Cass. com., 11 janvier 2017, n° 15-13.780
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Mayet, ISA (SA), JFM (SAS), Selarl Benoit et associés (ès qual.)
Défendeur :
Nebot, RCC consultant (SARL), Xerox (SAS), Axidoc (SAS), Axidoc 31 (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Orsini
Avocats :
SCP Bénabent, Jéhannin, SCP Didier, Pinet, SCP Masse-Dessen, Thouvenin, Coudray, SCP Richard
LA COUR : - Vu leur connexité, joint les pourvois n° 15-13.780 et 15-17.548 ; - Donne acte à la Selarl Benoit et associés de ce qu'elle reprend l'instance en qualité de liquidateur judiciaire de la société Impression ; - Attendu, selon les arrêts attaqués, que la société Xerox a conclu avec la société Impression plusieurs contrats de concession successifs, le dernier étant signé le 1er novembre 2006, pour une durée de trente-six mois ; qu'au printemps 2009, la société Xerox a manifesté sa volonté, dans l'hypothèse de la signature d'un nouveau contrat, de modifier la zone géographique dévolue à la société Impression ; qu'à cette date, la société Impression était présidée par M. Mayet qui détenait, à travers sa holding, la société JFM, 66 % des parts de la société, M. Nebot, en possédant les 34 % restant et étant directeur commercial salarié ; qu'en juillet 2009, la société Xerox a proposé à la société Impression un nouveau découpage géographique que M. Mayet a estimé non viable économiquement ; que la société Xerox n'a pas renouvelé son contrat avec la société Impression et a confié la zone territoriale de celle-ci aux sociétés Axidoc et Axidoc 31 ; que la société Impression, M. Mayet et la société JFM, estimant que la société Xerox avait manqué à ses obligations contractuelles et qu'elle avait manoeuvré, de concert avec M. Nebot, la société RCC consultants (la société RCC), créée par ce dernier, et les sociétés Axidoc et Axidoc 31, afin de détourner la clientèle de la société Impression, les ont assignés en paiement de dommages-intérêts ; qu'ayant statué par le premier arrêt attaqué, la cour d'appel l'a rectifié par le second ;
Sur le deuxième moyen du pourvoi n° 15-13.780 : - Attendu que la société Impression, son liquidateur judiciaire, la société JFM et M. Mayet font grief à l'arrêt du 8 janvier 2015 du rejet de leurs demandes fondées sur les manquements contractuels de la société Xerox alors, selon le moyen : 1°) que si une clientèle est au plan national attachée à la notoriété de la marque du concédant, la clientèle locale n'existe que par le fait des moyens mis en œuvre par le concessionnaire ; que cette clientèle fait partie du fonds de commerce du concessionnaire, puisqu'elle est créée par son activité, et qu'il l'exploite à ses risques et périls ; qu'en l'espèce, pour retenir que la société Impression ne pouvait soutenir qu'en proposant un nouveau découpage territorial, la société Xerox tentait de capter sa clientèle, la cour d'appel a estimé que " la société Impression ne peut revendiquer un droit personnel sur la clientèle, celle-ci étant attachée à la marque donc au concédant, le concessionnaire n'étant qu'un distributeur auprès de celle-ci "; qu'en statuant ainsi, quand la société Impression, en sa qualité de concessionnaire, était propriétaire de la clientèle locale qu'elle exploitait à ses risques et périls, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil ; 2°) que le concédant qui entend mettre un terme à des relations commerciales établies doit adresser au concessionnaire un préavis clair et dépourvu de toute équivoque, indiquant sans aucune ambiguïté la volonté de son auteur de mettre un terme à la relation commerciale, et à quelle date ; qu'en l'espèce, les sociétés Impression, JFM et M. Mayet faisaient valoir dans leurs conclusions que ce n'est que par lettre du 27 juillet 2009 que la société Xerox a pour la première fois clairement indiqué à la société Impression son intention de mettre un terme à leurs relations commerciales établies à l'échéance du contrat, c'est-à-dire le 31 octobre 2009 ; qu'ils soutenaient ainsi qu'un tel préavis d'à peine trois mois destiné à mettre un terme à des relations commerciales établies depuis 17 ans était notoirement insuffisant ; que pour les débouter de leur demande à ce titre, la cour d'appel s'est bornée à retenir que la société Xerox " n'a fait qu'user de son droit de concédant de réorganiser son territoire à l'expiration d'un contrat de concession, tout en proposant à son concessionnaire un nouveau contrat dans un délai raisonnable avant l'expiration de son contrat, ce que celui-ci a refusé, se tournant alors vers la concurrence " ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle était pourtant invitée à le faire, à quelle date la société Xerox avait clairement indiqué à son contractant sa décision de mettre un terme au contrat en l'état du refus de la société Impression du nouveau découpage territorial proposé, ce qui constituait le point de départ du délai de préavis, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ;
