CA Poitiers, 1re ch. civ., 16 décembre 2016, n° 15-03102
POITIERS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Ssangyong France (SAS)
Défendeur :
Du Puy Nairon (EARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Chassard
Conseillers :
Mme Clément, M. Orsini
Procédure, prétentions et moyens des parties
L'EARL Du Puy Nairon a, selon facture n° 52 en date du 19 août 2011, acquis au prix de 7 000 euro de Madame Sylvie B. exerçant sous l'enseigne Etablissements Garage 910 à Dange-Saint-Romain, (Vienne), un véhicule Ssangyong, modèle Musso Sport, alors immatriculé 282 SL19 (BV-327-EH désormais), affichant 147 939 kilomètres. Cette vente était assortie d'une garantie contractuelle de 3 mois portant sur le moteur et la boîte de vitesses.
Le 9 février 2012, le véhicule a calé lors d'une manœuvre en marche arrière, puis refusé de redémarrer. Il avait alors parcouru 154 074 kilomètres. L'EARL Du Puy Nairon a constaté la présence d'un trou dans le carter de distribution. Le véhicule a été immobilisé au Garage Auto 910. Plusieurs réunions contradictoires ont été organisées entre les experts missionnés par les assurances respectives des parties. Aux termes d'un rapport d'expertise amiable en date du 28 août 2012, l'origine des désordres proviendrait du dysfonctionnement du pignon de la pompe d'injection et de son système d'avance dynamique d'injection.
Par acte du 8 février 2014, la société Du Puy Nairon a assigné Madame Sylvie B. devant le Tribunal de commerce de Poitiers. Elle a demandé de prononcer la résolution de la vente et l'indemnisation des préjudices annexes en ayant découlé. Par acte du 24 mars 2014, Madame Sylvie B. a appelé en garantie la société Ssangyong France. Celle-ci a soutenu que la panne du véhicule avait pour origine un défaut d'utilisation et qu'en tout état de cause, le vice invoqué par la société Du Puy Nairon était nécessairement postérieur à la vente qu'elle avait réalisée.
Par jugement contradictoire du 29 juin 2015, le Tribunal de commerce de Poitiers a statué en ces termes :
Ordonne la jonction de la demande de la société Du Puy Nairon à l'encontre de Madame B., en date du 8 février 2014, et celle de Madame B. à l'encontre de la société Ssangyong France, en date du 24 mars 2014.
Déboute la SAS Ssangyong France de sa demande présentée in limine litis en nullité de l'assignation du 24 mars 2014.
Dit que la cause des désordres affectant le moteur du véhicule ne résulte pas d'une intervention des Etablissements Auto 910 dont Madame Sylvie B. était l'exploitante, mais d'un vice de fabrication, Ssangyong France ayant manqué à son obligation de fournir un produit en parfait état de fonctionnement exempt de tout vice de fabrication.
Ordonne la résolution de la vente passée le 19 août 2011, entre Madame Sylvie B., exerçant sous l'enseigne Ets Garage 910 et l'EARL Du Puy Nairon du véhicule Ssangyong, modèle Musso, immatriculé BV-327-EH.
Condamne Madame Sylvie B., exerçant sous l'enseigne Ets Garage 910 à payer à l'EARL Du Puy Nairon la somme de 7000 euro en remboursement du prix d'achat du véhicule.
Condamne Madame Sylvie B., exerçant sous l'enseigne Ets Garage 910 à payer a l'EARL Du Puy Nairon la somme de 1500 euro au titre des préjudices annexes (carte grise, assurance, privation de jouissance).
Condamne la SAS Ssangyong France à relever indemne Madame Sylvie B., exerçant sous l'enseigne Ets Garage 910 et la garantir pour la condamnation prononcée à son encontre au titre de la résolution de la vente et du remboursement du véhicule.
Condamne Madame Sylvie B., exerçant sous l'enseigne Ets Garage 910 à payer a l'EARL Du Puy Nairon la somme de 1500 euro au titre de l'article 700 CPC.
Déclare Madame Sylvie B., exerçant sous l'enseigne Ets Garage 910 mal fondée en sa demande en paiement sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure civile, l'en déboute.
Condamne Mme Sylvie B., exerçant sous l'enseigne Ets Garage 910 aux dépens de l'instance, liquidée à la somme de 93,60 euro TTC.
Dit n'y avoir pas lieu à exécution provisoire du présent jugement, rejette ce chef de demande.
La société SAS Ssangyong France a par déclaration au reçue au greffe le 7 juillet 2015 interjeté appel de ce jugement en toutes ses dispositions.
