ADLC, 6 décembre 2016, n° 16-D-28
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
relative à des pratiques mises en œuvre sur le marché de l'assistance foncière de l'établissement public foncier de l'Ouest Rhône-Alpes
L'Autorité de la concurrence (section II) ;
Vu la décision n° 15-SO-02 du 26 février 2015, enregistrée sous le numéro 15/0015F, par laquelle l'Autorité de la concurrence s'est saisie d'office de pratiques mises en œuvre sur le marché de l'assistance foncière de l'établissement public foncier de l'Ouest Rhône-Alpes ; Vu la décision de la rapporteure générale en date du 11 juillet 2016 prise en application de l'article L. 463-3 du code du commerce, qui dispose que l'affaire fera l'objet d'une décision de l'Autorité de la concurrence sans établissement préalable d'un rapport ; Vu le procès-verbal de transaction en date du 22 septembre 2016 signé par le rapporteur général adjoint de l'Autorité et les sociétés EURL Setis et Groupe Degaud en application des dispositions du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce ; Vu les décisions relatives au secret des affaires n° 16-DSA-83 du 5 avril 2016, n° 16-DSA-102 du 27 avril 2016, n° 16-DSA-121 du 1er juin 2016, n° 16-DSA-167 du 5 juillet 2016 ; Vu la décision de déclassement n° 16-DECR-142 du 10 juin 2016 ; Vu le livre IV du Code de commerce modifié et notamment son article L. 420-1 ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu les observations présentées par la société Services, Conseil, Expertises et territoires (ci-après " la SCET "), le Groupe Caisse des dépôts et consignations et le commissaire du Gouvernement ; Le rapporteur, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement et les représentants de la SCET et du Groupe Caisse de dépôts et consignations, entendus lors de la séance de l'Autorité de la concurrence du 3 novembre 2016 ; Adopte la décision suivante :
Résumé1
Dans la décision ci-après, l'Autorité condamne solidairement la société SCET en tant qu'auteur et le Groupe Caisse des Dépôts et consignations, en tant qu'entité mère, à une sanction de 560 000 euros en raison de la participation de la SCET, à compter du mois d'avril 2012, à une entente horizontale avec la société Services, Conseil, Expertises et Territoires (Setis) lors de la passation du marché de l'assistance foncière de l'Établissement public foncier de l'Ouest Rhône-Alpes (Epora), en violation de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
L'objet de cette entente anticoncurrentielle était une répartition des marchés subséquents aux deux accords-cadres conclus par l'Epora respectivement avec les sociétés SCET et Setis en 2011, par le biais d'un échange d'informations sensibles préalablement à l'attribution de ces marchés.
I. Rappel de la procédure
1. L'Autorité de la concurrence s'est saisie d'office, par décision du 26 février 2015 (cote 1), des pratiques mises en œuvre sur le marché de l'assistance foncière de l'établissement public foncier de l'Ouest Rhône-Alpes (ci-après Epora).
2. Cette autosaisine, enregistrée sous le numéro n° 15/0015 F, fait suite à la transmission d'un rapport d'enquête établi par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (ci-après DGCCRF) concluant d'une part, à un échange tarifaire préalable entre les sociétés SCET et Setis (ci-après " Setis "), déclarées attributaires de deux accords-cadres pour des missions d'assistance foncière lancés par Epora en 2011, et d'autre part, à une pratique de répartition de onze marchés subséquents à ces accords-cadres.
3. Une décision du 11 juillet 2016 de la rapporteure générale prise en application de l'article L. 463-3 du Code du commerce dispose que l'affaire fera l'objet d'une décision de l'Autorité de la concurrence sans établissement préalable d'un rapport.
4. Le 11 juillet 2016, la rapporteure générale de l'Autorité a adressé une notification de griefs simplifiée pour des pratiques prohibées par l'article L. 420-1 du Code de commerce aux sociétés suivantes :
- SA SCET, en tant qu'auteur
- Groupe Caisse des dépôts et consignations en tant qu'entité mère,
- EURL Setis, en tant qu'auteur,
- Groupe Degaud, en tant que société mère.
II. Constatations
A. LES MARCHÉS PUBLICS CONCERNÉS
1. PRÉSENTATION DE L'ÉTABLISSEMENT PUBLIC FONCIER DE L'OUEST RHÔNE-ALPES
5. L'établissement public foncier de l'Ouest Rhône-Alpes (ci-après Epora) est un établissement public à caractère industriel et commercial de l'État situé à Saint-Étienne. Il a été créé par le décret n° 98-923 du 14 octobre 1998.
6. Conformément aux dispositions de l'article L. 321-1 du Code de l'urbanisme, l'Epora est habilité à procéder à toutes acquisitions foncières et opérations immobilières et foncières de nature à faciliter l'aménagement. Il peut également effectuer les études et travaux nécessaires à leur accomplissement, et, le cas échéant, participer à leur financement. Ces missions peuvent être réalisées par l'établissement soit pour son compte ou celui de l'État et de ses établissements publics, soit pour celui des collectivités territoriales et de leurs groupements ou de leurs établissements publics en application de conventions passées avec eux.
7. L'Epora est compétent sur l'ensemble du territoire des départements de la Loire, de l'Ardèche et de la Drôme ainsi que dans les cantons des départements de l'Isère et du Rhône et dans les communes ou établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre dont la liste est annexée au décret du 14 octobre 1998 modifié.
8. Les activités de l'établissement s'exercent dans le cadre d'un programme pluriannuel d'intervention (PPI) prévu aux articles L. 321-5 et suivants du Code de l'urbanisme. Le PPI 2009-2013 se structure autour de deux priorités :
- favoriser le développement durable des territoires ;
- agir pour la cohésion sociale, essentiellement par la production de logements sociaux.
9. Il ressort des déclarations de M. X et de Mme Y, respectivement directeur territorial et juriste de l'Epora, que l'établissement concentre actuellement ses efforts sur le développement de l'offre économique, de l'offre de logement, notamment social, et plus accessoirement sur la création de foncier de protection environnementale. L'Epora assure à ce titre des acquisitions foncières et des opérations immobilières et foncières de nature à faciliter l'aménagement ultérieur des terrains par les collectivités. Concrètement, l'établissement acquiert, démolit et dépollue des terrains pour le compte des collectivités avant de les leur revendre.
2. LES APPELS D'OFFRES
10. Le 2 août 2011, l'Epora a lancé un appel d'offres en vue de la conclusion d'accords-cadres pour des missions d'assistance foncière à maîtrise d'ouvrage (programmation, acquisition, gestion et cession de biens) dans le cadre de procédures de déclaration d'utilité publique mises en œuvre sur ses territoires d'intervention. Ces deux marchés ont été passés selon la procédure d'appel d'offres ouvert définie par les articles 33 et 57 à 59 du Code des marchés publics. Sur la base de ces accords-cadres, l'Epora a lancé, à compter du mois d'avril 2012, des consultations en vue de la passation de marchés subséquents.
a) Les accords-cadres
11. Les prestations susceptibles d'être exécutées dans l'ensemble du périmètre de compétence de l'Epora ont été divisées en deux lots, faisant l'objet d'un accord-cadre distinct. Le lot n° 1 a porté sur les zones industrielles, commerciales ou d'activités et les zones urbaines denses (habitat collectif ou individuel dense). Le lot n° 2 a porté sur les zones rurales ou périurbaines (habitat individuel diffus ou isolé) et les zones agricoles, naturelles ou forestières.
12. Aux termes du cahier des clauses administratives particulières communes aux deux lots, chaque accord-cadre est multi-attributaire. Sa durée est de douze mois, reconductible trois fois, par décision expresse de l'Epora, et ne peut excéder quatre années. Il est conclu sans montant minimum ou maximum.
13. L'article 7.6 du cahier des clauses administratives particulières prévoit que " les titulaires de l'accord-cadre devront déposer une offre à chaque remise en concurrence des marchés fondés sur l'accord-cadre. Pour chaque année, ils sont autorisés à ne pas répondre à trois consultations, au-delà, le pouvoir adjudicateur sera en droit de résilier l'accord-cadre pour le prestataire défaillant et ce sans mise en demeure ni droit à indemnisation. ".
14. L'article 9.3 stipule que " lors de la passation des marchés conclus sur la base du présent accord-cadre, le titulaire s'engage à limiter, à chaque remise en concurrence, à 20% l'augmentation des prix détaillés dans le bordereau de prix unitaires ou la DPGF de l'accord-cadre ".
15. Les critères de jugement des offres, communs aux deux lots, ont été pondérés de la manière suivante :
- moyens humains et techniques mis à disposition : 40 %
- note méthodologique : 30 %
- prix des prestations : 30 %
16. À l'issue de la consultation, le lot n° 1 a été attribué à la SCET et le lot n° 2 à Setis.
17. En juillet 2012, l'Epora a conclu avec chacun des attributaires un avenant à l'accord-cadre ayant pour objet de modifier l'unité de prix de deux postes de prestations (le dossier d'enquête publique et le suivi administratif des enquêtes publiques préalables à la déclaration d'utilité publique). Les prix unitaires, initialement exprimés en nombre de propriétaires concernés par les opérations foncières, ont dès lors été exprimés forfaitairement par dossier.
b) Les marchés subséquents
18. Entre avril 2012 et janvier 2013, Epora a lancé des consultations en vue de la passation de douze marchés subséquents aux deux lots géographiques des accords-cadres. Chaque lot a été divisé en quatre secteurs comme suit :
- secteur 1A : Roanne, couronne, périphérie des Monts de la Madeleine,
- secteur 2 : Nord-Ouest rhodanien,
- secteur 3A : Saint-Étienne, Valée de l'Ondaine, Vallée du Gier, Plaine du Forez,
- secteur 4 : Nord-Drôme, Nord-Ardèche, Nord-Isère, Sud-Rhône.
19. Les critères d'attribution des offres étaient identiques à ceux définis pour chaque lot. Le tableau ci-après détaille, pour chaque marché, ses caractéristiques, les offres émises et l'entreprise retenue :
<TABLEAU>
B. LES ENTREPRISES MISES EN CAUSE
1. LA SOCIÉTÉ SA SERVICES, CONSEIL, EXPERTISES ET TERRITOIRES
20. La SCET est une société anonyme d'ingénierie de projets qui accompagne les collectivités, les entreprises publiques locales ou les bailleurs sociaux, dans la conception, la réalisation et la gestion de leurs projets. La SCET est une filiale du Groupe Caisse des dépôts et consignations.
21. La SCET est structurée en différents pôles, dont le pôle foncier, sous-divisé en agences. Chaque agence dispose d'un directeur et d'un personnel dédié. Les agences situées à Lyon et à Dijon, dirigées par Mme Michèle B depuis le 10 janvier 2012, sont toutes deux intervenues dans le cadre des marchés d'assistance foncière de l'Epora.
22. En 2011, la SCET a réalisé un chiffre d'affaires de plus de 65 millions d'euros.
2. L'EURL Setis
23. Setis a pour activité l'ingénierie et la réalisation d'études techniques pour l'aménagement du territoire et l'environnement. Setis est une filiale du groupe Degaud.
24. La direction de Setis est assurée par trois cogérants. Chacun dispose d'un périmètre de compétence spécifique et bénéficie, au sein de ce périmètre, d'une autonomie décisionnelle. M. Z, cogérant, est chargé des activités " environnement, action foncière et juridique ".
25. En 2011, Setis a réalisé un chiffre d'affaires d'environ 6,6 millions d'euros.
C. LES COMPORTEMENTS RELEVÉS
1. LES ÉCHANGES TARIFAIRES ENTRE CANDIDATS À L'ATTRIBUTION DES ACCORDS-CADRES
a) Les éléments matériels recueillis
26. Lors de leur première intervention dans les locaux de l'agence de Dijon de la SCET le 3 avril 2014, les agents de concurrence ont recueilli, sur CD-Rom, une copie numérique des dossiers relatifs au marché de l'Epora. (cotes 110 à 1784).
