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Décisions

CA Colmar, 1re ch. civ. A, 21 décembre 2016, n° 15/03433

COLMAR

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

France Décor (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dorsch

Conseillers :

MM. Robin, Regis

TGI Mulhouse, du 11 mai 2015

11 mai 2015

Faits procédure et prétentions des parties :

Monsieur X est lié par un contrat d'agent commercial du 5 Septembre 2001 avec la SAS France Décor dont l'activité est la fabrication de produits chocolatés et d'articles de confiserie. Monsieur X avait pour mission de commercialiser les produits distribués par la société défenderesse dans différents départements français.

Par courrier électronique du 26 septembre 2012 la société France Décor informait sa force de vente que consécutivement à la cession de la société Chocoladécor, toutes les ventes issues du catalogue de cette gamme étaient suspendues à compter du 1er octobre 2012.

Par lettre recommandée du 15 octobre 2012, Monsieur X rappelait qu'il développait la gamme Chocoladécor depuis 2008, que l'année 2012 s'avérait très prometteuse, qu'il a renoncé à une autre carte pour se consacrer aux ventes Chocoladécor, et que la perte de commission va lui être préjudiciable. Il dénonce l'absence de préavis, et demande à la société de lui garantir la compensation du manque à gagner.

Estimant qu'aucune réponse n'a été apportée à ses doléances, de sorte que la collaboration ne pouvait se poursuivre, Monsieur X a par courrier du 19 décembre 2012 pris acte de la rupture du contrat d'agent commercial aux torts exclusifs de la société France Décor à laquelle il impute une faute grave.

Monsieur X a assigné la SAS France Décor devant le tribunal de commerce de Thonon-Les-Bains, mais c'est le 20 mars 2014 désisté de cette procédure suite au transfert du siège social de la société en Alsace.

Par assignation du 22 mai 2014, Monsieur X a saisi la chambre commerciale du Tribunal de grande instance de Mulhouse d'une demande tendant à imputer la responsabilité de la rupture à la SAS France Décor, et à la voir condamnée à lui payer : 100 000 euro à titre d'indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi, 6 000 euro à titre d'indemnité de préavis, et 4 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La SAS France Décor opposait à cette demande, une faute du demandeur lui imputant la responsabilité de la rupture.

Par jugement du 11 mai 2015 le tribunal a fait droit à la demande de Monsieur X en jugeant que la rupture est imputable à la société, et en condamnant celle-ci à lui payer 100 000 euro à titre d'indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi, 6 000 euro à titre d'indemnité de préavis, et 3000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, le tout avec exécution provisoire.

Le tribunal a jugé que la SAS France Décor a procédé à des modifications contractuelles unilatérales, dont la cession d'une gamme, conduisant à une baisse inexorable du chiffre d'affaire de Monsieur X, ainsi qu'à la perte de valeur de son mandat, ce qui justifie la réparation du préjudice subi, d'autant que la société ne démontre pas l'existence d'une faute grave imputable à Monsieur X qui justifierait son exonération.

La SAS France Décor a le 20 juin 2015 interjeté appel de cette décision.

A l'appui de son recours elle conteste l'importance du catalogue Chocolat Décor retiré de la vente, et affirme que le catalogue France Décor était beaucoup plus important, que les mêmes produits s'y trouvaient, et que ce catalogue automne hivers 2012 devait compenser la perte du catalogue Chocolat Décor. Elle poursuit que le catalogue 2013 était encore plus fourni que les précédents. Elle ajoute qu'elle a dû se séparer de la société Chocolat Décor en raison de ses difficultés économiques étrangères à toute faute.

Subsidiairement elle fait valoir que le préjudice n'est absolument pas justifié, et que le tribunal n'a pas motivé sa décision. Elle estime que l'agent qui a pris l'initiative de la rupture ne peut prétendre à la réparation de la totalité de la perte, mais uniquement de la baisse de son chiffre d'affaire.

Ses dernières conclusions récapitulatives en date du 27 janvier 2016 tendent à infirmer le jugement entrepris et rejeter toutes les prétentions de Monsieur X, à le condamner aux dépens des deux instances, et au paiement de 2 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, et subsidiairement à réduire dans une très large mesure les montants sollicités.

