation, c'est à la condition que la procédure d'instruction antérieure à la décision annulée ne soit pas remise en cause. Or, elle expose que tel est le cas, puisque cette procédure est, selon elle, irrégulière en ce que, d'une part, le rapporteur chargé de l'instruction avait, dès sa désignation, vocation à participer au jugement par sa présence au délibéré et que, d'autre part, certaines pièces ont été irrégulièrement saisies. Elle en conclut que, par voie de conséquence, les faits en cause sont prescrits.

Sur la régularité de la procédure d'instruction antérieure à la décision

La société Colas Midi Méditerranée fait valoir que le rapporteur chargé d'instruire l'affaire avait, dès sa désignation, " vocation à participer à un organe de jugement, par sa présence au délibéré ". Elle soutient qu'il en est résulté une confusion des fonctions d'instruction et de jugement et que " l'instruction des faits, atteinte d'ambiguïté, n'a pas été conduite dans le respect du droit à un procès équitable ". Elle en conclut que cette instruction est entachée d'irrégularité, de sorte que la cour ne peut exercer son pouvoir d'évocation.

Cette allégation n'est cependant étayée d'aucun élément qui en démontrerait la réalité. La présence du rapporteur et du rapporteur général au délibéré, si elle a entaché de nullité la décision qui s'en est suivie, est, en revanche, sans effet sur la procédure antérieure puisque, contrairement à ce qu'affirme la société Colas Midi Méditerranée, il n'en est résulté aucune confusion entre les fonctions d'instruction et de jugement, ni atteinte aux règles du procès équitable.

Sur la régularité de la saisie de certaines pièces ayant fondé la décision du Conseil de la concurrence

La société Colas Midi Méditerranée prétend que certaines pièces qui lui sont opposées ont été irrégulièrement saisies dans les locaux de la société Garnier Pisan, lors de la visite qui y a été effectuée le 6 juillet 1989. Elle fait valoir, en effet, d'une part, qu'un représentant de l'occupant des lieux qui a assisté seul à une partie de cette visite n'a pas signé le procès-verbal et, d'autre part, que ce procès-verbal ne précise pas dans quel bureau les documents saisis ont été découverts. Elle soutient qu'il appartient à la cour d'appel de constater ces irrégularités et d'en tirer les conséquences en annulant ce procès-verbal et les saisies qui ont été effectuées.

Il est établi que la société Colas Midi Méditerranée avait saisi de cette même demande, le 6 juin 1996, le président du Tribunal de grande instance de Draguignan qui, par ordonnance du 16 octobre 1996, l'avait jugée irrecevable comme présentée tardivement ; par arrêt du 15 juin 1999, la Cour de cassation a cassé et annulé cette ordonnance et renvoyé les parties devant le Tribunal de grande instance de Toulon. La société Colas Midi Méditerranée, cependant, s'est abstenue de saisir cette juridiction. Elle explique, en effet, que la Cour de cassation ayant rendu le 30 novembre 1999 un arrêt par lequel elle a jugé que la mission du magistrat ayant autorisé les visite et saisie prenait fin avec ces opérations et qu'il ne pouvait être saisi a posteriori d'une éventuelle irrégularité entachant ces opérations - une telle contestation relevant de la compétence des autorités ultérieurement appelées à statuer sur le fond -, elle ne pouvait plus saisir le président du Tribunal de grande instance de Toulon, comme elle s'apprêtait à le faire avant que cet arrêt soit rendu, " sauf à s'exposer à une irrecevabilité certaine ".

L'Autorité de la concurrence fait valoir que faute pour la société Colas Midi Méditerranée d'avoir saisi la juridiction de renvoi dans les quatre mois à compter de la notification de l'arrêt ou, à défaut de notification, dans le délai de péremption de l'instance de deux ans, l'ordonnance du président du Tribunal de grande instance de Draguignan en date du 16 octobre 1996 a acquis force de chose jugée et qu'en conséquence la régularité des visite et saisie ne peut plus être contestée.

Cette analyse doit, néanmoins, être écartée puisque dans le cas où la juridiction de renvoi après cassation d'un jugement n'a pas été saisie, au plus tard avant l'expiration d'un délai de quatre mois à compter de la notification de l'arrêt de cassation faite à l'initiative de l'une d'elles, les parties sont replacées dans l'état où elles se trouvaient avant le jugement cassé, de sorte que l'ordonnance du président du Tribunal de grande instance de Draguignan ne saurait en aucune façon être opposée à la société Colas Midi Méditerranée.

