CA Paris, Pôle 5 ch. 10, 28 novembre 2016, n° 15-17318
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Le Rouge est Mis (SAS)
Défendeur :
Fromageries Bel (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Loos
Conseillers :
Mmes Simon-Rossenthal, Castermans
Avocats :
Mes David, Regnier, Fouchard, Delorme
FAITS ET PROCÉDURE
La société Fromageries Bel, ci-après dénommée Bel, a pour activité le commerce, la fabrication et la transformation de tous produits laitiers, de leurs dérivés et de leurs composants.
La société Le Rouge est Mis, ci-après dénommée LRM, exerce une activité de conseils et de contrôle des coûts des productions publicitaires pour le compte des annonceurs sur les médias TV, digital, presse et affichage. L'effectif de LRM est composé de M. Didier Orélio et son épouse, Mme Catherine Orélio.
Le 15 septembre 1997, Bel et Madame Catherine Orelio ont signé un contrat aux termes duquel cette dernière s'est engagée à conseiller les sociétés du Groupe Bel afin qu'elles puissent optimiser la qualité de leurs réalisations multimédia en France comme à l'étranger, d'un point de vue qualitatif et économique.
Le 4 mai 2001, le contrat a été résilié d'un commun accord et un nouveau contrat a été régularisé cette fois ci entre Bel et la société "Le Rouge est Mis". Ce nouveau contrat a été renouvelé le 31 janvier 2005 pour une durée indéterminée.
Aux termes du contrat, LRM a consenti une exclusivité au profit de Bel, en s'engageant à "ne fournir aucune prestation de quelle que nature que ce soit pendant toute la durée du présent contrat à des entreprises concurrentes, sauf accord écrit préalable du Groupe Bel".
Les honoraires mensuels de LRM étaient fixés à la somme de 5 335 euros à compter du 1er janvier 2005.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 26 décembre 2012, Bel a informé LRM de sa décision de référencer les prestataires d'optimisation de la qualité de ses productions publicitaires par une procédure d'appel d'offres et signifiait à LRM la fin de leur relation contractuelle après l'expiration d'un préavis de quatre mois courant à réception de la lettre en l'invitant à participer à l'appel d'offres à intervenir en mars 2013.
Le 5 avril 2013, LRM a remis son dossier de réponse à l'appel d'offres.
Le 10 avril 2013, les parties ont régularisé un protocole transactionnel aux termes duquel il était prévu dans l'éventualité où LRM ne serait pas retenue à l'issue de la procédure d'appel d'offres que Bel verserait une indemnité transactionnelle forfaitaire, globale et définitive et renoncerait à toute instance et toute action à caractère judiciaire ou autre trouvant directement ou indirectement son origine dans l'exécution ou dans la fin du contrat.
Le 18 avril 2013, Bel a informé LRM de sa décision de ne pas retenir sa candidature à l'appel d'offres et lui a versé, le 10 juin 2013, l'indemnité de 32 010 euros prévue au protocole.
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 6 octobre 2013, l'avocat de LRM a informé la société Bel que Le Rouge est Mis ne dénonçait pas la rupture des relations commerciales établies, ni son caractère brutal mais invoquait le fait que l'appel d'offres était un simulacre de concurrence et que Bel avait porté atteinte aux intérêts de LRM en lui ayant imposé durant les quinze années et demie de relations commerciales une clause de non-concurrence disproportionnée et mis en œuvre, à l'occasion de l'appel d'offres, une pratique contraire à l'article L. 442-6, I, 3° du Code de commerce. Il a réclamé une indemnisation de 347 000 euros.
Par exploit du 10 avril 2014, LRM a assigné Bel devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins de condamnation de la défenderesse à lui payer la somme de 327 000 euros, majorée des intérêts légaux à compter du 18 octobre 2013 en réparation des préjudices nés de la clause de non-concurrence et celle de 20 000 euros, majorée des intérêts légaux capitalisées à compter du 18 octobre 2013, date de la signification du courrier de mise en demeure, en réparation des préjudices nés de la violation de l'article L. 442-6, I, 3° du Code de commerce.
Par jugement en date du 6 juillet 2015, le Tribunal de commerce de Paris a :
- débouté la société LRM de la totalité de ses demandes ;
- débouté la SA Fromagerie Bel de sa demande de dommages et intérêts ;
- condamné la SARL Le Rouge est Mis à payer à la SA Fromagerie Bel la somme de de 8 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamné la SARL Le Rouge est Mis aux dépens de l'instance dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 82,44 euros dont 13,52 euros de TVA.