Dans ses dernières écritures notifiées par RPVA le 7 octobre 2015, elle a demandé de :
Vu L. 110-4 du Code de commerce, vu l'article 26 " II " de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, vu l'article 1641 du Code civil, vu les pièces versées au débat, recevoir la société Ssangyong France en son appel, l'y dire bien fondée, et statuant à nouveau
Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il :
"Condamne la SAS Ssangyong France à relever indemne Madame Sylvie B. exerçant sous l'enseigne Ets Garage 910 et la garantir pour la condamnation prononcée à son encontre au titre de la résolution de la vente et du remboursement du véhicule."
A titre principal :
Constater que le véhicule a été initialement vendu le 28 juillet 2005, soit antérieurement au 19 juin 2008.
Constater que Madame B. a assigné la société Ssangyong France le 24 mars 2014,
En conséquence :
Dire et juger que l'action de Madame B. à l'encontre de la société Ssangyong France est prescrite depuis le 19 juin 2013.
A titre subsidiaire :
Constater que l'expert ne conclut pas que le véhicule est affecté d'un vice caché antérieur à la vente par la société Ssangyong France.
Constater que compte tenu du temps écoulé et de la distance parcourue par le véhicule entre sa vente par la société Ssangyong France et la panne, tout porte à croire ' au contraire - que le véhicule n'était pas affecté d'un vice caché antérieur à la vente par la société Ssangyong France.
En conséquence :
Dire et juger Madame B. ne démontre pas que son véhicule est affecté d'un quelconque vice caché antérieur à la vente par la société Ssangyong France,
Condamner Madame B. au paiement de la somme de 2500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
La condamner en tous les dépens de l'instance.
Elle a soulevé au visa de l'article L. 110-4 du Code de commerce la prescription de l'action en garantie exercée par Madame Sylvie B., et soutenu que la panne avait, eu égard à l'âge du véhicule et au kilométrage parcouru, pour cause un défaut d'entretien.
L'EURL Du Puy Nairon a dans ses dernières écritures notifiées par RPVA le 7 décembre 2015 demandé de :
Statuant sur le mérite de l'appel de la SAS Ssangyong France, confirmer en tous cas le jugement dont appel en ce qu'il a :
- prononcé la résolution de la vente passée le 19 août 2011, entre Madame Sylvie B. et L'EARL Du Puy Nairon du véhicule Ssangyong, modèle Musso, immatriculé BV-327-EH.
- condamné Madame Sylvie B. à payer à L'EARL Du Puy Nairon :
la somme de 7000 euro en remboursement du prix d'achat du véhicule.
la somme de 1500 euro au titre des préjudices annexes (carte grise, assurance, privation de jouissance).
- condamné Mme Sylvie B. à payer à L'EARL Du Puy Nairon la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 CPC.
- condamné la même en tous dépens.
Rejeter l'appel incident formé par Madame Sylvie B. contre le jugement dont appel en ce qu'il l'a condamnée à payer une somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 CPC.
Condamner la SAS Ssangyong France et Madame Sylvie B. à payer à L'EARL Du Puy Nairon, in solidum, la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 CPC en cause d'appel.
Condamner les mêmes, sous même solidarité, en tous dépens d'appel.
Elle a fait observer que l'appelante n'avait pas contesté pas le jugement du chef de ses dispositions à l'encontre de Madame Sylvie B., et que celle-ci avait limité son appel incident à sa condamnation prononcée sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Madame Sylvie B. a dans ses dernières écritures notifiées le 3 décembre 2015 par RPVA demandé de:
Confirmer le jugement entrepris du Tribunal de commerce de Poitiers en date du 29 juin 2015 en ce qu'il a dit que la cause des désordres affectant le moteur du véhicule Ssangyong " Musso " immatriculé BV 327 EH ne résulte pas d'une intervention des Ets Auto 910 dont Madame Sylvie B. a été l'exploitante, mais bien plutôt d'un vice de fabrication. La SAS Ssangyong France ayant manqué à son obligation de fournir un produit en parfait état de fonctionnement exempt de tout vice de fabrication.
Débouter en conséquence la SAS Ssangyong France de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de Madame Sylvie B. ayant l'exercé sous l'enseigne Ets Auto 910 qui seront jugées mal fondées, notamment celle nouvelle en cause d'appel consistant à prétendre que l'action de cette dernière à son encontre serait prescrite.
Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la SAS Ssangyong France à relever indemne Madame Sylvie B. qui exerçait sous l'enseigne Ets Auto 910 de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre au titre de la résolution de la vente et du remboursement du véhicule pour le cas où L'EARL Du Puy Nairon conclurait sur ce point à la confirmation, l'éventuelle indemnité de l'article 700 du CPC restant à la charge de la SAS Ssangyong France.
Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné Madame Sylvie B. qui exerçait sous l'enseigne Ets Auto 910 à payer la somme de 1 500 euro à L'EARL Du Puy Nairon au titre de l'article 700 du CPC.