Monsieur X pour sa part conclut le 29 juin 2016 (conclusions récapitulatives n°2) à la confirmation du jugement déféré dans les termes suivants :

Confirmer le jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de Mulhouse, le 11 mai 2015, en ce qu'il a :

- dit que la rupture du contrat d'agent commercial liant Monsieur X et la société France Décor est imputable à cette dernière

- condamné la société France Décor à payer à Monsieur X la somme de 100 000 euro en réparation du préjudice subi et à titre d'indemnité compensatrice

- condamné la société France Décor à payer à Monsieur X la somme de 6 000 euro au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

Condamner la société France Décor à payer à Monsieur X la somme de 4 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

Condamner la société France Décor aux entiers frais et dépens avec faculté de recouvrement direct selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

Monsieur X reproche à l'appelante d'avoir brutalement supprimé le catalogue très apprécié des produits Chocoladécor. Il expose que les deux catalogues sont très différents et que celui qui a été maintenu offre beaucoup moins de choix aux clients, notamment en quantités de produits. Il affirme que la gamme de substitution était tout à fait impropre à compenser la suppression, et que le préjudice a été, pour lui, considérable.

Il déclare que l'indemnisation usuelle s'élève à 3 années de commissions. Il conclut que doit être indemnisée la perte des revenus qu'il avait acquis dans l'activité qu'il a développée, en tenant compte de son ancienneté de plus de 10 ans, l'origine et l'importance de la clientèle, la privation du droit de céder à titre onéreux son mandat, et enfin la faute de la société.

Vu l'ordonnance de clôture du 07 septembre 2016,

Motifs :

Sur l'imputabilité de la rupture :

Attendu que l'article L. 134-12 du Code de commerce dispose notamment qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi ;

Attendu que l'article L. 134-13 du Code de commerce quant à lui précise que la réparation prévue à l'article L. 134-12 n'est pas due dans les cas suivants :

1° La cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial ;

2° La cessation du contrat résulte de l'initiative de l'agent à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant ou dues à l'âge, l'infirmité ou la maladie de l'agent commercial, par suite desquels la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée;

3° Selon un accord avec le mandant, l'agent commercial cède à un tiers les droits et obligations qu'il détient en vertu du contrat d'agence ;

Attendu qu'en l'espèce Monsieur X a par courrier du 19 décembre 2012 pris acte de la rupture du contrat d'agent commercial aux torts exclusifs de la SAS France Décor à laquelle il impute une faute grave, pour avoir, par une décision unilatérale et sans préavis, imposé le retrait des produits de la gamme Chocoladécor, en proposant une gamme de substitution impropre à compenser l'incommensurable préjudice subi ;

Que Monsieur X rappelle que les commissions perçues, en constante augmentation les quatre dernières années, sont de plus en plus assises sur les ventes de la gamme Chocoladécor, qu'elles sont particulièrement rémunératrices, et que la modification du contrat d'agent commercial lui retire une part importante de sa rémunération ;

Attendu qu'en effet, comme le reproche Monsieur X, la décision d'interrompre les ventes des produits Chocoladécor a été brutale et sans préavis, puisque c'est par courrier électronique du 26 septembre 2012, que la société France Décor a informé sa force de vente que 'toutes les ventes issues du catalogue Chocoladécor seront suspendues à compter du 01.10.2012" soit seulement 5 jours plus tard ;

Attendu que l'appelante soutient que le catalogue France Décor était beaucoup plus important que celui de Chocolat Décor pour beaucoup d'articles, et que l'on retrouve les mêmes produits, ou presque les mêmes ;

Que cependant son affirmation ne repose pas sur une analyse comparative des catalogues, alors même que la comparaison des catalogues versés aux débats démontre que la gamme de substitution, pour la saison automne-hiver 2012, puis 2013 offre beaucoup moins de choix aux clients ;

Attendu qu'en effet il convient de relever que les 2 catalogues annuels Chocoladécor se rajoutaient, en terme d'offre, aux deux catalogues de France Décor, proposant ainsi en 2012 un choix total de 1718 produits ;

Que la suppression à partir du 1er octobre 2012 du catalogue Chocoladécor prive l'agent commercial de la possibilité d'offrir le choix de produits variés existants jusqu'alors, puisque, pour cette saison hivernale, ce catalogue de 588 produits est purement et simplement supprimé, ne laissant subsister que celui de France Décor proposant 345 produits, sans qu'il ne soit proposer à ce moment-là d'autres choix pour compenser cette perte ;

Attendu qu'en 2013, certes le catalogue France Décor a été étoffé pour atteindre une offre de 1303 produits, mais que se faisant il ne permettait pas d'égaler une offre aussi diversifiée que celle de l'année 2012 où 1718 produits étaient proposés à la vente ;

Attendu que Monsieur X démontre concrètement que la nouvelle offre n'est pas similaire, en établissant, par exemple pour des produits courants tels les embouts de bûches de Noël, qu'il pouvait en proposer 31 modèles en 2012, contre seulement 5 en 2013, ou encore 156 transferts, pour seulement 110 par la suite ;

