CA Paris, Pôle 5 ch. 5-7, 15 décembre 2016, n° 2012-08968
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Cemex Betons Sud-Est (Sté), Cemex France Gestion (Sté), Unibeton (Sté)
Défendeur :
Ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique, Autorité de la concurrence
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Douvreleur
Conseillers :
Mmes Faivre, Sentucq
Avocats :
Mes Teytaud, Donnedieu de Vabre-Tranié, Lazarus
Faits et procédure
LA COUR est saisie des recours formés par les sociétés Cemex France Gestion, Cemex Bétons Sud-Est et Uni béton contre la décision du Conseil de la concurrence n° 97-D-39 du 17 juin 1997 relative à des pratiques mises en œuvre par différentes entreprises dans le secteur du béton prêt à l'emploi dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur.
Par cette décision, le Conseil de la concurrence a infligé des sanctions pécuniaires à treize entreprises pour s'être livrées à des pratiques prohibées par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 420-1 du Code de commerce, et a ordonné une mesure de publication.
Le Conseil avait été saisi le 5 juillet 1994 par le ministre chargé de l'Economie, sur la base d'une enquête ouverte en septembre 1993 à la suite des déclarations faites par deux responsables de la Société Nouvelle des Bétons Techniques (SNBT) à la Brigade interrégionale d'enquête de Marseille (BIE) devant laquelle ils s'étaient spontanément présentés le 5 juillet 1993. Ces responsables avaient déclaré que leur entreprise participait, avec d'autres entreprises, à une entente sur le marché du béton prêt à l'emploi dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et ils avaient remis à ce service plusieurs documents.
Dans le cadre de l'enquête qui avait été ouverte à la suite de ces déclarations, les enquêteurs ont, notamment, procédé à des visites et saisies autorisées par une ordonnance du 28 janvier 1994 du président du Tribunal de grande instance de Marseille. Par arrêt du 3 octobre 1995, la Cour de cassation a cassé cette ordonnance, mais seulement en ce qu'elle avait fixé un délai de six mois pour la présentation des requêtes en contestation de la régularité des opérations de visite et saisie et a rejeté les pourvois pour le surplus.
Faisant droit à une demande du ministre, le Conseil de la concurrence a, par décision du 14 septembre 1994, enjoint ''jusqu'à l'intervention de la décision au fond, aux sociétés Béton de France Super Béton, Béton Chantiers du Var et Société Méditerranéenne de béton de cesser de vendre directement ou indirectement, dans un rayon de 25 km autour de la ville de Toulon, du béton prêt à l'emploi à un prix unitaire inférieur à son coût moyen variable de production tel qu'il résulte de la comptabilité analytique établie mensuellement par chacune des entreprises concernées pour chacune de ses centrales".
La Cour d'appel de Paris a, par arrêt du 3 novembre 1994, rejeté le recours formé contre cette décision et la Cour de cassation a, par arrêts du 4 février 1997, rejeté les pourvois qui s'en étaient suivis.
Par décision du 12 décembre 1995, le Conseil de la concurrence a constaté que les entreprises Super Béton, Béton de France et Société Méditerranéenne de Béton n'avaient pas respecté ces injonctions et il leur a infligé des sanctions pécuniaires d'un montant, respectivement, de 1 000 000 F, 1 400 000 F et 750 000 F.
La Cour d'appel de Paris a, par arrêt du 10 septembre 1996, annulé cette décision.
S'agissant de la saisine au fond, le Conseil de la concurrence a, par la décision déférée du 17 juin 1997, considéré que les entreprises en cause s'étaient livrées, au cours de l'année 1993, à des pratiques concertées de répartition de quotas et de fixation des prix sur les marchés du béton prêt à l'emploi de Toulon, Nice, Avignon, Cavaillon, Aix-en-Provence et de l'est du département du Var, à une entente organisée sur le plan régional et, enfin, à des pratiques concertées d'éviction d'un nouvel entrant dans la région de Toulon. Il a, en conséquence, prononcé à l'encontre des entreprises en cause des sanctions pécuniaires, d'un montant allant de 50 000 F à 40 000 000 F. C'est ainsi qu'il a infligé les sanctions suivantes aux sociétés requérantes ou aux sociétés aux droits desquelles elles viennent :
- à la société Uni béton, une sanction pécuniaire de 40 000 000 F pour s'être livrée à "à des pratiques anticoncurrentielles de répartition de marché au cours de l'année 1993 sur cinq des six marchés locaux du hé/on prêt à l'emploi examinés par le Conseil de la concurrence", pour avoir participé à "une entente organisée sur le plan régional au cours de la même année "et à "une entente spécifique organisée à l'occasion des consultations organisées par les maîtres d'œuvre lors de la construction de la traversée souterraine de Toulon à !a fin de l'année 1993", enfin, pour avoir "contribué activement à la concertation visant à exclure la société SNBT du marché local de Toulon en pratiquant des prix d'éviction" ;
- à la société Béton de France, aux droits de laquelle vient la société Cemex France Gestion, une sanction pécuniaire de 30 000 000 F pour s'être livrée "à des pratiques anticoncurrentielles de répartition de marché au cours de l'année 1993 sur les six marchés locaux du béton prêt à l'emploi examinés par le Conseil de la concurrence", pour avoir participé à "une entente organisée sur le plan régional au cours de la même année" à "une entente spécifique organisée à l'occasion des consultations organisées par les maîtres d'œuvre lors de la construction de la traversée souterraine de Toulon à la fin de l'année 1993 "et, enfin, pour avoir "contribué activement à la concertation visant à exclure la société SNBT du marché local de Toulon en pratiquant des prix d'éviction" ;
- à la Société Brignolaise de Béton et d'Agglomérés (SBBA), aux droits de laquelle vient la société Cemex Bétons Sud-Est, une sanction pécuniaire de 300 000 F pour s'être livrée "à des pratiques anticoncurrentielles de répartition de marché au cours de l'année 1993 sur un des six marchés locaux du béton prêt à l'emploi examinés par le Conseil de la concurrence''.
Par arrêt du 20 octobre 1998, la Cour d'appel de Paris a rejeté les recours qui avaient été formés contre cette décision.
La Cour de cassation a, par arrêt du 9 octobre 2001, cassé et annulé cet arrêt, au motif que le Conseil de la concurrence avait statué au fond dans une formation comprenant des membres ayant siégé sur la demande de mesures conservatoires, en méconnaissance objective du principe d'impartialité consacré par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.
Sur renvoi, la Cour d'appel de Paris autrement composée a, par arrêt du 22 juin 2004, annulé la décision du Conseil pour ce même motif et compte tenu de la présence du rapporteur au délibéré, et elle a renvoyé l'affaire devant le Conseil pour qu'il soit à nouveau statué.
Par arrêt du 27 septembre 2005, la Cour de cassation a cassé cet arrêt au motif que la cour d'appel était tenue de statuer en fait et en droit sur les demandes des parties et, le cas échéant, sur les griefs notifiés et maintenus par le rapport.
Sur renvoi, la Cour d'appel de Paris autrement composée a, par arrêt du 25 mars 2008, déclaré irrecevables certains moyens d'annulation, annulé la décision déférée, au motif que des membres du Conseil ayant statué sur le fond avaient siégé sur la demande de mesures conservatoires, jugé que les pratiques reprochées étaient établies et infligé aux sociétés Uni béton, Cemex France Gestion, venant aux droits de la société Béton de France, et Cemex Bétons Sud Est, venant aux droits de la Société Brignolaise de Béton et d'Agglomérés, des sanctions pécuniaires d'un montant, respectivement, de 6 000 000 euros, 4 500 000 euros et 45 000 euros.
Par arrêt du 3 mars 2009, la Cour de cassation a cassé cet arrêt en jugeant que la cour d'appel avait à tort déclaré irrecevables des moyens nouveaux.
Par arrêt du 27 janvier 2011, la Cour d'appel de Paris a rejeté les contestations portant sur l'ordonnance ayant autorisé les visites et saisies, annulé la décision du Conseil de la concurrence pour les mêmes motifs que précédemment et, statuant à nouveau, jugé les pratiques établies et infligé aux sociétés Uni béton, Cemex France Gestion et Cemex Bétons Sud-Est des sanctions pécuniaires d'un montant, respectivement, de 6 000 000 euros, 4 500 000 euros et 45 000 euros.
Par arrêt du 14 février 2012, la Cour de cassation a cassé et annulé cet arrêt pour des motifs tenant, d'une part, au doute raisonnable sur l'impartialité de la juridiction né de ce que la même formation de jugement avait examiné l'existence de présomptions de pratiques anticoncurrentielles autorisant les visites et saisies et avait statué sur le bien-fondé des griefs retenus et la sanction et, d'autre part, à la conformité, en l'espèce, du recours en contestation aux exigences de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.
A la suite de cette cassation, les sociétés Cemex Bétons Sud-Est, Cemex France Gestion et Unibéton ont saisi la Cour d'appel de Paris de recours en contestation de l'ordonnance ayant autorisé les visites et saisies et de recours contre la décision du Conseil.
Après que ces recours aient été disjoints, la Cour d'appel de Paris a, par arrêt du 30 octobre 2013, rejeté les recours dirigés contre l'ordonnance d'autorisation des visites et saisies. Par arrêt du 25 février 2015, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté les pourvois formés contre cet arrêt.
Le recours dirigé contre la décision du Conseil de la concurrence est l'objet de la présente instance.
LA COUR,
Vu la décision du Conseil de la concurrence n° 97-D-39 du 17 juin 1997 relative à des pratiques mises en œuvre par différentes entreprises dans le secteur du béton prêt à l'emploi dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur ;
Vu l'arrêt de la Cour de cassation (Chambre commerciale, financière et économique) du 14 février 2012;
Vu la déclaration de saisine après renvoi de la Cour de cassation déposée par la société Unbéton le 15 mai 2012;
Vu la déclaration de saisine après renvoi de la Cour de cassation déposée par la société Cemex France Gestion venant aux droits de la société Béton de France le 11 juin 2012;
Vu la déclaration de saisine après renvoi de la Cour de cassation déposée par la société Cemex Bétons Sud-Est venant aux droits de la Société Brignolaise de Béton et d'Agglomérés (SBBA) le 11 juin 2012;
Vu les conclusions déposées par la société Uni béton les 28 septembre, 10 octobre et 18 décembre 2012, 30 avril 2013 et 29 avril 2015;
Vu les conclusions déposées par la société Cemex France Gestion les 28 septembre, 10 octobre et 18 décembre 2012, 15 octobre 2015, 7 avril et 13 juin 2016 ;
Vu les conclusions déposées par la société Cemex Bétons Sud-Est les 28 septembre, 10 octobre et 18 décembre 2012, 15 octobre 2015, 7 avril et 13 juin 2016 ;
Vu les observations écrites déposées par l'Autorité de la concurrence les 5 octobre 2012, 5 mars 2013, 21 janvier et 13 mai 2016;
Vu les observations écrites déposées par le ministre chargé de l'Economie les 5 octobre 2012, 4 mars 2013 et 21 janvier 2016 ;
Vu l'avis du ministère public en date du 15 juin 2016 ;
Après avoir entendu à l'audience publique du 16 juin 2016 les conseils des requérantes, qui ont été mises en mesure de répliquer, le représentant de l'Autorité de la concurrence, celui du ministre chargé de l'Economie et le ministère public ;
Sur ce,
Les sociétés requérantes demandent à la cour d'annuler la décision du Conseil de la concurrence et elles développent à ce titre plusieurs moyens d'annulation fondés sur l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (ci-après CEDH). Elles mettent en cause, par ailleurs, la validité de procès-verbaux dressés durant l'enquête et la régularité de la communication de certains documents.
Sur le fond, les requérantes soutiennent que les différents griefs qui leur sont reprochés ne sont pas établis. Subsidiairement, elles font valoir que les sanctions qui leur ont été infligées sont disproportionnées, eu l'égard à l'absence de gravité des faits et de dommage à l'économie.
A titre préliminaire, les sociétés Cemex Bétons Sud-Est et Cemex France Gestion demandent que les observations écrites déposées par l'Autorité de la concurrence soient écartées des débats.