Condamner la SAS Ssangyong France à payer à Madame Sylvie B. qui exerçait sous l'enseigne Ets Auto 910 la somme de 2500 euro sur le fondement de l'article 700 du CPC et laisser les dépens tant de première instance que d'appel à la charge de la SAS Ssangyong France.
Elle a soutenu qu'ayant exercé une action récursoire, la société SAS Ssangyong France ne pouvait pas lui opposer la prescription. Au fond, elle a exposé qu'il résultait du rapport d'expertise que la panne avait pour origine un défaut de conformité, la pompe d'injection et le système d'avance dynamique d'injection devant avoir une durée de vie équivalente à celle du véhicule.
L'ordonnance de clôture est du 5 octobre 2016.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A - SUR LA RÉSOLUTION DE LA VENTE
Tant la venderesse que l'acheteuse ont conclu à la confirmation du jugement en ce qu'il a résolu la vente pour vice caché. L'appelante n'a pas conclu sur ce point, ses demandes ayant trait à son appel en garantie.
Le jugement sera en conséquence confirmé du chef de la résolution de la vente et de ses conséquences pécuniaires.
B - SUR LA GARANTIE DE LA société SSANGYONG FRANCE
L'article L. 110-4 ancien du Code de commerce dispose que " les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par dix ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes ".
Cet article, dans sa rédaction issue de la n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, modifié par la loi n° 2013-619 du 16 juillet 2013, dispose que " les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes ". La loi du 17 juin 2008, publiée au Journal officiel le 18 juin 2008, est entrée du chef de ces dispositions en application le 19 juin suivant. L'article 2222 du Code civil issue de la loi du 17 juin 2008 précise qu'en " cas de réduction de la durée du délai de prescription ou du délai de forclusion, ce nouveau délai court à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ". La première mise en circulation du véhicule est du 28 juillet 2005. Le délai de prescription de droit commun opposable par la société Ssangyong a expiré au 19 juin 2013.
L'article 1648 du Code civil relatif à la garantie des vices cachés dispose par ailleurs que " l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice ". La date de découverte de ce vice par la venderesse peut être fixée au 28 août 2012, date du rapport de l'expert commis par la société de la société Groupama Centre Atlantique. Le délai pour agir sur ce fondement à l'encontre de la société Ssangyong France expirait ainsi au 28 août 2014.
Madame Sylvie B. devait exercer l'action en garantie à l'encontre du constructeur du véhicule, et non son vendeur, avant l'expiration du délai de prescription de droit commun, soit le 19 juin 2013. La mise en cause de la société Ssangyong France ayant été réalisée par acte du 24 mars 2014, Madame Sylvie B., prescrite en ses demandes, doit être déclarée irrecevable en son appel en garantie, étant relevé que celle-ci n'a pas dans le dispositif de ses conclusions (article 954 du Code de procédure civile) invoqué l'irrecevabilité éventuelle de la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée pour la première fois devant la cour d'appel.
Le jugement sera réformé de ce chef.
C - SUR LES DEMANDES PRÉSENTÉES SUR LE FONDEMENT DE L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE
Le premier juge a équitablement apprécié l'indemnité due sur ce fondement par Madame Sylvie B. à l'EURL Du Puy Nairon. Le jugement sera confirmé sur ce point.
Il serait par inéquitable et préjudiciable aux droits de l'EURL Du Puy Nairon et de la société Ssangyong France de laisser à sa charge les sommes exposées par elles et non comprises dans les dépens. Il sera pour ce motif fait droit aux demandes formées de ce chef pour les montants ci-après précisés.
D - SUR LES DÉPENS
La charge des dépens de première instance incombe à Madame Sylvie B. Le jugement sera sur ce confirmé.
La charge de ceux d'appel incombe à madame Sylvie B.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant après en avoir délibéré, publiquement, en matière civile, en dernier ressort et contradictoirement, confirme le jugement du 29 juin 2015 du Tribunal de commerce de Poitiers, sauf en ce qu'il : dit que la cause des désordres affectant le moteur du véhicule ne résulte pas d'une intervention des Etablissements Auto 910 dont Madame Sylvie B. était l'exploitante, mais d'un vice de fabrication, Ssangyong France ayant manqué à son obligation de fournir un produit en parfait état de fonctionnement exempt de tout vice de fabrication. Condamne la SAS Ssangyong France à relever indemne Madame Sylvie B., exerçant sous l'enseigne Ets Garage 910 et la garantir pour la condamnation prononcée à son encontre au titre de la résolution de la vente et du remboursement du véhicule ; et statuant à nouveau de ces chefs d'infirmation, déclare Madame Sylvie B. irrecevable en son appel en garantie formé à l'encontre de la société SAS Ssangyong France ; condamne Madame Sylvie B. à payer à la société SAS Ssangyong France la somme de 1000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; condamne Madame Sylvie B. à payer à l'EURL Du Puy Nairon la somme de 1000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; condamne Madame Sylvie B. aux dépens d'appel.