CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 7 décembre 2016, n° 16-15228
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Pétanque longue (SAS)
Défendeur :
La boule obut (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Luc
Conseillers :
Mme Mouthon Vidilles, M. Thomas
Avocats :
Mes Mimran, Pinard, Lallement, Belluc
Faits et procédure
La société La Boule Obut est une société spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de boules de pétanque de loisir et de compétition. Leader sur ce marché, elle a réalisé, en 2014, un chiffre d'affaires d'environ 16 millions d'euros. Elle commercialise ses produits soit directement (pour 25 % de sa production), soit grâce à un réseau de revendeurs (75 %).
La société Pétanque Longue est une société marseillaise créée en 2012, ayant pour activité la commercialisation exclusive de matériel de pétanque, à savoir des boules de pétanque de compétition et autres accessoires. Sa clientèle se compose majoritairement de compétiteurs. Elle dispose d'un magasin situé dans le 15ème arrondissement de Marseille.
Elle a réalisé, au 30 juin 2015, un chiffre d'affaires de 121 885 euros.
La société Pétanque Longue est l'un des revendeurs de la société La Boule Obut et propose un service de personnalisation des boules de pétanque de la marque Obut, consistant en la possibilité, pour le client, de faire graver ses initiales ou son nom sur les boules de pétanque.
Jusqu'à 2016, la société La Boule Obut vendait ses boules à ses revendeurs au tarif " revendeurs ", avec une remise de 20 % accordée l'année n +1 pour un volume de commandes supérieur à 50 000 euros HT sur l'année n.
La société Pétanque Longue a demandé à La Boule Obut ses conditions tarifaires pour 2016, dans deux messages électroniques des 24 novembre et 15 décembre 2015. Le 17 décembre 2015, la société La Boule Obut a communiqué par e-mail ses nouvelles " conditions de commercialisation Obut 2016 " et son " tarif général 2016 (brut HT) ", applicables à partir du 1er janvier 2016.
Le nouveau système de remises distingue trois paliers :
- le palier 1, le moins avantageux, comprend la catégorie " graveurs de boules de pétanque ", à côté des " pure players, des affilés GSS et des groupements détaillants < 500K.euros " : leur sont consenties des remises non négociables, allant de 25 % (bagagerie) à 35 % (boules), les accessoires donnant lieu à des remises de 30 % ;
- le palier 2 comprend la catégorie des groupements détaillants > 500 K. euros et celle des " détaillants individuels non experts " : des remises partiellement négociables, allant de 35 % (bagagerie) à 45 % (accessoires) leur sont octroyées, les boules bénéficiant d'un taux de 42 % ;
- le palier 3, le plus avantageux, comprenant la catégorie des " revendeurs spécialisés ", des " labellisés experts ", " export " et " Team Elite Obut avec registre du commerce " : des remises allant de 40 % (bagagerie) à 50 % (accessoires) leur sont consenties, les boules supportant un taux de 45 %.
Les tarifs bruts hors remises 2016 consentis aux revendeurs sont beaucoup plus élevés que ceux de 2015. C'est ainsi que la boule " RCC " passe de 106 à 158,33 euros, la boule " RCX " de 145 à 220,85 euros, et, enfin, la boule " Match 120 TR " de 46,50 à 75 euros.
Estimant que ces nouveaux tarifs étaient discriminatoires et constitutifs d'un abus de position dominante de la société La Boule Obut, la société Pétanque Longue lui a adressé une mise en demeure le 6 janvier 2016, pour lui enjoindre de modifier ses conditions commerciales et de continuer à appliquer ses tarifs 2015 à titre transitoire jusqu'à la mise en place de nouvelles conditions.
