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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 14 décembre 2016, n° 14-10002

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Moulin Hoche (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mme Mouthon Vidilles, M. Thomas

Avocats :

Mes Février, Vuillemin, Bodin Casalis, Huu, Silve

T. com. Paris, du 27 févr. 2014

27 février 2014

Faits et procédure

Par acte sous seing privé du 23 janvier 2012, la SAS Moulin Hoche, minotier, a consenti un prêt à M. X, boulanger pâtissier, en vue de lui permettre de financer l'acquisition d'un fonds de commerce de boulangerie pâtisserie à Paris.

En contrepartie de ce prêt, M. X s'est engagé à un approvisionnement exclusif en farine auprès de la société Moulin Hoche, les termes et conditions de cet approvisionnement faisant l'objet d'un contrat séparé signé le même jour.

Faisant valoir le non-respect des termes du contrat d'approvisionnement exclusif par M. X, la société Moulin Hoche a prononcé la déchéance du terme du contrat de prêt par lettre recommandée avec accusé réception du 4 juin 2012 et l'a mis en demeure de lui régler le solde du prêt outre une indemnité au titre de la clause pénale contenue au contrat d'approvisionnement pour violation de l'obligation d'approvisionnement exclusif de farine.

Puis, par exploit du 9 novembre 2012, la société Moulin Hoche a assigné en paiement M. X devant le Tribunal de commerce de Paris.

En cours de procédure, M. X s'est acquitté du règlement des sommes restant dues au titre du prêt en capital et intérêts et la société Moulin Hoche qui en a pris acte, a maintenu la seule demande en paiement au titre de la clause pénale.

Par jugement du 27 février 2014, le Tribunal de commerce de Paris a :

- débouté la SAS Moulin Hoche de sa demande de 30 676,75 euros au titre de la clause pénale,

- débouté la SAS Moulin Hoche de sa demande de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- débouté les parties de leurs demandes au titre de l'article 700,

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

- condamné la SAS Moulin Hoche aux dépens de l'instance.

La cour est saisie de l'appel interjeté par la société Moulin Hoche du jugement du Tribunal de commerce de Paris du 27 février 2014.

Vu les dernières conclusions notifiées et déposées le 7 juillet 2014 par la société Moulin Hoche, appelante, par lesquelles elle demande à la cour de :

- donner acte à M. X de son paiement de la somme de 30 598,68 euros en règlement des sommes dues au titre du prêt, en capital et intérêts dus au 15 février 2013,

- condamner M. X à payer à la société Moulin Hoche la somme de 30 676,75 euros au titre de la clause pénale insérée à la convention de fourniture exclusive de farine, en réparation de la violation du dit engagement,

- ordonner la capitalisation des intérêts, en vertu de l'article 1154 du Code civil,

- condamner M. X à payer à la société Moulin Hoche une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- condamner M. X à payer à la société Moulin Hoche une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner M. X aux entiers dépens de première instance et d'appel distraits au profit de Me Julien Février, avocat, en vertu de l'article 699 du Code de procédure civile.

Vu les dernières conclusions notifiées et déposées le 3 septembre 2014 par M. X, intimé, par lesquelles il demande à la cour de :

- confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris en date du 27 février 2014,

- lui donner acte qu'il a dûment remboursé les sommes dues à la société Moulin Hoche, principal et intérêts, à la date du 15 février 2013 par chèque Carpa adressé au conseil de la demanderesse,

- déclarer la clause de l'article 3 du contrat d'approvisionnement abusive, par conséquent dire qu'elle est réputée non écrite,

- débouter purement et simplement la société Moulin Hoche de ses autres demandes, fins et conclusions.