La cour rappelle, par ailleurs, qu'elle a annulé la décision du Conseil de la concurrence et qu'il lui incombe donc de statuer en fait et en droit sur les demandes de la requérante tendant à l'annulation de l'enquête et de l'instruction ayant conduit à cette décision et, le cas échéant, sur les griefs qui lui sont reprochés. La requérante soutient cependant que la cour est dans " l'impossibilité d'exercer son pouvoir d'évocation " pour les motifs, ci-dessus rappelés, tenant à l'irrégularité de la saisie des documents à laquelle il a été procédé dans le cours de la visite effectuée dans les locaux de la société Garnier Pisan. La cour ayant à apprécier la pertinence et la force probante de ces documents afin de déterminer si, et dans quelle mesure, ils concourent à établir la réalité des griefs reprochés, il lui revient donc, au préalable, de statuer sur les irrégularités qui, selon la société Colas Midi Méditerranée, en affecteraient la saisie.

Sur la signature du procès-verbal

Il ressort du dossier que les enquêteurs ont débuté leur visite des locaux de la société Garnier Pisan le 6 juillet 1989 à 10 h, en présence de Mme Paulette Pisan, directeur commercial de cette société, et que M. Max Pisan, président-directeur général, ne s'y est présenté qu'à 11h. Les enquêteurs ont dressé un procès-verbal de cette visite qui indique que la visite a été effectuée " en la présence constante de M Pisan Max, ou de son représentant Madame Pisan Paulette et Monsieur Pernet Alain ".

La société Colas Midi Méditerranée soutient que ce procès-verbal est nul en ce qu'il n'a été signé que par M. Max Pisan, et non par Mme Paulette Pisan qui a pourtant assisté seule à une partie de la visite, de 10h à 11h. Elle fait valoir, en effet, que lorsqu'au cours d'une visite plusieurs personnes se succèdent en qualité d'occupant des lieux ou de représentant de celui-ci, chacune d'entre elles doit attester par sa signature " du déroulement de la partie de l'opération à laquelle elle assiste ".

Aux termes de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et de l'article 32 du décret du 29 décembre 1986, l'un et l'autre applicables aux faits de l'espèce, les visites sont effectuées " en présence de l'occupant des lieux ou de son représentant " et le procès-verbal relatant ces opérations est signé par les enquêteurs, par l'officier de police judiciaire chargé d'assister à ces opérations et " par l'occupant des lieux ou son représentant ".

Tel a bien été le cas en l'espèce, puisque la visite s'est déroulée en présence de l'occupant des lieux, M. Max Pisan à partir de 11 h, et de son représentant, Mme Paulette Pisan de 10h à 11h. Dès lors, en apposant sa signature sur le procès-verbal, M. Max Pisan a, par là même, relevé Mme Paulette Pisan de son mandat. La société Colas Midi Méditerranée, au surplus, n'allègue aucun fait précis qui établirait que l'absence de signature du procès-verbal par Mme Paulette Pisan lui ferait grief ou que ce même procès-verbal ne relaterait pas fidèlement le déroulement de ces opérations.

Sur le défaut d'indication des bureaux dans lesquels les documents saisis ont été découverts

La société Colas Midi Méditerranée fait valoir que les enquêteurs ont visité trois bureaux et un local d'archives de la société Garnier Pisan et qu'ils ont saisi plusieurs documents. Elle observe que ni le procès-verbal qui a été dressé, ni l'inventaire qui lui est annexé ne précisent dans quels bureaux ces documents ont été découverts et elle en demande, en conséquence, l'annulation. Elle rappelle, à l'appui de cette demande, qu'aux termes de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 les inventaires et mises sous scellés sont réalisés conformément à l'article 56 du Code de procédure pénale, ce qui implique, selon elle, d'indiquer le lieu précis où l'objet saisi a été découvert. Elle soutient, par ailleurs, que l'absence de précision des bureaux dans lesquels ont été découverts les documents saisis est de nature à lui porter préjudice puisqu'une l'indication du lieu de la saisie d'un document " permet en effet, dans certains cas, d'apporter des indications sur son contenu ", ce qui s'avère impossible en l'espèce.