La société La Boule Obut n'a donné aucune suite à cette mise en demeure. Le 20 janvier 2016, la société Pétanque Longue a saisi la DIRECCTE. Le 27 janvier 2016, la société Pétanque Longue a saisi en référé le Président du tribunal de commerce de Marseille afin de demander qu'il soit fait interdiction à la société La Boule Obut, à titre conservatoire, d'appliquer les nouvelles conditions commerciales 2016. Enfin, le 4 février 2016, la société Pétanque Longue a déposé une plainte auprès de l'Autorité de la Concurrence faisant actuellement l'objet d'une instruction.
Par ordonnance du 11 février 2016, le Président du Tribunal de commerce de Marseille, statuant en référé, a :
- débouté la société Pétanque Longue de sa demande tendant à faire interdiction à la société
La Boule Obut d'appliquer ses nouvelles conditions commerciales 2016 jusqu'à ce qu'il soit statué au fond,
- condamné la société Pétanque Longue à payer à la société La Boule Obut la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ,
- laissé à la charge de la société Pétanque Longue les dépens toutes taxes comprises de la présente ordonnance tels qu'énoncés par l'article 695 du code de procédure civile, étant précisé que les droits, taxes et émoluments perçus par le secrétariat-greffe de la présente juridiction sont liquidés à la somme de 47,42 euros,
- rejeté tout surplus des demandes comme non justifié.
Le Président du tribunal a motivé son rejet par le défaut de démonstration du caractère discriminatoire des nouvelles conditions tarifaires et par la circonstance que la société Pétanque Longue n'a pas bénéficié de conditions moins favorables que les autres revendeurs.
La société Pétanque Longue a, dans un premier temps, interjeté appel de l'ordonnance du Président du tribunal de commerce de Marseille devant la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, qui a annoncé qu'elle se déclarerait incompétente.
Ainsi, par déclaration du 11 juillet 2016, la société Pétanque Longue a interjeté appel de l'ordonnance du Président du Tribunal de commerce de Marseille du 11 février 2016 devant la Cour d'appel de Paris.
La COUR,
Vu l'appel interjeté par la société Pétanque Longue ; Vu les dernières conclusions du 9 septembre 2016 de la société Pétanque Longue, appelante, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- infirmer l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions,
- dire que la nouvelle politique tarifaire de la société La Boule Obut constitue un abus de position dominante,
- dire que le fait d'imposer cette nouvelle politique tarifaire sans le moindre préavis constitue une rupture partielle de relations commerciales établies, en conséquence,
- dire que ce comportement cause un trouble manifestement illicite susceptible de causer un dommage imminent à la société Pétanque Longue, en conséquence,
- faire interdiction à la société La Boule Obut d'appliquer ses nouvelles conditions commerciales 2016 jusqu'à ce qu'il soit statué au fond par l'Autorité de la concurrence,
- préciser que la société La Boule Obut devra en conséquence appliquer les mêmes prix qu'en 2015, à savoir le tarif spécial " revendeurs " avec la remise de 20 % sans seuil de volume de commandes,
- condamner la société La Boule Obut à payer à la société Pétanque Longue la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles,
- condamner la société La Boule Obut aux entiers dépens ;
Vu les dernières conclusions notifiées et déposées le 4 octobre 2016 par la société La Boule Obut, intimée, par lesquelles il est demandé à la Cour de :
- confirmer l'ordonnance du 11 février 2016 et, en conséquence,
- dire que les tarifs 2016 de la société La Boule Obut ne sont ni à l'origine d'un dommage imminent, ni constitutifs d'un trouble manifestement illicite au préjudice de la société Pétanque Longue,
- se déclarer, en conséquence, incompétent pour connaître des demandes conservatoires de la société Pétanque Longue,
- inviter celle-ci à mieux se pourvoir au fond et rejeter toutes ses demandes, au surplus,
- condamner la société Pétanque Longue à verser à la société La Boule Obut la somme complémentaire de 8 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens qui seront recouvrés par la SCP Bolling Durand Lallement, conformément à l'article 699 du Code de procédure civile ;
Sur ce,
Sur les conditions du référé la société Pétanque Longue soutient que la société Boule Obut n'est pas fondée à invoquer, devant le juge des référés en matière civile, la jurisprudence relative aux conditions de gravité et d'immédiateté de l'atteinte à la concurrence, applicable aux demandes de mesures conservatoires formulées auprès de l'Autorité de la Concurrence, puisqu'elle fonde son action sur l'article 873 du Code de procédure civile, dont les conditions sont moins restrictives.