Sur la demande préliminaire tendant à ce que soient écartées les observations déposées par l'Autorité de la concurrence
Dans leurs conclusions en réplique et récapitulatives du 7 avril 2016, les sociétés Cemex Bétons Sud-Est et Cemex France Gestion demandent à la cour, à titre préliminaire, d'écarter les observations écrites déposées par l'Autorité de la concurrence, au motif qu'il en résulterait une atteinte à l'article 6 § 1 de la CEDH. A l'appui de cette demande elles invoquent deux arrêts rendus le 10 septembre 2014 et le 10 septembre 2015 par la Cour de cassation qui, ayant jugé que "l'exigence d'un procès équitable, au regard des principes d'égalité des armes et d'impartialité du juge, impose qu'une juridiction disciplinaire de première instance ne soit pas partie au recours contre ses propres décisions" et qu'au cas d'espèce le Conseil des ventes volontaires "qui prononce une sanction disciplinaire constitu[ait] une telle juridiction", a cassé et annulé l'arrêt de la cour d'appel qui avait statué "au vu des observations écrites déposées" par ce conseil. Les requérantes rappellent que selon les textes qui lui sont applicables, le Conseil des ventes volontaires est, comme l'Autorité de la concurrence depuis 2012, partie à l'instance devant la cour d'appel saisie d'un recours contre ses décisions. Elles soulignent que dans son arrêt Vebic du 7 décembre 2010, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que l'effet utile des articles 101 et 102 TFUE commandait qu'une autorité de concurrence nationale puisse participer, en tant que partie défenderesse, à une procédure judiciaire dirigée contre la décision dont cette autorité est l'auteur, mais qu'elle a a précisé qu'en l'absence de réglementation de l'Union", - ce qui est le cas en l'espèce puisque le Conseil de la concurrence n'a appliqué que l'ordonnance du 1er décembre 1986 -, les Etats membres demeuraient compétents pour désigner l'organe relevant de l'autorité de concurrence nationale qui dispose de la faculté de participer, en tant que partie défenderesse à une telle procédure ; elles font valoir qu'aucun texte de droit national n'a désigné l'organe relevant de l'Autorité de la concurrence qui disposerait de cette prérogative.
Mais force est de constater, en premier lieu, que si l'Autorité de la concurrence, lorsqu'elle prononce des sanctions pécuniaires à l'encontre d'entreprises s'étant livrées à des pratiques anticoncurrentielles, statue en "matière pénale" au sens de l'article 6 précité, avec les conséquences qui s'y attachent, et si, comme le Conseil des ventes volontaires, elle est partie à l'instance devant la cour d'appel, elle a la nature non d'une juridiction, mais d'une autorité administrative, comme le prévoit expressément l'article L. 461-1 du Code de commerce.
En deuxième lieu, et contrairement à ce qu'affirment les requérantes, les textes de droit national ont déterminé quel était, au sein de l'Autorité de la concurrence, l'organe compétent pour participer à la procédure devant la cour d'appel puisque l'article R. 461-1 du Code de commerce prévoit que "le président de l'Autorité de la concurrence la représente en justice" et qu'il a "qualité pour agir en demande et en défense et présenter en observations devant toute juridiction au nom de celte Autorité".
En troisième lieu, la cour relève que les observations écrites de l'Autorité ont été déposées dans des conditions pleinement contradictoires et conformes aux règles du procès équitable, les sociétés auteurs du recours ayant, en particulier, eu la possibilité d'y répliquer.
La demande des sociétés Cemex Bétons Sud-Est et Cemex France Gestion tendant à ce que soient écartées les observations écrites déposées par l'Autorité de la concurrence sera, en conséquence, rejetée.
Sur la conventionnalité du recours transitoire prévu par l'ordonnance du 13 novembre 2008
Les sociétés Cemex France Gestion et Cemex Bétons Sud-Est soutiennent que le recours en contestation de l'ordonnance d'autorisation des visites et saisies ouvert à titre transitoire par l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 portant modernisation de la régulation de la concurrence ne répond pas, en l'espèce, à l'exigence du délai raisonnable qu'impose l'article 6 § 1 de la CEDH. Elles font valoir, en effet, que ce recours n'a pu être exercé que 15 ans après que l'ordonnance ait été prise, le 28 janvier 1994, et que les opérations autorisées aient été exécutées. Elles en concluent que l'ensemble de la procédure et la décision du Conseil de la concurrence qui en est l'aboutissement sont entachés de nullité en raison de la violation du droit à un procès équitable garanti par l'article 6 précité.
La société Unibéton conclut dans le même sens et considère que les dispositions de l'ordonnance de 2008 ne lui ont pas permis, en l'espèce, d'exercer un recours effectif dans un délai raisonnable conforme à l'article 6 § 1, et elle demande à la cour d'annuler à ce titre la décision du Conseil.
Il est constant que les sociétés Cemex France Gestion, Cemex Bétons Sud-Est et Unibéton ont précédemment soutenu ces mêmes moyens d'annulation dans le cadre du recours qu'elles ont formé devant la Cour d'appel de Paris contre l'ordonnance d'autorisation de visites et saisies rendue le 28 janvier 1994 par le président du Tribunal de grande instance de Marseille. La cour d'appel ayant statué sur ces moyens par arrêt du 30 octobre 2013, frappé d'un pourvoi que la Cour de cassation a rejeté par arrêt du 25 février 2015, il y a lieu de constater que la demande des sociétés requérantes se heurte à l'autorité de la chose jugée et qu'elle est donc irrecevable.
Sur la conventionalité de la présente procédure
En premier lieu, la société Unibéton soutient que le "maintien" de deux recours dirigés, l'un, contre la décision au fond du Conseil de la concurrence et, l'autre, contre l'ordonnance ayant autorisé les visites et saisies, ne garantit pas l'impartialité du juge du fond, dès lors que celui-ci ne peut ignorer la condamnation prononcée par le Conseil avant qu'un recours effectif ait pu être engagé. Elle considère que la décision de disjoindre ces deux recours, afin qu'ils soient examinés par des formations différentes de la cour d'appel, permet de résoudre, "au mieux", la question de l'impartialité subjective, mais pas celle de l'impartialité objective. Elle rappelle que celle-ci, aux termes de la jurisprudence de la CEDH, doit être appréciée en recherchant si "indépendamment de la conduite personnelle du juge, certains faits vérifiables autorisent à suspecter l'impartialité de ce dernier". La société Unibéton soutient que tel est le cas en l'espèce, puisqu'elle a été condamnée par le Conseil de la concurrence avant qu'elle ait pu exercer un recours effectif permettant "de purger les éventuelles nullités de la procédure judicaire pour écarter les documents viciés sur la base desquels la décision au fond est intervenue".
La cour ne peut qu'écarter ce moyen tiré d'une prétendue violation du principe d'impartialité. En effet, il ne lui appartient pas de statuer sur l'ordonnance ayant dans cette affaire autorisé les visites et saisies, cet office ayant déjà donné lieu à un arrêt, en date du 3 octobre 2013, rendu par la cour autrement composée. Elle ne peut pas plus, comme elle l'a constaté plus haut, se prononcer sur la conformité à l'article 6 CEDH du recours transitoire prévu par l'ordonnance de 2008. Enfin, la société Unibéton ne saurait tirer argument de ce que la cour ne peut "ignorer" la décision au fond du Conseil de la concurrence, puisqu'elle lui demande d'en prononcer l'annulation ou, subsidiairement, la réformation.
En second lieu, les sociétés Cemex France Gestion et Cemex Bétons Sud-Est rappellent que plus de 22 ans se sont écoulés depuis les visites et saisies effectuées le 7 février 1994 et que l'affaire se trouve aujourd'hui au stade d'un quatrième renvoi après cassation. Elles en concluent que la présente procédure est d'une durée excessive, contraire à l'exigence du délai raisonnable prévue par l'article 6 § 1 de la CEDH et elles soutiennent qu'il en est résulté une "atteinte personnelle, effective et irrémédiable" à leurs droits de la défense qui doit conduire la cour à prononcer l'annulation de cette procédure.
La cour observe que les recours formés contre la décision du Conseil de la concurrence en date du 17 juin 1997 ont été jugés par un arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris le 20 octobre 1998 et que la longueur de la procédure qui s'est en suivie ne résulte pas d'un défaut de diligence des juridictions qui sont ensuite intervenues, mais de l'exercice légitime par les parties des voies de recours qui leur étaient offertes et de l'évolution législative et jurisprudentielle subséquente.
En toute hypothèse, à supposer que la durée de la procédure ne réponde pas à la condition du délai raisonnable prévue par l'article 6 § 1 de la CEDH, il en résulterait, non la nullité de la décision déférée, mais la possibilité pour les requérantes d'obtenir, le cas échéant, réparation du préjudice qu'elles auraient pu subir. Il n'en irait autrement que s'il était démontré une atteinte personnelle, effective et irrémédiable au droit des sociétés requérantes de se défendre. Or, cette démonstration n'est nullement rapportée en l'espèce.
En effet, ces sociétés se bornent à affirmer que si leur défense "nécessitait des éléments complémentaires, documents commerciaux et comptables ou autres justificatifs, [elles] aur[aient]les plus extrêmes difficultés à les retrouver" et que "les documents relatifs à l'époque des faits ne sont plus accessibles aujourd'hui". Mais ces seules allégations, hypothétique pour l'une, péremptoire et imprécise pour l'autre, n'établissent nullement qu'au cas d'espèce, les requérantes ne sont plus en mesure d'exercer pleinement leur droit de se défendre dans la présente procédure, faute pour elles, en particulier, d'indiquer quels sont, dans le dossier, les éléments retenus contre elles auxquels elles ne peuvent plus répondre utilement compte tenu du temps passé.
Sur la conventionalité de la procédure devant le Conseil
Les sociétés requérantes soutiennent que la décision déférée doit être annulée en ce qu'elle est contraire au principe d'impartialité protégé par l'article 6 § 1 de la CEDH, pour des motifs tenant, d'une part, à la composition de la formation du Conseil de la concurrence et, d'autre part, aux conditions de son délibéré.
Il est constant que certains des membres de la formation ayant adopté la décision déférée avaient précédemment statué sur la demande de mesures conservatoires.
Le Conseil de la concurrence s'étant ainsi prononcé sur le caractère prohibé d'une partie des faits qui lui étaient dénoncés dans le cadre de cette dernière demande, il ne pouvait dès lors, dans une formation comprenant des membres ayant statué dans cette procédure, statuer à nouveau au fond, sans manquer objectivement au principe d'impartialité consacré par l'article 6 § 1 de la CEDH. Il est également constant que le Conseil de la concurrence a délibéré sur celte affaire en présence du rapporteur et du rapporteur général, comme le prévoyaient les dispositions, alors applicables, de l'article 25 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence. Or, la participation au délibéré, serait-ce sans voix délibérative, du rapporteur ayant procédé aux investigations utiles pour l'instruction des faits dont le Conseil était saisi et du rapporteur général, sous le contrôle duquel cette instruction a été menée, est contraire aux exigences du procès équitable posées par l'article 6 § 1 précité. Il convient donc d'annuler la décision déférée.
Sur la violation alléguée du principe d'impartialité au stade de l'instruction par le rapporteur
La société Cemex France Gestion observe que le même rapporteur a instruit la demande de mesures conservatoires, la vérification du respect de ces mesures et la saisine au fond et qu'il était présent aux délibérés du Conseil qui se sont tenus au terme de ces trois procédures ; elle souligne, par ailleurs, que les décisions prises en matière de mesures conservatoires, tant la décision ayant ordonné ces mesures que celle en ayant vérifié le respect, sont constitutives d'un "pré-jugement négatif'. Il résulte, selon elle, de ces circonstances la preuve d'une confusion des fonctions d'instruction et de jugement et d'un défaut d'impartialité du rapporteur.
Cette allégation n'est cependant étayée d'aucun élément qui en démontrerait la réalité. La présence du rapporteur et du rapporteur général au délibéré, si elle a entaché de nullité la décision qui s'en est suivie, est, en revanche, sans effet sur la procédure antérieure puisque, contrairement à ce qu'affirme la société Cemex France Gestion, il n'en est résulté aucune confusion entre les fonctions d'instruction et de jugement, ni atteinte aux règles du procès équitable.
