Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 4 janvier 2017, n° 14-08156

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

L'Automne (Association)

Défendeur :

Pharmacie du centre (EURL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mme Mouthon Vidilles, M. Thomas

Avocats :

Mes Grappotte-Benetreau, Delalande, Papazian

TGI Rennes, du 18 mars 2014

18 mars 2014

FAITS ET PROCÉDURE

L'association Résidence L'Automne (ci-après "L'Automne ") est une association qui gère un établissement d'hébergement pour personnes âgées (EHPAD) dénommé résidence " Le Traict " à Saint Nazaire.

La société Résidence Le Port gère également un établissement d'hébergement pour personnes âgées (EPAD) dénommé résidence " Le Port " à Saint Nazaire.

La société Pharmacie du centre assurait la fourniture des médicaments aux pensionnaires de ces deux établissements depuis 1989, pour la résidence Le Traict et depuis 2003, pour la résidence Le Port.

La dispensation de médicaments comprend les opérations suivantes :

- réception par fax des ordonnances et/ou des commandes de produits spécifiques,

- délivrance des médicaments et/ou produits spécifiques,

- livraison dans les établissements,

- préparation des plateaux semainiers spécifiques pour les résidents.

Ce service n'a donné lieu à aucune convention écrite jusqu'au 15 septembre 2003, date à laquelle une convention écrite a été régularisée entre les parties et le pharmacien s'engageait bénévolement à compléter sa prestation par la répartition des médicaments dans des plateaux semainiers.

Au cours de l'année 2011, l'association Résidence L'Automne a souhaité faire évoluer le service et a demandé à plusieurs pharmacies de lui proposer une formule ad hoc.

L'association Résidence L'Automne a finalement choisi une solution de dispensation, assurée par un robot, proposée par un autre pharmacien de Saint Nazaire.

C'est dans ce contexte que, après un appel téléphonique du 11 juillet, l'association L'Automne a informé, par lettre du 12 juillet 2011, la société Pharmacie du centre de sa volonté de mettre un terme aux contrats de dispensation de médicaments avec effets au 15 août 2011.

Par acte du 20 décembre 2011, la société Pharmacie du centre a assigné l'association L'Automne au visa de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce pour demander sa condamnation à lui verser la somme de 120 816 euros, outre celle de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par jugement en date du 18 mars 2014, le Tribunal de grande instance de Rennes a :

- rejeté l'exception d'incompétence territoriale,

- condamné l'association L'Automne à payer à l'EURL Pharmacie du centre la somme de 38 890 euros à titre de dommages-intérêts, outre 1 500 euros au titre des frais non répétibles,

- condamné l'association L'Automne aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Le tribunal de grande instance a estimé que l'article L. 442-6 du Code de commerce s'appliquait en présence de relations commerciales entre l'association gestionnaire des EHPAD et la Pharmacie du centre. Il a relevé que le référencement de la pharmacie par l'association gestionnaire avait une nature économique, puisqu'en réalité, les résidents s'en remettaient à elle pour la fourniture de médicaments et que la pharmacie réalisait 9 à 11 % de son chiffre d'affaires avec les deux EHPAD. Il a jugé le préavis d'un mois insuffisant, un préavis de 10 mois étant, selon lui, nécessaire.

LA COUR

Vu l'appel interjeté par l'association L'Automne ;

Vu les dernières conclusions notifiées et déposées le 1er octobre 2014 par l'association L'Automne, appelante, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris,

- dire que les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ne sont pas applicables aux relations entre la société Pharmacie du centre et l'Association " L'Automne",

- en conséquence, débouter la société Pharmacie du centre de l'intégralité de ses demandes à l'encontre de l'Association " L'Automne ",

- subsidiairement, constater que la société Pharmacie du centre n'a pas exécuté les engagements pris envers l'association " L'Automne ",

- en conséquence, débouter la société Pharmacie du centre de l'intégralité de ses demandes à l'encontre de l'Association " L'Automne ",

- très subsidiairement, constater que la société Pharmacie du centre ne justifie du préjudice prétendument subi,

- en conséquence, débouter la société Pharmacie du centre de l'intégralité de ses demandes à l'encontre de l'Association " L'Automne ",

- la condamner au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel que pourra recouvrer par la SCP Grappotte-Benetreau et ce, en application de l'article 699 du Code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions notifiées et déposées le 19 janvier 2015 par la société Pharmacie du centre, intimée, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- déclarer l'association Résidence Automne mal fondée en son appel,

- la débouter de toutes ses demandes fins et conclusions,

- recevoir l'EURL Pharmacie du centre en son appel incident

- la déclarer bien fondée,

- infirmer le jugement en ce qu'il a écarté la demande d'indemnisation au titre de la mise à disposition d'un préparateur et limité l'indemnisation au titre des frais irrépétibles à la somme de 1 500 euros,

Statuant à nouveau de ces chefs,

- condamner l'association L'Automne à verser à la société Pharmacie du centre 120 816 euros au titre de dommages et intérêts,

- condamner l'association L'Automne à verser à la société Pharmacie du centre 10 000 euros au titre de dommages et intérêts pour appel abusif,

- condamner l'association L'Automne à verser à la société Pharmacie du centre la somme de 5 742 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais non répétibles de première instance,

- condamner l'association L'Automne à verser à la société Pharmacie du centre la somme de 4 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais non répétibles d'appel outre les dépens ;

Sur ce,

Sur l'existence d'une relation commerciale

L'association L'Automne soutient à titre liminaire qu'elle ne gère que l'établissement hébergement pour personnes âgées " Résidence le Traict " mais non la " Résidence Le Port ".