L'article 873 du Code de procédure civile dispose en effet " Le président peut, dans les mêmes limites, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. (...) ".
Cet article permet de solliciter, du juge des référés, des mesures conservatoires pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite, les deux conditions étant alternatives. Le juge des référés, même lorsqu'il applique le droit de la concurrence, n'a pas à interpréter ces conditions, autonomes, à la lumière de celles, plus restrictives, imposées par l'article L. 464-1 du Code de commerce qui régit les demandes de mesures conservatoires effectuées devant l'Autorité de la concurrence. L'atteinte à la concurrence justifiant l'octroi de mesures conservatoires doit, en effet, devant l'Autorité, revêtir un double caractère de gravité et d'immédiateté. Ces critères ne sont pas requis devant le juge des référés. Les deux procédures d'urgence ne se recoupent pas, diligentées devant des autorités différentes. Outre les critères de déclenchement, les conditions de prononcé sont différentes, puisqu'une demande de mesures conservatoires devant l'Autorité est toujours accessoire au fond et l'Autorité de la concurrence n'est pas liée par les mesures demandées, tandis que le juge des référés est saisi directement, et ne peut octroyer que les mesures sollicitées par les saisissants.
Il convient donc d'examiner si une des deux conditions de l'article 873 du Code de procédure civile est remplie en l'espèce. Sur les pouvoirs du juge des référés La circonstance que l'Autorité soit parallèlement saisie des barèmes de la société intimée n'ôte pas au juge des référés, juridiction autonome, le pouvoir d'apprécier la légalité de pratiques au regard de l'article L. 420-2 du Code de commerce. Il n'est par ailleurs pas précisé quel est l'objet exact de la saisine de l'Autorité et s'il s'agit de la même pratique.
Sur le trouble manifestement illicite la société appelante soutient que la société La Boule Obut est l'auteur d'un abus de position dominante qui constitue un trouble manifestement illicite. Elle soutient que la société La Boule Obut a établi un nouveau système de tarification qui serait discriminatoire, car il établit des distinctions non objectives et non proportionnées à l'encontre des revendeurs " graveurs de boules " et constitue, par conséquent, un abus de position dominante, dès lors qu'il n'est pas contesté que la société La Boule Obut est en position dominante sur le marché de la boule de pétanque de compétition et de loisir. La nouvelle politique commerciale de la société La Boule Obut masquerait, en réalité, une défiance à l'égard des " graveurs de boules " dont la société Pétanque Longue fait partie et dont la société La Boule Obut souhaiterait se réserver l'activité. Elle soutient ensuite, exemple chiffré à l'appui, que bien que de prime abord, le tableau des nouvelles conditions commerciales fasse croire à une baisse de tarifs, puisque les taux de remises sont plus élevés, cette modification conduirait en réalité à une hausse d'environ 19 % des tarifs de gros pratiqués par la société La Boule Obut envers ses revendeurs, car ces taux s'appliquent sur une base plus élevée. Cette augmentation des prix représenterait pour elle une perte de marge de 40 % pour 2016, par rapport à l'année 2015. La société La Boule Obut s'estime libre de fixer les conditions commerciales qu'elle souhaite mettre en place et notamment ses conditions tarifaires, quelle que soit son importance sur un marché déterminé. Elle expose que le nouveau système mis en place repose sur des critères objectifs ayant trait à la qualité d'expert ou non du revendeur et au chiffre d'affaires annuel réalisé par la société La Boule Obut avec le revendeur. Sa nouvelle politique commerciale reposerait sur un choix stratégique de se recentrer sur la fabrication et la commercialisation de boules de pétanque de compétition et aurait été mise en place en toute transparence.