Aux termes de l'article 31 du décret du 29 décembre 1986, les procès-verbaux dressés par les enquêteurs " énoncent la nature, la date et le lieu des constatations (...) " . Le procès-verbal en cause satisfait à cette exigence du texte, le " lieu des constatations " s'entendant des locaux de la société Garnier Pisan où la visite a été effectuée. En revanche, il ne résulte d'aucune autre disposition l'obligation pour les enquêteurs de préciser dans le procès-verbal, à peine de nullité de celui-ci, dans quel bureau chaque document saisi a été découvert. A cet égard, c'est en vain que la société Colas Midi Méditerranée invoque l'article 56 du Code de procédure pénale, auquel renvoyait l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, puisqu'aucune disposition de ce texte - qui prévoit que " tous objets et documents saisis sont immédiatement inventoriés el placés sous scellés " - n'oblige le rédacteur du procès-verbal à mentionner, lorsque des documents ont été saisis dans les locaux d'une entreprise, l'endroit précis où ces documents ont été découverts.

Dans ces conditions, il convient de déterminer si, au cas particulier, l'absence de précision des bureaux dans lesquels les documents saisis ont été découverts laisse planer un doute sur leur origine ou s'il en est résulté une atteinte aux droits de la société Colas Midi Méditerranée. Or, force est de constater, d'une part, que nul ne conteste que les documents saisis ont, comme l'indique le procès-verbal, été découverts dans les locaux de la société Garnier Pisan de laquelle ils émanent et, d'autre part, que la société Colas Midi Méditerranée n'indique pas en quoi l'absence de précision qu'elle reproche serait susceptible de préjudicier à son droit de discuter la pertinence des documents saisis, au regard des griefs qui lui sont faits dans le cadre de la présente procédure, et la force probatoire qu'il convient de leur attacher.

Il résulte de l'ensemble de ces constatations que les irrégularités alléguées par la société Colas Midi Méditerranée ne sont pas démontrées.

Sur la prescription

La société Colas Midi Méditerranée soutient que l'instruction menée devant le Conseil de la concurrence étant irrégulière, aucun acte d'instruction interruptif de prescription n'a été valablement accompli pendant un délai de trois ans suivant la saisine du Conseil par le ministre chargé de l'Economie, le 21 août 1990, et elle en conclut que les faits sont prescrits depuis le 22 août 1993.

Mais la cour ayant jugé que la procédure antérieure à la décision déférée n'était entachée d'aucune irrégularité, les actes d'instruction qui ont été effectués ont interrompu la prescription, de sorte que le moyen de la société Colas Midi Méditerranée sera rejeté.

Sur le fond

Il est reproché aux sociétés en cause, au titre des griefs qui leur ont été notifiés, de s'être livrées à des pratiques anticoncurrentielles dans le cadre, s'agissant de la société Colas Midi Méditerranée, de deux marchés relatifs à des travaux de réparation de voirie et d'aménagement de trottoirs à Fréjus et à l'aménagement d'un carrefour giratoire au Muy et, s'agissant de la société Jean-François, de deux marchés relatifs à la liaison CD 557- Nartuby et à l'aménagement du CD 557 entre les points kilométriques 53 000 et 54 000.

La société Colas Midi Méditerranée soutient que les éléments retenus à l'appui de ces griefs sont dénués de toute force probante.

Sur la participation de la société Colas Midi Méditerranée à la concertation anticoncurrentielle concernant le marché des grosses réparations de voirie et d'aménagement de trottoirs à Fréjus

Composé de deux lots, ce marché a été attribué à la suite d'un appel d'offres lancé le 4 mai 1988 par la commune de Fréjus. Celle-ci a d'abord déclaré sa consultation infructueuse, au motif que les offres présentées étaient trop élevées par rapport à son estimation, et elle a procédé à une deuxième consultation à l'issue de laquelle le marché a été attribué au groupement composé des sociétés Colas Midi Méditerranée et Routière du Midi, dont l'offre était la moins disante.

Il ressort du dossier que lors de la visite des locaux de la société Garnier Pisan a été saisi un cahier récapitulant les marchés auxquels cette société avait soumissionné, chaque page étant divisée en dix colonnes indiquant, successivement, le marché concerné, la date de candidature, la date de son acceptation ou de son refus, la date de l'offre, son montant, la date de l'acceptation ou du refus, les deux dernières colonnes portant les mentions, respectivement, " bagarre " et " couverture ".