Les premiers juges ont estimé que la violence alléguée n'était pas démontrée ; que le protocole avait pour objet l'indemnisation des préjudices à laquelle le Rouge est Mis pouvait prétendre du fait de l'exécution ou de la fin du contrat et qu'en acceptant ce paiement, sans réserve, elle avait acté son accord sur les termes du protocole et renoncé irrévocablement à toute contestation née ou à naître, à toute instance et à toute action à caractère judiciaire ou autre trouvant directement ou indirectement son origine dans l'exécution ou dans la fin du contrat ; que le protocole avait la force de chose jugée; que s'agissant de la demande relative à l'article L. 442-6, I, 3° du Code de commerce, les éléments à fournir pour répondre à l'appel d'offres étaient couverts par un accord de confidentialité, ces éléments restant confidentiels ne constituaient pas un avantage sans contrepartie pour Fromageries Bel.
La société Le Rouge est Mis a relevé appel de ce jugement le 31 août 2015.
Par conclusions notifiées le 7 mars 2016, la société Le Rouge est Mis demande à la cour, au visa des articles L. 442-6-I, 2°, 3° et 5° du Code de commerce et 1156 et suivants et 1382 du Code civil, des contrats de prestation de services des 15 septembre 1997 et 31 janvier 2005, de l'accord de confidentialité du 3 avril 2013 et du protocole transactionnel du 10 avril 2013, à titre principal de constater que :
- l'indemnité prévue dans le protocole transactionnel du 10 avril 2013 constitue la contrepartie du seul préjudice lié à la rupture brutales des relations commerciales établies ;
- la société Fromageries Bel a violé l'article II alinéa 3 du protocole transactionnel du 10 avril 2013 ;
- la société Le Rouge est Mis est soumise depuis le 1er janvier 2001 à une clause de non-concurrence lui interdisant de fournir des services pour le compte d'un concurrent de la société Fromageries Bel et la contraignant à cesser de fournir des services pour le compte du groupe Bongrain ;
- la société Le Rouge est Mis a été contrainte de répondre à un appel d'offres et, à cette occasion, de fournir gratuitement des services afin de pouvoir prétendre au maintien de ses relations commerciales avec le groupe Bel, sans engagement écrit de la part de la société Fromageries Bel sur un volume d'achat proportionné ;
- l'action introduite par la société Le Rouge est Mis ne présente pas de caractère abusif ;
A titre subsidiaire :
- la société Le Rouge est Mis a conclu le protocole transactionnel du 10 avril 2013 sous la violence commise par la société Fromageries Bel ;
- le protocole transactionnel du 10 avril 2013 est dépourvu de concessions réciproques, au préjudice de la société le Rouge est Mis ;
En conséquence :
- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a rejeté les demandes de Bel ;
- dire et juger que le protocole transactionnel du 10 avril 2013, à titre principal, ne s'oppose pas aux demandes formulées par la société le Rouge est Mis ou, à titre subsidiaire, est nul ;
- dire et juger que la société Fromageries Bel a imposé une clause de non-concurrence au détriment de la société Le Rouge est Mis sans motif légitime et sans aucune contrepartie financière, en violation des articles 1382 du Code civil et L. 442-6-I, 2° du Code de commerce ;
- dire et juger que la société Fromageries Bel a obtenu un avantage indu au détriment de la société Le Rouge est Mis en violation de l'article L. 442-6, I, 3° du Code de commerce ;
En conséquence :
- condamner la société Fromageries Bel à payer à la société Le Rouge est Mis la somme de 327 000 euros, majorée des intérêts légaux capitalisés à compter de la date de signification du courrier de mise en demeure, soit le 18 octobre 2013, afin de réparer les préjudices nés de la clause de non-concurrence ;
- condamner la société Fromageries Bel à payer à la société Le Rouge est Mis la somme de 20 000 euros, majorée des intérêts légaux capitalisés à compter de la date de signification du courrier de mise en demeure, soit le 18 octobre 2013, afin de réparer les préjudices nés de la violation de l'article L. 442-6, I, 3° du Code de commerce ;
Elle prie la cour de constater que l'action introduite par la société Le Rouge est Mis n'est pas abusive et que la société Fromageries Bel n'apporte aucun élément justifiant du préjudice allégué, tant dans son principe que dans son montant et, en conséquence, de rejeter la demande de condamnation pour procédure abusive formulée à titre reconventionnel par la société Fromageries Bel ;
Elle sollicite, en tout état de cause, le rejet des demandes formulées par la société Fromageries Bel sur le fondement de l'article 700 du Code procédure civile, tant devant le Tribunal de commerce de Paris, que devant la cour de céans et la condamnation de cette dernière à lui payer une indemnité de procédure de 7 000 euros ainsi qu' aux entiers dépens.