27. La copie d'écran remise contient un dossier intitulé " AO DIJON 2012 Epora ". Ce dossier contient un sous-dossier " Epora divers " qui comporte 3 fichiers :
- le bordereau des prix unitaires du lot 1 de l'accord-cadre de la société Setis (cotes 110 à 113) ;
- le bordereau des prix unitaires du lot 2 de l'accord-cadre de la société Setis (cotes 114 à 117) ;
- un document Excel nommé " DQE simulation lot 1 et 2_SCET_Setis.xlsx " (cotes 118 à 122).
28. Ce dernier document contient cinq feuilles :
- lot 1_SCET : reprenant le DQE de la SCET pour le lot 1 avec une simulation de hausse des prix de 18 % et 20 % ;
- lot 2_SCET : reprenant le DQE de la SCET pour le lot 2 avec une simulation de hausse des prix de 18 % et 20 % ;
- lot 1_Setis : reprenant le DQE de Setis pour le lot 1 avec une simulation de hausse des prix de 18 % et 20 % ;
- lot 2_Setis : reprenant le DQE de Setis pour le lot 2 avec une simulation de hausse des prix de 18 % et 20 % ;
- lot 1_SCET St-Etienne reprenant le DQE de la SCET pour le lot 1 avec une simulation de hausse des prix de 13 % et 20 %.
29. Les bordereaux de prix unitaires (BPU) de Setis pour les lots 1 et 2 de l'accord-cadre recueillis dans les locaux de la SCET se présentent au format PDF, sont datés du 15 septembre 2011 et mentionnent le nom de M. Z comme signataire. Ils ne sont toutefois pas signés, et ne comportent pas le cachet de la société Setis.
30. Les propriétés de ces BPU indiquent comme date d'enregistrement et de dernière modification le 26 octobre 2012 par une personne désignée comme " EA ". M. Z a indiqué que l'auteur de ces documents est Mme A, employée par le Groupe Degaud, maison-mère de la société Setis. Mme A occupe les fonctions d'assistante de marché pour le compte des sociétés du groupe. Elle a contribué à la constitution du dossier de réponse à l'appel d'offres pour les missions d'assistance foncière de l'Epora.
31. Un logiciel d'analyse a été utilisé afin de calculer les empreintes numériques respectives des BPU (lots 1 et 2) de l'accord-cadre de la société Setis pris en copie auprès de la SCET et de celui mis à disposition par M. Z (cotes 2514 à 2578). La comparaison des résultats d'analyse révèle une stricte identité numérique des bordereaux de prix unitaires émanant des sociétés SCET et Setis.
32. Lors de son audition du 9 juillet 2014, Mme B a indiqué : " J'ai déclaré ne pas connaître les prix de mon concurrent Setis. Vous m'informez que vous avez trouvé les BPU de l'accord-cadre de Setis dans mon agence de Dijon. Effectivement, j'ai pris connaissance des prix de Setis fin novembre 2012 ". Elle a ajouté : " J'ai communiqué mes prix à M. Z, co-gérant de Setis, vers la fin 2012, comme il m'avait communiqué les siens précédemment par mail. Le directeur du pôle financier n'était pas au courant de ces échanges avec Setis. Je ne me souviens plus à l'initiative de qui cet échange a eu lieu. " (cotes 1899 à 1902).
33. Concernant les mêmes éléments, M. Z a déclaré lors de son audition du 30 juin 2014 : " Sur le marché de l'Epora, la SCET ne m'a pas communiqué ses prix (...) La SCET pourrait connaître nos prix au travers de marchés pour lesquels nous avons des partenaires communs. Cependant, ils ne peuvent connaître que des prix globaux et non des prix poste par poste (...) Nous n'avons transmis aucun prix à la SCET, je ne crois même pas avoir communiqué de fourchette ". M. Z a ajouté : " Vous me dites que vous avez retrouvé nos BPU lots 1 et 2 pour l'accord-cadre de l'Epora chez la SCET. Ces prix sont antérieurs à l'avenant de juillet 2012. Je n'ai aucune explication. Je suis très étonné. Cela signifie que depuis 2012 la SCET connait nos prix. (...) Comme il n'y avait pas de concurrence, Mme A a peut-être pensé qu'il s'agissait d'un partenariat et a peut-être décidé de transmettre nos prix. (...) Je maintiens ne pas savoir que mes BPU avaient été transmis à la SCET. Je pense qu'il y a eu méprise ". (cotes 2380 à 2412).
34. Dans un courriel du 2 juillet 2014 (cote 2491), M. Z émet l'hypothèse que les BPU de sa société pris en copie auprès de la société SCET puissent en fait avoir été transmis à son concurrent par l'Epora.
35. Mais selon l'Epora, Setis a répondu de façon non dématérialisée à l'accord-cadre. L'établissement public ne disposait donc que d'une version papier des BPU de Setis (cote 41). Par ailleurs, les BPU de Setis pris en copie auprès de SCET ne sont pas signés et ne disposent pas du cachet de la société, contrairement à ceux produits par l'Epora.
36. M. Z a souligné que des BPU avaient été transmis au format Excel à l'Epora en vue de la préparation des bons de commande. Or, l'Epora a indiqué que dans ce cas, les BPU transmis présentent l'intitulé du marché subséquent concerné et non celui de l'accord-cadre. Elle a de plus précisé que les matrices utilisées se distinguent clairement des BPU puisqu'elles comportent notamment une colonne supplémentaire intitulée " quantité " (cotes 44 à 47).
37. Ces bordereaux de prix ne peuvent donc provenir des services de l'Epora.
b) Les dates des échanges
38. La circonstance que les deux BPU de Setis recueillis dans les locaux de la SCET ont été créés le 26 octobre 2012 ne permet pas de déterminer de manière certaine la date de transmission de ces documents.
39. Sur ce point, les propriétés du document Excel intitulé " DQE simulation lot 1 et 2_SCET_Setis.xlsx " apportent des compléments d'informations.
40. La dernière modification effectuée sur ce document date du 23 novembre 2012. Elle a été réalisée par Mme C, assistante de direction à la SCET. Au plus tard à cette date, la SCET a donc eu connaissance des prix de son concurrent soit antérieurement à la passation de deux marchés subséquents sur un total de douze.
2. LA RÉPARTITION DES MARCHÉS SUBSÉQUENTS
41. Lors de son audition du 3 avril 2014 (cotes 2015 à 2018), M. Z a déclaré avoir eu un échange téléphonique avec Mme B après la notification en décembre 2011 des deux accords-cadres en ces termes : " A l'issue de l'attribution de l'accord-cadre, l'autre attributaire, la SCET, par le biais de Mme B, nous a appelés pour se présenter, connaître ma société, son positionnement et voir si des secteurs intéresseraient davantage ma société pour le marché de l'Epora et sur l'ensemble des marchés fonciers. (...) Nous savions à ce moment-là que nous n'étions plus que deux et nous pouvions discuter pour voir qui allait travailler sur quelle zone afin de mieux satisfaire le client ".
42. M. Z a ajouté : " J'ai indiqué à Mme B que je n'allais pas casser le prix et que je n'allais pas répondre au-delà de mes lignes (tout sauf Nord-Ouest Rhodanien à l'exception de Roanne) et en fonction du volume des dossiers confiés par l'Epora ".
43. Il a en outre indiqué : " (...) Nous savions que seuls la SCET et nous-mêmes avions été retenus à l'issue de la réunion initiée par le maître d'œuvre. Que ce dernier entendait faire travailler les deux sociétés compte tenu du volume de dossiers à confier et les délais de rendus. Que durant cette réunion, Setis a annoncé - sans ambiguïté aucune- qu'il entendait alors privilégier les opérations proches de ses bases et celles pour lesquelles elle connaissait le marché immobilier voire les acteurs ". (cote 2494).
44. Mme B a précisé que cette conversation avait eu lieu en avril 2012, soit quelques mois après sa prise de fonctions et au cours de la période de passation du premier marché subséquent dont la date limite de remise des offres avait été fixée au 16 avril 2012.
45. L'acte d'engagement du premier marché subséquent, attribué à la SCET, a été signé par M. D, directeur du pôle financier/transaction. Ce n'est qu'à compter du 2ème marché subséquent que Mme B a signé les actes d'engagements en réponse aux marchés lancés par l'Epora. En revanche, M. Z a déclaré avoir reçu Mme B dans les locaux de sa société peu après sa prise de poste, ce que ne confirme pas Mme B.
46. Lors de sa seconde audition le 30 juin 2014, M. Z a déclaré : " En n'étant plus que deux, nous savions quels territoires intéressaient chacun. Lorsque j'ai vu Mme B, je lui ai signifié les territoires sur lesquels je répondrai (ceux près de mes bases afin de pouvoir agir dans les temps). " (cotes 2380 à 2412).
47. Mme Y et M. E, respectivement juriste et directeur territorial de l'Epora confirment en effet que l'établissement a lancé une consultation en vue de la passation des accords-cadres en se réservant la possibilité de retenir quatre attributaires afin de stimuler la concurrence sur ces marchés. Cependant, Setis et SCET n'ont remis d'offres conformes que lors de la première consultation portant sur le marché subséquent n° 12-069 (lot 1 - Secteur Roanne - Site Gambetta République), qui a finalement été attribué à Setis. Pour les onze autres marchés subséquents, l'Epora n'a pas été en mesure d'arbitrer entre deux offres conformes.
48. De son côté, Mme B a indiqué (cotes 1786 à 1789) : " Concernant nos relations avec Setis dans le cadre du marché de l'Epora, il est vrai que nous avons eu un contact portant sur certains points de secteur géographique mais cela n'a eu aucun impact sur les marchés (Setis est un concurrent), il n'y a eu aucun partage entre nous. ".
49. Lors de sa deuxième audition le 9 juillet 2014, Mme B a complété ses propos comme suit : " J'ai dû appeler M. Z suite au premier marché qui a été passé en avril 2012 mais je ne me souviens pas vraiment. Je l'ai contacté par démarche commerciale. Nous nous sommes contactés par la suite pour parler de l'avenant à l'accord-cadre. J'ai déclaré précédemment que nous avons abordé ensemble les secteurs géographiques du marché. En effet, nous avons discuté de ces secteurs afin d'échanger sur ce qu'il y avait comme opération, comme nombre de dossier par secteur. Je n'avais pas ces informations et lui non plus. Je pense que même Epora ne le savait pas. Cependant je nie tout échange sur la répartition des secteurs " (cotes 1899 à 1902).
50. L'analyse des réponses respectives de Setis et de SCET aux différentes consultations lancées par l'Epora pour l'attribution des marchés subséquents font apparaître les éléments suivants :
a) Sur le secteur 1 A : Roanne, couronne, périphérie des Monts de la Madeleine
51. Quatre marchés subséquents ont concerné ce secteur. Lors des consultations lancées pour l'attribution des marchés n° 12-132 (lot 2, secteur 1A) et n° 12-133 (lot 1, secteur 1A), SCET a présenté deux offres irrégulières en omettant de remettre l'acte d'engagement. Selon les déclarations de Mme B, directrice des agences foncières de Lyon et de Dijon lors de son audition du 3 avril 2014 (cotes 1786 à 1789), l'irrégularité des offres ainsi remises procèderait d'une erreur administrative commise par son assistante. Setis a remis deux offres incluant une hausse tarifaire de 19,5 % par rapport aux accords-cadres. Ces deux offres ont été déclarées à tort inacceptables par l'Epora qui n'a pas tenu compte de l'avenant signé en juillet 2012.
52. L'Epora a donc relancé les consultations pour ces deux marchés (marchés n° 13-005 et n° 13-006). La SCET s'est abstenue de répondre en adressant une lettre d'excuses à l'Epora. Interrogée par les agents de la DGCCRF le 3 avril 2014, Mme B a expliqué que le plan de charge de la société ne lui permettait pas de répondre à ces consultations. Mais, lors de sa seconde audition le 9 juillet 2014, elle a déclaré avoir informé son concurrent qu'elle n'allait pas répondre sur ce secteur car Setis y était déjà présent (cote 1899 à 1902). M. Z, cogérant de Setis a d'ailleurs indiqué au cours de son audition du 30 juin 2014 : " Lorsque j'ai vu Mme B, je lui ai signifié les territoires sur lesquels je répondrai (ceux près de mes bases) afin de pouvoir agir dans les temps (...). La SCET devait être d'accord pour nous laisser Roanne. " (cote 2380 à 2412).