Sur le caractère contradictoire de l'instruction
La société Cemex Bétons Sud-Est fait valoir que le caractère contradictoire de l'instruction et de la procédure devant le Conseil de la concurrence, consacré par l'article 18 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 devenu l'article L. 463-1 du Code de commerce, suppose que la décision prononcée ne retienne que des faits sur lesquels les entreprises en cause ont pu s'expliquer. Elle soutient que tel n'a pas été le cas en l'espèce, dans la mesure où, pour retenir la participation à la prétendue entente dans l'est du département du Var de la société SBBA, aux droits de laquelle elle vient, le Conseil de la concurrence aurait, sur la base de mentions figurant dans l'agenda de M. Talion, retenu qu'elle avait participé à six réunions avec d'autres entreprises, alors que le rapport ne faisait état que de sa participation à deux réunions. Elle en conclut que la cour doit écarter l'intégralité des éléments du dossier soumis à son appréciation.
Il convient de souligner, en premier lieu, que le grief pour lequel la société SBBA a été sanctionnée - à savoir sa participation à une entente dans l'est du département du Varlui avait été notifié et figurait dans le rapport du rapporteur. Dans sa décision, le Conseil a considéré que ce grief était établi par "différents indices graves, précis et concordants" que les sociétés Unimix, S.B.B.A., Redlannd Granulats Sud et Express s'étaient concertées en vue d'une répartition de marchés. Parmi ces indices, le Conseil a retenu, outre plusieurs mentions manuscrites figurant sur des documents saisis et corroborant les déclarations du 5 juillet 1993 par lesquelles un responsable de la société SNBT avait révélé à la BIE l'existence d'une entente de prix et de quotas entre producteurs de béton, des extraits d'agenda d'un agent commercial d'une des entreprises en cause, faisant apparaître des réunions aux dates des 20 janvier, 2 février, 2 et 18 mars, 15 et 27 avril 1993. L'ensemble de ces éléments de preuve figurait au dossier et s'est donc trouvé soumis au débat contradictoire.
Dans ces conditions, la société Cemex Bétons Sud-Est ne saurait prétendre qu'ont été violées les dispositions, alors applicables, du décret du 29 décembre 1986 - aux termes desquelles "le rapport contient l'exposé des faits et griefs finalement retenus par le rapporteur à la charge des intéressés" -, sauf à confondre grief et preuve de ce grief. En effet, le Conseil ayant sanctionné la société SBBA pour un grief qui avait été notifié à celle-ci et qui avait été retenu par le rapporteur, il pouvait fonder sa décision sur tout élément factuel qui lui paraissait pertinent, dès lors que ces éléments étaient au dossier et pouvaient être contradictoirement discutés, ce qui a bien été le cas en l'espèce.
Sur les procès-verbaux de déclarations de MM. Mas et Engel
Il ressort du dossier que les déclarations de MM. Mas et Engel - recueillies par la BIE de Provence-Alpes-Côte d'Azur, Languedoc-Roussillon et Corse - et la remise par eux de documents ont donné lieu à la rédaction de deux procès-verbaux distincts, l'un manuscrit, l'autre dactylographié, datés tous deux du "lundi 5 juillet 1993 à 16 heures".
Les sociétés requérantes soulignent que ces deux procès-verbaux comportent des différences dans leur rédaction. La société Unibéton en conclut qu'aucun d'entre eux n'a "la moindre valeur probante, dans la mesure où l'on ne peut savoir lequel de ces deux reflète la réalité" et les sociétés Cemex France Gestion et Cemex Bétons Sud-Est considèrent qu'ils sont nuls et dénués de toute valeur probante, comme les documents inventoriés en annexe. Ces sociétés, de surcroît, en tirent la conséquence que la procédure subséquente est elle-aussi, par "contamination", frappée de nullité, la société Cemex France rappelant qu'en procédure pénale, l'irrégularité de l'acte initial entraîne la nullité de toute la procédure subséquente et soutient qu'il doit en aller de même s'agissant de procédure d'enquête en matière de concurrence.
La cour constate, en premier lieu, que ces deux procès-verbaux comportent les mentions exigées de tout procès-verbal ; c'est ainsi qu'ils sont datés et signés, qu'ils contiennent les mentions nécessaires à l'identification de leur auteur, qu'ils relatent les diligences de leur auteur, en l'occurrence le recueil des déclarations de MM. Mas et Engel et la réception des documents remis par ceux-ci. Elle rappelle, en second lieu, que le constat de différences rédactionnelles entre ces procès-verbaux ne suffit pas, à lui seul, à les entacher de nullité. Il n'en irait autrement que si ces différences traduisaient des contradictions dans la teneur des déclarations recueillies, que si l'un de ces procès-verbaux contenait des déclarations arguées de faux par leurs auteurs ou que s'il en résultait un doute sur leur sincérité. Il convient donc pour la cour de déterminer si tel est le cas en l'espèce.
Sur ce point, les sociétés Cemex France Gestion et Cemex Bétons Sud-Est font valoir que le procès-verbal dactylographié est "tronqué" puisqu'il y manque les mentions suivantes qui figurent dans le procès-verbal manuscrit: "La Région qui s'appelle Rhône Méditerranée c'est-à-dire de Lyon à Nice et Perpignan a son siège ZI des Molières à Miramas (13)" ; "Les notes prises par les autres participants à toutes ces réunions peuvent à mon avis être retrouvées chez : - M. Auzas à son bureau, son domicile ou dans sa voiture : son bureau à Lambesc, son domicile à Pellissanne, - M. Femandez, qui m'a remplacé chez Unimix sur le secteur, et qui a son bureau ZI Courtine à Avignon, - M. Bernard Marie chez BGP Agence d'Aix, - M. Davere, Béton de France, qui habite à Aubagne, bureau A, - Pierre Perasso, BGP au siège". Elles observent, par ailleurs, que les annexes de la version manuscrite comportent un document qui ne figure pas dans les annexes de la version dactylographiée et que les feuillets 1, 2, 6 et 9 annexés à la version manuscrite comportent des annotations manuscrites qui ne figurent pas dans les feuillets annexés à la version dactylographiée.
S'il est de fait que le procès-verbal manuscrit comporte, par rapport au procès-verbal dactylographié, des mentions complémentaires, celles-ci ne portent pas sur les faits dénoncés et, par ailleurs, ne traduisent, entre ces procès-verbaux, aucune contradiction qui conduirait à les écarter. En outre, le fait que le procès-verbal dactylographié, et non le procès-verbal manuscrit, ait été présenté au juge à l'appui de la demande d'autorisation de visites et saisies est, contrairement à ce que soutient la société Unibéton, sans conséquence sur les questions qu'il incombe à la cour de trancher dans le cadre de la présente instance.
Par ailleurs, les sociétés requérantes observent que le procès-verbal dactylographié comporte en page 4 la mention "inventaire des documents communiqués par M. Mas" et dans les feuillets 7, 18 et 19 qui lui sont annexés des annotations manuscrites, qui ne figurent pas dans le procès-verbal manuscrit. Mais force est de constater que ces différences sont minimes et formelles, et qu'il n'en ressort aucune contradiction dans les déclarations qui figurent dans chacun des deux procès-verbaux.
Les demandes des requérantes tendant à ce que ces procès-verbaux soient écartés et que soit prononcée la nullité de la procédure subséquente seront donc rejetées.
Sur l'audition de M. Deverne
La société Cemex France Gestion met en cause la régularité du procès-verbal de déclaration et de communication de documents de M. Patrick Deverne, chef de service à la société Béton de France, aux droits de laquelle elle vient, que les enquêteurs ont dressé le 20 septembre 1993, et elle demande en conséquence à la cour de l'écarter. Elle soutient, en effet, que l'audition de M. Deverne s'est déroulée "dans des conditions manifestement irrégulières et au mépris du principe de loyauté dans la recherche des preuves" et elle rappelle que la société Béton de France avait dénoncé ces irrégularités dans un courrier accompagné de 13 attestations, en date du 11 août 1994, qu'elle avait adressé au Directeur de la Brigade interrégionale d'enquêtes.
C'est ainsi que la requérante fait valoir que M. Deverne a attesté que les enquêteurs ne lui avaient pas indiqué quel était l'objet de leur enquête. Cependant, cette simple dénégation ne suffit pas à établir la fausseté des énonciations du procès-verbal et, en particulier, à prouver que contrairement à ce qu'il y est indiqué, les enquêteurs n'aurait pas informé l'intéressé de l'objet de leur enquête. Il en va de même de la demande de communication de documents, M. Deverne ayant indiqué que les enquêteurs lui avaient demandé de présenter non pas des documents précis mais l'ensemble des documents se trouvant dans son bureau. Or, le procès-verbal comporte la déclaration suivante de M. Deverne : vous remets ci-après les documents que vous m'avez demandés" ; il en ressort que, contrairement à ce qu'allègue la requérante, et en l'absence de motifs propres à écarter les énonciations du procès-verbal, le principe selon les enquêteurs ne peuvent procéder à une demande générale et imprécise des documents présents dans l'entreprise a été, en l'espèce, respecté.
La requérante, par ailleurs, reproche aux enquêteurs d'avoir examiné le contenu d'un véhicule privé alors que les textes ne leur permettent d'accéder qu'aux seuls moyens de transport "à usage professionnel". Mais force est de constater que le véhicule en cause répondait à ce caractère, puisqu'il se trouvait dans les locaux de l'entreprise et que la requérante ne conteste pas que les documents qui y ont été recueillis avaient la nature de documents professionnels.
Enfin en ce qui concerne le déroulement des opérations, la société Cemex France Gestion soutient que leur durée a été anormalement longue, puisqu'elles se sont déroulées en dehors des heures d'ouverture de l'entreprise, et qu'en outre, M. Deverne a été retenu plusieurs heures durant. Mais il n'est pas contesté que les enquêteurs ont accédé aux locaux le matin et qu'ils en sont partis à 15 h, soit pendant les heures d'ouverture de l'entreprise; dès lors, le fait qu'ils n'aient pas interrompu leurs investigations pendant l'heure du déjeuner, donc en dehors des heures d'ouverture au public, est sans incidence sur leur régularité.
La société Cemex France Gestion soutient qu'en toute hypothèse, ce procès-verbal, au cas où la cour considèrerait qu'il est régulier, devrait néanmoins être écarté de la procédure car il a été "contaminé" par les vices initiaux de la procédure. Or, la cour a jugé plus haut que la démonstration de tels vices n'était pas rapportée, de sorte que sa demande doit être rejetée.
Sur l'origine des documents remis par M. Mas le 5 juillet 1993
Le 5 juillet 1993, M. Mas, responsable commercial de la société Unimix jusqu'à son licenciement le 21 mai 1993, a remis aux enquêteurs 44 documents et notes manuscrites. Le 17 août 1996, les enquêteurs lui ont restitué 17 de ces documents et notes "en raison de leur appartenance présumée à la société Unimix". Celle-ci a déposé plainte le 17 juillet 1994 contre M. Mas pour vol et abus de confiance devant le doyen des juges d'instruction d'Aix-en-Provence.
La société Unibéton fait valoir que ces documents ont été irrégulièrement remis, car ils avaient été volés par M. Mas à la société qui en était propriétaire, et que leur restitution un mois plus tard n'a pas purgé cette irrégularité qui vicie la procédure ultérieure et doit conduire à son annulation. La société Cemex France Gestion précise que "rien n'indique que durant les six semaines où ces documents sont restés entre les mains des enquêteurs, ceux-ci ne les auraient pas exploités pour orienter leurs recherches. Il est clair, en effet, que du fait des révélations faites le 5 juillet 1993 et des pièces présentées, les enquêteurs de la DGCCRF ont tout naturellement recherché ce qui était de nature à conformer la thèse d'une entente dans le secteur du béton prêt à l'emploi dans la région Paca".
