CA Dijon, 2e ch. civ., 24 novembre 2016, n° 15-02122
DIJON
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Stone design (SARL)
Défendeur :
Euro Pierres et Marbres (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Vautrain
Conseillers :
M. Wachter, Mme Lavergne-Pillot
Avocats :
Mes Gerbay, Guidoux, Gerbeau
Par acte sous seing privé en date du 28 septembre 2000, la SARL Euro Pierres et Marbres a conclu avec la SARL Stone Design un contrat aux termes duquel elle lui concédait la distribution exclusive des pierres extraites de la carrière qu'elle exploite à Coulmiers le Sec.
Ce contrat, conclu pour une durée initiale de 5 années, a été renouvelé une première fois pour une nouvelle période de cinq années se terminant le 5 octobre 2010, puis une seconde fois, pour une nouvelle période de cinq ans devant se terminer le 5 octobre 2015.
Par jugement rendu le 17 janvier 2013, le Tribunal de commerce de Dijon a constaté la résolution du contrat au 5 octobre 2010, condamné la société Stone Design à payer à la société Euro Pierres et Marbres la somme de 100 000 euro de dommages intérêts, et dit que la société Stone Design pourra déduire de son paiement le montant de son compte courant d'associé, soit la somme de 21 303,80 euro et ne régler à la société Euro Pierres et Marbres que la différence, soit la somme de 78 696,20 euro.
Par arrêt du 15 janvier 2015, la Cour d'appel de Dijon a infirmé ce jugement en ce qu'il avait constaté la résolution du contrat liant les deux sociétés à la date du 5 octobre 2010, a prononcé la résolution du contrat de distribution exclusive aux torts exclusifs de la société Stone Design, et a confirmé les dispositions financières du jugement déféré.
Le 10 juin 2015, la société Euro Pierres et Marbres a fait signifier cet arrêt à la société Stone Design et lui a fait commandement de payer la somme de 82 968,68 euro.
Par exploit du 2 octobre 2015, faisant valoir qu'il résultait du contrat qu'à son terme, pour quelque cause que ce soit, la société Euro Pierres et Marbres s'engageait à racheter les stocks de pierres invendus par son distributeur, au dernier tarif en vigueur entre elles, la société Stone Design a fait assigner la société Euro Pierres et Marbres devant le juge des référés du Tribunal de commerce de Dijon aux fins de la voir condamnée à lui payer la somme provisionnelle de 67 506,19 euro TTC au titre de son obligation de racheter les stocks de pierres encore détenus par l'ancien distributeur, et à récupérer ces stocks de pierre à ses frais, sous astreinte de 700 euro par jour de retard passé un délai de 10 jours suivant la signification de l'ordonnance. La société Stone Design a sollicité en outre qu'il soit jugé que la créance en principal détenue par la société Euro Pierres et Marbres en vertu de l'arrêt du 15 janvier 2015 se compensait avec celle de la société Stone Design résultant de la rétrocession du stock de pierres.
La société Euro Pierres et Marbres s'est opposée à ces demandes en faisant valoir qu'elle se heurtait à une contestation sérieuse tenant à l'absence de caractère contradictoire de l'établissement du tableau récapitulant les invendus, ainsi qu'à l'existence d'un déséquilibre dans les obligations contractuelles méritant une interprétation relevant de l'appréciation du juge du fond.
Par ordonnance du 18 novembre 2015, considérant que pour trancher les contestations soulevées par la défenderesse il était nécessaire d'interpréter la commune intention des parties, ce qui impliquait un examen du fond, le juge des référés :
- a constaté son défaut de pouvoir ;
- a dit n'y avoir lieu à référé ;
- a dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile au profit tant de la SARL Stone Design que de la SARL Euro Pierres et Marbres ;
- a condamné les parties aux entiers dépens partagés.
La société Stone Design a relevé appel de cette décision le 7 décembre 2015.