53. Setis a été déclarée attributaire en appliquant une augmentation de 19,5 % sur ses offres de prix. Par comparaison, sur le premier marché relatif au secteur de Roanne (n° 12-069), dont la date de remise des offres est antérieure au premier contact entre Mme B et M. Z, Setis n'avait pratiqué qu'une hausse de 5,5 %. Interrogé sur les différences de hausse de prix entre le marché n° 12-069 et les marchés n° 13-005 et n° 13-006, M. Z a déclaré : " Nous n'avons pas appliqué les 20 % sur le premier marché subséquent (Roanne). J'avais appliqué seulement 5,5 % de hausse. Je pense que c'était parce que je connaissais bien le dossier " (cote 2380 à 2412).
b) Sur le secteur 2 : nord-ouest rhodanien
54. Lors de la consultation lancée pour l'attribution du marché n° 12-123 (lot 1, secteur 2), Setis n'a pas remis d'offre. La SCET a été déclarée attributaire sur la base d'une offre de prix augmentée de 20 % par rapport à l'accord-cadre, soit le maximum autorisé par le cahier des clauses administratives particulières.
55. Setis n'a pas davantage remis d'offres dans le cadre de la procédure lancée pour la passation du marché n° 12-125 (lot 2, secteur 2).
56. Interrogé, M. Z a déclaré : " J'ai indiqué à Mme B que je ne répondrai pas pour les territoires du nord-ouest rhodanien que je connais mal " (cotes 2380 à 2412). Concernant ce secteur, Mme B a précisé : " Je ne me souviens pas si M. Z m'a indiqué qu'il n'allait pas répondre sur le Nord-ouest rhodanien. Tous les marchés sont arrivés en même temps " (cotes 1899 à 1902).
c) Sur le secteur 3A : Saint-Étienne, Vallée de l'Ondaine, Vallée du Gier, Plaine de Forez
57. L'offre remise par Setis lors de la procédure lancée en vue de l'attribution du marché n° 12-130 (lot 1, secteur 3A) a été écartée comme inacceptable par l'Epora en raison d'une augmentation des prix de + 22 % et 41 % sur deux postes par rapport aux prix définis dans l'accord-cadre. Il en a été de même pour le marché n° 12-131 (lot 2, secteur 3A) en raison de dépassements oscillant entre 23 % et 77 % par rapport aux prix initiaux. Concernant ce marché, Mme B (SCET) a affirmé : " Il savait que je voulais le secteur de Saint-Étienne compte tenu du fait que j'étais précédemment employée à l'Epora et que je suis stéphanoise mais je ne le lui ai pas dit ouvertement ". (cotes 1988 à 1902).
d) Sur le secteur 4 : Nord-Drôme, nord-Ardèche, nord-Isère, sud-Rhône
58. Lors de la consultation lancée pour l'attribution du marché n° 12-118 (lot 2, secteur 4), la SCET n'a pas remis d'offre. Setis a remis une offre qui a cependant été écartée comme inacceptable en raison de l'augmentation du prix du poste n° 2004 (négociateur foncier) de plus de 25 %. A l'occasion de cette consultation, Setis a augmenté la quasi-totalité de ses tarifs de 20% à l'exception du poste n° 401 (recherche acquisition à partir du cadastre) dont le prix n'a été augmenté que de 18,52 %.
59. Dans ce contexte, l'Epora a été contrainte de déclarer l'appel d'offres infructueux et de relancer la procédure de passation, sous le n° 12-144. Setis a augmenté tous ses prix de 20 %, à l'exception du poste n° 401 dont elle n'a pas modifié le montant. La SCET a remis quant à elle une offre présentant une majoration de 37,14 % sur le poste n° 601.1, la rendant ainsi inacceptable.
60. Concernant ce secteur, M. Z a déclaré : " Le lot 1 du secteur nord-Drôme (secteur 4) ne m'intéressait pas car la SCET était déjà en opération sur ce territoire. Je n'allais pas me mettre en concurrence avec eux. J'étais par contre intéressé par le lot 2 secteur 4 ". (cotes 2380 à 2412).
61. En ce qui concerne le lot 2, Mme B (SCET) avait indiqué lors de sa première audition en date du 3 avril 2014 : " Concernant le marché n° 12-118 lot 2 secteur 4 Nord-Drôme, Nord-Ardèche, Nord-Isère, Sud-Rhône, il correspond à une zone rurale. Je n'étais pas très intéressée. À l'inverse, nous sommes plutôt intéressés par les zones urbaines, notamment parce que dans le cadre de notre réseau d'EPL, nous sommes amenés à travailler avec ces dernières ". (cotes 1786 à 1789).
62. Interrogé au sujet de l'offre inacceptable remis par son concurrent, M. Z a indiqué : " Sur le marché 12-144, SCET répond avec +37 % sur un poste suite à une relance. Je trouve ça étonnant. Nous savions pourtant la règle éliminant tout candidat dépassant les 20 %. Ils l'ont peut-être fait en sachant que nous étions très intéressés par ce secteur ".
63. Selon Mme B, le caractère inacceptable de l'offre de la SCET résulte de l'inversion, par erreur, de postes entre le lot 1 et le lot 2.
3. LES DIFFICULTÉS DANS LA GESTION DES MARCHÉS DE L'Epora
64. Lors de leurs auditions, Mme B (SCET) et M. Z (Setis) ont tenu, à faire état des difficultés qu'ils ont rencontrées à l'occasion des appels d'offres lancés par l'Epora. Ils ont notamment indiqué que le volume des bons de commande était incertain, que les bordereaux de prix à renseigner étaient trop détaillés et que les consultations en vue de la passation des marchés subséquents avaient été lancées à des dates très proches.
65. Mme B a notamment déclaré le 3 avril 2014 (cotes 1786 à 1789) : " Je souhaite préciser que nous n'avons pas l'habitude de remplir des bordereaux de prix unitaires aussi détaillés. Je n'avais jamais vu cela auparavant. II ne s'agit pas de la pratique habituelle des marchés, ce qui a rendu complexe la rédaction des documents de marché. L'avenant à l'accord-cadre (poste donné par propriétaire au lieu d'être donné par dossier) illustre un certain manque de connaissance de l'Epora sur ce secteur d'activités. (...) Au final, je dirais qu'il n'y a pas plus compliqué que le marché tel qu'il a été passé par l'Epora. Il peut être noté que fin 2013, l'Epora n'a pas souhaité renouveler son marché (alors que trois renouvellements étaient possibles) ".
66. Elle a précisé lors de sa seconde audition du 9 juillet 2014 (cotes 1899 à 1902) : " Je ne me doutais pas que l'Epora remettrait en question le nombre de missions des bons de commande. Je savais qu'ils avaient les compétences en interne de réaliser les négociations mais je ne pensais pas que cela aboutirait à un non-respect des bons de commandes ".
67. Concernant les avenants aux accords-cadres, M. Z a déclaré (cotes 2015 à 2018) : " Cet avenant a mis en place un prix forfaitaire au lieu d'un prix par propriétaire. Il y a au minimum trois propriétaires par opération. L'avenant a conduit à diminuer par trois environ le montant total du poste sans contrepartie sur les autres postes. C'est M. X de l'Epora qui a mené cette négociation. Il y avait des dysfonctionnements récurrents. Lors des marchés subséquents j'ai décidé d'utiliser la marge de 20 % car nous ne souhaitions pas prendre de risque au vu de l'avenant ".
68. Il a ajouté, concernant la périodicité des marchés subséquents : " Je pense que nous avons utilisé la clause de hausse maximum de 20 % à bon escient car il me semble que le déroulé des marchés subséquents n'est pas optimal en termes de lissage de l'activité pour nous. Pendant un an nous n'avons pas de travail et nous avons ensuite plusieurs dossiers sur une courte période donc obligation de renforcer les équipes pour répondre à la demande ".
69. Concernant le déroulement de cette consultation, M. Z a précisé : " Au final, nous avons franchement le sentiment d'avoir été "piégés" à la fois par un contexte contractuel lourd qui a connu différents atermoiements ainsi que par la gestion administrative pour le moins chaotique de ces marchés qui nous a fait perdre beaucoup de temps en amont de toutes nos interventions opérationnelles, ce qui explique que nous travaillons aujourd'hui sans véritable marge sur les différents dossiers confiés ".
70. Les représentants de l'Epora interrogés ont confirmé la complexité de ces marchés et la difficulté en résultant pour les co-attributaires dans l'anticipation de leur plan de charge (cotes 35 à 37) : " Une autre raison de variété des prix est peut être que lorsque nous avons passé nos marchés subséquents, les opérations n'étaient pas connues des attributaires. (...) Nous savons que les moyens d'ingénierie de la SCET et de Setis pour répondre à nos missions sont limités. De plus, ils ne pouvaient pas présupposer du plan de charge que le marché à bons de commandes allait générer. Cette incertitude pouvait être matière à prendre des précautions financières. Leurs offres, assez élevées, avaient peut-être pour but d'être dissuasives et de limiter les risques financiers d'un point de vue statistique ".
71. Mme Y et M. E (Epora) ont d'ailleurs déclaré à ce propos : " L'accord-cadre n'a pas été reconduit depuis décembre 2013 notamment car les prix proposés sur les marchés subséquents étaient élevés et que la concurrence était insuffisante ".
D. LE GRIEF NOTIFIÉ
72. Par courrier en date du 11 juillet 2016, la rapporteure générale de l'Autorité a notifié le grief suivant à la SCET, à Setis, au Groupe Caisse des dépôts et consignations et au Groupe Degaud :
73. " Il est fait grief aux personnes morales SA SCET et EURL Setis en tant qu'auteures des pratiques, ainsi qu'aux personnes morales Groupe Caisse des Dépôts et consignations et Groupe Degaud SARL en tant que sociétés mères, d'avoir échangé préalablement à la date de remise des offres, soit entre avril 2012, date de la passation du second marché subséquent, et janvier 2013, date d'attribution du dernier marché subséquent par le maître d'ouvrage, des informations sur leurs offres en vue de la passation du marché d'assistance foncière de l'Epora, ayant pour conséquence de tromper le maître d'ouvrage sur la réalité et l'étendue de la concurrence sur le marché, pratique contraire aux dispositions de l'article L. 420-1, notamment 2° et 4° du Code de commerce, prohibant les ententes anticoncurrentielles ".
III. Discussion
74. Les sociétés EURL Setis, en qualité d'auteur et, Groupe Degaud, en qualité de société mère, n'ont pas contesté la réalité du grief qui leur a été notifié et ont sollicité l'application des dispositions du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce auprès de la rapporteure générale de l'Autorité qui leur a soumis une proposition de transaction qu'ils ont acceptée.
75. En revanche, la SCET a contesté le grief qui lui a été notifié. Dès lors, sa participation aux pratiques anticoncurrentielles reprochées doit être discutée (voir, en ce sens, arrêt de la Cour d'appel de Paris du 26 janvier 2010, Adecco France e.a., confirmé sur pourvoi par arrêt de la Cour de cassation du 29 mars 2011, Manpower France e.a., T 10-12.913).
A. SUR LA RÉGULARITÉ DE LA PROCÉDURE
1. SUR LA RÉGULARITÉ DES INVESTIGATIONS MENÉES AUPRÈS DE L'AGENCE SCET DE DIJON LE 3 AVRIL 2014
76. La société SCET soutient que les agents de la DGCCRF qui sont intervenus le 3 avril 2014, sur le fondement de l'article L. 450-3 du Code de commerce, dans les locaux du pôle foncier de la SCET situés à Dijon, ont procédé à " recherches généralisées " sur le poste informatique de l'agence, sans avoir, au préalable, formulé de façon précise une demande de documents.
a) En droit
77. L'article L. 450-3 du Code de commerce, dans sa version issue de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, applicable en l'espèce, dispose que : " Les agents mentionnés à l'article L. 450-1 peuvent opérer sur la voie publique, pénétrer entre 8 heures et 20 heures dans tous lieux utilisés à des fins professionnelles et dans les lieux d'exécution d'une prestation de services, ainsi qu'accéder à tous moyens de transport à usage professionnel.