Par conclusions notifiées le 2 septembre 2016, la société Fromageries Bel demande à la cour, au visa du protocole transactionnel en date du 10 avril 2013, des articles 2044 et suivants du Code civil 64 du Code de procédure civile, de constater que :
- le protocole transactionnel du 10 avril 2013 est applicable et parfaitement valable et qu'il comporte des concessions réciproques des parties, ne comporte aucun vice du consentement et qu'aucune violence n'est caractérisée ; qu'il emporte renonciation réciproque et définitive des parties à toute contestation née ou à naître, à toute instance et toute action à caractère judiciaire ou trouvant directement ou indirectement son origine dans l'exécution ou dans la fin du contrat,
- la société Fromageries Bel a exécuté le protocole transactionnel du 10 avril 2013,
- le protocole transactionnel du 10 avril 2013 a autorité de chose jugée,
- en conséquence, les demandes de la société Le Rouge est Mis sont irrecevables en raison de l'existence du protocole transactionnel du 10 avril 2013 ;
En conséquence :
- constater que la prétendue violence invoquée par la société Le Rouge est Mis n'est pas démontrée,
- juger que le protocole transactionnel reflète l'intention des parties et a pour objet l'indemnisation des préjudices à laquelle la société Le Rouge est Mis pourrait prétendre du fait de l'exécution ou de la fin du contrat,
- déclarer qu'en acceptant le paiement de l'indemnité visée au protocole, la société Le Rouge est Mis a acté de son accord sur les termes dudit protocole et a ainsi renoncé irrévocablement à toute contestation née ou à naître, à toute instance et toute action à caractère judiciaire ou autre trouvant directement ou indirectement son origine dans l'exécution ou dans la fin du contrat,
- déclarer que le protocole a la force de la chose jugée,
Elle prie la cour de constater que la clause invoquée au soutien de la demande de la société Le Rouge est Mis est une clause d'exclusivité et non une clause de non concurrence, et dire qu'elle ne peut être qualifiée d'abusive ; qu'en tout état de cause, cette clause étant connue des parties lors de la signature du protocole transactionnel du 10 avril 2013, et que, s'agissant d'une contestation à naître au sens de l'article 2044 du Code civil, la demande de la société Le Rouge est Mis fondée sur cette clause est mal fondée,
- dire et juger en conséquence et à titre subsidiaire que les demandes de la société Le Rouge est Mis sont mal fondées,
En conséquence :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il déboute la société Le Rouge est Mis de sa demande visant à voir condamnée la société Fromageries Bel au paiement de la somme de 327 000 euros sur le fondement de cette clause d'exclusivité,
- dire et juger que les éléments transmis par la société Le Rouge est Mis dans le cadre de l'appel d'offres ne constituent pas un avantage sans contrepartie pour la société Fromageries Bel au sens de l'article L. 442-6, I, 3° du Code de commerce,
En conséquence :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il déboute la société Le Rouge est Mis de sa demande d'indemnisation à hauteur de 20 000 euros, majorée des intérêts légaux, fondée sur l'article L. 442-6, I, 3° du Code de commerce,
- dire et juger que la procédure engagée par la société Le Rouge est Mis présente un caractère abusif,
En conséquence :
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Fromageries Bel de sa demande de condamnation de la société Le Rouge est Mis au paiement de la somme de 15 000 euros en raison du caractère abusif de la présente procédure, sur le fondement de l'article 32-1 du Code de procédure civile,
- condamner la société Le Rouge est Mis au paiement de la somme de 15 000 euros au profit de la société Fromageries Bel au titre de dommages et intérêts en raison du caractère abusif de la procédure engagée par cette dernière
- confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 6 juillet 2015 en ce qu'il condamne la société Le Rouge est Mis au paiement de la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, outre aux entiers dépens,
- condamner la société Le Rouge est Mis à régler à la société Fromageries Bel la somme supplémentaire de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au titre de la présente procédure d'appel, outre les dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de la SCP Regnier Bequet Moisan.