S'agissant du marché des grosses réparations de voirie et d'aménagement de trottoirs à Fréjus, ce cahier comportait dans la colonne " couverture " la mention suivante: " Majoration+ 26 % Couverture Colas-RM-SFTP ". Par ailleurs, au cours de la même visite, a été saisi un dossier afférent à ce marché, dont la page de garde portait la mention manuscrite " RM +Colas+ SFTP ".

Il résulte de ces constatations - dont la réalité matérielle n'est pas contestée par la société Colas Midi Méditerranée qui, en revanche, en discute la portée probatoire - des indices graves, précis et concordants qui établissent que les sociétés en cause ont échangé des informations préalablement au dépôt de leurs offres et que la société Garnier Pisan a déposé une offre de couverture qui a permis au groupement composé des sociétés Colas Midi Méditerranée et Routière du Midi d'emporter ce marché.

En effet, les intitulés " bagarre " et " couverture " de deux colonnes des tableaux figurant dans le cahier saisi dans les locaux de la société Garnier Pisan n'ont, à l'évidence, pas d'autre signification que de désigner par avance, d'une part, les appels d'offres auxquels cette société projetait de soumissionner de façon indépendante en se livrant à une véritable compétition avec ses concurrents (colonne " bagarre ") et, d'autre part, ceux auxquels elle avait décidé de répondre en s'entendant avec certains de ses concurrents et en déposant à leur profit une offre de couverture (colonne " couverture "). Le marché en cause entrait dans cette dernière catégorie, puisque la colonne " couverture " du tableau correspondant portait la mention " couverture Colas-RM-SFTP ", cohérente avec la mention " RM + Colas + SFTP " figurant sur la page de garde du dossier de ce même marché, le sigle " RM " désignant la société Routière du Midi, le tout signifiant que la société Garnier Pisan déposerait une offre de couverture au profit du groupement désigné.

Le rapprochement de ces mentions avec les résultats de la consultation ne laisse place à aucune ambiguïté, puisque la société Garnier Pisan a répondu à la première consultation en déposant une offre d'un montant supérieur à celle du groupement composé des sociétés Colas Midi Méditerranée et Routière du Midi (" RM "), lequel s'est trouvé être le moins-disant dans les deux consultations et s'est vu attribuer le marché.

La société Colas Midi Méditerranée dénie cependant toute force probante à ces documents et aux mentions qui y figurent. C'est ainsi qu'elle souligne, en premier lieu, qu'ils ne sont pas datés, qu'ils ont la même origine et qu'ils ne sont confortés par aucune autre pièce. Mais ces constats, contrairement à ce qu'affirme la requérante, ne sont pas de nature à affaiblir la force et la pertinence des indices ci-dessus relevés. En effet, s'agissant de documents de travail échappant, par définition, à tout formalisme, la question est de savoir s'ils comportent, par eux-mêmes, des indices suffisamment probants de la concertation reprochée. A cet égard, la cour a relevé plus haut le caractère très explicite des mentions qui y figurent, notamment les intitulés " bagarre " et " couverture " de deux des colonnes du tableau récapitulant les marchés, les mentions " Couverture Colas-RM-SFTP ", figurant dans la colonne " couverture ", et " RM +Colas+ SFTP " portée sur l'autre document. S'il est de fait que ces documents ne sont pas " confortés " par d'autres pièces, leur signification est confirmée par les résultats mêmes de la consultation.

En deuxième lieu, la société Colas Midi Méditerranée fait valoir que la société SFTP, citée dans les documents, a soumissionné seule et n'était pas membre du groupement attributaire du marché. Mais cette circonstance, sans qu'on puisse en tirer d'autres conséquences, démontre seulement que les documents en cause ont été établis avant la remise des offres, ce en quoi l'échange d'informations qu'ils retracent est condamnable, et que la société SFTP n'a finalement pas fait partie du groupement au profit duquel la société Garnier Pisan a déposé une offre de couverture.