Les entreprises en position dominante ont la responsabilité particulière de ne pas porter atteinte, par leur comportement, à une concurrence effective et non faussée. L'article L. 420-2 du Code de commerce mentionne, au titre des pratiques d'abus de position dominante, les conditions de vente discriminatoires. De même, l'article 102 du TFUE cite-il, au nombre des possibles abus de position dominante, les pratiques consistant à appliquer, à l'égard des partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes, sauf justification objective.
La discrimination est le fait, pour une entreprise, de pratiquer ou d'obtenir, à l'égard d'un partenaire économique des prix, des délais de paiement, des conditions de vente, ou d'achat différents de ceux négociés avec des concurrents du partenaire, sans justification par des contreparties réelles, créant de ce fait un désavantage ou un avantage dans la concurrence pour ce dernier.
Généralement, les différenciations tarifaires (différences de prix selon les clients ou catégories de clients concernés, ou remises, rabais, ristournes) sont licites si elles constituent la contrepartie d'une différence de coûts et ne visent pas, en réalité, à restreindre ou éliminer la concurrence. En sens inverse, des différenciations tarifaires qui ont pour objet de désavantager, sans raison objective, une catégorie d'opérateurs peuvent s'avérer anticoncurrentielles.
Une entreprise, même en position dominante, est donc libre de choisir sa stratégie tarifaire, sous réserve de ne pas commettre d'abus.
En l'espèce, il n'est pas contesté que la société La Boule Obut est en position dominante sur le marché national de la fabrication et de la vente de la boule de pétanque de compétition et de loisir, puisqu'elle réalise, selon la société appelante qui n'est pas sérieusement contredite sur ce point par l'intimée, 80 % du marché, son deuxième concurrent, la société VMS Plot, totalisant 12 % du marché. Etant une société qui fabrique et produit les boules, il n'est pas contesté qu'elle intervient aussi sur le marché de détail, en les vendant en boutique, sur internet et sur les lieux de manifestations sportives. Elle est donc en position de concurrence avec ses revendeurs sur le marché aval à destination des consommateurs finals.
Il est incontestable qu'alors que l'ancien barème de la société La Boule Obut prévoyait une remise uniforme de 20 % au-delà d'un certain seuil d'achats (50 000 euros), rabais purement quantitatif qui se justifie par les économies de coûts procurés au fabricant par la massification des commandes, le nouveau barème de remises pour 2016 distingue trois catégories de clients, qui bénéficient de remises différentes.
La catégorie " graveurs de boule ", à laquelle appartient la société Pétanque Longue, est soumise à un barème spécial (palier 1), distinct des revendeurs détaillants non agréés (palier 2) et des revendeurs agréés (palier 3). Font partie de la même catégorie que la société Pétanque Longue, les revendeurs purs players, et les revendeurs affiliés à de petits groupements. Cette catégorie ne présente aucune homogénéité et aucun seuil quantitatif en terme de chiffre d'affaires ne permet de justifier une différence de traitement avec les autres catégories tarifaires. La remise octroyée à ce palier 1 est en effet la plus basse de la grille tarifaire, la société La Boule Obut ne justifiant cette différence de traitement par aucune différence de services rendus par les différents revendeurs.
Dans ses conclusions, elle expose que deux critères cumulatifs s'appliquent : " la qualité d'expert ou non du revendeur ", " le chiffre d'affaires annuel réalisé par La Boule Obut avec le revendeur " et présente ces trois paliers de la façon suivante : " les groupements détaillants qui ne répondent pas à l'ensemble des critères ci-dessus, et avec lesquels La Boule Obut réalise un chiffre d'affaires annuel inférieur à 500 000 euros HT se situent dans le palier 1. En revanche, ceux avec lesquels La Boule Obut réalise un chiffre d'affaires annuel supérieur à 500 000 euros HT dépendent du palier 2 ". Mais cette distinction ne concerne que les groupements détaillants et non les " graveurs de boule ".