78. Ils peuvent également pénétrer en dehors de ces heures dans ces mêmes lieux lorsque ceux-ci sont ouverts au public ou lorsqu'à l'intérieur de ceux-ci sont en cours des activités de production, de fabrication, de transformation, de conditionnement, de transport ou de commercialisation.
79. Lorsque ces lieux sont également à usage d'habitation, les contrôles ne peuvent être effectués qu'entre 8 heures et 20 heures et avec l'autorisation du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance dans le ressort duquel sont situés ces lieux, si l'occupant s'y oppose.
80. Les agents peuvent exiger la communication des livres, factures et autres documents professionnels et obtenir ou prendre copie de ces documents par tout moyen et sur tout support. Ils peuvent également recueillir, sur place ou sur convocation, tout renseignement, document ou toute justification, nécessaires au contrôle.
81. Pour le contrôle des opérations faisant appel à l'informatique, ils ont accès aux logiciels et aux données stockées ainsi qu'à la restitution en clair des informations propres à faciliter l'accomplissement de leurs missions. Ils peuvent en demander la transcription par tout traitement approprié des documents directement utilisables pour les besoins du contrôle ".
82. Ainsi, dans le cadre de la procédure organisée par l'article L. 450-3 du Code de commerce, les agents habilités disposent de deux types de pouvoirs, communément attribués aux administrations chargés d'un pouvoir de contrôle et de surveillance : un droit d'accès et un droit de demander la communication de documents.
83. Au titre de leur droit d'accès, les agents habilités peuvent accéder, de façon inopinée ou non et simultanée ou non, à tous les locaux, terrains et moyens de transport à usage professionnel et ce, sur l'ensemble du territoire national.
84. Au titre de leur droit de demander la communication de documents, les agents peuvent, de manière non coercitive, demander la communication de documents professionnels ainsi que de renseignements et documents nécessaires au contrôle. La mise en œuvre du droit de communication suppose ainsi que les documents et informations soient volontairement communiqués par les entreprises ou organismes concernés, sans que les agents habilités ne puissent appréhender les pièces en cas de refus, ni procéder à des fouilles, à des saisies ou à des perquisitions.
85. La circonstance que le refus de communication des informations ou documents demandés puisse être à l'origine d'une injonction sous astreinte prononcée par l'Autorité de la concurrence, d'une amende administrative prononcée par cette autorité ou d'une sanction pénale ne confère pas une portée différente aux pouvoirs dévolus aux agents habilités par les dispositions contestées (décision du Conseil constitutionnel n° 2016-552 QPC du 8 juillet 2016, § 7).
86. Les enquêteurs peuvent demander la communication et la copie de livres, de factures ou de tout autre document professionnel. Ils sont habilités à contrôler les documents non officiels ou documents mixtes tels les notes internes, les comptes rendus de réunion, les agendas professionnels, même si ceux-ci comportent des annotations personnelles (décision, n° 97-D-39 du 17 juin 1997, relative à des pratiques mises en œuvre par différentes entreprises dans le secteur du béton prêt à l'emploi dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur) les e-mails, les contrats ou les circulaires commerciales.
87. La demande de communication doit être formulée de façon précise et porter sur des documents dont les enquêteurs connaissent l'existence et qu'ils sont en mesure d'identifier. Les agents peuvent également emporter des documents dès lors que ceux-ci leur ont été donnés en toute liberté et hors de toute contrainte (arrêt de la Cour de cassation, Chambre commerciale, 9 mai 2001, n° 98-22.150, § 5).
b) En l'espèce
88. Il ressort des mentions du procès-verbal de déclaration et de prise de copie de documents daté du 3 avril 2014 et signé par M. F, consultant foncier au sein de la société SCET, et par Mme C, assistante de direction, qu'au cours de leur visite, les agents de concurrence ont procédé " au formatage d'une clé USB d'une capacité de 8 GO " qu'ils ont remis à M. F " afin de permettre la communication des fichiers informatiques. ". Les agents ont par ailleurs, " demandé communication des documents énumérés ci-après à M. F pour en prendre copie :
- Document 1 : tableau de l'indice ING du 1er novembre 2011 au 31 janvier 2014 : 1 feuillet.
- Document 2 : tableau d'indice Syntec 2010 à 2014 - édition Lefebvre : 1 feuillet.
- Document 3 : Échéancier prévisionnel 2014 de facturation de la société SCET (pôle foncier de l'agence de Dijon) : 7 feuillets
- Document 4 : Échéancier prévisionnel 2014 de facturation de la société SCET (pôle foncier de l'agence de Lyon) : 2 feuillets
- Document 5 : Fiche d'ouverture d'un contrat SCET (n° 12P70201) lot 1 secteur 4 saisi le 21/11/2012 : 1 feuillet
- Document 6 : Fiche d'ouverture d'un contrat SCET (n° 12P70201) lot 1 secteur 4 saisi le 5 mars 2013 : 1 feuillet
- Document 7 : Tableau de bord de l'affaire n° 12P70201 édité le 8 juillet 2013 avec notes manuscrites : 1 feuillet
- Document 8 : Fiche d'ouverture d'un contrat SCET (n° 13P09901) lot 1 secteur 3A
- Annexe 1 : inventaire des fichiers pris en copie sur CD-R : 6 feuillets " (cotes 82 à 106).
89. Il résulte du contenu même de ce procès-verbal, qui retranscrit les déclarations de M. F, que les documents listés ci-dessus dont les agents de concurrence ont demandé la communication ont été évoqués par M. F au cours de l'entretien et ont été remis en dehors de toute contrainte. De plus, l'inventaire numérique des fichiers pris en copie annexé au procès-verbal ne répertorie que des fichiers relatifs au marché de l'Epora. Par suite, ni les mentions de ce procès-verbal, ni aucune autre pièce du dossier d'enquête ne permettent de confirmer les allégations de la SCET selon lesquelles les agents de concurrence auraient procédé à une fouille des ordinateurs et auraient formulé une demande de documents indéterminée.
2. SUR LA NON-CONFORMITÉ ALLÉGUÉE DES DISPOSITIONS DU CINQUIÈME ALINÉA DE L'ARTICLE L. 450-3 DU CODE DE COMMERCE À LA CONSTITUTION ET À LA CONVENTION EUROPÉENNE DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTÉS FONDAMENTALES
90. La SCET soutient qu'en tout état de cause les dispositions du cinquième alinéa de l'article L. 450-3 du Code de commerce sont contraires à la Constitution et à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.
91. À titre liminaire, il doit être relevé que les dispositions du quatrième alinéa de l'article L. 450-3 du Code de commerce, déclarées conformes à la Constitution (décision du Conseil constitutionnel n° 2016-552 QPC du 8 juillet 2016, Société Brenntag), permettent aux enquêteurs d'obtenir ou de prendre copie " par tous moyens et sur tous supports " des documents dont ils peuvent obtenir communication, y compris de documents enregistrés dans le système informatique de l'entreprise.
92. Le cinquième alinéa de l'article L. 450-3 se borne à préciser les modalités de ce droit de communication, déjà prévu par le quatrième alinéa, pour le contrôle des opérations faisant appel à l'informatique. En vertu du cinquième alinéa, les enquêteurs peuvent obtenir la restitution en clair des informations et demander la transcription des documents directement utilisables. Ces modalités particulières d'accès aux documents informatiques sont communément attribuées aux administrations (voir notamment les dispositions des articles L. 1421-3 du Code de la santé publique, L. 215-3 du Code de la consommation, R. 141-3 et R. 241-4 du Code des juridictions financières).
93. L'Autorité constate en outre qu'en l'espèce les enquêteurs n'ont pas sollicité la restitution en clair d'informations ou la transcription de documents par un traitement approprié au sens du cinquième alinéa de l'article L. 450-3. Ils se sont en effet bornés à prendre copie des documents sur une clé USB.
a) S'agissant du droit à un recours juridictionnel effectif et du droit à un procès équitable
94. À l'appui de ses observations, la SCET fait valoir que les dispositions du cinquième alinéa de l'article L. 450-3 du Code de commerce méconnaissent le droit à un recours juridictionnel effectif et le droit à un procès équitable, dès lors qu'elles ne prévoient pas la possibilité de former un recours direct et immédiat contre les actes d'enquête qu'elles instituent.
95. Le Conseil constitutionnel tire de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen le principe du droit à un recours juridictionnel effectif (voir notamment décision n° 2011-138 QPC du 17 juin 2011, Association Vivraviry). Il résulte de la protection constitutionnelle accordée à ce principe que le législateur ne peut porter d'atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction (voir notamment décision n° 2012-231/234 QPC du 13 avril 2012, Stéphane C et autres). En outre, en matière juridictionnelle, le respect des droits de la défense, protégé par l'article 16 de la Déclaration de 1789, implique, en particulier, l'existence d'une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties (décision du Conseil constitutionnel n° 2014-190 QPC du 21 octobre 2011, Bruno L.).
96. L'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales stipule : " 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) ". Cet article, dans son volet pénal, est applicable aux décisions de sanction prises par l'Autorité de la concurrence (CEDH, aff. Lilly France S.A. c/ France du 3 décembre 2002 n° 53892/00). En outre, dans une procédure de nature administrative [telle que celle prévue par l'article L. 450-3 du Code de commerce], le respect de l'article 6 de la Convention s'apprécie compte tenu de l'existence d'un recours de pleine juridiction ouvert contre la décision de sanction qui sera prise par l'Autorité devant " un tribunal offrant les garanties de l'article 6. " (Cour EDH Kadubec c. Slovaquie n° 27061/95 du 2 septembre 1998 § 57 ; Cour EDH Candy c. Slovaquie n° 53371/92 §31 du 16 novembre 2004).
97. Le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions du quatrième alinéa de l'article L. 450-3 du Code de commerce, qui fixent les modalités du droit des agents habilités d'exiger la communication d'informations et de documents dans les enquêtes de concurrence. (décision du Conseil constitutionnel n° 2016-552 QPC du 8 juillet 2016, précitée). À cette occasion, le Conseil constitutionnel a jugé, que " les demandes de communication d'informations et de documents formulées sur le fondement des dispositions contestées ne sont pas en elles-mêmes des actes susceptibles de faire grief. D'autre part, si une procédure est engagée contre une entreprise à la suite d'une enquête administrative pour pratique anticoncurrentielle ou si une astreinte ou une sanction est prononcée à l'encontre d'une entreprise, la légalité des demandes d'informations peut être contestée par voie d'exception. En outre, en cas d'illégalité de ces mesures, même en l'absence de décision faisant grief, le préjudice peut être réparé par le biais d'un recours indemnitaire. Il en résulte que les dispositions contestées ne portent pas atteinte au droit des personnes intéressées de faire contrôler, par les juridictions compétentes, la régularité des mesures d'enquête ".
98. En outre, les dispositions du cinquième alinéa de cet article se bornent à préciser le droit de communication reconnu aux agents à l'occasion du contrôle des opérations faisant appel à l'informatique. Que la demande de communication concerne un document papier ou un document informatique, elle n'est pas susceptible, en elle-même, de faire grief. Dans le cas en particulier où, comme en l'espèce, une procédure est engagée contre une entreprise à la suite d'une enquête pour pratique anticoncurrentielle, la légalité des demandes d'informations peut être contestée par voie d'exception dans le cadre d'une requête devant la Cour d'appel de Paris, laquelle offre toutes les garanties d'un recours juridictionnel effectif au sens de la Constitution et de la Convention européenne des droits de l'Homme.
99. La non-conformité alléguée des dispositions du cinquième alinéa de l'article L. 450-3 du Code de commerce à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen et à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme n'est donc pas fondée.
b) S'agissant du principe de sécurité juridique
100. La SCET soutient que les dispositions du cinquième alinéa de l'article L. 450-3 du Code de commerce méconnaissent le principe de sécurité juridique dans la mesure où elles n'indiquent pas avec un degré de précision suffisant le périmètre dans lequel les enquêteurs peuvent agir, et en particulier, ne précisent pas que les agents habilités ne peuvent que se faire présenter des documents informatiques préalablement définis.