En troisième lieu, la société Colas Midi Méditerranée souligne que la société Garnier Pisan n'a pas participé à la deuxième consultation, et qu'on ne peut donc faire grief à celle-ci d'avoir déposé une offre de couverture. Cet argument est cependant inopérant puisque les agissements reprochés à cette société sont liés non à la deuxième consultation, mais à la première consultation, dans le cadre de laquelle les indices relevés établissent la réalité de la concertation à laquelle les protagonistes de l'entente se sont livrés en convenant que la société Garnier Pisan déposerait une offre de couverture.

En quatrième lieu, la société Colas Midi Méditerranée soutient que le fait d'avoir pris part au groupement qui a soumissionné à l'appel d'offres ne constitue pas un indice de sa participation à des échanges d'informations préalablement au dépôt des offres. Sans doute, la participation à un groupement en vue de la soumission à un appel d'offres n'est-elle nullement contraire, par elle-même, au droit de la concurrence. Mais les indices ci-dessus ne sont pas retenus par la cour en ce qu'ils révèleraient un échange d'informations entre les sociétés membres du groupement, qui n'est naturellement pas condamnable dès lors qu'il est admis qu'un groupement d'entreprises peut participer, en tant que tel, à un appel d'offres ; en revanche, ils établissent que les entreprises membres de ce groupement ont échangé des informations avec des sociétés tierces à ce groupement, préalablement au dépôt de leurs offres, faussant ainsi le libre jeu de la concurrence.

Il en résulte que le grief notifié à la société Colas Midi Méditerranée est établi.

Sur la participation de la société Colas Midi Méditerranée à la concertation anticoncurrentielle concernant le marché d'aménagement d'un carrefour giratoire à la sortie Est du Muy

A l'issue d'un appel d'offres lancé par le département du Var le 2 mai 1988, ce marché a été attribué à l'entreprise la moins-disante, la société GTPV. Parmi les entreprises soumissionnaires figuraient, notamment, la société Garnier Pisan et le groupement formé par les sociétés Colas Midi Méditerranée et Jean Lefèvre. L'offre faite par ce groupement l'avait placé en deuxième position, derrière la société GTPV, attributaire du marché, et devant la société Garnier Pisan.

Il ressort du dossier que le tableau figurant dans le cahier saisi lors de la visite des locaux de la société Garnier Pisan comportait, dans la colonne " couverture ", face à la désignation de ce marché, la mention " Colas 50 % Jean Lefebvre 50 % ". Par ailleurs, le dossier afférent à ce marché, saisi dans les mêmes circonstances, comportait sur sa page de garde la mention " Colas-Jean Lefèvre 50 % 50 % ".

La société Colas Midi Méditerranée considère que ces documents et leurs mentions sont dénués de toute force probante et ne suffisent pas à établir sa participation à un échange d'informations entre entreprises.

Cependant, contrairement à ce qu'allègue la société Colas Midi Méditerranée, ces documents et leurs mentions constituent des indices graves, précis et concordants qui établissent que les sociétés Colas Midi Méditerranée, Jean Lefèvre et Garnier Pisan ont échangé des informations préalablement au dépôt de leurs offres et que la société Garnier Pisan a déposé une offre de couverture au profit du groupement. En effet, ces mentions signifient, sans qu'aucune autre interprétation soit possible, que les sociétés Colas et Jean Lefèvre - membres du groupement et ayant donc vocation à se partager le marché à " 50-50% " - et la société Garnier Pisan étaient convenues que celle-ci déposerait une offre de couverture, tel ayant été le cas puisque son offre s'est trouvée classée après celle du groupement.

Par ailleurs, la société Colas Midi Méditerranée rappelle que huit offres ont été remises et que leur classement s'établit ainsi :

GTPV (1 172 194 F TTC)

Groupement Colas Midi Méditerranée et Jean Lefèbvre (1 220 915 F TTC)

Sacer (1 227 823 F TTC)

Bouclier Chatrousse (1 319 368 F TTC)

STCM (1 355 076 F TTC)

RBTP (1 357 701 F TTC)

Garnier Pisan (1 361 154 F TTC)

SEET A (1 392 055 F TTC)

Elle souligne que le groupement qu'elle formait avec la société Jean Lefèvre n'était pas le moins-disant et que la société Garnier Pisan n'avait pas remis l'offre la plus élevée.

Elle en conclut que ces constatations contredisent le grief de concertation anticoncurrentielle pour lequel elle a été sanctionnée.

Mais contrairement à ce qu'affirme la société Colas Midi Méditerranée, ces constatations n'affaiblissent nullement la démonstration de l'entente qui lui est reprochée. Le fait que le groupement n'ait pas été le moins-disant, mais seulement le deuxième, et que la société Garnier Pisan n'ait pas remis l'offre la plus élevée, mais seulement l'avant-dernière, prouve simplement que les autres sociétés soumissionnaires n'ont pas participé aux échanges d'information en cause et que seules les sociétés Colas Midi Méditerranée, Jean Lefèbvre et Garnier Pisan ont entrepris de fausser la concurrence. Si, dans ces conditions, l'offre de couverture de la société Garnier Pisan ne pouvait procurer au groupement la certitude d'emporter le marché - faute que tous les concurrents aient participé à l'entente - cette circonstance ne fait disparaître en rien l'objet anticoncurrentiel de leurs échanges d'informations. Le grief notifié au titre de ce marché à la société Colas Midi Méditerranée est donc établi.

Sur la participation de la société Jean-François à la concertation anticoncurrentielle concernant le marché d'aménagement et de construction d'un collecteur d'eaux pluviales pour la liaison CD 557-Nartuby

La ville de Draguignan a lancé le 28 janvier 1988 pour la conclusion de ce marché un appel d'offres auquel ont été admises à concourir les sociétés Bertrand, Bonna, Borel, Colas Midi Méditerranée, Garnier Pisan, Gerland, Jean-François, Laget, Lefèbvre, Marion, Matière, Screg, RBTP, Routière du Midi, STCM et Triverio. Ce marché a été attribué au groupement formé par les sociétés Laget, Bonna et Jean-François, dont l'offre était la moins-disante.

Il ressort du dossier que le tableau figurant dans le cahier saisi lors de la visite des locaux de la société Garnier Pisan comporte, dans la colonne " couverture ", face à la désignation de ce marché, la mention suivante ;

"Laget + Bonna

"Laget redevable de 3 000 000 F H T.

" (Terrassement-Pluvial) ".

Au cours de cette même visite, a été saisi le devis estimatif de société Garnier Pisan, sur la première page duquel figurait la mention " couverture Laget, J.F., Banna-Laget. Il m'est redevable de 3 000 000 F H. T. de travaux (terr emt, pluvial) ", étant précisé qu'il n'est pas contesté que le sigle " J.F. " désigne la société Jean-François.

En outre, ont été saisis dans les locaux de la société Laget, d'une part, le devis présenté par le groupement auquel cette société participait avec les sociétés Banna et Jean-François, mais aussi des copies ou brouillons d'autres devis portant, sur leur première page, les noms des sociétés Bertrand, Borel, Marion la Garde, Pisan, RBTP, STCM et Triverio. Le dirigeant de la société Laget a indiqué que les devis portant les noms des sociétés Borel, Marion et STCM avaient été rédigés par son fils. Les prix portés sur chacun de ces devis étaient identiques, ou très proches de ceux enregistrés par la commission d'appel d'offres, comme le montre le tableau récapitulatif ci-dessous:

[TABLEAU]

La cour observe que l'existence de différences entre, d'une part, les montants figurant sur les devis saisis chez l'entreprise Laget et portant le nom des sociétés Borel, Bertrand et Triverio et, d'autre part, les montants des offres effectivement présentées par ces mêmes sociétés exclut que ces devis aient pu être établis après les résultats de l'appel d'offres. La même conclusion doit être tirée en ce qui concerne les devis portant le nom des sociétés RBTP et STCM, puisque celles-ci n'ont pas présenté d'offres. En conséquence, les montants figurant sur ces devis, dont certains étaient rédigés par un représentant de l'entreprise Laget, qu'ils diffèrent légèrement de ceux figurant dans les offres ou qu'ils soient identiques à ceux-là - s'agissant du groupement formé par les sociétés Laget, Bonna et Jean-François et des sociétés Garnier Pisan et Marion -, n'ont pu résulter que d'échanges d'informations préalables au dépôt des offres.

Cette conclusion est confortée par les mentions figurant dans les documents saisis au siège de l'entreprise Garnier Pisan - tant le cahier avec sa colonne " couverture " que son devis estimatif - qui indiquent, sans qu'aucune autre signification ne puisse leur être donnée, que cette société entendait déposer une offre de couverture au profit du groupement, tel ayant d'ailleurs été le cas puisque son offre a été classée après celle du groupement.

La société Colas Midi Méditerranée soutient qu'aucun de ces éléments n'établit la participation de la société Jean-François à la prétendue concertation des entreprises soumissionnaires préalablement au dépôt de leurs offres. Elle souligne, en particulier, que le nom de la société Jean-François n'apparaît que sur le devis estimatif saisi dans les locaux de la société Garnier Pisan et qu'on ne saurait déduire du fait qu'elle a été membre du groupement formé avec les sociétés Laget et Bonna qu'elle aurait, " librement et volontairement ", participé à cette concertation.

De fait, la société Jean-François n'est pas citée dans la colonne " couverture " du tableau figurant dans le cahier de la société Garnier Pisan, les sociétés Laget et Bonna étant seules mentionnées dans cette colonne. Mais cette mention - qui traduit sans doute possible le projet d'une offre de couverture déposée par la société Garnier Pisan - doit être rapprochée de celle portée sur le devis estimatif de cette dernière société, avec laquelle elle est cohérente, et qui est ainsi rédigée : " couverture Laget, JF, Bonna-Laget (...) ". Il en ressort que la société Jean-François devait être bénéficiaire, en tant que membre du groupement formé avec les sociétés Laget et Bonna, de l'offre de couverture déposée par la société Garnier Pisan. Cette concertation a d'ailleurs été suivie d'effet, puisque l'offre que la société Garnier Pisan a déposée a été classée immédiatement après celle du groupement qui a emporté le marché, son offre étant la moins-disante. Enfin, la phrase " Il m'est redevable de 3 000 000 F H. T. de travaux (terr emt, pluvial) ", qui figure sur le devis estimatif de la société Garnier Pisan après les mot " couverture Laget, J.F., Bonna-Laget ", s'applique à l'évidence non, comme le prétend la société Colas Midi Méditerranée, à la seule société Laget, mais au groupement qu'elle formait avec les sociétés Jean-François et Bonna.

Si, comme le fait valoir la requérante, la seule appartenance de la société Jean-François au groupement bénéficiaire de l'offre de couverture ne permet pas de présumer sa participation à la concertation en cause, les constatations ci-dessus démontrent que cette société n'a pas pu contribuer, comme membre de ce groupement, à l'offre qu'elle a présentée avec les sociétés Laget et Bonna sans être partie prenante aux échanges d'informations qui l'ont précédée. Le grief qui lui a été notifié à ce titre est donc établi.

Sur la participation de la société Jean-François à la concertation anticoncurrentielle concernant le marché pour l'aménagement du CD 557 entre le point kilométrique 53 000 et le point kilométrique 54 000

L'appel d'offres pour la réalisation de ce marché, qui comprenait deux lots, a été lancé le 29 janvier 1988 par le département du Var et la ville de Draguignan. Treize entreprises ont déposé une offre et les deux lots ont été attribués au groupement formé par les sociétés Laget, Bonna et Jean-François, dont les offres étaient les moins-disantes, les offres de la société Garnier Pisan l'ayant classée en cinquième position.

Il ressort du dossier qu'a été saisi dans les locaux de la société Garnier Pisan un devis estimatif portant la mention manuscrite " GP ", comportant des montants identiques à ceux figurant dans l'offre de cette société pour le premier lot. Ce devis était rédigé de l'écriture figurant sur les devis saisis chez l'entreprise Laget, dont le dirigeant, comme la cour l'a rappelé plus haut, a indiqué qu'elle était celle de son fils. Par ailleurs, deux autres documents saisis dans les mêmes circonstances avaient trait à ce marché : la chemise concernant ce marché, qui comportait sur sa page de garde la mention " Laget Jean Lefèvre ", et le cahier comportant le tableau récapitulant les marchés et comportant, dans la colonne " couverture ", les mentions " Laget " et " Lefèvre ". Ces constatations établissent que la société Garnier Pisan a élaboré et déposé son offre en concertation avec le groupement et au profit de celui-ci. En revanche, il n'en résulte pas avec un degré de certitude suffisant que la société Jean-François, qui s'est finalement substituée dans le groupement à la société Jean Lefèvre, a personnellement pris part, le moment venu, à cette concertation. Le grief qui lui avait été notifié de ce chef ne sera donc pas retenu.

Sur les sanctions

Les sanctions pécuniaires qui seront prononcées en répression des pratiques anticoncurrentielles établies par les constatations ci-dessus doivent être déterminées conformément aux dispositions, applicables à l'époque des faits, de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence. Ce texte fixait le montant maximum de la sanction encourue, pour une entreprise, à 5 % du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos, la Cour de cassation ayant jugé que celui-ci s'entendait du dernier exercice clos au jour où le Conseil de la concurrence statue.

Dans ses écritures, la société Colas Midi Méditerranée demande à la cour d'annuler la décision du Conseil de la concurrence au motif que ces mêmes dispositions, ultérieurement reprises par l'article L. 464-2 du Code de commerce, seraient contraires aux principes de légalité et de prévisibilité de la peine consacrés par l'article 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, puisqu'au moment où sont commises des pratiques anticoncurrentielles, les entreprises qui en sont les auteurs sont dans l'impossibilité de prévoir le chiffre d'affaires qu'elles réaliseront lors du dernier exercice qui sera clôturé avant la décision du Conseil de la concurrence et ignorent donc quel est le montant maximum de la sanction qu'elles encourent. S'il n'y a plus lieu de statuer sur cette demande, la décision déférée ayant été annulée, la cour relève que cette argumentation n'est pas confirmée par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme qu'invoque la requérante et, de surcroît, qu'elle est contraire au principe d'individualisation de la sanction et pourrait aboutir à des résultats iniques, dans le cas, par exemple, où le chiffre d'affaires de l'auteur d'une pratique anticoncurrentielle chuterait substantiellement après la commission des faits.

Dans ces conditions, et conformément à l'article 13 précité, la cour retiendra comme assiette du plafond de la sanction pécuniaire, le chiffre d'affaires réalisé par les mises en cause au cours de l'exercice 1995, soit 126 183 513,71 euros (827 709 591 F) pour la société Colas Midi Méditerranée ct 15 621 352,47 euros (102 469 355 F) pour la société Jean-François. C'est donc dans la limite de 5 % de ces valeurs qu'il convient de fixer le montant de la sanction pécuniaire qui leur sera infligée. Cette détermination se fera conformément aux dispositions de l'article 13 de l'ordonnance de 1986, applicable à la présente espèce, qui prévoyait que " les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné (...) ".

Si l'ancienneté des faits, que souligne la société Colas Midi Méditerranée, ne peut être discutée, pas plus que leur caractère local, les pratiques en cause n'en sont pas moins, en elles-mêmes, d'une gravité certaine en ce qu'elles tendaient à fausser le jeu normal de procédures d'appels d'offres et à porter atteinte à l'utilisation optimale des fonds publics.

S'agissant du dommage à l'économie, il convient de l'apprécier au regard du montant des marchés ci-dessus examinés, pour la conclusion desquels les sociétés Colas Midi Méditerranée et Jean-François se sont livrées aux pratiques en cause, et de la circonstance que ces pratiques n'ont pas toujours impliqué l'ensemble des soumissionnaires.

Au vu de l'ensemble de ces éléments et constatations, la cour fixe à 350 000 euros le montant de la sanction pécuniaire infligée à la société Colas Midi Méditerranée, et à 22 500 euros le montant de la sanction pécuniaire infligée à cette même société au titre des griefs établis à l'encontre de la société Jean-François.

Enfin, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de la société Colas Midi Méditerranée tendant à la condamnation du Ministre chargé de l'économie au paiement de la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : Rejette la demande de la société Colas Midi Méditerranée tendant à ce que soient écartées les observations écrites de l'Autorité de la concurrence; Annule la décision n° 96-D-65 du Conseil de la concurrence du 30 octobre 1996 en tant qu'elle concerne les sociétés Colas Midi Méditerranée et Jean-François; Statuant à nouveau, Juge que les sociétés Colas Midi Méditerranée et Jean-François ont enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du !er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence ; lnflige à la société Colas Midi Méditerranée la sanction pécuniaire de 350 000 euros et, en tant qu'elle vient aux droits de la société Jean-François, la sanction pécuniaire de 22 500 euros ; Rejette la demande de condamnation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Colas Midi Méditerranée aux dépens de l'instance.