La clôture de l'instruction est intervenue par ordonnance du 26 septembre 2016.
SUR CE,
Avant d'examiner la question de la recevabilité de l'action de la société Le Rouge est Mis, il convient préalablement de statuer sur la question de la validité du protocole.
Sur la validité du protocole
La société Le Rouge est Mis soutient que le protocole transactionnel du 10 avril 2013 a été signé par elle sous la violence commise par la société Fromageries Bel d'une part et qu'il est dépourvu de concessions réciproques, à son préjudice d'autre part.
Sur la violence
La violence est un vice du consentement et une cause de nullité de la convention lorsqu'elle et de nature à faire impression sur une personne raisonnable et qu'elle peut lui inspirer la crainte d'exposer sa personne ou sa fortune à un mal considérable et présent. Elle s'apprécie in concreto. Elle peut être physique ou morale, voire économique.
La société Le Rouge est Mis soutient que son consentement a été extorqué par violence puisqu'elle a dû déposer son offre avant la communication par Bel de sa version amendée du protocole transactionnel alors que cette dernière disposait de toutes les informations et conseils exigés dans le cadre de cet appel d'offres et que, compte-tenu du calendrier imposé par Bel, elle devait conclure le protocole avant la communication par Bel des résultats de l'appel d'offres.
Elle soutient donc qu'elle a été contrainte de signer le protocole sous peine de se voir refuser de participer à l'appel d'offre de la société Bel.
Elle invoque les pressions exercées, lors d'un entretien téléphonique du 29 mars par M. Florian Decaux, salarié de Bel qui a indiqué à Mme Catherine Orélio que la question du dédommagement devait être tranchée, sous peine de priver LRM de participation à l'appel d'offres, propos rapporté par LRM à son conseil dans un courriel du 29 mars ; que suite à une demande formulée par le service juridique de Bel le 2 avril, LRM a communiqué un projet de protocole transactionnel, rédigé par son conseil le lendemain ; qu'une fois que la société Bel était assurée d'avoir reçu l'intégralité des services gratuits imposés lors de l'appel d'offres, elle a communiqué sa version amendée du protocole transactionnel qui expose sans équivoque le lien avec l'appel d'offres que Bel a rejeté, violant ainsi le protocole transactionnel.
La société Bel souligne que M. Florian Decaux, salarié du groupe Bel, n'a jamais indiqué que LRM serait privée de participation à l'appel d'offres si la question du dédommagement n'était pas tranchée via la signature du protocole et que l'appelante ne rapporte pas la preuve que la participation à l'appel d'offres était une condition au versement d'une indemnisation au titre de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.
Elle ajoute que les négociations sur le montant de cette indemnité, représentant six mois d'honoraires ont débuté avant la participation de LRM à l'appel d'offres ; que c'est LRM qui a contacté les salariés de Bel par courriel pour leur soumettre un projet du protocole ; que cette dernière ne rapporte pas la preuve de pressions qu'aurait exercées Bel ni qu'elle aurait conclu le protocole sous la violence commise par Bel.
Le courrier invoqué par l'appelante démontre qu'il a été permis à la société Le Rouge est Mis de participer à l'appel d'offre alors que des négociations relatives au protocole étaient toujours pendantes. Il convient d'ailleurs de souligner que la société Le Rouge est Mis a déposé son offre le 5 avril 2013, soit cinq jours avant la signature du protocole le 10 avril suivant.
En outre, l'article VIII du protocole mentionne que les parties déclarent avoir disposé du temps de réflexion nécessaire à la signature du protocole en pleine connaissance de cause, étant ajouté que LRM s'est fait assistée par son avocat pour la rédaction du premier projet.
Ainsi, elle ne rapporte pas la preuve que la société Bel ait commis des violences susceptibles de vicier son consentement.
Sur l'absence de concessions réciproques
L'article 2044 du Code civil dispose que la transaction est un contrat écrit par lequel les parties terminent une contestation née ou préviennent d'une contestation à naître. Elle implique l'existence de concessions réciproques.
LRM soutient que le paiement de 6 mois d'honoraires s'ajoutant aux 4 mois de préavis contractuel constitue une juste indemnisation de la rupture brutale de 15 ans de relations commerciales de sorte que Bel n'a fait aucune concession.
