CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 5 janvier 2017, n° 15-02234
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Netco Safety (Sasu)
Défendeur :
Actiplast (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dabosville
Conseillers :
Mmes Schaller, du Besset
Avocats :
Mes Fisselier, Formery, Lasvergnas, Lenoir
FAITS ET PROCÉDURE
La société Netco Safety est fabricant de bottes en PVC. La société Actiplast produit des granulés en PVC pour l'industrie de la chaussure. Depuis le mois de février 2009, elle a livré régulièrement des granulés à la société Netco Safety. La dernière livraison de la société Actiplast s'est déroulée au mois de juin 2013.
Courant mai 2013, la société Netco Safety n'a pas réglé une partie des factures de la société Actiplast. En juillet et en août 2013, la société Netco Safety n'a pas passé de commandes à la société Actiplast. Le 4 septembre 2013, la société Actiplast a mis en demeure la société Netco Safety de lui payer les factures des 17, 22 et 23 mai ainsi que celles des 4 et 14 juin 2013, pour un montant total de 97 264,77 euros.
Le 16 septembre 2013, la société Actiplast a indiqué à la société Netco Safety qu'elle prenait acte de la rupture brutale des relations commerciales établies, et ce à compter de juillet 2013.
Contestant cette prise d'acte, la société Netco Safety a notifié le 19 septembre à la société Actiplast la rupture de leurs relations commerciales avec un préavis de 3 mois qui se terminait le 31 décembre 2013.
C'est dans ces conditions que le 27 janvier 2014 la société Actiplast a assigné la société Netco Safety devant le Tribunal de commerce de Bordeaux.
Le 20 janvier 2015, le Tribunal de commerce de Bordeaux a rendu un jugement par lequel il a :
- Condamné la société Netco Safety à payer à la société Actiplast la somme de 49 234 euros à titre de dommage et intérêts en réparation du préjudice subi pour absence de préavis dans la rupture de relations commerciales établies,
- Condamné la société Netco Safety à payer à la société Actiplast la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Condamné la société Netco Safety aux dépens.
Le 30 janvier 2015, la société Netco Safety a interjeté appel du jugement rendu le 20 janvier 2015.
Vu les dernières conclusions signifiées le 13 septembre 2016 par la société Netco Safety appelante à la présente instance par lesquelles il est demandé à la cour de :
- Déclarer la société Netco Safety recevable et bien fondée en son appel ;
- Réformer purement et simplement le jugement entrepris ;
Statuant à nouveau,
- Débouter purement et simplement la SA Actiplast de l'intégralité de ses demandes formulées à l'encontre de la SAS Netco Safety en tant qu'irrecevables et mal fondées ;
- Condamner la SA Actiplast à payer à la SAS Netco Safety la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Condamner la même aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP AFG conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions signifiées le 30 septembre 2016 par la société Actiplast intimée à la présente instance et par lesquelles il est demandé à la cour de :
- Dire et juger la société Netco Safety responsable envers la société Actiplast au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies.
- Confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Bordeaux sur le principe de la condamnation de la société Netco Safety pour brusque rupture des relations commerciales établies.
- Infirmer en ce qu'il a octroyé des dommages et intérêts à hauteur de 49 234 euros et condamner la société Netco Safety à payer à la société Actiplast la somme de 89 620 euros à titre de dommages et intérêts.
- Condamner la société Netco Safety à payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
- Condamner la société Netco Safety en tous les dépens.
La société Netco Safety soutient qu'elle ne peut se voir imputer la rupture des relations commerciales avec la société Actiplast, alors qu'en raison de la politique tarifaire et de l'exigence de paiement comptant imposé par la société Actiplast suite aux difficultés de paiement qu'elle a connues en mai 2013, elle n'a pas été en mesure de passer des commandes en septembre 2013, que si elle n'a pas effectué de commandes au mois de juillet 2013, c'est uniquement en prévision du ralentissement de son activité pendant les congés estivaux, que dès le 16 septembre 2013, avant même de recevoir le courrier du conseil de la société Actiplast dénonçant la prétendue rupture des relations commerciales, la société Netco Safety a procédé au règlement des factures en souffrance à hauteur de 24 474,54 euros, qu'elle a, par courrier daté du 19 septembre 2013, en raison de l'attitude de la société Actiplast, signifié la cessation de leur relations commerciales à effet du 31 décembre 2013, en respectant un préavis de 3 mois, qu'elle a passé des commandes à la société Actiplast pendant toute la période du préavis, soit jusqu'en décembre 2013, mais que celle-ci a refusé de les honorer au motif de non-paiement comptant des factures proforma, que la société Netco Safety n'avait pas les moyens de payer comptant les commandes que par ailleurs les concurrents lui livraient moyennant les délais de paiement habituels et légaux.