Subsidiairement et vu l'article 1152 du Code civil :

- réduire la clause pénale dans les plus larges proportions,

- condamner la société Moulin Hoche aux entiers dépens de l'instance,

- condamner la société Moulin Hoche au paiement de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- la condamner aux entiers dépens dont distraction au profit de la Selarl Recamier, représentée par Maître Bodin Casalis, avocat à la cour, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Sur ce,

Sur l'application de la clause pénale contenue au contrat d'approvisionnement exclusif, il est constant :

- que suivant acte sous seing privé du 23 janvier 2012, la société Moulin Hoche a consenti à M. X un prêt d'un montant de 40 000 euros destiné à financer l'acquisition d'un fonds de commerce à usage de boulangerie pâtisserie et que ce contrat prévoyait à l'article 4 la déchéance du terme notamment " en cas de non-respect de la clause de fourniture, élément déterminant de l'octroi du prêt ",

- que par acte séparé du même jour, M. X s'est engagé à s'approvisionner en farine auprès de la société Moulin Hoche pour une durée de 4 ans à hauteur de 50 quintaux mensuels pour un prix de 650 euros hors taxe la tonne.

M. X ayant cessé de s'approvisionner auprès de la société Moulin Hoche, celle-ci a prononcé la déchéance du terme du contrat de prêt prévue à l'article 4 du contrat en cas de non-respect de la clause de fourniture et a sollicité le paiement de la clause pénale convenue à l'article 6 du contrat d'approvisionnement lequel est ainsi rédigé : " sauf en cas de force majeure, le contrat de fourniture sera poursuivi en exécution jusqu'à complet achèvement de sa durée. En cas d'inexécution, de non-respect de l'exclusivité de fourniture, le client devra à titre de clause pénale, le paiement d'une indemnité forfaitaire de 20 % du Chiffre d'affaires à réaliser jusqu'au terme normal du contrat ".

Aux termes du jugement entrepris, le tribunal de commerce a débouté la société Moulin Hoche de cette demande en considérant que compte tenu de l'indivisibilité des contrats de prêt et d'approvisionnement exclusif en farine, la résiliation du premier avait entraîné la caducité du second.

Pour solliciter l'infirmation du jugement entrepris, la société Moulin Hoche fait valoir que les premiers juges n'ont pas tiré les conséquences légales de l'indivisibilité des conventions conclues entre les parties et que M. X n'ayant clairement pas respecté son engagement de se fournir exclusivement en farine (de février à août 2012 il n'a commandé que 4 tonnes de farine au lieu des 40 tonnes auxquelles il s'était engagé), elle est parfaitement en droit de faire valoir la clause pénale prévue à l'article 6 de la convention de fourniture de farine.

M. X soutient à l'inverse que les deux contrats étant interdépendants, la disparition de l'un rejaillit sur la pérennité de l'autre et que dès lors, le fait qu'il ait remboursé les sommes dues au titre du contrat de prêt a fait disparaître son objet et éteint la convention, ce qui a entraîné la caducité du contrat d'achat exclusif de farine auquel il était lié.

Les parties s'accordent à reconnaître qu'il existait à la fois un contrat de prêt et un contrat d'approvisionnement, soit deux contrats distincts, même s'ils étaient interdépendants, chaque contrat étant la condition de l'existence de l'autre et que du fait de l'indivisibilité des contrats, la résiliation du contrat de prêt a entraîné la caducité du contrat d'approvisionnement exclusif en farine.

Toutefois, c'est à tort que le tribunal de commerce a considéré que du fait de la caducité du contrat d'approvisionnement, il n'y avait pas lieu à application de la clause pénale qu'il contenait. En effet, la caducité qui se distingue de l'annulation en ce qu'elle ne sanctionne pas un vice entachant à l'origine la validité de l'acte mais enregistre ou sanctionne une carence ultérieure, n'opère donc que pour l'avenir de sorte que n'étant pas rétroactive, elle laisser subsister notamment la clause sanctionnant l'inexécution du contrat, étant ajouté, à titre surabondant, qu'il est de principe que la partie dont la faute a entraîné l'anéantissement de l'ensemble contractuel, est tenue de réparer le préjudice ainsi subi par l'autre partie.

M. X ne conteste pas n'avoir procédé qu'à une seule commande de farine à hauteur de 40,25 quintaux en janvier 2012 dont il a été livré le 27 mars 2012 et n'avoir ainsi pas respecté son obligation d'approvisionnement à hauteur de 50 quintaux mensuels de farine. Il ne discute pas plus ne pas avoir respecté son obligation de remboursement du prêt de sorte que ce contrat a été résilié et que par suite, le contrat d'approvisionnement est devenu caduc, du fait de son comportement fautif.

La société Moulin Hoche est donc fondée à invoquer la clause pénale contenue au contrat d'approvisionnement en farine. Le jugement entrepris sera donc infirmé sur ce point.

Sur la demande en annulation de la clause du contrat d'approvisionnement exclusif du fait de son caractère manifestement abusif

A titre subsidiaire, M. X fait valoir le caractère léonin du contrat d'approvisionnement dans la mesure où il a reçu un prêt d'un montant de 40 000 euros à un taux de 4 % avec un nantissement sur son fonds de commerce d'une valeur bien supérieure au montant du prêt, en échange de quoi, il s'est engagé à acheter en exclusivité à la société Moulin Hoche, pendant une durée incompressible de 4 ans, 50 quintaux de farine par mois à un prix qui évoluera selon le tarif général de celui-ci et avec une clause pénale en cas de rupture du contrat représentant une somme supérieure à la somme empruntée. Il précise que sa production mensuelle représente 50 quintaux de farine, voire moins de sorte qu'il n'avait pas la possibilité de se fournir partiellement auprès d'un autre meunier, ce qui avait pour conséquence qu'il n'avait pas la faculté de discuter de la quantité, de la qualité ou du prix des farines qui lui étaient livrées. Il en conclut que la clause est manifestement abusive et devra être réputée non écrite et le contrat sans effet. Il ajoute qu'elle a pour conséquence de créer un déséquilibre significatif entre les parties puisqu'elle limite totalement sa liberté contractuelle, ce qui constitue également une concurrence déloyale à l'égard des autres meuniers.

La société Moulin Hoche réplique que le contrat d'approvisionnement exclusif ne présente aucun caractère léonin dans la mesure où le minotier n'étant pas un professionnel du crédit, il n'avait aucun intérêt à prendre le risque de consentir un tel prêt à un tel taux si ce n'est en contrepartie d'un approvisionnement exclusif en farine et où M. X trouvait également son intérêt à souscrire ce prêt. Elle estime qu'il ne démontre aucun avantage excessif pour elle, aucune répartition inégale des pertes ou l'élimination des risques pour l'une des parties et aucune imposition de volonté.

Il sera relevé que M. X s'abstient de préciser sur quel fondement, il sollicite l'annulation de la clause en cause comme étant abusive.

Par principe, un contrat d'approvisionnement exclusif n'a pas pour objet de restreindre la concurrence de sorte qu'il ne constitue pas, par son objet même, une pratique anticoncurrentielle. En l'espèce, M. X ne justifie pas ni même n'allègue que ce contrat relève de l'interdiction posée par les articles 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et L. 420-1 du Code de commerce en ce qu'il s'avérerait disproportionné dans son champ ou sa durée à l'objectif qu'il poursuit. Il n'établit notamment pas que la clause prévoyant une obligation d'approvisionnement limitée à quatre ans constituerait une restriction caractérisée entraînant le retrait de l'exemption selon les dispositions combinées des articles 1d et 5a du règlement 2790/1999 de la Commission du 22 décembre 1999 auxquels se sont substitués en des termes similaires les articles 1d et 5, 1, a du règlement 330/2010 du 20 avril 2010 en droit de la concurrence, et la nullité du contrat sur le fondement des articles 101, alinéa 2 du TFUE et L. 420-3 du Code de commerce.

Par ailleurs, la cour constate que le contrat d'approvisionnement a été conclu entre deux professionnels, M. X agissant en qualité de boulanger pâtissier et la société Moulin Hoche en qualité de minotier et est en rapport direct avec l'activité professionnelle de M. X et que ce dernier ne justifie aucunement que la clause d'approvisionnement exclusif qu'il a acceptée, est abusive comme créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations de chacune des parties. En effet, cette clause est la contrepartie du crédit que lui a consenti le minotier, afin de lui permettre d'acquérir son fonds de commerce, à un taux de 4 % l'an dont il n'est pas établi qu'il soit fort éloigné de ceux pratiqués par les établissements de crédit à l'époque de la conclusion du contrat.

Faute de justifier que la clause d'approvisionnement exclusif est manifestement abusive, M. X sera débouté de sa demande en annulation.

Sur la demande en réduction de la clause pénale du fait de son caractère excessif

M. X fait encore valoir que la clause pénale est manifestement excessive en ce que son application permettrait au minotier de percevoir la totalité du prix des tonnes de farine non fournies. Il ajoute que le minotier n'a pas subi de préjudice dans l'octroi du prêt, celui-ci étant assorti d'un intérêt de 4 % et d'une garantie par le nantissement du fonds de commerce et que de plus, il a été remboursé. Il considère que si la clause pénale devait s'appliquer, elle devrait être modérée.

La société Moulin Hoche réplique qu'elle subit un manque à gagner du fait du fait de la rupture du contrat d'approvisionnement et que la clause pénale ne prend en compte qu'une partie de ce manque à gagner de sorte qu'elle n'est pas excessive. Elle indique que M. X ne s'est pas plaint de la qualité de la farine en suite de l'unique commande qu'il a passée, ce dont elle déduit qu'il ne peut soutenir que c'est l'évolution du prix et la qualité de la farine vendue qui l'ont conduit à ne plus s'approvisionner auprès d'elle.

Il doit être rappelé que la clause pénale dont l'application est demandée, ne figure pas au contrat de prêt mais au contrat, distinct, d'approvisionnement exclusif de sorte que son caractère excessif ne peut s'apprécier qu'au regard du préjudice subi du fait de l'inexécution de ce dernier, peu important dès lors que M. X ait remboursé le prêt.

La société Moulin Hoche justifie d'un manque à gagner certain du fait que le contrat d'approvisionnement n'a pas été exécuté jusqu'à son terme. L'indemnité forfaitaire convenue à hauteur de 20 % de ce manque à gagner sur 4 ans n'apparaît nullement excessive de sorte qu'il n'y a pas lieu de la réduire. Elle s'élève à la somme de 28 047,50 euros se décomposant comme suit :

50 quintaux x 44 mois (11 mois, aucune commande n'ayant lieu pendant le mois des vacances d'été x 4 ans) = 2 200 quintaux - 40,25 quintaux commandés par M. X = 2 159,75 quintaux, soit 215,97 tonnes x 650 euros/tonne (prix contractuel) = 140 380,50 euros x 20 % = 28 076,10 euros. La société Moulin Hoche qui sollicitait la somme de 30 676,75 euros, sera déboutée du surplus non justifié de sa demande.

Il sera fait droit à la demande de capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du Code civil.

Sur les autres demandes :

La société Moulin Hoche formule une demande en dommages et intérêts à hauteur de 5 000 euros complémentaire destinés à sanctionner le comportement déloyal dont a fait preuve M. X et réparer le préjudice financier consécutif à ses manquements.

Or, elle ne justifie d'aucun préjudice distinct de celui qui sera réparé par l'application de la clause pénale de sorte qu'elle sera déboutée de la demande complémentaire en dommages et intérêts et qu'il y a lieu de confirmer, par substitution de motifs, le jugement entrepris sur ce point.

Un donner acte n'étant pas susceptible de créer des effets juridiques, les demandes formées à ce titre seront rejetées.

M. X qui succombe, supportera la charge des dépens de première instance et d'appel et sera condamné à verser à la société Moulin Hoche la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant par arrêt contradictoire, publiquement par mise à disposition au greffe, Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté la société Moulin Hoche de sa demande en dommages et intérêts complémentaire, Statuant à nouveau, Condamne M. X à verser à la société Moulin Hoche la somme de 28 076,10 euros au titre de la clause pénale, Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du Code civil, Déboute la société Moulin Hoche du surplus de sa demande en dommages et intérêts, Condamne M. X aux dépens de première instance et d'appel, Autorise Maître Julien Février, avocat, à recouvrer les dépens dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile, Condamne M. X à verser à la société Moulin Hoche la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.