La société Bel soutient que LRM n'apporte pas le moindre commencement de preuve d'un prétendu déséquilibre ; que l'indemnité transactionnelle constitue une juste réparation pour les concessions réalisées aux termes du présent protocole transactionnel ; que les parties ont renoncé à toute action liée à l'exécution et à la fin du contrat. Elle ajoute que LRM s'est fait assister par son avocat pour la rédaction du premier projet de transaction et qu'un professionnel du droit ne pouvait ignorer la portée de l'Article IV.
Au titre du préambule du protocole, il est écrit qu'" à l'issue de discussions informelles, après avoir pris l'exacte mesure de leur désaccord et en pleine connaissance de leurs droits respectifs, les parties ont décidé de mettre fin à leur litige sur la base de concessions réciproques formalisées dans le présent accord ". L'article VIII stipule que " les parties constatent qu'elles se sont consenties des concessions. " L'article IV mentionne " ainsi la société LRM reconnaît que l'indemnité transactionnelle constitue une juste réparation pour les concessions réalisées aux termes du présent protocole transactionnel ".
LRM ne démontre pas que le paiement de 6 mois d'honoraires s'ajoutant aux 4 mois de préavis contractuel constitue une juste indemnisation de la rupture brutale des relations commerciales de nature à établir l'absence de concession de la part de la société Bel. Le versement d'une indemnité correspondant à 6 mois d'honoraires constitue la concession de la société Bel.
Elle ne rapporte pas non plus la preuve que Bel ait apporté des modifications au projet de protocole, remplaçant dans le préambule du protocole " LRM s'engage à renoncer à toute action juridictionnelle à l'encontre de la société Bel sur le fondement de la rupture de leurs relations commerciales " par " LRM s'engage à renoncer à toute action juridictionnelle à l'encontre de la société Bel sur le fondement de l'exécution ou de la fin du contrat ", sans en informer expressément LRM et sans que LRM ne s'en aperçoive.
Le protocole signé par les parties le 10 avril 2014 est donc régulier et a acquis entre elles, l'autorité de la chose jugée en dernier ressort, en application de l'article 2052 du Code civil.
Sur la recevabilité de l'action de LMR au titre de la clause de non-concurrence.
Sur le champ d'application du protocole
LRM soutient que l'indemnité transactionnelle couvrait la seule réparation du préjudice né de la rupture brutale des relations commerciales établies, conformément à l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et est donc recevable en son action au titre de la clause de non-concurrence visée au contrat ayant lié les parties ce que conteste la société Bel.
Il résulte de l'application combinée des articles 2048 et 2049 du Code civil que la renonciation des parties à une transaction aux droits, actions et prétentions ne concernent que ce qui est relatif au différend exprimé de manière patente ou bien comme une suite nécessaire de ce qui est exprimé.
L'article IV du protocole intitulé " transaction forfaitaire, globale et définitive " dispose que " les parties conviennent et déclarent que la somme prévue à l'article III constitue l'indemnité transactionnelle forfaitaire, globale et définitive réparant tous dommages et préjudices de quelque nature que ce soit et de quelque montant qu'ils soient que la société LRM pourrait prétendre avoir subi du fait de l'exécution ou de la fin du contrat ".
Il est donc établi que les parties ont entendu mettre fin au différend les opposant concernant la rupture de leur relation commerciale qualifié de brutale par LRM mais aussi de prévenir toutes actions nées de l'exécution du contrat.
Ainsi, force est de constater que les demandes relatives à la clause qualifiée par LRM de non-concurrence et d'exclusivité par la société Bel constitue bien une action à naître au sens de l'article 2044 du Code civil née de l'exécution du contrat ayant lié les parties. Cette action est couverte par le protocole qui a force de chose jugée.
Sur la non-exécution du protocole
LRM soutient que le protocole lui serait inopposable au motif que Bel aurait violé l'obligation visée à l'article II alinéa 3 du protocole consistant à communiquer à LMR, sur demande, des motifs du rejet de son offre et de lui verser sans délai l'indemnité transactionnelle prévue à l'article II.
Elle expose que Bel a versé l'indemnité transactionnelle 60 jours après la signature du protocole et plus de cinquante jours après le rejet officiel de l'offre de LRM, après plusieurs relances de LRM.