Elle souligne par ailleurs qu'il n'existe aucune relation commerciale entre elle et la société Pharmacie du centre, n'étant qu'un tiers à la relation commerciale existant entre le pharmacien et les résidents qui ont le libre choix de leur pharmacien, ce dernier devant dispenser les médicaments dans leur intégralité, en toute indépendance à l'égard de la structure d'hébergement.

Ainsi, l'association L'Automne soutient que la convention conclue le 15 septembre 2003 n'avait pas pour but d'établir une relation commerciale mais de formaliser un engagement personnel du pharmacien de compléter l'acte de dispensation des médicaments par la préparation des doses à administrer, et, ceci bénévolement.

La société Pharmacie du centre estime au contraire que l'activité principale du pharmacien d'officine consiste en l'achat de matière première ou de produits finis (médicaments) en vue de leur vente au public. Dès lors, le pharmacien libéral a également la qualité de commerçant et l'officine est un fonds de commerce de sorte que la société Pharmacie du centre peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.

En outre, la société Pharmacie du centre estime que le fait que les services spécifiés dans la convention passée entre la pharmacie et l'association l'aient été à titre bénévole, ne leur enlève pas leur nature économique, même en dehors de toute recherche de bénéfices.

Ainsi, la société Pharmacie du centre estime qu'un délai de préavis d'un mois pour une relation commerciale établie de plus de vingt ans est insuffisant et réclame le respect d'un préavis de 2 ans, seul de nature à lui permettre de retrouver une activité équivalente.

Aux termes des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce : " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, pour tout producteur, commerçant, industriel, ou personne immatriculée au répertoire des métiers :

De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels (...). Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ".

La société Pharmacie du centre, qui vend des médicaments, des dispositifs médicaux et des préparations à des patients exerce une activité commerciale sur un marché où elle est en concurrence avec d'autres pharmacies. Il n'est pas davantage contesté que l'association L'Automne, qui gère des EHPAD exerce une activité commerciale, puisqu'elle a pour activité de procurer le logement, la nourriture et les soins à des personnes âgées, en concurrence avec d'autres, la circonstance qu'elle ne recherche pas de bénéfices n'ayant pas d'impact sur sa nature économique.

Il faut démontrer, pour entraîner l'application de l'article L. 442-6 du Code de commerce, que les relations entretenues par l'association gestionnaire avec la société Pharmacie du centre sont de nature commerciale, ce que réfute l'association L'Automne.

À l'origine, c'est l'association L'Automne qui a proposé aux résidents des deux EHPAD de faire appel au pharmacien choisi par elle. C'est donc par son intermédiaire que chacun des résidents a noué avec la Pharmacie du centre des relations commerciales. C'est également elle qui a décidé de rompre ces relations, faisant perdre à la société Pharmacie du centre la patientèle des deux EHPAD.

Ces échanges n'ont donné lieu à aucune convention écrite jusqu'au 15 septembre 2003, date à laquelle une convention écrite a été régularisée entre les deux parties où le pharmacien s'engageait bénévolement à compléter sa prestation par la répartition des médicaments dans des plateaux semainiers. Bien que gratuit, ce service avait une contrepartie économique pour les deux partenaires : fidéliser la patientèle des deux EHPAD, pour la pharmacie, et économiser une aide-soignante en interne pour la préparation des doses de médicaments à destination des patients, pour l'association.

L'association agit comme mandataire des patients et c'est par son intermédiaire que la Pharmacie du centre a accès aux résidents. Le référencement de la pharmacie a donc des conséquences économiques pour celle-ci.

L'association ne peut se retrancher derrière l'article R. 4235-18 du Code de la santé publique, qui prévoit que le pharmacien ne doit se soumettre à aucune contrainte financière, commerciale technique ou morale qui serait susceptible de porter atteinte à son indépendance dans l'exercice de sa profession, ou à l'article L. 5126-6-1 du Code de la santé publique qui dispose que les personnes hébergées conservent la faculté de demander que leur approvisionnement soit assuré par un pharmacien de leur choix, pour prétendre que serait illicite un accord commercial entre une pharmacie et des gestionnaires d'EHPAD pour dispenser ou préparer des médicaments aux résidents de ceux-ci, dès lors que chacune des parties et chacun des patients est libre de son comportement propre.