Mais attendu, d'une part, qu'ayant relevé que le contrat de concession avait été conclu pour une durée de trente-six mois et qu'il ne comportait aucune clause de tacite reconduction, de sorte qu'il prenait fin le 31 octobre 2009, l'arrêt retient que le non-renouvellement d'un tel contrat constitue un droit pour chacune des parties et que la société Xerox n'était pas tenue, lors de son échéance, de signer un nouveau contrat à l'identique ; qu'il en déduit que cette société n'a fait qu'user de son droit en proposant à son concessionnaire, dans un délai raisonnable, avant l'expiration du contrat en cours, de nouvelles modalités quant au découpage du périmètre concédé ; que la cour d'appel ayant, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision, le grief de la première branche, qui critique des motifs surabondants, est inopérant ;
Attendu, d'autre part, que l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, instaurant une responsabilité de nature délictuelle, n'est pas de nature à permettre la cassation de l'arrêt en ce qu'il rejette les demandes fondées sur la responsabilité contractuelle de la société Xerox ; d'où il suit que le moyen, inopérant en sa première branche, ne peut être accueilli en sa seconde branche ;
Et sur le second moyen, pris en ses première et troisième branches, du pourvoi n° 15-17.548 : - Attendu que la société Impression, son liquidateur, la société JFM et M. Mayet font grief à l'arrêt rectificatif du 16 avril 2015 d'ajouter, dans le dispositif de l'arrêt du 8 janvier 2015, la condamnation in solidum de la société JFM et de M. Mayet au paiement de la somme de 10 000 euros à la société RCC et de celle de 15 000 euros à M. Nebot au titre de l'article 700 du Codede procédure civile alors, selon le moyen : 1°) que la société JFM et M. Mayet faisaient valoir dans leurs conclusions que la requête en rectification d'erreur matérielle formée par la société RCC était irrecevable, dès lors que cette société avait " été radiée définitivement du registre du commerce et des sociétés le 22 octobre 2013 en application de l'article R. 123-130 du Codede commerce ", en sorte qu'elle ne pouvait " soutenir la présente requête puisqu'elle n'existe pas " ; que pour condamner M. Mayet et la société JFM à payer à la société RCC une somme de 10 000 euros, la cour d'appel s'est totalement abstenue de répondre à ce moyen déterminant des conclusions, en violation de l'article 455 du Code de procédure civile ; 2°) que le juge qui a rendu une décision ne peut, sous le couvert de rectification d'une erreur matérielle, modifier les droits et obligations des parties tels qu'ils résultent de la décision initiale ni se livrer à une nouvelle appréciation des éléments de la cause ; qu'en conséquence, le juge ne peut, sous couvert de rectifier une erreur matérielle, condamner une partie qui n'était visée ni dans les motifs, ni dans le dispositif du précédent jugement au paiement d'une indemnité fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile ; qu'en l'espèce, ni les motifs, ni le dispositif de l'arrêt du 8 janvier 2015 n'avaient condamné M. Mayet et la société JFM au paiement des frais irrépétibles puisque le dispositif de l'arrêt se bornait à condamner " la société Impression à payer la somme de 10 000 euros à la société RCC et celle de 15 000 euros à M. Nebot au titre de l'article 700 du Code de procédure civile " ; qu'en condamnant pourtant M. Mayet et la société JFM à payer respectivement à la société RCC et à M. Nebot les sommes de 10 000 et 15 000 euros, la cour d'appel, sous couvert de rectification d'erreur matérielle, a modifié les droits et obligations des parties, et a violé l'article 462 du Code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, que la société Impression et son liquidateur sont sans intérêt à critiquer la condamnation de la société JFM et de M. Mayet, qui ne leur fait pas grief ;