Or, suite à la relance effectuée par LRM par e-mail du 7 juin 2013, Bel a versé l'indemnité convenue le 10 juin suivant et qu'il ne peut dès lors lui être reproché une inexécution contractuelle.
Le jugement entrepris sera néanmoins infirmé en ce qu'il a débouté la société LRM de sa demande formée à ce titre. La demande sera déclarée irrecevable.
Sur la demande relative à l'article L. 442-6, I, 3° du Code de commerce
L'article L. 442-6, I, 3° du Code de commerce dispose que " engage sa responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé par fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au registre des métiers, d'obtenir ou tenter d'obtenir un avantage, condition préalable à la passation de commandes, sans l'assortir d'un engagement écrit sur un volume d'achat proportionné et, le cas échéant, d'un service demandé par le fournisseur et ayant fait l'objet d'un accord écrit. "
LRM soutient que Bel engagé sa responsabilité sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 3° du Code de commerce pour avoir obtenu un avantage, condition préalable à la passation de commandes, sans l'assortir d'un engagement écrit sur un volume d'achat proportionné constituant notamment en la participation forcée au financement de coûts de production en l'absence d'engagement sur un volume de commandes.
Elle expose qu'elle n'a perçu aucune rémunération en contrepartie des informations qu'elle a communiquées à Bel dans le cadre de sa réponse à l'appel d'offres et que cette communication a constitué un véritable avantage puisqu'il ne s'agissait pas d'une simple offre chiffrée puisqu'elle a été tenue d'apporter des éléments de son savoir-faire les plus complets possibles, notamment dans l'espoir d'emporter l'appel d'offres qui s'avérera finalement truqué.
La société Bel expose que l'appel d'offres précisait qu'il n'y avait aucune garantie de succès et que le " pitch " n'était pas rémunéré, ce qui est le propre des conditions des appels d'offres et que les informations communiquées par LRM dans le cadre de sa réponse à l'appel d'offres ne constituent pas un avantage mais s'inscrivent dans un schéma classique de présentation des soumissionnaires et de leur savoir-faire.
La participation à un appel d'offres comporte nécessairement un aléa quant aux chances d'être retenu et n'est en général non rémunéré. L'appel d'offre de la société précisait d'ailleurs que le " pitch " n'était pas rémunéré. En outre, les informations apportées à la société Bel dans sa réponse à l'appel d'offre ne peuvent pas constituer un avantage sans contrepartie au sens de l'article 442-6, I, 3° du Code de commerce mais s'inscrivent dans la nécessité pour les soumissionnaires de présenter leur savoir-faire. Enfin, la société LRM ne rapporte pas la preuve que l'appel d'offre lancé par la société Bel aurait été truqué comme elle le prétend.
Le jugement entrepris sera dès lors confirmé en ce qu'il a débouté la société LRM de sa demande fondée sur l'article L. 442-6, I, 3° du Code de commerce.
Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive de la société Bel
La société Bel sollicite l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Fromageries Bel de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et sollicite, à ce titre la condamnation de l'appelante à lui verser la somme de 15 000 euros.
La société Bel ne rapporte pas la preuve qu'en l'assignant et en relevant appel d'un jugement lui faisant grief, la société LRM ait fait dégénérer son droit d'ester et de relever appel en abus ; le rejet des demandes ne constituant pas en lui-même un abus.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a débouté la société Bel de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Le jugement entrepris sera confirmé sur les dépens et sur l'article 700 du Code de procédure civile.
La société LRM qui succombe en son appel sera condamnée aux dépens de la présente procédure et déboutée de sa demande d'indemnité de procédure. Elle sera condamnée, sur ce même fondement, à payer à la société Bel, la somme de 4 000 euros.
Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 6 juillet 2015 seulement en ce qu'il a débouté la société le Rouge est Mis de sa demande de paiement au titre de la clause de non-concurrence ; Statuant à nouveau sur ce point, Vu le protocole signé par les parties le 10 avril 2013, Déclare irrecevable la demande de paiement de la société Le Rouge est Mis au titre de la clause de non-concurrence ; Confirme le jugement entrepris en toutes ses autres dispositions ; Y ajoutant, Condamne la société Le Rouge est Mis aux dépens d'appel dont distraction au profit de la SCP Regnier Bequet Moisan, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ; Déboute la société Le Rouge est Mis de sa demande d'indemnité de procédure ; Condamne la société Le Rouge est Mis à payer à la société Fromageries Bel la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.