Ce moyen d'annulation doit cependant être écarté. En effet, s'agissant de documents remis spontanément aux enquêteurs, on ne saurait tirer aucune conséquence, sur la validité de la procédure ultérieure, de ce que leur origine s'est par la suite avérée douteuse. Et on ne saurait pas plus faire grief à ces enquêteurs d'avoir accepté de recevoir ces documents dont, lors de leur remise, rien ne laissait supposer une telle origine. Dès lors, c'est à raison que ces enquêteurs ont ensuite restitué ces documents, lesquels n'ont pas été versés au dossier de l'enquête et n'ont donc en rien contribué à établir la preuve des faits reprochés aux mis en cause. A cet égard, les requérants ne peuvent se borner à prétendre que "rien n'indique que durant les six semaines où ces documents sont restés entre les mains des enquêteurs, ceux-ci ne les auraient pas exploités pour orienter leurs recherches", sans apporter le moindre indice qui viendrait corroborer, ou donner ne fût-ce qu'un début de vraisemblance, à cette affirmation.
Parmi les documents remis par M. Mas, figuraient des notes manuscrites, sous l'intitulé de "Réunions de tables PACA ", réunions ayant pour objet, selon l'intéressé, de répartir les marchés entre les participants. Dun courrier du 10 octobre 1996 adressé au rapporteur à la demande de celui-ci, M. Mas a ensuite indiqué que ces notes avaient en réalité été reconstituées a posteriori à partir de son agenda personnel. La société Unibéton soutient qu'en conséquence ce document constitue un faux en écriture privée dont la remise aux enquêteurs tombe sous le coup de la qualification d'usage de faux en écriture.
La cour observe que le procès-verbal du 5 juillet 1993 qualifie ainsi la remise de ce document par M. Mas : "copie de mes noies manuscrites prises au cours des réunions de répartition de marché entre le 7 janvier 1993 et le 15 avril 1993". Si le sens exact de cette formulation peut prêter à discussion - au point que le rapporteur du Conseil a été conduit à demander à M. Mas de préciser les conditions dans lesquelles ces notes avaient été rédigées -, il n'en ressort pas moins que, par l'emploi du terme "copie", le document pouvait être compris comme la compilation de notes éparses prises sur une longue période.
On ne peut, dès lors, qu'écarter l'argument selon lequel ce document, dont au demeurant l'origine et les conditions de rédaction ont été discutées tout au long de la procédure, constituerait un faux en écriture privée et devrait, pour cette raison, être écarté, étant rappelé qu'il appartient à la cour d'en apprécier librement la force probante au vu des autres éléments du dossier et de déterminer si, et dans quelle mesure, il contribue à établir la réalité des griefs reprochés aux mises en cause.
Les sociétés Unibéton et Cemex France Gestion, par ailleurs, mettent également en cause l'authenticité de l'agenda personnel de M. Mas et de quatre cahiers à spirales que l'intéressé a remis en photocopie aux enquêteurs le 5 juillet 1993. Ils font valoir que ces documents, outre qu'ils n'ont été remis en original au rapporteur du Conseil de la concurrence que le 8 novembre 1995, comportent des anomalies tenant à des différences d'écritures et à des mentions erronées de date et d'où il résulte, selon elles, qu'ils ont été rédigés postérieurement "pour les besoins de la couse". Cette allégation, cependant, n'est pas fondée sur des éléments qui en démontreraient suffisamment et de façon plausible la réalité et qui conduiraient à considérer, comme le soutient la société Unibéton, qu'ils sont constitutifs de faux en écriture privée. Il n'y a donc pas lieu de faire droit à la demande des requérantes et d'écarter ces documents, dont la force probante sera librement appréciée par la cour, au regard de leur contenu et des autres éléments du dossier.
Sur la communication de l'agenda de M. Talion
M. Talion, agent commercial de la société Express Béton, a communiqué son agenda aux enquêteurs qui le lui avaient demandé en application de l'article 47 de l'ordonnance du 1er décembre !986, devenu l'article L. 450-3 du Code de commerce. Société Cemex Béton fait valoir que cet agenda contenait des annotations personnelles et elle en conclut qu'il constituait un document "mixte", dont les enquêteurs ne pouvaient demander la communication; elle demande donc à la cour d'appel de l'écarter du dossier.
L'article 47 précité ne permettait aux enquêteurs d'exercer leur droit de communication qu'à l'égard des seuls documents à caractère professionnel. Tel a bien été le cas en l'espèce, comme cela ressort expressément du procès-verbal du 20 septembre 1993, dans lequel les enquêteurs ont indiqué :"Nous avons demandé à M. Talion de nous présenter son agenda professionnel (...)". Il n'est pas contesté que l'agenda que M. Talion a communiqué a été fourni par l'employeur, pour les besoins des missions confiées à M. Tallon. Cet agenda était donc, en lui-même, un document professionnel. A cet égard, le fait que l'inventaire annexé à ce procès-verbal mentionne, improprement, des "copies d'agenda personnel" est sans incidence sur la qualification de cet agenda, puisqu'il n'est pas contesté qu'il s'agissait bien de copies de l'agenda professionnel fourni par M. Talion.
Dès lors, la question est de déterminer si le fait que M. Tallon ait porté dans son agenda professionnel des annotations à caractère personnel suffit, comme le prétend la société Cemex Bétons Sud-Est, à lui faire perdre cette qualité et à en faire un document "mixte", échappant au droit de communication des enquêteurs. Les annotations en cause [que vise la société Cemex Bétons Sud-Est] ont été portées à cinq reprises, à la date des 24 janvier, 26 février, 13 mars, 27 mars et 28 mars, et elles sont ainsi libellées : "Montauraux Ann ... illisible" (à la date du dimanche 24 janvier), "Anita/Robert" (à la date du samedi 26 février), "Rideaux Cindy Appliques maison Chèque EDF Urgent Télécom" (à la date du samedi 13 mars), "Changement heure" (à la date du samedi 27 mars), "Course autos Le Muy" (à la date du dimanche 28 mars).
A l'évidence, ces annotations, au vu tant de leur nombre que de leur teneur, ne sont pas de nature à faire perdre son caractère professionnel à l'agenda communiqué aux enquêteurs. La demande de la société Cemex Bétons Sud-Est sera donc rejetée.
Sur les documents saisis dans les locaux de la société Unimix
Sur la base de l'autorisation qui leur avait été délivrée par ordonnance du 28 janvier 1994 du président du Tribunal de grande instance de Marseille, les enquêteurs ont procédé le 7 février 1994 à une visite de locaux de la société Unimix et ont saisi des documents, lesquels sont opposés à la société SBBA aux droits de laquelle vient la société Cemex Bétons Sud-Est. Celle-ci rappelle que les enquêteurs avaient, à l'appui de leur demande d'autorisation, présenté à ce magistrat le procès-verbal dactylographié du 5 juillet 1993 relatant les déclarations faites par MM. Mas et Engel. Elle soutient qu'ayant démontré que ce procès-verbal était entaché de nullité, les investigations postérieures - à savoir la visite et les saisies effectuées le 7 janvier 1994 dans les locaux de la société Unimix - doivent, par "contamination", être "privées d'effet".
Mais la cour ayant jugé plus haut que le procès-verbal dactylographié n'était entaché d'aucune nullité, la demande de la société Cemex Bétons Sud-Est sera, en conséquence, rejetée.
Sur les griefs reprochés aux sociétés requérantes
Sur l'imputabilité à la société Unibéton des griefs mettant en cause la société SMB
Trois griefs mettant en cause la société SMB - au titre des pratiques mises en œuvre sur les marchés de Toulon et d'Aix-en-Provence et de celles tendant à l'éviction de la société SNBT- ont été notifiés à la société Unibéton en tant qu'elle en était la société mère.
La société Unibéton conteste que ces griefs puissent lui être imputés puisque, selon elle, l'absence d'autonomie de comportement sur le marché de sa filiale SMB n'est nullement démontrée par les éléments du dossier. Elle fait valoir que cette société était détenue à parts égales par elle-même, à travers la société Unimix, et par le groupe Garrassin et qu'une cogérance égalitaire avait été organisée, de sorte qu'aucun des gérants ne détenait plus de pouvoir que l'autre. Elle souligne, par ailleurs, que les statuts de la société SMB prévoyaient que les décisions concernant la définition et la mise en œuvre de sa politique commerciale devaient être approuvées par la majorité des associés et devaient donc recevoir l'accord du groupe Garrassin.
Cependant, la mise en place par les deux associés de la société SMB d'un dispositif contractuel et statutaire propre à prévenir toute prépondérance de l'un sur l'autre ne permet pas, en lui-même, de répondre à la question posée à la cour, qui est de déterminer, in concreto, si cette société définissait sa propre stratégie, notamment commerciale, de sorte que sa participation aux pratiques en cause doive être considérée comme relevant de sa seule responsabilité. Or, il ressort du dossier que tel n'est pas le cas.
C'est ainsi que sur la base d'une convention - non écrite, mais dont la réalité n'est pas discutée -, la société Unimix assurait toutes les fonctions administratives et de gestion de la société SMB et elle lui en facturait le coût. La fourniture de ces prestations ne peut être considérée, contrairement à ce que soutient la société Unibéton, comme la simple exécution de tâches matérielles, ne préjugeant pas de l'autonomie de la société SMB. En effet, celle-ci ne disposait d'aucun personnel propre et ses moyens en personnel, et d'ailleurs en locaux, étaient ceux de la société Unimix. Cette situation a été confirmée par le directeur financier de la société Garrassin et Cie qui, dans un courrier reçu le 21 février 1996 par le Conseil de la concurrence, a déclaré que " L'administration de la SARL SMB a été entièrement confiée à Unibéton-Arena depuis la création de la SARL. De ce fait, Unibéton assure l'intégralité des fonctions de gestion, tant commerciales, administratives, techniques, que comptables ou juridiques".
Il ressort de ces constatations que c'est à juste titre qu'ont été notifiés à la société Unibéton les griefs relatifs aux pratiques mises en œuvre par la société SMB.
Sur le marché de Toulon
Il résulte du dossier soumis au débat contradictoire que M. Mas, en dénonçant une entente généralisée de quotas sur le marché de Toulon entre la société Unimix qui l'employait jusqu'en mai 1993 et les sociétés Béton de France, Béton Chantiers du Var, Super Béton et SMB, avait signalé qu'au titre de ce qu'il dénommait "Réunions de table PACA", s'étaient tenues des réunions entre représentants de sociétés concurrentes, notamment les 2 et 5 février 1993, à L'Orée du bois au Muy et à l'hôtel Climat de France à La Farlède, puis le 8 février 1993 à l'hôtel Campanile à La-Seyne-sur-mer, dont la réalité a été confirmée par l'enquête effectuée auprès des établissements indiqués et par la société Super Béton elle-même qui a admis que c'était elle qui avait effectué la réservation à La Seyne-sur-mer.
M. Mas avait également remis une pièce comportant les pourcentages attribués à des sigles correspondant à ces entreprises : "29 (BF)" pour Béton de France, "27 (BCV)" pour Béton Chantiers du Var, "27 (B 83)" ancienne dénomination de Super Béton, "17 (Unimix)", soit Unibéton, attestant selon lui d'une répartition de marché avec "suivi des parts de marché" et "écarts par rapport aux objectifs".
Or, il a été découvert dans les locaux de la société Super Béton à La Seyne-sur-mer, le 7 février 1994, un document relatif à l'attribution du marché de la station d'épuration du cap Sicié, à la fin de l'année 1993 et au début de 1994, rédigé de la main du directeur de la société, M. Arrieta, qui fait apparaître au regard des sigles "BF", "BCV", "B 83" et "SMB", divers chiffres qui, rapportés au total de 7 200, restituent les pourcentages respectifs de 29,2 %, 26,4 %, 26,4 %, et 16,7 %, similaires donc à ceux avancés par M. Mas, et qui sont assortis d'un cumul, négatif ou positif, au regard de chacun des sigles (- 2600 pour "BF" par exemple), révélateurs d'un système d'avance-retard au regard de quotas préalablement arrêtés, excluant l'explication fournie par M. Arrieta aux enquêteurs selon lesquels ces chiffres ne constituaient que des évaluations des parts de marché respectives des concurrents.