Et attendu, en second lieu, qu'ayant relevé que l'arrêt du 8 janvier 2015 avait retenu que les sociétés Xerox, RCC et M. Nebot avaient engagé des frais et qu'il était inéquitable de leur en laisser la charge et que, dans son dispositif, il avait condamné in solidum la société Impression, la société JFM et M. Mayet à payer une certaine somme, à la société Xerox, au titre de l'article 700 du Codede procédure civile, tandis que seule la société Impression avait été condamnée à verser une somme, à ce titre, à M. Nebot et à la société RCC, c'est sans modifier les droits et obligations reconnus aux parties par cet arrêt que la cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre aux conclusions inopérantes invoquées par la première branche, l'éventuelle radiation de la société RCC étant sans incidence sur la personnalité juridique de cette société, a décidé que l'absence de condamnation de la société JFM et de M. Mayet procédait d'une omission matérielle qu'il convenait de rectifier ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les cinquième et sixième moyens du pourvoi n° 15-13.780, ni sur le premier moyen du pourvoi n° 15-17.748, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Mais sur le premier moyen du pourvoi n° 15-13.780, qui est recevable : - Vu l'article 100 du Code de procédure civile ; - Attendu que pour confirmer le jugement en ce qu'il a accueilli l'exception de litispendance et s'est dessaisi au profit de la Cour d'appel de Toulouse des demandes formées à l'encontre de M. Nebot par la société Impression, la société JFM et M. Mayet, l'arrêt retient que ces demandes ont également été formées, à titre reconventionnel, par la société Impression devant le Conseil de prud'hommes de Toulouse et que la chambre sociale de la Cour d'appel de Toulouse est saisie de l'appel de la décision prud'homale rendue le 23 novembre 2012 ;
Qu'en statuant ainsi, en se dessaisissant de toutes les demandes formées à l'encontre de M. Nebot, y compris de celles formées par la société JFM et M. Mayet qui n'étaient pas parties devant la Cour d'appel de Toulouse, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Sur les troisième et quatrième moyens, réunis, de ce pourvoi : - Vu l'article 4 du Code de procédure civile ; - Attendu que pour déclarer la société Impression irrecevable en ses demandes au titre des contrats FMSA et des contrats de financement conclus par la société Xerobail, l'arrêt retient que les premiers étaient des contrats conclus entre le client et la société Xerox et les seconds des contrats conclus entre le client utilisateur du matériel et la société Xerobail qui n'est pas partie à l'instance et en déduit que la société Impression n'a aucune qualité ni aucun intérêt à former des demandes au titre de l'exécution de ces contrats ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait des écritures de la société Impression que celle-ci demandait l'indemnisation du préjudice qu'elle avait subi du fait de la perte des bénéfices générés par ces contrats, consécutive au non-renouvellement de la concession accordée par la société Xerox, et non leur exécution, la cour d'appel a méconnu l'objet du litige et violé le texte susvisé ;
Et sur les septième et huitième moyens, pris en leurs premières branches, réunis, du même pourvoi : - Vu l'article 624 du Code de procédure civile ; - Attendu que la cassation prononcée sur les premier, troisième et quatrième moyens entraîne, par voie de conséquence, celle des chefs de l'arrêt condamnant la société Impression, la société JFM et M. Mayet au paiement d'une amende civile et au paiement, à la société Xerox, d'une somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
Et vu l'article 625, alinéa 2, du Code de procédure civile ; - Attendu que la cassation, sur le premier moyen du pourvoi n° 15-13.780, de l'arrêt rectifié entraîne, par voie de conséquence, celle du chef de l'arrêt rectificatif condamnant, in solidum, la société JFM et M. Mayet à payer la somme de 15 000 euros à M. Nebot au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu à statuer sur les autres griefs des pourvois : Sur le pourvoi n° 15-13.780 : Casse et annule, mais seulement en ce qu'il se dessaisit, au profit de la Cour d'appel de Toulouse, des demandes formées par la société JFM et par M. Mayet à l'encontre de M. Nebot, déclare la société Impression irrecevable en ses demandes au titre des contrats FMSA et au titre des contrats de financement conclus par la société Xerobail, condamne les sociétés Impression, JFM et M. Mayet à payer une amende civile de 2 000 euros et à payer, à la société Xerox, la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et celle de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Codede procédure civile, l'arrêt rendu le 8 janvier 2015, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée ; Et sur le pourvoi n° 15-17.548 : Casse et annule, mais seulement en ce qu'il dit qu'il y a lieu d'ajouter, dans le dispositif de l'arrêt du 8 janvier 2015, la condamnation in solidum de la société JFM et de M. Mayet à payer la somme de 15 000 euros à M. Nebot au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, l'arrêt rectificatif rendu le 16 avril 2015, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris.