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Décisions

CA Bordeaux, 1re ch. civ., 10 janvier 2017, n° 15/03892

BORDEAUX

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Manège (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Larsabal

Conseillers :

M. Franco, Mme Brisset

TGI Bordeaux, du 2 juin 2015

2 juin 2015

EXPOSE DU LITIGE

La société Manège a pour activité la création, l'achat et la vente de produits de tables festifs jetables destinés à la grande distribution et aux collectivités ; elle exerce sous l'enseigne Festine.

Le 1er février 2010, elle a confié à M. X un mandat d'agent commercial afin de la représenter auprès de la clientèle des hypermarchés Carrefour, Auchan, Leclerc, Cora, Casino, Hyper U.

Le contrat écrit envoyé à M. X n'a pas été retourné signer par celui-ci.

Le secteur initial était celui des départements du Haut Rhin et du Bas Rhin, auxquels ont été adjoints en février 2012 les magasins Leclerc du département des Vosges.

Le 4 décembre 2012, la société Manège a notifié à M. X la rupture de son contrat d'agent commercial sur le fondement de la faute grave au sens de l'article L. 134-3 du Code de commerce, au motif de la concurrence déloyale résultant de son activité d'agent commercial pour le compte de la société Tifany industrie qui commerciale les mêmes produits sous la marque Tifany.

Le 19 avril 2013, la société Manège a assigné M. X devant le tribunal de grande instance de Bordeaux aux fins de le voir condamner au paiement de la somme de 50 000 euros à titre de dommages intérêts pour concurrence déloyale ; M. X a présenté des demandes reconventionnelles relatives à la rupture abusive de son contrat d'agent commercial.

Par jugement du 2 juin 2015, le tribunal :

- a débouté la société Manège de toutes ses demandes

- a condamné la société Manège à payer à M. X à raison de la rupture abusive de son contrat d'agent commercial les sommes de :

* 13 700 euros au titre de l'indemnité compensatrice prévue par l'article L134-12 du Code de commerce

* 1 713 euros correspondant à l'indemnité de préavis de trois mois

* 1 763,23 euros en paiement des commissions acquises et restant dues pour les mois de septembre, octobre et novembre 2012

- a débouté M. X du surplus de ses demandes indemnitaires

- a condamné la société Manège au paiement des dépens et d'une somme de 1500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile

- a dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire

- a rejeté toutes autres demandes.

La société Manège a régulièrement relevé appel de ce jugement par déclaration au greffe de son avocat en date du 29 juin 2015 dans des conditions de régularité non contestées. M. X forme appel incident.

Par conclusions responsives signifiées par RPVA le 26 janvier 2016, la société Manège demande à la cour de :

- constater que M. X a commis des actes de concurrence déloyale à son préjudice

- constater que M. X a violé les clauses contractuelles du contrat d'agent commercial le liant à la société Manège

- constater que M. X a manqué à son égard à son obligation de loyauté

- en conséquence réformer le jugement et de condamner M. X au paiement de la somme de 50 000 euros à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice moral et commercial subi

- de condamner M. X au paiement d'une somme de 6000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et des dépens.

Par conclusions signifiées par RPVA le 20 novembre 2015, M. X demande à la cour :

- de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Manège à lui payer les sommes suivantes :

* 13 700 euros au titre de l'indemnité compensatrice prévue par l'article L134-12 du Code de commerce

* 1 713 euros correspondant à l'indemnité de préavis de trois mois

* 1 763,23 euros en paiement des commissions acquises et restant dues pour les mois de septembre, octobre et novembre 2012

- de le réformer en ce qu'il l'a débouté de sa demande de paiement de la somme de 13 163 euros en réparation du préjudice subi en raison du caractère abusif de la rupture, somme correspondant au prix d'acquisition du mandat

- de condamner la société Manège au paiement de la somme de 5000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et des dépens.

L'ordonnance mettant fin à l'instruction du dossier a été rendue par le conseiller de la mise en état le 8 novembre 2016.