Les mêmes similitudes ont été relevées entre les données figurant sur les documents remis par M. Mas, qui notait le 2 février 1993 "SPIE Citra M. Marteau Déviation du Las 2 800 m3": "475 (SMB)", "474 (BF)", "485 (B 83)" et "485 (BC)", et celles relatives aux offres remises à l'occasion de cette consultation pour la fourniture de béton dosé à 350 kg CPA, communiquées par M. Marteau le 23 mai 1995 aux enquêteurs dans les locaux de la société SPIE Citra: 475 F pour SMB, 474 F pour Béton de France et 485 F pour Super Béton, étant précisé qu'après négociation, c'est la société Béton Chantiers du Var qui a été retenue après avoir ramené son prix à 470 F le 23 mars 1993, ayant proposé initialement 490 F.
A la date du 5 février 1993, M. Mas avait noté au sujet du chantier "Queyras La Coudoudière" les chiffres suivants "450 (SMB)", "440 (B 83)", "445 (BC)", le signe "BF' se voyant attribuer une forme rectangulaire non chiffrée, dont M. Mas a expliqué par la suite qu'elle signifiait que l'entreprise concernée était attributaire du marché. De fait, le responsable de la société Queyras a déclaré qu'il avait retenu la société Béton de France, avec laquelle il travaillait auparavant, sans consulter les autres entreprises qui d'ailleurs ne s'étaient "pas manifestées".
L'ensemble de ces éléments, qui confirment les déclarations circonstanciées de M. Mas, caractérisent une concertation portant sur une répartition de marché du béton prêt à l'emploi entre les sociétés Béton de France, SMB, Béton Chantiers du Var et Super Béton dans la zone de Toulon, de janvier 1993 à mai 1993, de nature à fausser le jeu de la concurrence et comme telle, prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 devenu l'article L. 420-1 du Code de commerce.
Sur le marché de construction de la traversée souterraine de Toulon
Les entreprises de travaux publics chargées de la construction de la traversée souterraine de Toulon ont, de décembre 1992 jusqu'au début de l'année 1994, consulté les producteurs susceptibles de leur fournir le béton prêt à l'emploi qui leur était nécessaire.
Ces consultations ont porté sur la partie Ouest de la traversée, en deux tranches, puis sur la trémie Est.
Pour la partie Ouest, organisée par la société GTM pour la tranche "génie civil" et par la société Bachy pour la tranche "parois moulées", la société Béton de France et la SMB ont soumissionné séparément au prix de 490 F pour du béton de type 25 le 12 décembre 1992. Les sociétés GTM et Bachy ont lancé de nouvelles consultations auxquelles la société Béton de France n'a pas répondu, à la différence de la SMB qui a déposé deux nouvelles propositions les 16 et 19 mars 1993. La société Béton Chantiers du Var, qui avait offert 410 F pour ces deux chantiers, a emporté la tranche "parois moulées" le 20 avril 1993 tandis que la tranche "génie civil" était attribuée au même prix à la société Super Béton le 12 juillet 1993.
Pour la trémie Est, la société Nicoletti ayant consulté les sociétés Béton de France, Super Béton, Béton Chantiers du Var, SMB et Redlannd, n'a reçu d'offres, en août 1993, que des seules sociétés Béton de France et Béton Chantier du Var. Elle a alors organisé une deuxième consultation, incluant cette fois la SNBT, qui avait ouvert une centrale à Ollioules en octobre 1993. A partir de décembre 1993, des offres distinctes ont été présentées par les sociétés Béton de France, Super Béton, Béton Chantiers du Var, Redland et SNBT, et après un mois et demi de compétition entre la société Béton de France et la SNBT, la première a emporté le marché, la seconde ne pouvant plus baisser ses prix. MM. Gaillot et Girauda, respectivement directeur et directeur commercial de la société Béton Chantiers du Var, ont reconnu avoir participé à des réunions- notamment les 9 avril et le 10 mai 1993, mais aussi les 16 et 19 mars 1993, jours où la SMB a adressé ses nouvelles propositions pour Toulon Ouest - avec les "confrères locaux", représentant les sociétés Super Béton, SMB et Béton de France, qui avaient "pour objet principal la préparation du futur chantier de la traversée de Toulon-logistique et prix proposés".
Interrogé sur l'un des cahiers qu'il avait remis aux enquêteurs, M. Mas a expliqué que cette pièce se référait à une réunion organisée à l'hôtel Baladin, le 9 avril 1993, qui faisait suite à plusieurs réunions préparatoires, en particulier la réunion du 16 mars 1993 à La Seyne-sur-Mer portée sur son agenda, et qui avait pour objet, notamment, le partage des marchés de l'accès Ouest et Est du tunnel de Toulon. Il a précisé que les différentes annotations qu'il y avait portées, visant notamment "BC" (soit Béton Chantiers du Var), correspondaient au partage des "parois moulées" réalisés pour la société Bachy, soit 12 000 m3 à raison de 6000 pour Béton Chantiers du Var et 6000 pour Béton de France. Le même document mentionne "Bachy 12000 BC BF ->pilote BC SMB-B83 BCS 350" et "GTM et C Moderne 41 000 CUOGHI Pilote BC", étant précisé que M. Cuoghi était le responsable des approvisionnements au sein de la société GTM. Ces annotations révèlent qu'à la date du 9 avril 1993, soit avant la fin des opérations de mise en concurrence auxquelles certaines d'entre elles avaient soumissionné séparément, les sociétés Béton de France, Super Béton, Béton Chantiers du Var et SMB étaient convenues de confier à la · société Béton Chantiers du Var le pilotage des opérations dans le cadre des chantiers "génie civil" et "parois moulées". A cet égard, le fait que ces annotations comportent des erreurs en ce qui concerne les quantités livrées est sans incidence sur la réalité de la concertation entre les intéressés et, contrairement à ce qu'affirme la société Cemex France Gestion, n'ôte nullement toute crédibilité à ce document.
En outre, un tableau intitulé "prévisions volumes trimestrielles" de la SMB, adressé le 22 décembre 1993 à la société Unimix, comportait, dans la rubrique "chantiers à traiter" en janvier-février-mars 1994, les mentions "traversée de Toulon trémie" pour des volumes de 1500 m3 en janvier et février 1994 et "Paroi moulée" de "Bachy" pour un volume de 500 m3 en mars 1994, alors qu'à cette date, la SMB, qui n'avait d'ailleurs pas présenté d'offre individuelle pour le chantier de la trémie Est dont la consultation n'était pas terminée, n'était attributaire d'aucun marché et n'était pas désignée comme sous-traitante pour ces marchés. M. Arrieta, directeur de la société Super Béton, a d'ailleurs déclaré aux enquêteurs que, bien que son offre pour le chantier de Bachy "parois moulées" n'eût pas été retenue, il avait "cependant fourni du béton en quantité importante pour ce chantier", alors que, même après l'attribution du marché à la société Béton Chantiers du Var, la société Super Béton n'a pas été admise en groupement par la société Bachy pour ce chantier.
Le rapprochement de ces éléments révèle que les sociétés Béton Chantiers du Var, Béton de France, Super Béton et SMB ont poursuivi leurs pratiques au-delà du mois de mai 1993 en se concertant dans le but de se répartir les marchés dans la zone de Toulon alors qu'elles présentaient des offres prétendument concurrentes. Ces pratiques, qui avaient pour objet et pour effet de fausser le jeu de la concurrence, sont prohibées par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 420-1 du Code de commerce. Il est sans effet, à cet égard, que les entreprises chargées d'organiser la consultation aient, en considération de l'ampleur des fournitures exigées, accepté ultérieurement qu'elles opèrent en groupements, tous postérieurs aux attributions des marchés considérés et qu'elles aient été informées de l'existence de centrales de secours et de l'intervention de sous-traitants.
Sur le marché de Nice
La visite effectuée le 7 février 1994 dans les locaux de la société Super Béton a donné lieu à la saisie de plusieurs documents manuscrits.
L'un d'entre eux, qui vise trois chantiers, comporte les mentions suivantes :
" Roatta Cagnes sur Mer/800/BCCA
Sogea murs penetrante (...) Grasse/700/BCCA
Leon Grosse balcon bleu Nice/800 m3 (380)/BCCA
Villefranche-------> pas tout de suite - ne pas le compter
42 600 x 38,5 = 16 400
x 36,5 = 15 550
x 25 = 1O 650"
Le sigle BCCA désigne la société Béton Contrôlé de la Côte d'Azur et les nombres 38,5, 36,5 et 25 correspondent à des pourcentages.
Un autre document manuscrit portant la mention "A faire" énumère les chantiers suivants :
" * MCB- La Trinité / 2000 * BF- 380
MCB- La Palestre, Le Canet 3500? /2400 * BF -380
*EDE- Chantereine-Cannes / 1000 * BCN - comptant
MGE- Ventmbren-jardin Bleu / 1800 * BF-
Spiridos Olivetto Cannes " / 1500 ---->; laisser à LBN ou Balbiano (mauvais payeur)
Le sigle "BF" correspond aux initiales de la société Béton de France.
Un autre document indique :
" 37 700 m3
1) 14514 - Quille1y La Bocca
2) 13760 - 6 000 m3
3) 9425 -ECTG trinité 4 000 m3"
<TABLEAU>
Les chiffres 14 514, 13 760 et 9 425 figurant au début de ce document correspondent à la somme du terme "reste" et des chiffres 6700, 3800 et 6200 affectés à chacune des colonnes 1,2 et 3, ces chiffres étant eux-mêmes égaux à la somme des chiffres inscrits respectivement au regard de chacune des entreprises de BTP. Par ailleurs, le chifüe de 4 400 mentionné au sujet de "MCB" correspond à la somme des chiffres 2 000 et 2 400 indiqués sur le précédent document et attribué au sigle" BF ". De même, les chiffres de 1 800 et de 1 000 correspondent respectivement aux chantiers "Jardin bleu" et "Chantereine" attribués respectivement aux sigles "BF" et "BCN". Les chiffres de 800 (Roatta) et 400 (Sogea) mentionnés dans la colonne -1- correspondent à ceux mentionnés sur le quatrième document susmentionné et affectés à l'entreprise BCCA.
Le rapport des chiffres 14 514, 13 760 et 9 425 au volume de 3 7 700 m3, tous figurant au début du document, donne les pourcentages suivants :
1 : 14 514/37 700 x 100 = 38,5 %,
2 : 13 760/37760 x 100 = 36,5 %,
3 : 9 425/3 7 700 x 100 = 25 %
Ces pourcentages, qui apparaissent sur le premier document ci-dessus décrit répartissent le montant de 42 600, qui correspond à une estimation totale en volume des chantiers qui y sont mentionnés.
Enfin, ont été saisis plusieurs tableaux dactylographiés intitulés "suivi des chantiers", datés de septembre 1993 à janvier 1994, portant les mentions suivantes, telles qu'elles apparaissent dans le tableau mis à jour au 29 janvier 1994 :
<TABLEAU>
Ces documents ne sauraient s'analyser en des tableaux de suivi de parts de marché dès lors qu'ils affectent à chaque entreprise un pourcentage constant, quels que soient les chantiers et les volumes de production considérés et qu'il résulte des déclarations de entreprises mises en cause que les informations qui y sont portées, tant en termes de volumes que d'attributions, ne sont pas toutes exactes, ce qui exclut qu'ils aient été mis à jour en temps réel. Leur rapprochement révèle en conséquence l'existence, en 1993, d'un accord de répartition du marché du béton prêt à l'emploi dans la zone de Nice entre la société Béton de France et les sociétés BCCA et Béton Chantiers Nice, avec attribution de quotas et système d'avances-retards, de nature à fausser le jeu de la concurrence et, comme tel, prohibé par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 devenu l'article L. 420-1 du Code de commerce. Cette démonstration, contrairement à ce que soutient la société Cemex France Gestion, n'est en rien affaiblie par le fait que ces document émanent d'une seule et même entreprise, puisqu'ils sont, par eux-mêmes, suffisamment petiinents.
Sur les pratiques de répartition de marché dans la zone d'Avignon et Cavaillon
Lors de sa déposition, le 5 juillet 1993, M. Mas a signalé une entente dans la région Vaucluse en particulier dans la zone d'Avignon, et dans celle de Cavaillon où n'intervenait pas la société Béton de France mais la société Béton Granulats Sylvestre.
Il a indiqué que des réunions entre sociétés concurrentes s'étaient tenues le 3 février 1993 à l'hôtel Araxe à l'Isle-sur-la-Sorgue et le 22 mars 1993 à l'hôtel Mercure à Lançon-de-Provence. La réalité de ces "réunions de table" a été confirmée tant par l'enquête effectuée auprès des établissements hôteliers concernés, qui a établi que la réservation du 3 février 1993 avait été faite par la société Béton de France et celle du 22 mars 1993 par la société Redlannd, que par les déclarations de M. Patrick Deverne, chef de secteur commercial de la société Béton de France, qui a reconnu avoir rencontré MM. Mas et Ridolfi, responsables respectifs des sociétés Unimix et Béton Chantiers Prêt, le 22 mars 1993 au lieu indiqué, et de M. Ridolfi qui a également confirmé sa participation aux deux réunions mentionnées, où se trouvaient MM. Mas et Deverne.
Parmi les notes remises par M. Mas, prises au cours de son activité chez Unimix, figure un tableau daté du 5 février 1993 récapitulant la situation sur les marchés de Cavaillon et d'Avignon et intitulé "m3 janvier 1993". Ce tableau attribue un pourcentage à chacune des sociétés recensées - pour le marché de Cavaillon : 29 % à la société Sylvestre, 29 % à la société Béton Chantiers Prêt, 13 % à la société Redland, 29 % à la société Unimix; pour le marché d'Avignon: 33,6 % à la société Béton de France, 33,6 % à la société Redlannd, 16,4 % à la société Béton Chantiers Prêt, 16,4 % à la société Unimix -, puis totalise les chantiers obtenus par chacune de ces entreprises pendant le mois, et calcule les écarts, positifs ou négatifs, entre ce montant effectif et le montant théorique résultant des quotas préalablement indiqués. Il importe peu que l'auteur de ce tableau soit ou non un collaborateur de M. Mas, M. Fernandez - lequel, en effet, n'a pas confirmé avoir établi ce tableau -, dès lors que la valeur probante de ce document est confortée par une autre pièce du dossier. Par ailleurs, si, comme le souligne la société Unibéton, ce tableau qui porte sur l'activité de janvier 1993 a été établi postérieurement, le 5 février suivant, cette circonstance renforce précisément sa valeur probante, puisqu'il met en regard les montants effectivement réalisés par chaque entreprise au cours de cette période et les montants que celles-ci avaient préalablement répartis entre elles. ll a été saisi en effet dans les locaux de la société Unimix un autre tableau, daté du 21 décembre 1993, intitulé "Rapport concurrence Vaucluse", qui recense les tonnages de béton par entreprise sur les zones de Cavaillon et d'Avignon de janvier à septembre 1993, étant observé que, pour ce qui est de la zone de Cavaillon au mois de janvier, ce sont exactement les mêmes tonnages que ceux du premier document qui y sont portés pour les sociétés Redland et Sylvestre, celui concernant la société Unibéton ayant été augmenté, vraisemblablement en raison d'une correction ultérieure comme l'a expliqué M. Mas. A la différence des tonnages mentionnés sans réserve pour les sociétés Unimix, Redland et Sylvestre, ceux des entreprises locales indépendantes, soit les sociétés GMB, Béton Sud 84, Béton Provence et PCTG, sont seulement "estimés", de même que leurs parts de marché respectives, de sorte qu'il faut considérer que, si les premiers sont considérés comme certains, c'est qu'ils ont été communiqués par les entreprises concernées.
Il ressort de ces éléments qu'au cours du premier semestre 1993, d'une part, les entreprises Unibéton et Béton de France se sont concertées avec les entreprises Redland Granulats Sud ct Béton Chantiers Prêt dans la zone d'Avignon et, d'autre part, la société Unibéton s'est concertée avec les sociétés Redlannd Granulats Sud, Béton Chantiers Prêt et Béton Granulats Sylvestre dans la zone de Cavaillon, en vue de se répartir des quotas de béton, ces ententes, qui visaient à fausser le jeu de la concurrence, étant prohibées par l'article 7 de l'ordonnance du !cr décembre 1986, devenu l'article L. 420-1 du Code de commerce.
Sur le marché d'Aix-en-Provence
Dans ses déclarations recueillies le 5 juillet 1993, M. Mas a dénoncé une entente sur les prix et les quotas entre producteurs de béton dans la zone d'Aix-en-Provence, entre le GIE Bétons Granulats Phocéens, la société Béton de France et la SMB notamment. Il a précisé que les parts de marché attribuées aux membres de l'entente s'élevaient à 58,5 % pour la société Béton de France, 24 % pour le GIE BGP, 9,5 % pour la société Midimix, société absorbée par la société Redland Granulats Sud, et 8 % pour la SMB, et que la répartition était mise en œuvre par le jeu d'un système d'avances-retards. Il résulte de ses notes dites "réunions de table paca" qu'il a participé à des réunions avec ses concurrents le 7 janvier 1993 à l'hôtel Campanile de La Penne-sur-Huveaune, avec M. Mari du GE BGP et M. Bicchi de la société Béton de France, et le 18 janvier 1993, à l'hôtel Les Relais Bleus à Aix-en-Provence.
Même si M. Mari, du GIE BGP, l'a nié lors de son audition, le responsable du Campanile à La Penne-sur-Huveaune l'a identifié, à partir d'un extrait du planning de l'hôtel, comme ayant retenu une salle de réunion pour le 7 janvier 1993, précisant même que le "séminaire de M. Mari" avait dû se tenir dans la chambre n° 1, la salle de réunion n'étant pas libre. Il est à cet égard indifférent que, comme le souligne la société Cemex France Gestion, ce responsable n'ait pris ses fonctions dans cet établissement que le 4 février 1993, soit après la tenue de cette réunion, dès lors que les vérifications ont été opérées à partir du planning de l'hôtel faisant bien état de cette réservation. L'enquête effectuée auprès de l'établissement Les Relais Bleus, à Aix-en-Provence, a révélé qne c'était la société Redlannd qui avait réservé et loué une salle de réunion le 18 janvier 1993.
M. Mas a remis lors du dépôt de sa plainte une note datée du 7 janvier 1993 dans laquelle il avait mentionné, à propos du chantier "Quillery", pôle d'échange Parking de la Rotonde" les chiffres 380, 385, 390, 387 dans les colonnes respectivement intitulées "BF", "BGP", "'MID" et HSMB".
Le responsable de la société Quillery a remis aux enquêteurs un document daté du 11 janvier 1993 sur lequel est porté la mention "BPE 380", sans que soit mentionné le nom de l'entreprise attributaire du marché ; il a toutefois précisé qu'en règle générale", il consultait la société Béton de France "à ce stade des études".
M. Mas a également remis aux enquêteurs un tableau daté du 18 janvier 1993 relatif au chantier "Bruno Rostand centre des impôts" affectant les chiffres de 390 et 392 respectivement aux sigles "MID" et "SMB" et, en face des sigles "BF' et "BGP", respectivement un rectangle et un rectangle suivi d'un point d'interrogation. Il a précisé ultérieurement que le rectangle signifiait que l'entreprise concernée était attributaire du marché.
L'enquête effectuée auprès de la société Bruno Rostand a révélé que les prix offerts le 15 février 1993 pour cette consultation, soit après la réunion au cours de laquelle le tableau a été établi, correspondaient aux offres de "MID" (pour la société Midimix)- ce que la société Redland Granulats Sud a elle-même confirmé - et "SMB", que la société Béton de France s'était abstenue et que, finalement, c'est le GIE BGP qui avait été retenu comme moins-disant.
Il résulte de ces déclarations et documents que les entreprises en cause se sont réunies pour arrêter une stratégie commune en vue de conduire à l'attribution des marchés à celle d'entre elles qu'elles avaient choisie. Il est ainsi établi qu'au cours du premier semestre 1993, les sociétés Béton de France et SMB se sont concertées avec la société Midimix (absorbée par la société Redland Granulats Sud) et le GIE BGP, dissous par la suite, pour se répartir des quotas de béton et fixer des prix en commun sur le marché d'Aix-en-Provence, cette pratique, qui avait pour objet et pour effet de fausser le jeu de la concurrence, étant prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 420-1 du Code de commerce.
Sur les pratiques de répartition de marché dans le Var Est
Dans ses déclarations recueilles le 5 juillet 1993, M. Mas a fait état d'une entente de prix et de quotas entre producteurs de béton dans la zone "Muy-Saint-Raphaël-Fréjus", soit dans la partie Est du département du Var, et il a indiqué que cette entente concernait les sociétés Unimix, Béton de France, Express Béton. Il est établi, par ailleurs, que dans cette zone la société Béton de France intervenait par l'intermédiaire de la société SBBA, dont elle détenait 50 % du capital, et que la société Redland Granulats Sud, non citée dans ces déclarations, a installé une centrale à béton à Fréjus en mars 1992.
Une première pièce saisie dans les locaux de la société Unimix porte la mention manuscrite suivante: "place faite à Redland sur Fréjus. Partie à récupérer ailleurs". Une seconde pièce, datée du 19 octobre 1993 et saisie dans les locaux de la société Unibéton, porte la mention manuscrite suivante : "1 pt de perte sur Var RED il faut récupérer 6000 mètres cubes sur St Raphaël sans réponse sous 8 jours plutôt sur Bouches-du-Rhône". Dans le cahier intitulé "Le Muy, - Saint-Raphaël - Fréjus" que M. Mas avait remis aux enquêteurs, figuraient les indications suivantes :
<TABLEAU>
Sur le même document, en regard d'une liste de chantiers apparaissent des chiffres dans chacune des colonnes intitulées "UNI", "EB", "BF" et "Red", ainsi, par exemple, les chiffres suivants en regard du chantier "Gagnereau-Lycée de Roquebrune" :
Enfin, un tableau saisi dans les locaux de la société Unimix intitulé "chantiers en cours" fait apparaître le chantier "Dumez Bleu Marine" parmi les chantiers traités par cette entreprise en janvier-février-mars 1994, au prix unitaire de 340 F, alors que les offres respectives des sociétés Unimix (Uni), Béton de France (BF), Express Béton (EB) et Redlannd Granulats Sud (RED) pour ce chantier étaient présentées dans le cahier de M. Mas comme étant 378, 380, 380 et 382 F; ainsi, les chiffres figurant sur cette pièce interne à la société Unimix ne peuvent constituer les résultats de la consultation organisée pour la réalisation de ce chantier.
Par ailleurs, dans les extraits d'agenda communiqués en photocopie par M. Talion, agent commercial de la société Express Béton, apparaissent des réunions aux dates des 20 janvier, 2 février, 2 mars, 18 mars, 15 avril et 27 avril 1993. La plupart de ces dates concordent avec celles mentionnées par M. Mas, lors de sa déposition, le 5 juillet 1993, et présentées par lui comme étant des dates de réunions entre représentants de sociétés concurrentes afin de se répartir les marchés. Ainsi, la date du 2 mars était mentionnée par
M. Mas comme étant la date d'une réunion à la Maison des vins, avec notamment les sociétés Express Béton, Béton de France et Unimix, tandis qu'à la date du 2 mars 1993, M. Tallon avait inscrit Maison des vins" sur son agenda. De la même manière, M. Mas avait mentionné à la date du 15 avril 1993 une réunion à Lorgues avec les mêmes entreprises, ce que conlinne la mention " Lorgues " portée sur l'agenda de M. Tallon à cette même date.
Il est donc établi que des réunions étaient organisées en 1993 entre des sociétés concurrentes intervenant dans l'Est du département du Var. A cet égard, si certaines dates de réunion figurant dans l'agenda de M. Tallon ne concordent pas avec celles indiquées par M. Mas ou ligurant dans le document intitulé "Réunions de table PACA",- ainsi les dates du 18 mars 1993 et du 15 avril 1993 -, cette circonstance n'est pas de nature à retirer, comme le prétend la société Cemex Bétons Sud-Est, toute valeur probante à ces constatations.
L'ensemble de ces éléments, rapprochés de la circonstance que la société Redlannd Granulats Sud avait ouvert une centrale à Fréjus en mars 1992 et que la société Unibéton a fermé la sienne en janvier 1993, devenue obsolète, établissent l'entrée, à partir de janvier 1993, de la société Redlannd Granulats Sud dans l'entente qui comptait jusque-là les seules sociétés Unibéton, Express Béton et Société Brignolaise de Béton et d'Agglomérés (SBBA), aux droits de laquelle vient la société Cemex Bétons Sud-Est.
Au demeurant, cette analyse est confortée par les niveaux de prix moyens du béton pratiqués par la société SBBA dans cette zone au cours de la période considérée qui, après avoir fortement chuté au cours de 1992, période au cours de laquelle la société Redland Granulats Sud exerçait une concurrence effective, sont remontés dès janvier 1 993 lorsque cette entreprise a intégré l'entente, cette variation à la hausse étant encore confirmée par un document saisi dans les locaux de la société Unimix qui mentionne "augmentation des prix sur Var Est aux alentours de 400 à 440 Flm3 (supérieur à 92) : + 46 Flm3 depuis janvier 1 993". La conjonction de ces éléments n'exclut que cette remontée soudaine des prix en janvier 1993 s'explique simplement, comme le prétend la société Cemex, par l'alternance naturelle de périodes de guerre des prix et d'accalmie.
Il résulte de ce qui précède qu'est établie l'existence d'une concertation portant sur une répartition de marché dans la partie Est du département du Var entre les sociétés Unibéton, SBBA, Redlannd Granulats Sud et Express Béton, de janvier 1993 à mai 1993, de nature à fausser le jeu de la concurrence et, comme telle, prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 420-1 du Code de commerce.
Sur l'entente régionale
Dans ses déclarations recueillies le 5 juillet 1993, M. Mas a expressément dénoncé une entente ayant pour objet d'organiser la répartition du marché du béton prêt à l'emploi dans la région PACA, indiquant qu'alors qu'il était directeur commercial de la société Unimix, il avait reçu l'ordre de son supérieur hiérarchique, M. Auzas, "d'organiser la répartition du marché du béton prêt à l'emploi dans la Région PACA". Il a précisé ultérieurement que l'entente - à laquelle participait notamment la société Béton de France était mise en œuvre sur cinq secteurs géographiques, soit le secteur d'Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône Nord), les secteurs d'Avignon et de Cavaillon, et les secteurs de Var Ouest (Toulon) et de Var Est (Le Muy-Saint Raphaël-Fréjus), ajoutant, au sujet des parts de marché attribuées aux différents membres de l'entente : "Les parts indiquées pour chacune de ces zones et pour chaque société concemée étaient fixes. Elles pouvaient varier lors de la fermeture de centrales (exemple lors de lafermeture de la centrale de Fos par la société Unimix, celle entreprise a bénéficié d'une augmentation de part de marché de 2 % à Toulon en compensation, dans la mesure où à Toulon se pratiquaient les prix les plus élevés du secteur) ".
La cour a constaté plus haut que les déclarations de M. Mas quant aux ententes sur les zones indiquées ont été entièrement confortées par les éléments recueillis au cours de l'enquête, laquelle a également confirmé que la centrale de Fos de la société Unimix avait cessé son activité au cours de l'année 1993.
Il suffit de rappeler que M. Mas avait indiqué avoir participé, fin 1992 et début 1993, à des réunions avec des responsables de différentes sociétés faisant partie d'ententes locales, à l'exception de celle mise en œuvre sur le marché de Nice, révélée lors des opérations de visite et de saisie effectuées dans les locaux de la société Super Béton.
L'ensemble de ses déclarations quant à ces réunions a été confirmé tant par M. Deverne, chef de secteur commercial de la société Béton de France pour le secteur du Vaucluse, qui a reconnu l'avoir rencontré ainsi que M. Ridolfi, agent commercial de la société Béton Chantier Prêt, filiale du groupe Lafarge, à Lançon de Provence dans le département des Bouches-du-Rhône, pour faire, selon lui, "le point des différentes actions menées par chacun d'entre nous pour le développement du béton prêt à l'emploi", et dans le département du Vaucluse à L'Isle-sur-la-Sorgue et à Cavaillon. M. Ridolfi lui-même a confirmé plusieurs de ces réunions, de même que MM. Gaillot et Giraudo, directeur et directeur commercial de la société Béton Chantiers du Var, membre de l'entente sur le marché de Toulon, qui ont précisé avoir rencontré des représentants des sociétés Béton de France, SMB et Super Béton (filiale commune des groupes Lafarge et Vicat). M. Sylvain Lucas, "directeur du bassin méditerranéen" de la société Redlannd Granulats Sud, membre de plusieurs ententes locales, a également reconnu la tenue de plusieurs réunions, en 199 3, dans la région PACA, entre sociétés concurrentes, pour définir de nouvelles normes dans le béton prêt à l'emploi, réunions auxquelles participait parfois M. Nervi, pour sa société.
M. Arrieta, directeur des sociétés Super Béton et BCCA, chacune membre de l'entente sur les marchés respectifs de Toulon et de Nice, a reconnu avoir participé à des réunions avec les représentants des sociétés Béton de France et SMB. Enfin M. Talion, agent commercial de la société Express Béton, filiale commune des groupes Lafarge et Vicat et membre de l'entente sur le marché du Var Est, a confirmé avoir participé à des réunions dans des établissements hôteliers du Var, comme M. Mas l'avait indiqué.
En outre, des documents saisis confirment que ces répartitions, qui étaient organisées à l'échelon régional, donnaient lieu à compensation entre différents marchés locaux de cette région ainsi :
- trois pièces saisies chez Unimix, qui mentionnent respectivement : le 19 octobre 1993 : "1 pt de perte sur Var ( Red) il faut récupérer 6000 mètres cubes sur St Raphaël sans réponse sous 8 jours plutôt sur Bouches du Rhône (Lambesc, Miramas, pas Venelle car 50/50)" ; Sans date :"place faite à Redland sur Fréjus. Partie à récupérer ailleurs" ; le 6 septembre 1993, à propos de la zone de Brignole où la société Unimix exploitait une centrale à béton : "prévision de cession à Lafarge 06.94" ; étant précisé que la centrale de Venelle, située dans le département des Bouches-du-Rhône appartenait à la SMB, dont le capital était détenu à égalité par la société Unibéton et par le groupe Garrassin, et que la société Redlannd Granulats Sud venait d'ouvrir une centrale à Fréjus en mars 1992.
- des notes personnelles de M. Alain de Philip, directeur des filiales du groupe Lafarge Ciments, division granulats, pour la région Sud-Est, alors administrateur de la société Super Béton, saisies à Marseille et datées elu 17 septembre 1992, qui indique "AR suite réunion BPE + LUCAS 1- FREJUS à GRANULATS CANTAREL 1- Veut 3000 à FREJUS - PANCIN dit 15/- 28 09 CF+ REDLAND", étant précisé que M. Lucas était le directeur régional de la société Redlannd Granulats Sud et M. Pancin, directeur délégué de la société Béton de France.
Il est constant enfin que les sociétés Lafarge Béton Granulats et la société Vicat avaient noué des liens capitalistiques et administratifs au sein d'entreprises communes, ainsi les sociétés Express Béton et Super Béton, détenues pour moitié par chacune d'elles et dirigées soit par l'une soit par l'autre, cependant que la société Béton Chantiers du Var, la société Béton Chantiers Prêt et la société Béton Chantiers de Nice étaient des filiales du groupe Lafarge, et que la société Vicat, pour sa part, avait pour filiale la société BCCA, qui, à l'époque des faits, était dirigée par M. Arrieta, lequel était également à la tête de la société Super Béton.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les sociétés Béton de France et Unibéton se sont entendues, au plan régional, avec les sociétés Redland Granulats Sud et les groupes Lafarge et Vicat, pour se répartir différents marchés géographiques locaux du béton prêt à l'emploi dans la région PACA au cours de l'année 1993, cette pratique, qui avait pour objet et pour effet de fausser le jeu de la concurrence, étant prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 devenu l'article L. 420-1 du Code de commerce.
Sur la pratique tendant à l'éviction de la société SNBT
Il est reproché aux sociétés Béton de France et SMB d'avoir mis en œuvre, avec les sociétés Super Béton, Béton Chantiers du Var, Lafarge Ciments et Vicat, une pratique collective de prix d'éviction à l'encontre de la SNBT après l'installation de cette dernière entreprise sur le site d'Ollioules, dans le département du Var, en fin d'année 1993. Ces agissements ont donné lieu à la notification à ces entreprises d'un grief d'entente anticoncurrentielle, prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 devenu l'article L. 420-1 du Code de commerce, et d'un grief pris de l'exploitation abusive, par un groupe d'entreprises, d'une situation dominante sur une partie substantielle du marché intérieur, prohibée par l'article 8 de la même ordonnance, devenu l'article L. 420-2 al. 1 du Code de commerce.
Aucun élément du dossier n'ayant permis d'établir la position dominante collective des entreprises en cause, c'est à juste titre que le rapporteur a proposé l'abandon du second grief.
En revanche, en ce qui concerne le grief d'entente en vue de l'éviction de la société SNBT, il résulte des éléments du dossier qu'à partir du moment où la centrale d'Ollioules a démarré son activité, soit à partir de fin octobre 1993, le niveau des prix dans la zone de Toulon - sur laquelle il a été démontré qu'une entente de répartition de marché était mise en œuvre par les sociétés Béton de France, SMB, Béton Chantiers du Var et Super Béton a brutalement chuté.
Ainsi, il a été relevé, au titre des prix les plus bas pratiqués, que la société Super Béton avait facturé du béton courant en septembre 1993 à 370 F/m3, en octobre à345 F/m3 et en novembre à 275-280 F/m3. Il en va de même pour la SMB qui a pratiqué un prix unitaire en septembre de 360 F/m3, en octobre de 295-340 F/m3 et en novembre de 270-290 F/m3. Les relevés effectués auprès de la société Béton de France ont établi qu'elle avait facturé, au plus, un prix de 360 F/m3 en septembre, de 345 F/m3 en octobre et de 250 F/m3 en novembre. Pour sa part, la société Béton Chantiers du Var, qui avait livré du béton courant en septembre au prix de 555 F/m3, ne le facturait plus que 240-300 F/m3 en octobre.
L'enquête a montré que le prix unitaire moyen, qui avoisinait 360 F/m3 jusqu'en octobre 1993, est descendu en-dessous de 300 F/m3 à partir de novembre, certains relevés figurant au dossier révélant même des facturations à 250 F.
Les investigations menées, notamment auprès du commissaire aux comptes de la société Béton de France, ont établi que cette entreprise avait pratiqué des prix de vente unitaires inférieurs à ses coûts moyens variables en fin d'année 1993 et en début d'année 1994, ainsi qu'au cours du dernier trimestre 1994 dans la zone de Toulon, ce que cette entreprise ne conteste pas, et que, de son côté, la SMB avait également pratiqué des prix de vente unitaires inférieurs à ses coûts variables dans la zone de Toulon au cours du dernier trimestre 1994.
Il a également été constaté qu'après l'installation de la centrale d'Ollioules, les sociétés Super Béton et Béton Chantiers du Var avaient fixé des prix unitaires de vente ne tenant pas compte de la totalité de leurs frais fixes, donc inférieurs à leurs coûts totaux, se maintenant juste au-dessus de leurs coûts moyens variables de fabrication du béton, ce que ces entreprises n'ont pas contesté.