La société Netco Safety ajoute que depuis le début de leurs relations commerciales, la société Actiplast lui a toujours accordé des délais de paiement à 60 jours, mais que lorsque elle a informé la société Actiplast de ses difficultés de trésorerie, cette dernière a immédiatement modifié ses conditions d'approvisionnement en lui imposant un paiement comptant de ses factures, ce qui était totalement injustifié dans le cadre de relations commerciales normales avec son fournisseur habituel, qu'elle a néanmoins continué à passer des commandes, mais que la société Actiplast a refusé de la livrer en l'absence de paiement comptant, qu'elle a été contrainte de rompre les relations commerciales, qu'elle l'a fait moyennant préavis écrit de trois mois, ce qui ne constitue pas une rupture brutale de sa part, alors que la modification soudaine des conditions de paiement était parfaitement injustifiée et vexatoire, que c'est la société Actiplast qui a cessé les livraisons, qu'il était évident que la société Actiplast n'entendait pas poursuivre de relations avec la société Netco Safety, que s'il y a rupture brutale, elle ne peut qu'être imputable à la société Actiplast, qu'en tout état de cause, la société Actiplast ne rapporte la preuve d'aucun préjudice.
La société Netco Safety indique enfin qu'elle a payé l'intégralité des factures émises par la société Actiplast, que les calculs d'intérêts payés par la société Netco Safety sont justes et ont été acquittés depuis le 21 janvier 2014.
En réponse, la société Actiplast indique que la société Netco Safety n'était pas à jour de ses règlements alors qu'elle ne justifiait d'aucune difficulté réelle, étant toujours in bonis, qu'en exigeant un paiement comptant elle n'a fait qu'appliquer les conditions générales de vente signées par Netco Safety, que la société Netco Safety a arrêté toute relation contractuelle avec la société Actiplast dès le mois de juin 2013 sans préavis, en ne commandant plus rien, qu'en réalité elle avait trouvé un fournisseur moins cher et a abandonné brusquement la société Actiplast, cherchant à déjouer par tous les moyens la sanction de l'article L. 442-6 alinéa 5 du Code de commerce.
Elle ajoute que les trois dernières factures ont été payées mais très tardivement, que cette situation a impacté sa propre trésorerie, qu'elle a même dû faire une déclaration d'impayé à son assurance-crédit.
Pour ce qui est du préjudice, la société Actiplast indique qu'il s'agit de la valeur ajoutée manquante basée sur le dernier semestre, que la rupture brusque des relations commerciales s'est faite au moment où le chiffre d'affaires était en croissance, ce qui a causé un grave manque à gagner, chiffré par un expert-comptable.
LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
Sur ce LA COUR,
Considérant qu'aux termes de l'article L. 442-6, I, 5 du Code de commerce, "engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :
5) de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels (...) " ;
Qu'il est constant qu'une rupture partielle des relations commerciales, dès lors qu'elle entraîne une réduction substantielle et sensible du volume d'affaires, peut être considérée comme une rupture brutale en l'absence de préavis écrit, même si elle laisse subsister un courant d'affaires sur d'autres produits ;
Que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou de l'insuffisance de la durée de ce préavis au regard des relations commerciales antérieures ;
Considérant qu'en l'espèce, il n'est pas contesté qu'à compter de mai 2013 la société Netco Safety n'a plus payé ses factures, qu'une somme de 97 264,77 euros était due en septembre 2013, ramenée ensuite à 56 270,41 euros après paiements en retard, qu'alors qu'elle avait commandé 254 tonnes de PVC sur les cinq premiers mois de l'année 2013, elle n'a commandé que 14 tonnes en juin puis plus rien jusqu'au 3 octobre 2013, après la notification de la rupture ;
Que toutefois, la société Netco Safety n'a fait état d'aucune difficulté qui justifierait le non-paiement des factures dans les délais légaux et l'absence soudaine de commandes ;
Que ce n'est qu'après avoir été mise en demeure de payer et avoir reçu la lettre de prise d'acte de la rupture brutale qu'elle a allégué des difficultés passagères de trésorerie, sans toutefois en justifier, alors que par le passé, lorsqu'elle rencontrait des difficultés de ce type, elle n'avait pas manqué d'adresser un mail justifiant les motifs d'un retard de paiement (cf. mail du 3 mai 2011) ;
Que le flux commercial entre les sociétés était en progression constante ;
Que la société Actiplast avait répondu favorablement en juin 2013 à une baisse des prix de la tonne ;
Que la société Netco Safety reconnait avoir sollicité les concurrents de la société Actiplast pour se fournir en PVC ;
Qu'elle indique que les prix qu'elle a obtenus étaient inférieurs à ceux de la société Actiplast ;
Que cette dernière a, en retour, formulé des offres tarifaires à la société Netco Safety auxquelles cette dernière n'a pas répondu tout en indiquant ensuite que les prix étaient 20 % plus chers ;
Que sans préavis, la société Netco Safety n'a plus passé qu'une seule commande de 14 tonnes de PVC à la société Actiplast en juin 2013, ce qui ne correspondait pas du tout aux flux antérieurs, alors qu'elle reconnaissait avoir trouvé parallèlement des fournisseurs concurrents moins chers dont elle honorait les factures avec les délais légaux de paiement habituels ;
Qu'il n'est pas démontré d'abus dans les conditions de règlement comptant prévues contractuellement demandées à la société Netco Safety, alors que cette dernière avait laissé des factures impayées en mai 2013 sans motif ;
Qu'il ne peut dès lors qu'être relevé, comme l'ont retenu à juste titre les premiers juges, que la rupture des relations commerciales établies a eu lieu en juin 2013, sans préavis, et que le préavis notifié en septembre 2013 ne peut pallier l'absence de toute commande depuis juin 2013 ;
Que le fait qu'il n'y ait pas de commandes habituellement en août ne suffit pas à expliquer l'arrêt brutal dès juin 2013 de toutes commandes ;
Que de même le fait que la société Actiplast ait refusé de livrer une commande datée d'octobre 2013, postérieurement à la prise d'acte de la rupture, au motif qu'elle n'avait pas reçu le paiement comptant ne suffit pas à démontrer un refus abusif de livrer de la part de la société Actiplast ;
Que c'est dès lors à juste titre que les premiers juges ont retenu l'existence d'une rupture brutale et fixé la durée du préavis à quatre mois, durée parfaitement compatible avec l'ancienneté des relations commerciales et l'importance du chiffre d'affaires qui en résultait ;
Qu'il n'est pas allégué un état de dépendance économique qui justifierait un préavis plus long ;
Considérant qu'il est constant que le préjudice résultant d'une rupture brutale de la relation commerciale établie doit être évalué en considération de la marge brute escomptée durant la période de préavis qu'aurait dû respecter le cocontractant ;
Considérant que c'est dès lors à bon droit que les premiers juges ont estimé que les conséquences de la brutalité de la rupture ouvraient droit à indemnisation à hauteur de la perte de marge brute fixée à 21,66 % sur la base de documents comptables visés par un expert-comptable et étayés par des pièces non contestées, et ce pour une durée de préavis de quatre mois ;
Considérant que c'est également à bon droit, par des motifs précis et circonstanciés que la cour adopte, que les premiers juges ont fait droit à la demande en paiement du solde des intérêts de retard ;
Que la décision déférée sera confirmée sur l'ensemble de ces points ;
Considérant qu'il y a lieu de faire droit à la demande d'indemnisation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ; Y ajoutant, Condamne la société Netco Safety à payer à la société Actiplast la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Netco Safety aux dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.