101. La jurisprudence du Conseil constitutionnel, sans explicitement consacrer le principe de sécurité juridique, retient avec constance qu'" il est à tout moment possible au législateur statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions ; que, ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ; qu'en particulier, il ne saurait, sans motif d'intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations " (voir décision n° 2013-682 DC du 19 décembre 2013, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 ; décision n° 2016-538 QPC du 22 avril 2016, Époux M. D.).
102. D'une façon plus générale, le Conseil constitutionnel tire de la " garantie des droits " requise par l'article 16 de la Déclaration de 1789 un objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi (décision n° 99-421 DC du 16 novembre 1999 Loi habilitant le gouvernement à procéder par voie d'ordonnances à l'adoption de certains codes). Sur le fondement de l'article 34 de la Constitution, un principe de clarté de la loi a été dégagé (décision du Conseil constitutionnel n° 2001-455 DC du 12 janvier 2002).
103. Le principe de sécurité juridique tel que consacré par la Cour européenne des droits de l'Homme implique notamment la clarté, la précision et la prévisibilité de la loi (arrêt Stell et autres contre Royaume-Uni du 23 septembre 1998, Recueil 1998-VII, p. 1735, § 54 ; arrêt Baranowski contre Pologne du 28 mars 2000, req. n° 28358/95, §52).
104. Au cas d'espèce, les dispositions du cinquième alinéa de l'article L. 450-3 du Code de commerce qui prévoient que les agents habilités, pour le contrôle des opérations faisant appel à l'informatique, peuvent avoir accès aux logiciels et aux autres données stockées ainsi qu'à la restitution en clair des informations propres à faciliter l'accomplissement de leurs missions sont claires, précises et intelligibles. La non-conformité alléguée de ces dispositions au principe de sécurité juridique n'est donc pas fondée.
c) S'agissant du droit au respect de la vie privée, du principe de l'inviolabilité du domicile et du principe du secret des correspondances
105. La SCET soutient que les dispositions de l'article L. 450-3 du Code de commerce, faute de prévoir une voie de recours immédiate contre les actes d'enquête qu'elles instituent, méconnaissent le droit au respect de la vie privée, le principe de l'inviolabilité du domicile et celui du secret des correspondances.
106. Le Conseil constitutionnel tire des dispositions de l'article 2 de la Déclaration de 1789 le droit au respect de la vie privée, le principe de l'inviolabilité du domicile (décision n° 2015-464 QPC du 9 avril 2015, Marc A.) et le principe du secret des correspondances (décision n° 2015-713 DC du 23 juillet 2015, loi relative au renseignement, considérant n° 2). Dans ce cadre, il appartient au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions et, d'autre part, le respect des droits et libertés constitutionnellement protégés (décision du Conseil constitutionnel n° 2004-492 DC du 2 mars 2004, loi portant adaptation de la justice à l'évolution de la criminalité, considérant n° 10).
107. Selon la Cour européenne des droits de l'Homme, dans certaines circonstances, les droits garantis sous l'angle de l'article 8 de la Convention peuvent être interprétés comme incluant pour une société le droit au respect de son siège social, son agence ou ses locaux professionnels, à l'égard desquels le droit d'ingérence des États peut cependant aller plus loin (voir CEDH Niemietz c. Allemagne, 16 décembre 1992, § 30-31, série A, n° 251-B ; Société Colas Est et autres c. France, n° 37971/97, § 40-41).
108. Cependant, le droit de communication des agents habilités, prévu par l'article L. 450-3 du Code de commerce, s'exerce en dehors de toute contrainte et ne permet en aucun cas d'appréhender un document en cas d'opposition de son détenteur. De plus, ce droit de communication porte sur des " livres, factures et autres documents professionnels ", éventuellement stockés sur support informatique, propres à faciliter l'accomplissement par les agents de leurs missions. Ces dispositions " ne permettent pas d'exiger la communication de documents protégés par le droit au respect de la vie privée ou par le secret professionnel. Par conséquent, elles ne sont contraires, ni au principe du secret des correspondances, ni, plus généralement, au droit au respect de la vie privée " (décision du Conseil constitutionnel n° 2016-552 QPC précitée ; voir dans le même sens, s'agissant des articles L. 621-10 du Code monétaire et financier, 143-1 et 143-6 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers : CE, 14 septembre 2016, M. Garnier et autre, n° 397990 et 11 décembre 2015, Sté Bernheim Dreyfus, n° 389096, mentionné aux Tables ; s'agissant de l'article L. 215-3 du Code de la consommation : Cass. crim., 26 juin 2012, n° 12-90.031).
109. Il résulte de ce qui précède que la SCET n'est pas fondée à soutenir que le cinquième alinéa de l'article L. 450-3 du Code de commerce serait contraire à la Constitution et à la Convention européenne des droits de l'Homme.
B. SUR LE BIEN-FONDÉ DU GRIEF NOTIFIÉ
1. RAPPEL DES PRINCIPES APPLICABLES
110. L'article L. 420-1 du Code de commerce prohibe les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites entre les entreprises lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché.
111. En matière de marchés publics ou privés sur appel d'offres, une concertation entre entreprises concurrentes, contraire à l'article L. 420-1 du Code de commerce, est établie dès lors que la preuve est rapportée, soit qu'elles sont convenues de coordonner leurs offres, soit qu'elles ont échangé des informations antérieurement à la date où le résultat de l'appel d'offres est connu ou peut l'être, et ce afin d'échapper au principe de l'indépendance des offres et fausser le jeu d'une libre concurrence (arrêts de la Cour d'appel de Paris du 18 novembre 2003, SAS Signaux Laporte e.a., BOCCRF n° 2004-02 et du 18 décembre 2001, SA Bajus Transports e.a., BOCCRF n° 2002-03).
112. Des échanges d'informations portant sur l'existence de concurrents, leur nom, leur importance, leur disponibilité en personnel ou en matériel, leur intérêt ou leur absence d'intérêt pour le marché considéré, ou les prix qu'ils envisagent de proposer, altèrent ainsi le libre jeu de la concurrence en limitant l'indépendance des offres (voir les décisions du Conseil n° 06-D-08 du 24 mars 2006 relative à des pratiques mises en œuvre dans le cadre de marchés publics de construction de trois collèges dans le département de l'Hérault, n° 08-D-33 du 16 décembre 2008 relative à des pratiques mises en œuvre à l'occasion d'appels d'offres de la ville d'Annecy et du conseil général de Haute-Savoie pour le transport par autocar, et n° 09-D-03 du 21 janvier 2009 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport scolaire et interurbain, par autocar dans le département des Pyrénées-Orientales, confirmées par les arrêts de la Cour d'appel de Paris du 23 octobre 2007, SNC Eiffage Construction Languedoc, 2006/07494, du 3 novembre 2009, Compagnie française de transport interurbain, 2009/01024 et du 5 janvier 2010, Ponsarty SARL e.a., 2009/02679).
113. La preuve de l'antériorité de la concertation par rapport au dépôt de l'offre peut être déduite, à défaut d'une date certaine apposée sur un document, de l'analyse de son contenu et du rapprochement de celui-ci avec des éléments extrinsèques et notamment avec le résultat des appels d'offres (arrêt de la Cour d'appel de Paris du 2 avril 1996, société Pro Gec SA, BOCCRF du 15 mai 1996).
114. Elle peut, plus généralement, résulter d'un faisceau d'indices constitué par le rapprochement de divers éléments, même si chacun d'eux n'a pas, pris isolément, un caractère suffisamment probant (arrêt de la Cour d'appel de Paris du 16 septembre 2010, société Raffalli & Cie, SARL, 2009/24 813, p. 7). Comme l'a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt du 8 décembre 1992, Établissements Phibor (n° 1894), " c'est moins la valeur intrinsèque de chaque indice pris isolément qui est déterminante que la force de conviction que fait naître, à l'issue du débat contradictoire, la réunion de tous les indices ".
115. Par ailleurs, un document régulièrement saisi, quel que soit le lieu où il l'a été, est opposable à l'entreprise qui l'a rédigé, à celle qui l'a reçu et à celles qui y sont mentionnées et peut être utilisé comme preuve par le rapprochement avec d'autres indices concordants, d'une concertation ou d'un échange d'informations entre entreprises (arrêt Bajus transports, précité).
2. APPRÉCIATION EN L'ESPÈCE
116. Plusieurs éléments recueillis au cours de l'enquête permettent de démontrer que les parties ont participé à une entente anticoncurrentielle dont l'objet était de se répartir les marchés subséquents aux deux accords-cadres pour des missions d'assistance foncière à maîtrise d'ouvrage conclus avec Epora en 2011.
117. La comparaison des empreintes numériques des bordereaux de prix unitaires de Setis pris en copie auprès de chaque société a permis d'établir que ces bordereaux proviennent effectivement de la société Setis. Mme B a d'ailleurs, lors de son audition du 9 juillet 2012, reconnu avoir échangé ses prix contre ceux de son concurrent (paragraphe 33). Si M. Z ne confirme pas cet échange (cotes 2380 à 2412), les hypothèses qu'il avance - à savoir que les BPU de sa société auraient pu être transmis à SCET par erreur par l'une de ses collaboratrices ou que l'Epora aurait involontairement communiqué les prix de Setis à son concurrent - ne peuvent être accueillies. D'une part, la première hypothèse est peu crédible au regard de l'ensemble des indices démontrant l'existence d'une entente. D'autre part, la seconde hypothèse est contredite par les explications recueillies auprès de l'Epora. Comme cela ressort des constatations (paragraphe 36), les BPU de Setis produits par l'Epora au cours de l'enquête comportent le cachet de la société et la signature de son représentant. Or, tel n'est pas le cas des copies de ces bordereaux recueillis auprès de la SCET. L'Epora a d'ailleurs expliqué que Setis avait répondu de façon non dématérialisée à l'accord-cadre en produisant des BPU sur support papier. Enfin, si comme l'a indiqué M. Z, des BPU ont pu être transmis à l'Epora au format Excel, ces BPU présentent l'intitulé du marché subséquent concerné et non celui de l'accord-cadre et comportent, en outre, une colonne supplémentaire intitulée " quantité ". Les BPU de Setis pris en copie sur support informatique auprès de la SCET ne peuvent donc provenir des services de l'Epora.
118. De plus, il est établi que les sociétés Setis et la SCET se sont concertées, à compter du mois d'avril 2012, pour échanger des informations précises sur leur intérêt respectif à l'attribution de onze marchés subséquents aux accords-cadres.
119. Il ressort en effet des déclarations de Mme B et de M. Z qu'un échange téléphonique est intervenu entre les deux concurrents en avril 2012, soit durant la période de consultation lancée pour la passation du premier marché subséquent (paragraphes 43 à 45). M. Z a déclaré que Mme B l'avait contacté pour se présenter, connaître la société Setis, son positionnement et savoir si des secteurs intéresseraient davantage Setis pour le marché de l'Epora. (cotes 2015 à 2018). En réponse, M. Z lui a indiqué qu'il " n'allait pas casser le prix " ni " répondre au-delà de ses lignes (tout sauf Nord-Ouest Rhodanien à l'exception de Roanne) ".
120. M. Z a encore déclaré avoir reçu Mme B dans les locaux de la société Setis peu après sa prise de poste en janvier 2012 (cotes 2380 à 2412). Lors de cette entrevue, il lui a signifié les territoires sur lesquels Setis remettrait une offre. Mme B n'a pas confirmé cette rencontre. Toutefois, lors de sa première audition, elle a déclaré : " il est vrai que nous avons eu un contact portant sur certains points de secteur géographique mais cela n'a eu aucun impact sur les marchés. (...) ". (paragraphe 48). Plus tard, Mme B a reconnu avoir eu au moins deux contacts avec M. Z, au cours desquels, ils ont " abordé ensemble les secteurs géographiques du marché ". (Paragraphe 51).
121. L'analyse des offres remises respectivement par Setis et SCET dans le cadre des consultations lancées par Epora démontre que l'échange d'information entre les deux sociétés avait pour objet de répartir les marchés. Chaque société a obtenu quatre marchés subséquents dans ses zones de prédilection. Et chaque société a remporté la consultation concernée en utilisant la majoration de prix maximale prévue par les accords-cadres.