Qu'il démontre également la déclinaison limitée en forme, taille, et couleur de certains produits, comme les perles nacrées proposées en 3 diamètres dans les catalogues Chocoladécor, et seulement en une taille dans le catalogue de substitution ;

Attendu que l'élaboration d'un nouveau catalogue France Décor 2013 après la suppression pure et simple du catalogue Chocoladécor à partir du 1er octobre 2012, n'est pas de nature à compenser la perte entraînée par la suppression de ventes des produits Chocoladécor ;

Or Attendu que la vente de ces produits est particulièrement rémunératrice pour l'agent commercial, et lui a fourni les 4 dernières années des commissions en constante progression, de sorte que cette modification unilatéralement imposée a nécessairement une incidence sur sa rémunération ;

Attendu enfin que l'appelante explique que des motifs d'ordre économiques l'ont contrainte de cesser la commercialisation des produits Chocoladécor suite à la vente de la société ;

Que pour autant ce motif ne la dispense pas de fournir à son agent commercial le moyen de compenser la perte liée à la suppression de ces produits, ce dont elle s'est abstenue ;

Attendu par conséquent que c'est à juste titre que l'agent commercial a le 19 décembre 2012 pris acte de la rupture du contrat aux torts exclusifs de la société ;

Sur le préjudice :

Attendu qu'en application de l'article L134-12 du code de commerce en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi, sauf si la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial ;

Attendu qu'en l'espèce il a ci-dessus été démontré que la rupture est imputable à la société France Décor et non à Monsieur X, et que l'appelante ne démontre pas l'existence d'une faute grave imputable à l'agent commercial qui justifierait de son exonération, de sorte que celui-ci a vocation à obtenir l'indemnisation du préjudice qu'il a subi ;

Attendu que c'est par des motifs pertinents que le tribunal a jugé que la décision unilatérale de cessation d'activité de cette gamme qui constituait une importante partie du chiffre d'affaires de Monsieur X, a eu de lourdes répercussions, notamment la baisse de son chiffre d'affaires, et la perte de la valeur de son mandat ;

Attendu en revanche que l'allocation d'une somme de 100.000 euro apparaît exagérée ;

Attendu en effet que les commissions provenant des ventes Chocoladécor se sont élevées Hors Taxe à :

21 776 euro au titre de l'année 2008 ;

25 642 euro au titre de l'année 2009 ;

25 454 euro au titre de l'année 2010 ;

26 432 euro au titre de l'année 2011 ;

14 852 euro du 1er janvier au 30 septembre 2012 ;

Attendu que l'allocation d'une somme de 75 000 euro indemnisera justement le préjudice résultant de la perte des rémunérations acquises lors de l'activité développée dans l'intérêt commun des parties, ainsi que la perte de valeur du mandat ;

Que le jugement est par conséquent infirmé s'agissant du montant alloué ;

Sur le préavis :

Attendu selon l'article L. 134-11 du Code de commerce lorsque le contrat est à durée indéterminée, chacune des parties peut y mettre fin moyennant un préavis, qui est de trois mois pour la troisième année commencée, et les années suivantes ;

Qu'en l'espèce Monsieur X totalise une ancienneté de 11 ans auprès de la société France Décor, et que l'article 4 du contrat liant les parties prévoit également une indemnité de préavis de 3 mois à partir de la troisième année ;

Attendu par conséquent, et compte tenu des commissions perdues, qu'il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il alloue à Monsieur X une somme de 6000 euro à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

Sur le surplus :

Attendu que l'appelante qui succombe en grande partie sur les mérites de son appel est condamnée aux entiers frais et dépens de la procédure, avec possibilité de recouvrement direct selon l'article 699 du code de procédure civile ;

Attendu que l'équité commande d'allouer à Monsieur X au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, une somme de 1000 euro à hauteur de cour, en complément de celle de 3000 euro qu'il a perçue en première instance ;

Qu'à l'inverse l'équité ne commande de faire application de ces dispositions au bénéfice de la SAS France Décor ;

PAR CES MOTIFS La Cour, confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il condamne la société France Décor à payer à Monsieur X la somme de 100 000 euro en réparation du préjudice subi et à titre d'indemnité compensatrice, statuant à nouveau sur ce point, condamne la SAS France Décor à payer à Monsieur X la somme de 75 000 euro en réparation du préjudice subi et à titre d'indemnité compensatrice, Y ajoutant, Condamne la SAS France Décor aux entiers frais et dépens de la procédure d'appel, avec possibilité de recouvrement direct selon l'article 699 du Code de procédure civile, condamne la SAS France Décor à payer à Monsieur X la somme de 1000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.