Le seul élément avancé par la société La Boule Obut est sa volonté de décourager l'activité de graveurs de boules, qu'elle s'estime seule capable de réaliser sur ses propres produits. La discrimination n'est donc pas justifiée par une raison objective (seuil en terme d'achats), mais par la volonté d'évincer un concurrent : selon ses propres termes, " Le fait que Pétanque Longue, en proposant la gravure des boules de pétanque Obut, puisse modifier la qualité des produits, justifie son classement ".
Dès lors, la circonstance, relevée par le premier juge, selon laquelle d'autres graveurs de boule et d'autres catégories de revendeurs, comme les GSS, seraient soumis à la première classe du barème, est inopérante, puisque que c'est la différence de traitement de la catégorie des graveurs de boules avec les catégories visées dans les deux autres classes (2 et 3) qui est en litige et n'est pas justifiée par l'intimée par des raisons objectives.
C'est ainsi, notamment, que même si le " graveur de boules " est également un " détaillant non expert individuel ", il ne bénéficiera pas de la même remise que les revendeurs de cette classe qui ne réalisent pas d'activité de graveur de boules. En outre, la catégorie des experts agréés est mal délimitée, les critères tardivement communiqués aux débats n'étant pas objectifs et se prêtant à une application discriminatoire. Ces critères, que la société La Boule Obut prétend, sans le démontrer, avoir communiqué aux revendeurs, alors que l'appelante soutient qu'ils n'ont été communiqués que durant la procédure, sont en effet très vagues : le revendeur doit satisfaire aux conditions de " magasin bien agencé ", " rayon bien tenu ", " bon emplacement et bonne visibilité de la marque Obut ", " zone de chalandise importante ", sans que celles-ci soient précisément définies.
De la même façon, la circonstance, relevée par le premier juge, que la société Petanque Longue n'aurait, en réalité, pas été désavantagée, car elle n'aurait de toute façon pas obtenu les remises de 20 % de l'ancien barème dont elle revendique l'application, n'ayant pas atteint le seuil requis, est inopérante. La discrimination s'apprécie en effet au regard du nouveau barème, sans qu'importe la situation antérieure.
La société La Boule Obut ne peut davantage arguer de la possible non-conformité des boules gravées par la société Petanque Longue aux normes de sécurité, celle-ci n'étant pas démontrée. En outre, il n'appartient pas à une entreprise en position dominante de prendre, de sa propre initiative, des mesures destinées à éliminer des produits d'un concurrent qu'elle considère comme dangereux ou d'une qualité inférieure à ses propres produits, sauf circonstances très exceptionnelles, ici non caractérisées.
Elle ne peut davantage arguer de l'absence d'environnement attractif du magasin de la société Pétanque Longue qui justifierait son classement en palier 1, car ces critères, au demeurant très flous, ne s'appliquent pas au palier 2. De même, la circonstance que les revendeurs du palier 3 aient des coûts fixes plus importants, pour mettre en avant les produits Obut, ne donne aucune justification au fait que la société La Pétanque Longue soit classée sous le palier 1 et non le 2.
Enfin, l'augmentation brutale des prix de gros consentis aux revendeurs résultant directement du nouveau barème, signifié quinze jours avant la fin de l'année 2015 pour entrer en vigueur en 2016, est susceptible de constituer, également, une rupture brutale partielle des relations commerciales établies.
Ce barème constitue donc un trouble manifestement illicite.