122. Pour obtenir ce résultat, l'une des deux sociétés a, soit omis de remettre une offre, soit remis une offre irrégulière. Ces offres irrégulières ont constitué des offres de couverture qui ont permis à l'entreprise pré-désignée d'obtenir les marchés qu'elle souhaitait en fonction des secteurs sur lesquels elle entendait se positionner et au maximum de l'augmentation autorisée par l'article 9.3 du cahier des clauses administratives particulières.
123. Sur le secteur 1A (Roanne, couronne, périphérie des Monts de la Madeleine), Mme B a indiqué avoir informé son concurrent qu'elle n'allait pas soumissionner puisque Setis y était déjà en opération. M. Z était donc certain de remporter cette consultation puisque son unique concurrent le lui avait signifié. C'est ainsi que la SCET a remis des offres irrégulières lors de la première série de consultations qui a porté sur les marchés n° 12-132 et n° 12-133, puis, n'a pas remis d'offres lors de la seconde série de consultations relative aux marchés n° 13-005 et n° 13-006.
124. La première offre irrégulière de la SCET constitue donc une offre de couverture au profit de Setis, attributaire préalablement désigné.
125. Grâce à cette offre de couverture lors de la première consultation d'une part, et l'absence d'offre de la SCET sur la seconde, Setis avait l'assurance de ne pas rencontrer de concurrence sur ces marchés.
126. Setis en a ainsi profité pour opérer une hausse de prix de 19,5 %, soit une augmentation proche des 20 % autorisés par le maître d'œuvre.
127. S'agissant du secteur 2 : nord-ouest rhodanien, Setis a exprimé son désintérêt. En effet, elle n'a pas remis d'offre au maître d'œuvre afin de permettre à la SCET de remporter ce marché, en pratiquant une hausse de prix de 20 %, soit le maximum autorisé par le CCAP de l'accord-cadre.
128. En outre, selon Mme B, l'intérêt de la SCET pour le secteur 3 A : Saint-Étienne, Vallée de l'Ondaine, Vallée du Gier, Plaine de Forez, était connu de M. Z. Sur la base de cette information, Setis a remis pour ce secteur des offres que l'Epora n'a pu que déclarer inacceptables en raison d'un dépassement du prix maximum autorisé par les accords-cadres. Dans un courrier daté du 16 février 2012 (cote 51), le maître d'œuvre avait pourtant rappelé aux deux co-attributaires les dispositions du CCAP relatives à la hausse maximale de 20 % par rapport aux prix de l'accord-cadre.
129. Enfin, sur le secteur 4 : nord-Drôme, nord-Ardèche, nord-Isère, sud-Rhône, SCET a remporté le lot n° 1 en majorant ses prix de 20 %, alors que son concurrent Setis n'a pas remis d'offre. Sur le lot n° 2, lors de la relance du marché (n° 12-144), Setis a remis une offre majorée de 20 %, alors que dans le même temps l'offre de la SCET a été jugée inacceptable en raison d'un dépassement des seuils fixés par le CCAP.
130. Ainsi et contrairement à ce que soutient la SCET, l'analyse des offres remises par les deux sociétés à l'occasion de la passation de onze marchés subséquents fait clairement apparaître un échange de déclarations d'intérêts entre concurrents pour les secteurs concernés antérieur à l'attribution des marchés. Cette transparence a permis aux deux co-attributaires de majorer leurs tarifs en pratiquant des prix proches du haut de la fourchette prévue par les accords-cadres.
131. Dans ses observations en défense, la SCET soutient que l'échange de bordereaux de prix, même établi, ne suffit pas à démontrer une entente anticoncurrentielle dès lors d'une part que les prix communiqués avaient été fixés antérieurement à la signature de l'avenant aux accords-cadres en juillet 2012 et étaient donc dénués de toute pertinence au stade de l'attribution des marchés subséquents et, d'autre part, que compte tenu de la date supposée de l'échange le 23 novembre 2012, ils n'ont pu influencer le comportement des entreprises lors de l'attribution des marchés subséquents.
132. Mais il résulte des constatations que c'est au plus tard le 23 novembre 2012 que l'échange de prix est intervenu. Cet échange d'informations qui portait sur les prix pratiqués par les deux concurrents, et par suite, sur l'un des trois critères de choix des offres par le pouvoir adjudicateur, est donc intervenu antérieurement à l'attribution de plusieurs des marchés subséquents. Par ailleurs, l'échange de bordereaux de prix n'est qu'un indice qui vient s'ajouter à la constatation de l'existence des échanges d'informations sur l'intérêt respectif des candidats pour les différents lots et des modalités de réponse aux consultations.
133. La SCET fait également état de dysfonctionnements dans les procédures de consultation imputables à l'Epora. La société indique notamment que la quasi-totalité des consultations relatives à la passation des marchés subséquents ont été lancées à quelques jours d'intervalle au mois d'octobre 2012 de sorte que chaque entreprise soumissionnaire n'a eu que peu de temps pour préparer ses offres ce qui, selon elle, expliquerait que des offres irrégulières aient pu être remises ou que des secteurs aient pu être privilégiés au détriment d'autres. Elle précise en outre que le marché passé par l'Epora étant multi-attributaire, il n'était pas de bonne pratique que l'Epora ne retienne que deux attributaires, dont l'un était plus spécialisé dans l'urbain, l'autre dans le rural.
134. Toutefois, la circonstance que les deux entreprises retenues dans le cadre de l'accord-cadre avaient une spécialisation plus prononcée pour l'une dans l'urbain et pour l'autre dans le rural ne peut justifier l'existence des pratiques qui leur sont reprochées. Par ailleurs, en admettant même que le maître d'œuvre n'ait pas accompli toutes les diligences pour permettre aux sociétés candidates de remettre leurs offres dans les meilleures conditions possibles en termes de délais, cette seule circonstance n'est pas de nature à démontrer l'absence d'entente prohibée. En effet, indépendamment de l'attitude du maître d'œuvre, l'échange d'informations sensibles entre les deux sociétés mises en cause avait pour objet de répartir équitablement les marchés entre les deux co-attributaires des accords-cadres et par là même, de faire obstacle au libre jeu de la concurrence.
Conclusion
135. L'ensemble des éléments recueillis au cours de l'enquête administrative tels qu'exposés ci-dessus constituent un faisceau d'indices suffisamment graves, précis et concordants propre à démontrer la participation de la SCET à une entente anticoncurrentielle avec la société Setis lors de la passation du marché de l'assistance foncière de l'Epora, en violation de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
C. SUR L'IMPUTABILITÉ DES PRATIQUES
1. EN DROIT
136. Selon une jurisprudence constante, lorsque l'existence d'une infraction est établie, il convient de déterminer la personne physique ou morale qui était responsable de l'exploitation de l'entreprise en cause au moment où l'infraction a été commise, afin qu'elle réponde de cette infraction. L'infraction doit ainsi être imputée, sans équivoque, à une personne juridique qui sera susceptible de se voir infliger la sanction (arrêt de la Cour de justice du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, aff. C-97/08 P, Rec. 2009 p. I-8237, point 57 ; Cour d'appel de Paris, 6 novembre 2014, SNCF, RG n° 2013-01128, page 60).
137. La notion d'entreprise et les règles d'imputabilité relèvent des règles matérielles du droit de la concurrence de l'Union européenne. Bien que l'interprétation qu'en donnent les juridictions de l'Union ne s'impose pas à l'autorité nationale de concurrence, et aux juridictions nationales lorsqu'elles appliquent les articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce, l'Autorité retient cette interprétation afin d'assurer la cohérence de sa pratique décisionnelle en matière d'imputabilité (voir les décisions n° 11-D-02 du 26 janvier 2011 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la restauration des monuments historiques, paragraphe 597, et n° 11-D-13 du 5 octobre 2011 relative à des pratiques relevées dans les secteurs des travaux d'électrification et d'installation électrique dans les régions Midi-Pyrénées, Languedoc-Roussillon, Auvergne et limitrophes, paragraphe 352).
138. Le juge de l'Union a précisé que la notion d'entreprise doit être comprise comme désignant une unité économique, même si, du point de vue juridique, celle-ci est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales (arrêts de la Cour de justice du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, précité, point 55, du 29 mars 2011, ArcelorMittal Luxembourg/Commission et Commission/ArcelorMittal Luxembourg e.a., C-201/09P et C-216/09 P, Rec. 2011 p. I-2239, point 95, du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission C-521/09 P, Rec 2011 p. I-8947, point 53, et de la Cour d'appel de Paris du 29 mars 2012, Lacroix Signalisation e.a. n° 2011/01228, p. 18). De plus, " la notion d'entreprise comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement " (arrêt de la Cour de justice du 28 juin 2005, aff. C-189-02 P). C'est cette entité économique qui doit, lorsqu'elle enfreint les règles de concurrence, répondre de cette infraction, conformément au principe de responsabilité personnelle sur lequel repose le droit de la concurrence de l'Union.
139. Ainsi, au sein d'un groupe de sociétés, le comportement d'une filiale peut être imputé à la société mère notamment lorsque, bien qu'ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l'essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques. Dans le cas particulier où une société mère détient, directement ou indirectement par le biais d'une société interposée, la totalité ou la quasi-totalité du capital de sa filiale auteur d'un comportement infractionnel, il existe une présomption réfragable selon laquelle cette société mère exerce une influence déterminante sur le comportement de sa filiale. Si la présomption n'est pas renversée, l'autorité de concurrence sera en mesure de tenir la société mère pour solidairement responsable pour le paiement de la sanction infligée à sa filiale (arrêts de la Cour de justice du 29 septembre 2011, Arkema/Commission, C-520/09 P, point 42 et de la Cour d'appel de Paris, Lacroix Signalisation e.a. précité).
2. APPLICATION AU CAS D'ESPÈCE
a) Sur l'imputabilité des pratiques à la SCET en tant qu'auteur
140. La SCET soutient que les pratiques reprochées sont uniquement imputables à Mme B, directrice des agences de Lyon et de Dijon, qui bénéficiait d'une autonomie de décision pour conclure des marchés publics de taille importante.
141. Toutefois, les agences de Lyon et de Dijon de la société SCET sont dépourvues de la personnalité juridique. Par suite, la SCET, qui dispose pour sa part de la personnalité morale doit être tenue pour responsable de l'infraction en cause.
b) Sur l'imputabilité des pratiques au Groupe CDC en tant qu'entité mère
142. Le Groupe Caisse des dépôts et consignations détient 100 % du capital de la SCET depuis le mois de mars 2012, soit antérieurement à la date de début des pratiques. Dans ces conditions, le Groupe Caisse des dépôts et consignations est présumé exercer une influence déterminante sur le comportement de sa filiale.
143. Pour tenter de renverser cette présomption, le Groupe Caisse des dépôts et consignations et consignations soulève plusieurs arguments.
144. En premier lieu, le Groupe CDC se prévaut de son statut légal spécial, lequel ferait obstacle à l'exercice d'une influence déterminante sur sa filiale. Il précise en outre que la Caisse des dépôts et consignations, qui est dépositaire de missions d'intérêt général, n'exerce aucune activité commerciale et que, dans ces conditions, les garanties financières qu'elle devrait apporter à la SCET en cas de condamnation par l'Autorité s'apparenteraient à des aides d'État sous forme de garantie au sens de la communication de la Commission européenne 2008/C 155/02.
145. Mais selon le premier alinéa de l'article L. 518-2 du Code monétaire et financier, " la Caisse des dépôts et consignations et ses filiales constituent un groupe public au service de l'intérêt général et du développement économique du pays ". Ce groupe " remplit des missions d'intérêt général en appui des politiques publiques conduites par l'État et les collectivités territoriales et peut exercer des activités concurrentielles ". Ainsi, et sans qu'y fasse obstacle le statut légal et les missions d'intérêt général dévolues à la Caisse des dépôts et consignations, le Groupe Caisse des dépôts et consignations, qui, par l'intermédiaire de la SCET, exerce une activité économique entrant dans le champ concurrentiel, constitue, avec cette dernière, une entité économique au sens du droit de la concurrence.
146. Surabondamment, le Groupe CDC, en tant qu'entité mère, étant tenu solidairement responsable des pratiques en cause et, par là même, solidairement responsable pour le paiement de la sanction, les sommes qu'il sera amené à verser à ce titre ne peuvent être regardées comme constituant des aides d'État sous forme de garantie au sens de la communication de la commission précitée.
147. En deuxième lieu, le Groupe CDC fait valoir qu'il rassemble plus de 150 filiales directes qui exercent des activités de nature différente et que, dans ces conditions, la taille du groupe ne permet pas, matériellement, à ce dernier d'exercer sur chacune d'elles une influence déterminante. Toutefois, dans un groupe de sociétés, la division des tâches constitue un phénomène normal qui ne suffit pas à renverser la présomption selon laquelle le Groupe CDC exerce une influence déterminante sur le comportement de la SCET (voir Tribunal de l'Union européenne, 14 juillet 2011, Arkema, T-189/06 point 76).
148. En troisième lieu, le groupe CDC fait valoir qu'au moment des pratiques, la SCET disposait d'une autonomie de décision. Il indique qu'à l'époque des faits, la politique commerciale de la SCET relevait du comité de direction de cette dernière au sein duquel aucun membre de la Caisse des dépôts et consignations ne siégeait. Toutefois, l'absence d'implication directe des dirigeants de la société mère ou leur ignorance des faits incriminés, à supposer même qu'elles puissent être établies, ne sauraient suffire à réfuter la présomption d'exercice d'une influence déterminante. (Voir, Tribunal, 7 juin 2011, Arkema, T-217/06 point 81). Par ailleurs, l'Autorité relève que le Groupe Caisse des dépôts et consignations consolide les comptes de ses filiales, et notamment ceux de la société SCET. Le conseil d'administration de la SCET est au surplus majoritairement constitué par des membres de la Caisse des dépôts et consignations.
149. Il résulte de ce qui précède que le groupe CDC ne renverse pas la présomption selon laquelle il exerce une influence déterminante sur sa filiale SCET. Par suite, les pratiques en cause doivent être imputées à la SCET, en tant qu'auteur des pratiques et au Groupe CDC, en tant que société mère.
IV. Sur la sanction
150. Le troisième alinéa du I de l'article L. 464-2 du Code du commerce prévoit que " les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation individuelle de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction ". Il y a lieu d'apprécier ces critères légaux selon les modalités pratiques décrites dans le communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires (ci-après, " le communiqué sanctions ").
151. L'article L. 464-5 du Code du commerce dispose que l'Autorité peut, lorsqu'elle met en œuvre la procédure simplifiée prévue à l'article L. 463-3 du Code du commerce, prononcer les sanctions prévues au I de l'article L. 464-2 de ce code. Toutefois, la sanction ne peut excéder 750 000 euros pour l'entreprise mise en cause.
1. SUR LA DÉTERMINATION DU MONTANT DE BASE DE LA SANCTION
a) Sur l'assiette de la sanction
152. Le communiqué sanctions (points 67 et 68) prévoit une méthode spécifique de détermination des sanctions pécuniaires dans le cas de pratiques mises en œuvre à l'occasion d'appels d'offres. En effet, dans ce cas, la valeur des ventes ne constitue pas un indicateur approprié de l'ampleur économique de ces pratiques, qui revêtent un caractère instantané, et du poids relatif de chaque entreprise ou organisme qui y prend part, en particulier lorsque leur implication consiste à réaliser des offres de couverture ou à s'abstenir de soumissionner.
153. La Cour d'appel de Paris a déjà approuvé l'Autorité d'avoir recouru, dans le cas d'infractions ayant consisté à fausser la concurrence dans le cadre d'appels d'offres publics ou privés, afin de déterminer la sanction, à une assiette constituée par le chiffre d'affaires réalisé par chacune des entreprises mises en cause au cours de l'exercice pendant lequel la pratique a eu lieu (voir les arrêts de la Cour d'appel de Paris, Lacroix signalisation précité, page 32 et société Allez et Cie e.a. du 28 mars 2013, 2011/20 125, page 34 ; voir également les décisions n° 10-D-39 du 22 décembre 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la signalisation routière verticale, paragraphe 443, n° 11-D-13 du 5 octobre 2011 relative à des pratiques relevées dans les secteurs des travaux d'électrification et d'installation électrique dans les régions Midi-Pyrénées, Languedoc-Roussillon, Auvergne et limitrophes, paragraphe 406 et n° 13-D-09 du 17 avril 2013 relative à des pratiques mises en œuvre sur le marché de la reconstruction des miradors du centre pénitentiaire de Perpignan, paragraphe 149).
154. Dans ce contexte, et conformément à la méthode rappelée par le communiqué sanctions, le montant de base de la sanction pécuniaire résultera de l'application d'un coefficient, déterminé en fonction de la gravité des faits et de l'importance du dommage à l'économie, appliqué au chiffre d'affaires total réalisé en France par l'entreprise en cause pendant l'exercice comptable complet au cours duquel a eu lieu l'infraction, soit, en l'espèce, l'exercice 2012.
155. Dans ses observations, la SCET soutient que le chiffre d'affaires total réalisé en France par la société en 2012 n'est pas un indicateur approprié pour le calcul du montant de base de la sanction, dès lors qu'elle fait face à des difficultés financières et que son chiffre d'affaires a baissé significativement entre 2012 et 2015. Elle sollicite en outre la prise en compte du seul chiffre d'affaires réalisé en 2012 par l'agence de Lyon au titre de son activité " Foncier aménagement ", à laquelle se rattache le marché de l'Epora, ou, à défaut, le chiffre d'affaires total réalisé par cette même agence en 2012.
156. Toutefois, le communiqué sanction, dont il est fait application, ne prévoit pas la prise en compte des difficultés financières particulières de l'entreprise mise en cause au stade de la détermination du montant de base de la sanction, cette question étant examinée au titre de la capacité contributive. En outre, la seule circonstance que les pratiques en cause ont concerné l'activité " Foncier aménagement " de l'agence de Lyon de la société SCET ne suffit pas à justifier la seule prise en compte du chiffre d'affaires réalisé en 2012 par cette agence. Les arguments de la société SCET seront donc écartés.
b) Sur la gravité des pratiques
157. Comme le rappelle le point 68 du communiqué sanctions, les pratiques qui visent à tromper les maîtres d'ouvrage sur l'effectivité même de la procédure d'appel d'offres, se rangent par leur nature même parmi les infractions les plus graves aux règles de concurrence et sont parmi les plus difficiles à détecter en raison de leur caractère secret.
158. Dans un arrêt du 5 janvier 2010, société d'Exploitation de l'entreprise Ponsaty SARL (2009/02679), la Cour d'appel de Paris a jugé en ce sens que, " les ententes entre entreprises concurrentes sur un même marché commises à l'occasion d'appels d'offres sont parmi les plus graves des pratiques anticoncurrentielles parce qu'elles portent atteinte conjointement aux intérêts de consommateur ou usager et du contribuable " (page 10). Elles le sont également " en ce qu'elles aboutissent à tromper le maître d'ouvrage sur les effets de sa mise en concurrence " (arrêt de la Cour d'appel de Paris du 29 juin 2010, société Colas Rail, 2009/19 724, page 15 ; voir également les arrêts du 28 octobre 2010, Maquet SA, page 18, et du 11 octobre 2012, Entreprise H. Chevalier Nord, 2011/03298, page 67).
159. En effet, l'objet même de l'appel d'offres sur un marché public est d'assurer une mise en concurrence pleine et entière des entreprises susceptibles d'y répondre au profit de la personne publique. Dès lors, la mise en échec du déroulement normal des procédures d'appel d'offres, en empêchant la fixation des prix par le libre jeu du marché et en trompant la personne publique sur la réalité et l'étendue de la concurrence qui s'exerce entre les entreprises soumissionnaires, perturbe le secteur où a lieu une telle pratique et porte une atteinte grave à l'ordre public économique.
160. La Cour d'appel de Paris a également jugé qu'" il ne peut être sérieusement contesté que de telles pratiques sont particulièrement graves par nature, puisqu'elles limitent l'intensité de la pression concurrentielle à laquelle auraient été soumises les entreprises, si elles s'étaient déterminées de manière indépendante, le fondement même des appels à la concurrence résidant dans le secret dont s'entourent les entreprises intéressées pour élaborer leurs offres, chacune d'entre elles devant se trouver dans l'ignorance de la qualité de ses compétiteurs, de leurs capacités financières à proposer la meilleure prestation ou fourniture possible au prix le plus bas " (arrêt du 28 mars 2013, société Allez et Cie e.a. précité, page 32).
161. Elle rappelle à cet égard que " les échanges d'informations entre entreprises antérieures à la remise des plis, sont intrinsèquement graves en ce qu'elles libèrent les compétiteurs de l'incertitude de la compétition et leur permettent d'élaborer des offres ne prenant plus en compte seulement leurs données économiques propres, mais celles, normalement confidentielles, de leurs concurrents " (voir, également, la décision n° 10-D-04 du 26 janvier 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des tables d'opération, paragraphe 167, confirmée par l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 28 octobre 2010, Maquet SA précité).
162. En outre, de telles pratiques anticoncurrentielles " sont répréhensibles du seul fait de leur existence, peu importe que leur auteur ait, en définitive, obtenu ou non le marché ou que le prix d'attribution du marché ait été inférieur à l'estimation de la collectivité, car elles ont abouti à fausser le jeu de la concurrence que les règles des marchés publics ont pour objet même d'assurer " (décision n° 03-D-07 du 4 février 2003 relative à des pratiques relevées lors de la passation de marchés d'achat de panneaux de signalisation routière verticale par des collectivités locales, paragraphe 112, confirmée par un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 18 novembre 2003, SAS Signaux Laporte, BOCCRF n° 2004-02).
163. En l'espèce, l'entente entre Setis et la SCET en vue de l'obtention des marchés subséquents d'assistance foncière de l'Epora a, par nature, abouti à tromper le maître d'ouvrage quant à l'existence et à l'intensité de la concurrence entre les opérateurs.
164. Afin d'atténuer la gravité de l'infraction, la SCET soutient, tout d'abord, que les BPU échangés le 23 novembre 2012 portaient sur les accords-cadres et ne pouvaient donc pas renseigner les sociétés sur les prix pratiqués lors des consultations lancées en vue de la passation des marchés subséquents. Elle soutient de plus que compte tenu de la date supposée de l'échange, elle n'aurait pu en retirer un avantage que lors de la passation des deux derniers marchés subséquents. Elle indique enfin que parmi les trois critères de choix des offres déterminés par l'Epora, le critère du prix était le moins valorisé.
165. Toutefois, il résulte des constatations que c'est au plus tard le 23 novembre 2012 que cet échange de bordereaux a été effectué. En outre, en dehors du pourcentage de 40 % appliqué au critère " moyens humains et techniques mis à disposition ", le pourcentage de pondération appliqué au critère " prix des prestations " était identique à celui appliqué au critère " note méthodologique ", soit 30 %. En tout état de cause, outre l'échange de bordereaux de prix, la gravité de l'infraction est appréciée au regard de l'ensemble des éléments recueillis au cours de l'enquête, et notamment de l'existence d'échanges d'informations ayant pour objet une répartition des marchés subséquents aux deux accords-cadres pour des missions d'assistance foncière à maîtrise d'ouvrage, conclus avec Epora. L'argument sera donc écarté.
166. Par ailleurs, la circonstance, à la supposer établie, que les pratiques reprochées seraient le seul fait de la directrice des agences de Lyon et de Dijon de la SCET, n'est pas de nature à atténuer leur gravité.
167. Il sera toutefois, comme le demande la SCET, tenu compte du comportement de l'Epora lors de la passation du marché comme étant de nature à tempérer la gravité des faits en l'espèce. Il résulte en effet des constatations que l'Epora, à l'issue de la procédure d'appel d'offres ouverte qu'elle avait lancée en vue de la conclusion d'un accord-cadre multi-attributaire, n'a retenu que deux sociétés, au lieu d'au moins trois comme le veut la pratique, contribuant ainsi à restreindre la concurrence lors de la passation des marchés d'application de ces accords-cadres et à faciliter les échanges d'informations sensibles entre les deux seules sociétés admises à présenter des offres.
c) Sur l'importance du dommage causé à l'économie
Rappel des principes
168. Le dommage causé à l'économie ne se confond pas avec le préjudice qu'ont pu subir les victimes des pratiques en cause, mais s'apprécie en fonction de la perturbation générale qu'elles sont de nature à engendrer pour l'économie (par exemple, arrêt de la Cour d'appel de Paris du 8 octobre 2008, SNEF, n° 2007/18 040, p. 4). Il s'apprécie donc de manière objective et globale en prenant en compte l'ensemble des éléments pertinents de l'espèce.