Ces agissements concomitants, qui ont occasionné des pertes importantes pour les entreprises concernées ne peuvent s'expliquer par un simple parallélisme de comportement en légitime réaction à la pression concurrentielle exercée par l'arrivée d'un nouvel entrant sur le marché de Toulon. En effet, d'une part, les baisses de prix consenties excèdent considérablement ce que nécessitait l'alignement sur les prix pratiqués au même moment par la SNBT, qui avait facturé le 29 octobre 1993 son prix le plus bas pour le mois à 365 F et, pour le mois de novembre, à 350 F ; d'autre part, ces entreprises s'entendaient préalablement pour se répartir le marché en cause et maintenir des prix artificiellement élevés de sorte que la conjoncture, n'eût été l'entrée de la SNBT, était particulièrement favorable, ce dont atteste au demeurant un document interne saisi chez Unimix qui faisait état, à la fin du mois de septembre 1993 d'un "effet conjoncturel avec prise de gros chantiers (4000 + 3000 m3)", d'une "augmentation des prix sur Var Est aux alentours de 400 à 440 F m3", ainsi que d'une "stabilité des prix" et d'une "stabilité des volumes avec prévision intéressante de fin d'année pour la zone de Toulon". Ainsi, les baisses constatées, qui excèdent, par leur ampleur et leurs conséquences sur les résultats des entreprises concernées, l'alignement sur les prix pratiqués par le nouvel entrant, ne peuvent s'expliquer que par la mise en œuvre d'une entente en vu d'éliminer la SNBT par le biais de prix prédateurs.
Au demeurant, de telles pratiques ont été évoquées explicitement par M. Engel, co-associé de M. Mas, et décrites comme habituelles en cas de survenue d'un concurrent indésirable. M. Mas lui-même a précisé à propos d'Unimix : "En général, lors de l'implantation d'un indépendant, nous baissions les prix pour le couler". L'enquête a permis de recueillir d'autres témoignages en ce sens, ainsi :
- celui du gérant cie la société Béton Provence, mettant en cause M. Pancin, directeur régional de la société Béton de France, comme l'ayant "menacé de (les) faire disparaître" s'ils s'installaient, et qui relatait que les camions de sa société étaient l'objet de factures de la part des employés de la société Béton de France, dans le but d'identifier les nouveaux clients et de "proposer ensuite des prix de dumping", ce qu'un document saisi, émanant de M. Pancin et faisant état de surveillance discrète du niveau d'activité et des chantiers servis par la société Béton cie Provence, a confirmé ;
-celui de M. Galibert, dirigeant de la société GM Béton, entreprise indépendante active sur les marchés de Cavaillon et d'Avignon, qui disait avoir été victime de mesures d'intimidation suivies de "matraquage sur les prix" de la part de ses concurrents BCP, Béton de France, Unimix et Redland, le prix par mètre cube ayant atteint le niveau de 300 F ou moins après son installation, ce qu'a confirmé un document saisi chez Unimix qui, à propos du secteur du Vaucluse, évoquait "l'accentuation de la dégradation à 300 F m3 à partir d'octobre" et fixait comme "objectif du secteur" le "maintien de la part de marché au prix du marché" et un autre de la même origine qui prévoyait au sujet du "démarrage concurrent Galibert'' : "Baisse du PMV + marge/prévoir encore - 20 F sur 2 mois à venir" ;
- de M. Bonifay, autre producteur de béton indépendant sur le marché de Toulon, qui a confirmé l'effondrement brutal des prix constaté à partir d'octobre 1993, ajoutant même:
"Nous avons le sentiment que par la même occasion ils ont décidé de nous éliminer également puisque nos 4 concurrents ont démarché certains de nos clients à ces prix de 250-280 F.
C'est en vain que les requérantes observent que la SNBT a développé de façon satisfaisante son activité sur la période considérée. En effet, d'une part, les pratiques qui leur sont reprochées sont condamnables par leur seul objet et, d'autre part, l'absence d'éviction d'un concurrent ne peut être interprétée comme démontrant que ces pratiques n'ont pas affecté la concurrence. De la même manière, le constat, que rappelle la société Cemex France Gestion, que le marché local de la fourniture de béton prêt à l'emploi ne peut être considéré comme fermé, au vu de l'arrivée régulière de nouveaux concurrents sur ce marché, ne suffit pas à faire disparaître le caractère anticoncurrentiel de l'entente ci-dessus démontré.
Il résulte de ce qui précède qu'est établie une entente entre les sociétés Béton de France, SMB, Super Béton et Béton Chantiers du Var pour pratiquer des prix prédateurs en vue de limiter l'accès au marché de leur concurrente, la SNBT, entente prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 420-1 du Code de commerce. En revanche, le dossier ne contient pas d'élément établissant que les sociétés Lafarge Ciments et Vicat ont été associées à cette pratique.
Sur les sanctions
Les sanctions pécuniaires qui seront prononcées en répression des pratiques anticoncurrentielles établies par les constatations ci-dessus doivent être déterminées conformément aux dispositions, applicables à l'époque des faits, de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence.
Les sociétés Cemex France Gestion et Cemex Bétons Sud-Est soutiennent que ces dispositions sont contraires au principe de prévisibilité de la peine prévu par l'article 7 de la CEDH, en ce qu'elles fixaient le montant maximum de la sanction pécuniaire encourue à "5 % du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos", la Cour de cassation ayant jugé que celui-ci s'entendait de l'exercice "clos au moment où le Conseil de la concurrence a été appelé à statuer". Elles font valoir, en effet, qu'il résulte de ce principe que la personne doit savoir "non seulement que le fait est incriminé, mais encore à quelle sanction elle s'expose", et elles observent qu'en l'espèce, il n'est pas possible de déterminer, "au moment des faits", quel sera, selon la formule de la Cour de cassation, "le dernier exercice clos au moment où le Conseil de la concurrence a été appelé à statuer", lequel sera pris en considération pour fixer le montant maximum de la sanction. Elles soulignent que cette situation, contraire aux principes de clarté et de précision de la loi, de prévisibilité et de sécurité juridiques, est d'autant plus "choquante" qu'il peut s'écouler de longues années entre la date de commission des faits et leur sanction.
Mais la cour relève que cette argumentation n'est nullement confirmée par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme qu'invoquent les requérantes et, de surcroît, qu'elle est contraire au principe d'individualisation de la sanction et pourrait aboutir à des résultats iniques, dans le cas, par exemple, où le chiffre d'affaires de l'auteur d'une pratique anticoncurrentielle chuterait substantiellement après la commission des faits.
Dès lors, la cour retiendra comme assiette du plafond de la sanction pécuniaire, le chiffre d'affaires réalisé par les mises en cause au cours de l'exercice 1996, soit 1 023 378 987 F pour la société Béton de France, aux droits de laquelle vient la société Cemex France Gestion, 1 506 720 138 F pour la société Unibéton et 20 445 028 F pour la Société Brignolaise de Béton et d'Agglomérés, aux droit de laquelle vient la société Cemex Bétons Sud-Est. C'est donc dans la limite de 5 % de ces valeurs qu'il convient de fixer le montant de la sanction pécuniaire qui leur sera infligée. Cette détermination se fera conformément aux dispositions de l'article 13 de l'ordonnance de 1986, applicable à la présente espèce, qui prévoyait que "les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné (..)".
A cet égard, la cour retient que si, comme le fait valoir la société Unibéton, les pratiques en cause étaient dépourvues de toute complexité - en ce qu'elles ne reposaient sur aucun mécanisme de surveillance ni de sanction destiné à garantir la pérennité des ententes -, elles n'en présentaient pas moins, par leur nature et leur objet, un caractère de gravité certain. Il en va ainsi, en particulier, de la pratique de prix d'éviction mise en œuvre pour éliminer la société SNBT du marché. Par ailleurs, cette gravité est accrue du fait de l'appartenance des sociétés en cause, à l'exception toutefois de la société SBBA, à des groupes d'envergure multinationale,
S'agissant du dommage causé à l'économie, si les requérantes font valoir la dimension locale des marchés affectés par les pratiques et la durée limité de celles-ci, ainsi que l'existence d'un fort pouvoir de négociation des clients, la réalité et l'importance de ce dommage - qui doit s'apprécier au regard de la perturbation générale apportée au fonctionnement normal de la concurrence - n'en sont pas moins avérées. A cet égard, la cour relève que les pratiques en cause ont permis le maintien des prix à un niveau artificiellement et globalement élevé en dépit de la baisse générale, entre 1990 et 1993, de la production accompagnée du maintien des capacités de production et, enfin, que les pratiques d'éviction par les prix mises en œuvre à l'encontre de la société SNBT ont constitué un trouble persistant aux conditions de la concurrence.
Enfin, pour la détermination individuelle du montant des sanctions, la cour prendra en compte l'ampleur de la participation effective aux différentes pratiques examinées, cette participation étant très variable selon les entreprises en cause, la société SBBA, aux droits desquels vient la société Cemex Bétons Sud-Est, n'ayant ainsi pris part qu'à une seule entente.
C'est ainsi qu'elle relève que la société Béton de France, présente dans le secteur du béton prêt à l'emploi sur le plan national, s'est livrée à des pratiques anticoncurrentielles de répartition de marché au cours de l'année 1993 sur quatre des six marchés locaux en cause, qu'elle a également participé à l'entente organisée sur le plan régional et à l'entente spécifique ayant porté sur la construction de la traversée souterraine de Toulon et, enfin, qu'elle a contribué activement à la concertation visant à l'exclure la société SNBT du marché de Toulon. Compte tenu des éléments généraux et individuels ci-dessus rappelés, la cour fixe à 500 000 euros le montant de la sanction pécuniaire infligée à la société Cemex France Gestion qui vient aux droits de la société Béton de France.
S'agissant de la société Unibéton, présente dans le secteur du béton prêt à l'emploi sur le plan national, la cour relève qu'elle s'est livrée à des pratiques anticoncurrentielles de répartition de marché au cours de l'année 1993 sur cinq des six marchés locaux en cause, qu'elle a également participé à l'entente organisée sur le plan régional et à l'entente spécifique ayant porté sur la construction de la traversée souterraine de Toulon et, enfin, qu'elle a contribué activement à la concertation visant à exclure la société SNBT du marché de Toulon. Compte tenu des éléments généraux et individuels ci-dessus rappelés, la cour fixe à 6 000 000 euros le montant de la sanction pécuniaire infligée à la société Unibéton.
S'agissant de la Société Brignolaise de Béton et d'Agglomérés, la cour relève qu'elle s'est livrée à des pratiques anticoncurrentielles de répartition de marché au cours de l'année 1993 sur un des six marchés locaux en cause. Compte tenu des éléments généraux et individuels ci-dessus rappelés, la cour fixe à 45 000 euros le montant de la sanction pécuniaire infligée à la société Cemex Bétons Sud-Est qui vient aux droits de la Société Brignolaise de Béton et d'Agglomérés.
Enfin, il n'y a pas lieu de faire droit aux demandes des requérantes tendant à la condamnation du ministre chargé de l'Economie au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : Rejette la demande des sociétés Cemex Bétons Sud-Est et Cemex France Gestion tendant à ce que soient écartées les observations écrites de l'Autorité de la concurrence ; Déclare irrecevable la demande des sociétés Cemex Bétons Sud-Est, Cemex France Gestion et Unibéton tendant à l'annulation de la décision du Conseil de la concurrence pour défaut de conformité à l'miicle 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales du recours transitoire prévu par l'article 5 IV de l'ordonnance du 13 novembre 2008 ; Annule la décision n° 97-D-39 du Conseil de la concurrence du 17 juin 1997 en tant qu'elle concerne la société Unibéton, la Société Brignolaise de Béton et d'Agglomérés, aux droits desquels vient la société Cemex Bétons Sud-Est, et la société Béton de France, aux droits desquels vient la société Cemex France Gestion ; Statuant à nouveau, Juge que la société Béton de France, aux droits desquels vient la société Cemex France Gestion, la société Unibéton et la Société Brignolaise de Béton et d'Agglomérés, aux droits desquels vient la société Cemex Bétons Sud-Est, ont enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, devenu l'article L. 420-1 du Code de commerce ; Inflige à la société Cemex France Gestion, venant aux droits de la société Béton de France, la sanction pécuniaire de 4 500 000 euros, à la société Unibéton la sanction pécuniaire de 6 000 000 euros et, à la société Cemex Bétons Sud-Est, venant aux droits de la Société Brignolaise de Béton et d'Agglomérés, la sanction pécuniaire de 45 000 euros ; Rejette les demandes de condamnation présentées au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne les sociétés Cemex France Gestion, Unibéton et Cemex Bétons Sud-Est aux dépens de l'instance.