Sur l'existence d'un dommage imminent
La société Pétanque Longue estime que le dommage imminent est également caractérisé dans la mesure où la société La Boule Obut a conditionné les commandes à l'acceptation des nouveaux tarifs qui conduirait mécaniquement à une augmentation de près de 20 % des coûts d'achat et à une perte de marge de 40 %. Or l'appelante soutient que sa capacité financière ne lui permet pas de faire face à cette augmentation qui la conduirait mécaniquement à un dépôt de bilan.
En conséquence, la société Pétanque Longue sollicite de la cour d'appel l'interdiction de l'application des nouvelles conditions commerciales jusqu'à ce qu'il soit statué sur le fond.
La société La Boule Obut soutient qu'il n'existe aucun dommage imminent, dès lors que les nouveaux tarifs ne sont pas à l'origine directe et certaine d'une atteinte grave et immédiate nécessaire pour la mise en place de mesures conservatoires. L'intimé soutient en effet que les difficultés financières de la société Pétanque Longue existait déjà à l'annonce de l'application des nouveaux tarifs et qu'en tout état de cause, un simple manque à gagner pour l'entreprise est insuffisant pour caractériser une atteinte grave et immédiate requise pour prononcer des mesures conservatoires.
Mais le dommage imminent est caractérisé indépendamment d'une atteinte grave et immédiate à l'économie, au secteur ou à l'entreprise elle-même, car, ainsi qu'il a été souligné plus haut, les conditions du référé ne sont pas celles des mesures conservatoires devant l'Autorité de la concurrence.
Le dommage imminent résulte ici de l'imminence de l'affaiblissement très conséquent de la marge de l'entreprise, de nature à perturber son activité, sans qu'il soit nécessaire de démontrer, à ce stade, que sa pérennité même serait menacée. La société La Boule Obut ne conteste d'ailleurs pas utilement les calculs effectués par la société appelante.
Le premier juge ne pouvait se fonder sur le fait que la société Petanque Longue réalisait déjà des pertes en juin 2015 pour exclure tout dommage imminent, dans la mesure où l'abus litigieux risque d'aggraver la situation financière de la société appelante.
Les deux conditions du référé étant réunies, alors qu'une seule suffit, il y a donc lieu d'infirmer l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions, et au regard du comportement litigieux qui cause un trouble manifestement illicite susceptible de causer un dommage imminent à la société Pétanque Longue, de faire interdiction à la société La Boule Obut de lui appliquer ses nouvelles conditions commerciales 2016 jusqu'à ce qu'il soit statué au fond par l'Autorité de la concurrence sur la pratique dénoncée.
La société La Boule Obut devra donc appliquer à la société Pétanque Longue les mêmes tarifs qu'en 2015, à savoir le tarif spécial " revendeurs " avec la remise de 20 %.
La demande de la société Pétanque Longue tendant à ce que ce tarif soit appliqué sans seuil de volume de commandes excède le principe de proportionnalité. Elle sera donc rejetée.
La société La Boule Obut, qui succombe, devra s'acquitter des dépens de l'instance et payer à la société Pétanque Longue la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles.
Par ces motifs : infirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions, Et, statuant à nouveau, dit que le comportement de la société La Boule Obut cause à la société Pétanque Longue un trouble manifestement illicite, susceptible de lui causer un dommage imminent, fait interdiction à la société La Boule Obut d'appliquer ses nouvelles conditions commerciales 2016 à la société Pétanque Longue, jusqu'à ce qu'il soit statué au fond par l'Autorité de la concurrence, précise que la société La Boule Obut devra en conséquence appliquer à la société Pétanque Longue les mêmes prix qu'en 2015, à savoir le tarif spécial "revendeurs " avec la remise de 20 %, rejette comme disproportionnée la demande de la société Pétanque Longue tendant à obtenir la condamnation de la société La Boule Obut à appliquer les mêmes prix, " sans seuil de volume de commandes ", condamne la société La Boule Obut à payer à la société Pétanque Longue la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles, condamne la société La Boule Obut aux entiers dépens.