169. L'existence du dommage à l'économie ne se présume pas (arrêt de la Cour de cassation du 7 avril 2010, Orange France e.a. n° 09-12984, 09-13163 et 09-65940). Pour autant, l'Autorité n'est pas tenue de chiffrer précisément le dommage causé à l'économie. Elle doit procéder à une appréciation de son existence et de son importance, en se fondant sur une analyse aussi complète que possible des éléments du dossier et en recherchant les différents aspects de la perturbation générale du fonctionnement normal de l'économie engendrée par les pratiques en cause (arrêts de la Cour d'appel de Paris du 30 juin 2011, Orange France, n° 2010/12 049, p. 5, confirmé sur pourvoi par arrêt de la Cour de cassation du 30 mai 2012, précité, et du 26 janvier 2012, Beauté Prestige International e.a., n° 2012/23 945, p. 89).
170. Pour apprécier le dommage causé à l'économie, l'Autorité tient compte, notamment, de l'ampleur de l'infraction, au vu de sa couverture géographique et de la part de marché de l'entreprise mise en cause, de ses conséquences conjoncturelles ou structurelles sur le marché, ainsi que des caractéristiques économiques pertinentes du secteur ou du marché concerné (voir par exemple, les arrêts de la Cour d'appel de Paris du 30 juin 2011, précité, p. 5 et du 26 janvier 2012, précité, p. 89 ; voir également, en ce sens, arrêt de la Cour de cassation du 30 mai 2012, précité). Les effets tant avérés que potentiels de la pratique peuvent être pris en considération à ce titre (voir, en ce sens, arrêt de la Cour de cassation du 28 juin 2005, Novartis Pharma, n° 04-13910).
171. En premier lieu, dans le cas des ententes portant sur des marchés d'appel d'offres, le montant des marchés affectés constitue un des éléments d'appréciation de l'importance du dommage causé à l'économie (décision n° 09-D-03 du 21 janvier 2009 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport scolaire et interurbain par autocar dans le département des Pyrénées-Orientales (paragraphe 119).
172. En second lieu, l'Autorité tient également compte de la mise en œuvre effective ou non des pratiques retenues, de leur durée, de la taille et de la position des entreprises concernées sur le secteur (voir notamment les décisions n° 08-D-15 du 2 juillet 2008 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la rénovation de chaufferies en Saône-et-Loire et n° 09-D-10 du 27 février 2009 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport maritime entre la Corse et le continent. Voir également l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, société Allez et Cie e. a, précité, page 33).
Application en l'espèce
173. Les procédures d'appel d'offres lancées par l'Epora pour l'attribution de la quasi-totalité des marchés subséquents ont été privées de tout effet puisque, à l'exception du premier marché subséquent dont la procédure de passation est antérieure aux pratiques, l'Epora n'a pas été mis en mesure, pour les autres marchés, d'arbitrer entre deux offres régulièrement émises en raison, soit de l'abstention de l'une des deux sociétés à remettre une offre, soit de la remise d'une offre inacceptable. En outre, bien qu'il soit difficile d'estimer le renchérissement du coût payé par la collectivité du fait des pratiques constatées, les marchés subséquents passés durant les pratiques ont tous été attribués avec des prix proches du haut de la fourchette prévue par les accords-cadres.
174. Néanmoins, le marché de l'assistance foncière de l'Epora concerné par les pratiques est de dimension locale. Son montant estimatif total s'élève environ à 414 000 euros et les prestations qui ont été effectivement facturées par les deux sociétés sont inférieures au montant estimatif du marché. L'Epora n'a, par ailleurs, pas reconduit les accords-cadres alors même que le CCAP le permettait. Ces éléments sont de nature à modérer l'importance du dommage causé à l'économie, même s'ils ne remettent en cause ni son existence, ni son caractère certain.
d) Conclusion sur le montant de base
175. Eu égard à la gravité particulière des faits, d'une part, et au caractère certain mais modéré du dommage causé à l'économie, d'autre part, un coefficient de 0,8 % sera appliqué au chiffre d'affaires réalisé en France par SCET pendant l'exercice comptable au cours duquel a eu lieu l'infraction, soit l'exercice 2012.
176. Le montant de base de la sanction pécuniaire qui en résulte est le suivant :
<TABLEAU>
2. SUR LA PRISE EN COMPTE DES CIRCONSTANCES PROPRES À LA SOCIÉTÉ SCET
a) Rappel des principes applicables
177. L'Autorité s'est engagée à adapter les montants de base retenus ci-dessus au regard du critère légal tenant à la situation individuelle de chacune des parties en cause, qu'il s'agisse d'organismes ou d'entreprises, appartenant le cas échéant à des groupes plus larges.
178. À cette fin, et en fonction des éléments propres à chaque cas d'espèce, elle peut prendre en considération différentes circonstances atténuantes ou aggravantes caractérisant le comportement de chaque entreprise dans le cadre de la mise en œuvre des infractions en cause, ainsi que d'autres éléments objectifs pertinents relatifs à sa situation individuelle.
179. Cette prise en considération peut conduire à ajuster la sanction tant à la hausse qu'à la baisse.
180. Au cas présent, les éléments du dossier ne font pas ressortir d'éléments de nature à caractériser l'existence de circonstances aggravantes ou atténuantes propres à la société SCET.
181. En revanche, l'appréciation de la situation individuelle d'une entreprise peut notamment conduire à prendre en considération, non seulement sa taille et ses ressources, au-delà de celles issues des produits ou services visés par l'infraction, mais aussi son appartenance à un groupe disposant lui-même d'une taille, d'une puissance économique et de ressources globales plus importantes (voir en ce sens, arrêts de la Cour de cassation du 28 avril 2004, Colas Midi-Méditerranée e.a., n° 02-15203 et de la Cour d'appel de Paris, société Allez et Cie e.a. précité p. 34, et société des pétroles Shell (SPS) e.a. précité, p. 35).
182. De fait, la circonstance qu'une entreprise, au-delà des seuls produits ou services en relation avec l'infraction, bénéficie d'un périmètre d'activités significatif, ou bien dispose d'une puissance financière importante, peut justifier que la sanction qui lui est infligée en considération d'une infraction donnée soit plus élevée que si tel n'était pas le cas, afin d'assurer le caractère à la fois dissuasif et proportionné de la sanction pécuniaire (arrêt de la Cour d'appel de Paris, Entreprise H Chevalier Nord e. a. précité p. 71). À cet égard, la Cour de cassation a déjà eu l'occasion de préciser que l'efficacité de la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles requiert que la sanction pécuniaire soit effectivement dissuasive, au regard de la situation financière de chaque entreprise au moment où elle est sanctionnée (arrêt de la Cour de cassation du 18 septembre 2012, Séphora e.a., n° 12-14401, 12-14584, 12-14595, 12-14597, 12-14598, 12-14624, 12-14625, 12-14632 et 12-14648).
b) Application en l'espèce
183. L'Autorité tiendra compte en l'occurrence de la taille du Groupe Caisse des Dépôts et consignations, auquel appartient la SCET.
184. À cet égard, se fondant sur l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 21 janvier 2016 n° 2014/22 811, Sociétés INEO Réseaux Sud-Ouest, S.N.C. et SPIE Sud-Ouest S.A.S., SCET soutient que l'appartenance de l'auteur des pratiques à un grand groupe ne saurait constituer une circonstance aggravante. Dans cette affaire, la cour, faisant application de la jurisprudence de la Cour de cassation (arrêt du 18 février 2014 n° V 12-27. 643, Société Entreprise Pradeau et Morin c/ société Entreprise H Chevalier Nord), a réformé la décision n° 11-D-13 de l'Autorité de la concurrence du 5 octobre 2011 pour avoir pris en compte, dans la détermination de la sanction, l'appartenance des sociétés mises en cause à un groupe de sociétés, sans toutefois avoir, au préalable, imputé les pratiques dont elles étaient l'auteur à leur société mère.
185. Or, en l'espèce, les pratiques en cause ont été imputées au Groupe CDC, qui constitue une entité économique unique au sens du droit de la concurrence, et qui est donc, à ce titre, réputé exercer une influence déterminante sur sa filiale. Dans ces conditions, l'appartenance de la SCET au Groupe CDC, qui a réalisé un produit net bancaire consolidé de 3,65 milliards d'euros en 2013, constitue un élément d'individualisation permettant de majorer le montant de la sanction.
186. Eu égard à l'ensemble des circonstances de l'espèce, le montant de base de la sanction pécuniaire de SCET sera augmenté de 10 % et porté à 560 000 euros.
3. SUR LA CAPACITÉ CONTRIBUTIVE DE LA SCET
187. Au titre des éléments propres à la situation de chaque entreprise ou organisme en cause, l'Autorité apprécie les difficultés financières particulières de nature à diminuer la capacité contributive dont les parties invoquent l'existence, selon les modalités indiquées par le communiqué du 16 mai 2011 précité aux points 62 et suivants.
188. Lorsqu'une entreprise (ou un organisme) entend se prévaloir de l'existence de difficultés financières particulières affectant sa capacité contributive, elle en fait la demande écrite à l'Autorité.
189. Il appartient à l'entreprise de justifier l'existence de difficultés financières particulières dont elle se prévaut et leur incidence sur sa capacité contributive, en s'appuyant sur les éléments énumérés dans le questionnaire mis à sa disposition par l'Autorité et le cas échéant sur d'autres documents. Une réduction du montant final de la sanction pécuniaire ne peut être accordée à ce titre que si ces éléments constituent des preuves fiables, complètes et objectives attestant de l'existence de difficultés réelles et actuelles empêchant l'entreprise de s'acquitter, en tout ou partie, de la sanction pécuniaire pouvant lui être imposée (voir en ce sens, arrêt de la Cour d'appel de Paris du 11 octobre 2012, Entreprise H Chevalier Nord e.a. précité, page 73).
190. En l'espèce, la SCET n'a adressé aucune demande écrite à l'Autorité visant à se prévaloir de l'existence de difficultés financières particulières.
191. Toutefois, dans ses observations en défense, la SCET fait état de la baisse significative de son chiffre d'affaires depuis la date des pratiques et de la dégradation de ses marges. Mais aucun des éléments financiers et comptables qu'elle produit n'est de nature à démontrer l'existence de difficultés financières affectant sa capacité à s'acquitter de la sanction que l'Autorité envisage de lui infliger.
4. SUR LE MONTANT FINAL DE LA SANCTION
192. Au vu de l'ensemble des éléments généraux et individuels tels qu'exposés ci-dessus, le montant de la sanction infligée solidairement à la société SCET et au Groupe Caisse des dépôts et consignations est fixé à la somme arrondie de 560 000 euros.
DÉCISION
Article 1er : Il est établi que la société SCET, en tant qu'auteur, et le Groupe Caisse des dépôts et consignations, en tant qu'entité mère, ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce en participant à une entente avec la société Setis lors de la passation du marché d'assistance foncière de l'Epora.
Article 2 : Il est infligé solidairement à la société SCET et au Groupe Caisse des dépôts et consignations une sanction pécuniaire de 560 000 euros.
Délibéré sur le rapport oral de M. Jérôme Cazal, rapporteur et l'intervention de M. Nicolas Deffieux, rapporteur général adjoint, par Mme Claire Favre, vice-présidente, présidente de séance, Mmes Chantal Chomel, Séverine Larere, Reine-Claude Mader, et M. Noël Diricq, membres.
NOTES
1 Ce résumé a un caractère strictement informatif. Seuls font foi les motifs de la décision numérotés ci-après.
2 Le DQE (Détail Quantitatif Estimatif) est un document, en principe non contractuel, utilisé dans les marchés à bons de commande, et destinés à permettre la comparaison des prix. Il effectue la somme des produits des quantités estimées par les prix unitaires.