Par conclusions notifiées le 22 décembre 2015, l'appelante demande à la cour :
Vu l'article 873 du Code de procédure civile,
Vu les articles 1289 et 1290 du Code civil,
- d'infirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
Et statuant à nouveau :
- de condamner la société Euro Pierres et Marbres au paiement par provision de la somme de 67 506,19 euro TTC au titre de son obligation de racheter les stocks de la société Stone Design au terme du contrat ;
- de condamner sous astreinte de 700 euro par jour de retard, la société Euro Pierres et Marbres à récupérer à ses frais les stocks de blocs de pierre situés dans les locaux de la société Stone Design dans un délai de 10 jours suivant la signification de l'ordonnance à intervenir ;
- de dire et juger que la créance en principal détenue par la société Euro Pierres et Marbres au titre des condamnations prononcées par l'arrêt du 15 janvier 2015 soit la somme de 82 196,20 euro se compense avec la créance de 67 506,19 euro TTC détenue par la société Stone Design au titre de la rétrocession du stock résultant de la résiliation du contrat ;
- de condamner la société Euro Pierres et Marbres au versement de la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.
Par conclusions notifiés le 9 mai 2016, la société Euro Pierres et Marbres demande à la cour :
Constatant que la société Stone Design réclame à tort une somme TVA comprise,
Constatant qu'au soutien de sa prétention, elle produit un tableau récapitulatif du stock non établi contradictoirement,
Constatant que l'article 9 du contrat de distribution exclusive mérite une interprétation au fond,
Constatant que les contrats conclus les 28 septembre et 4 octobre 2000, d'une part et, le 26 août 2004 d'autre part, ont épuisé leurs effets,
- de dire et juger qu'il existe des difficultés sérieuses excluant la compétence du juge des référés ;
En conséquence,
Rejetant toutes conclusions contraires,
- de confirmer l'ordonnance entreprise et de débouter la société Stone Design de l'intégralité de ses chefs de prétentions ;
- de la condamner à payer à la société Euro Pierres et Marbres la somme de 5 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter l'intégralité des dépens, tant de première instance que d'appel.
La clôture de la procédure a été prononcée le 20 septembre 2016.
Sur ce, LA COUR,
Vu les dernières écritures des parties auxquelles la cour se réfère,
Pour solliciter l'infirmation de l'ordonnance déférée, la société Stone Design fait valoir que l'obligation faite à l'intimée de racheter les pierres restées en possession du distributeur n'est pas sérieusement contestable dès lors qu'elle résulte d'une stipulation contractuelle parfaitement claire comme n'étant susceptible d'aucune interprétation.
La clause contractuelle litigieuse (article 9.3 du contrat du 28 septembre 2000, reconduit à l'identique conformément à l'avenant du 26 août 2004, puis par tacite reconduction) est libellée de la manière suivante : " Les stocks de produits en bon état et de qualité marchande, détenus et payés par le distributeur au terme ou à la date d'effet de la résiliation du présent contrat seront repris par le producteur et payés au prix alors en vigueur, les frais de transport étant alors de convention expresse à la charge de ce dernier. "
Cette clause est effectivement claire quant à son objet et à ses conditions de mise en œuvre.
C'est vainement que l'intimée, dont l'argumentation a pourtant été suivie sur ce point par le premier juge, soutient que l'application de cette clause se heurterait à une contestation sérieuse en ce qu'elle rendrait nécessaire une interprétation préalable du contrat au regard du déséquilibre des obligations contractuelles qui en résulterait. En effet, la société Euro Pierres et Marbres ne justifie pas en quoi la clause litigieuse serait léonine, alors qu'il doit au contraire être observé qu'elle s'inscrit parfaitement dans l'économie générale du contrat de distribution exclusive, et qu'elle a précisément pour objet, en imposant au producteur de reprendre les matériaux non encore vendus par le distributeur en indemnisant celui-ci du prix qu'il en avait payé, de préserver tant les intérêts du producteur, qui aura ainsi la garantie qu'après le terme du contrat, quelle qu'en soit la cause, le distributeur ne pourra plus matériellement diffuser ses produits, que ceux du distributeur, qui n'aura pas à supporter l'immobilisation d'un stock de pierres dont la revente lui serait interdite.
Le déséquilibre invoqué ne peut pas plus résulter du fait que le contrat ne prévoit aucune exception à l'applicabilité de cette clause, notamment en considération des responsabilités respectives des parties dans la résiliation du contrat, dès lors qu'elle a pour seul objet de régler sur un plan purement matériel les effets de l'arrivée du terme du contrat, indépendamment des dommages subis à cette occasion qui font l'objet, comme cela a d'ailleurs été le cas en l'espèce, d'une indemnisation spécifique.