Si chaque patient est libre d'acheter les médicaments auprès du pharmacien de son choix, il n'est pas démontré que ce soit la pratique majoritaire des maisons de retraite. Dès lors, l'association L'Automne ne peut en déduire la précarité des relations commerciales entre l'association mandataire des résidents et la société Pharmacie du centre.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a estimé que l'existence de relations commerciales établies était démontrée entre l'association l'Automne et la Pharmacie du centre.

Sur le non-respect des engagements de la société Pharmacie du centre

L'association L'Automne estime que les engagements pris par la société Pharmacie du centre aux termes de la convention du 15 septembre 2003 n'ont pas été respectés. En délégant la préparation des doses à administrer au sein de l'établissement à un préparateur qui n'agissait pas sous son contrôle, la société Pharmacie du centre aurait violé l'article L. 4241-2 du Code de la santé publique, qui lui impose de surveiller le préparateur délégué. En outre, l'association L'Automne soutient que la société Pharmacie du centre n'a nullement respecté ses engagements consistant à faciliter la traçabilité des médicaments.

La société Pharmacie du centre soutient que, contrairement aux allégations de l'appelante, le préparateur travaillait bien sous le contrôle d'un pharmacien.

Il convient de souligner que le courrier de résiliation du 12 juillet 2011 mettant un terme au partenariat, ne fait état d'aucun manquement à une législation quelconque : "croyez bien que je regrette cette rupture de partenariat, mais elle correspond plutôt à une offre mieux adaptée à notre situation qu'à une sanction liée à votre prestation ". En second lieu, s'il résulte de l'article L. 5125-20 du Code de la santé que " le pharmacien titulaire d'une officine doit exercer personnellement sa profession. En toutes circonstances, les médicaments doivent être préparés par un pharmacien, ou sous la surveillance directe d'un pharmacien ", il n'est pas démontré par l'appelante que le préparateur employé par la Pharmacie du centre pour procéder à la dispensation des médicaments ait effectué ses tâches hors la surveillance d'un des trois pharmaciens de l'officine. La société appelante échoue donc dans la démonstration d'une faute imputable à la société Pharmacie du centre.

Sur le préjudice de la société Pharmacie du centre

L'association L'Automne fait valoir que le préjudice subi par la société Pharmacie du centre ne pourrait en toute hypothèse que concerner la perte de marge brute sur le chiffre d'affaires réalisé avec la résidence Le Traict et non avec la résidence Le Port qu'elle ne gère pas. Quant au délai de préavis, l'association L'Automne estime qu'il ne saurait dépasser 3 mois.

La société Pharmacie du centre réclame l'indemnisation de la perte de marge brute sur le chiffre d'affaires réalisé avec la résidence Le Traict et la Résidence Le Port ainsi que l'indemnisation du préjudice lié à l'embauche d'un préparateur.

L'association L'Automne a engagé les deux maisons de retraite dans le référencement de la pharmacie.

La finalité du délai de préavis est de permettre au partenaire de prendre ses dispositions pour réorienter ses activités en temps utile ou pour rechercher de nouveaux clients. Compte tenu de l'ancienneté des relations commerciales de 22 ans avec la Résidence Le Traict et de 8 ans avec la résidence Le Port, mais en l'absence de toute autre indication sur le volume d'affaires et la progression du chiffre d'affaires de la pharmacie avec les deux EHPAD, sur les investissements effectués, et en l'absence de dépendance économique démontrée, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a estimé à 10 mois le délai supplémentaire qui aurait été nécessaire à la pharmacie pour retrouver d'autres clients, sur la base de la perte de marge mensuelle calculée par son expert-comptable, soit 3 889 euros.

Si l'association L'Automne fait état d'un projet d'arrêté limitant à trois mois le préavis exigible dans les relations entre les EHPAD et les pharmacies pour la préparation de doses de médicaments, cet arrêté n'était pas alors entré en vigueur.

La Pharmacie du centre ne peut obtenir réparation que de la brutalité de la rupture et non de la rupture elle-même. Il en résulte que ne démontrant pas que l'embauche, en 2003, d'un préparateur en pharmacie aurait été rendue nécessaire par le partenariat avec les deux EHPAD, et que la brutalité de la rupture l'aurait conduite à le licencier, elle ne saurait être indemnisée à hauteur des heures prétendument occupées par ce préparateur à cette tâche, cette proportion n'étant au surplus attestée que par des salariés de la pharmacie, et elle-même ne démontrant pas l'impossibilité de reconvertir ces heures dans d'autres activités.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en toutes ses dispositions.

Sur la procédure abusive

La société intimée ne démontre pas en quoi la présente action aurait dégénéré en abus de droit. Sa demande sera donc rejetée.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile

Succombant, l'association L'Automne sera condamnée aux dépens et à payer à la société Pharmacie du centre la somme de 4 500 euros, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile dans la procédure d'appel.

Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Déboute la société Pharmacie du centre de sa demande pour procédure abusive, Condamne l'association L'Automne aux dépens de l'instance d'appel, La Condamne à payer à la société Pharmacie du centre la somme de 4 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.