Tout aussi vaine est l'argumentation de l'intimée consistant à soutenir qu'il ne résulterait pas de la clause litigieuse un engagement de sa part de reprendre les matériaux, la lettre de la clause contractuelle étant dépourvue de toute ambiguïté en ce qu'elle ne laisse à cet égard aucune latitude d'action au producteur.
Le principe de l'obligation pour le producteur de procéder au rachat des pierres fournies au distributeur, payées par celui-ci et restées en sa possession, n'est donc pas sérieusement contestable. Il sera précisé à cet égard que, contrairement à ce que fait valoir l'intimée, la période à laquelle les pierres encore détenues par la société Stone Design lui ont été livrées est sans emport relativement à l'obligation de rachat, dès lors que c'est un seul et même contrat qui a lié les parties depuis le 28 septembre 2000, ce contrat ayant été reconduit à chaque échéance, et non pas remplacé par un contrat nouveau.
L'ordonnance entreprise, qui a dit n'y avoir lieu à référé, devra en conséquence être infirmée en toutes ses dispositions.
Il n'en demeure pas moins qu'il appartient à la société Stone Design d'établir le bien-fondé du montant dont elle réclame le paiement à titre provisionnel. Or, sur ce point, force est de constater qu'elle ne produit qu'un listing qu'elle a établi elle-même dans le cadre de ses conclusions, mettant en regard les volumes de pierre et le prix de rachat exigé pour chacun d'eux. Or, il n'est produit, s'agissant d'abord des volumes de pierres, qu'un procès-verbal de constat d'huissier sans emport particulier dès lors que l'officier public s'est borné à décrire les blocs qui lui ont été désignés par la société Stone Design comme étant concernés par l'obligation de rachat de la société Euro Pierres et Marbres, sans qu'aucun élément objectif puisse en confirmer la provenance. S'agissant ensuite du prix de rachat exigé pour chaque bloc, il n'est fourni aux débats aucune facture ou pièce contractuelle faisant apparaître les prix effectivement pratiqués entre les parties au moment de la résiliation du contrat, de telle sorte que la pertinence des sommes réclamées ne peut être vérifiée, étant observé en tout état de cause que les prix unitaires réclamés ne correspondent pas à ceux figurant en annexe II du contrat du 28 septembre 2000.
Dans ces conditions, force est de constater que l'appelante échoue à établir le bien-fondé du montant dont elle réclame paiement, la cour ne disposant quant à elle d'aucun élément suffisamment probant lui permettant de déterminer le montant non contestable de la créance. La demande de provision sera donc rejetée, ce qui rend nécessairement sans objet la prétention relative à la compensation entre la provision et la créance de dommages et intérêts détenue par la société Euro Pierres et Marbres.
Dans la mesure où il a été reconnu précédemment que l'obligation pour la société Euro Pierres et Marbres de racheter les pierres qu'elle a fournies au distributeur, qui ont été payées par celui-ci et qui sont restées en sa possession, n'est pas sérieusement contestable, il devra en revanche être fait droit à la demande tendant à la condamnation de l'intimée à récupérer à ses frais les stocks de blocs de pierre détenus dans les locaux de la société Stone Design. Cette récupération interviendra dans les deux mois de la signification du présent arrêt, sous peine, passé ce délai, d'une astreinte de 250 euro par jour de retard pendant une durée de deux mois.
Il n'est pas inéquitable de laisser aux parties la charge de leurs frais de défense irrépétibles.
La société Euro Pierres et Marbres sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Par ces motifs : statuant en audience publique et par arrêt contradictoire, déclare la SARL Stone Design recevable et partiellement fondée en son appel ; en conséquence : infirme en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 18 novembre 2015 par le juge des référés du Tribunal de commerce de Dijon ; statuant à nouveau rejette la demande de provision formée par la société Stone Design ; constate que la demande relative à la compensation avec la créance détenue par la SARL Euro Pierres et Marbres est sans objet ; condamne la société Euro Pierres et Marbres à récupérer à ses frais les stocks de blocs de pierre livrés dans le cadre du contrat de distribution exclusive et restant détenues dans les locaux de la société Stone Design ; dit que cette récupération interviendra dans les deux mois de la signification de la présente ordonnance sous peine, passé ce délai, et pendant une durée de deux mois, d'une astreinte de 250 euro par jour de retard; dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile condamne la société Euro Pierres et Marbres aux entiers dépens de première instance et d'appel.