Motifs de la décision

Sur la concurrence déloyale

M. X ne conteste pas avoir représenté en qualité d'agent commercial la société Tifany industrie à compter du 1er juillet 2012, ainsi qu'établi notamment par la lettre adressée le 22 novembre 2012 à la société Manège par la société Tifany industrie, mais conteste être lié par une clause de non-concurrence et que les produits commercialisés par les deux sociétés soient similaires.

Il est constant que M. X n'a pas renvoyé signé le contrat écrit qui lui avait été proposé par la société Manège, qui ne justifie pas lui avoir adressé de rappel à cette fin. Ce contrat contenait une clause de non-concurrence interdisant à l'agent commercial pendant la durée du contrat de représenter une autre entreprise concurrente de la société Manège ; cependant, en l'absence de signature, la société Manège n'est pas fondée à s'en prévaloir, M. X expliquant d'ailleurs que c'est précisément pour ne pas être lié à la société Manège par une clause de non-concurrence qu'il n'avait pas signé le contrat.

En revanche, le statut d'agent commercial est régi par les dispositions d'ordre public des articles L. 134-1 à L. 134-17 et R. 134-1 à R. 134-17 du Code de commerce, et la société Manège est fondée à invoquer l'article L. 134-3 de ce Code qui dispose que :

" L'agent commercial peut accepter sans autorisation la représentation de nouveaux mandats. Toutefois, il ne peut accepter la représentation d'une entreprise concurrente de celle de l'un de ses mandants sans accord de ce dernier. " et l'article L. 134-4 alinéa 2 aux termes duquel :

" Les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information. "

Il s'ensuit que la représentation de produits d'une entreprise concurrente sans l'accord de son mandant constitue par l'agent commercial la violation de ses obligations contractuelles.

Il ressort de l'attestation de M. A., directeur général de la société Tifany industrie, qu'il avait été proposé à M. X par cette société d'informer la société Manège de que M. X allait commercialiser sur le même secteur les mêmes produits que la société Manège, et que M. X a indiqué qu'il s'occupait personnellement de cette information, ce qu'il ne justifie pas avoir fait. L'attestation de M. A., agent commercial qui a assisté à une discussion sur un salon professionnel en février 2012 entre M. X et le directeur des ventes de la société Manège, M. H., selon laquelle ce dernier, informé de la possibilité à terme pour M. X de reprendre un secteur de la société Tifany industrie, n'y aurait pas émis d'objection, ne permet pas de considérer que la société Manège était informée, en l'absence de toutes précision sur le secteur, la date et les produits représentés.

La société Manège produit désormais en appel les photographies des collections respectives des sociétés Manège et Tifany industrie. L'examen de ces documents permet d'affirmer que la société Manège et la société Tifany industrie commercialisent des produits similaires, en l'espèce de la vaisselle (assiettes, verres, couverts, plateaux etc ...) et décoration de table (nappes, serviettes, éléments de décoration) jetable, en diverses gammes, uni, décoré, enfant ; il est sans incidence que les gammes puissent sur certains points présenter de légères différences, comme davantage de motifs fleuris chez Tifany industrie dans la gamme " décoré", s'agissant d'objets ayant la même destination et la même clientèle ; la société Tifany industrie elle-même reconnaît que les deux entreprises sont concurrentes, même si elles entretiennent de bonnes relations.

Rien ne permet d'affirmer que le mandat de M. X était limité à certains gammes, notamment enfants, les dites gammes étant au demeurant également similaires, l'attestation de Mme L., directrice des ventes de la société Tifany industrie au moment des faits aux termes de laquelle les gammes " punto ", plastique et " licence " pour enfants étaient inexistantes en 2012 chez la société Tifany industrie n'étant pas dirimante, dès lors que des gammes plus générales d'autres produits étaient similaires.

Il en résulte que M. X s'est bien livré à des actes de concurrence déloyale et à un manquement au devoir d'information et de loyauté en commercialisant sans l'accord de la société Manège les produits de la société Tifany industrie sur les trois départements relevant de son secteur, quand bien même son secteur pour la société Tifany industrie était plus large de trois autres départements de la région.

Le jugement sera infirmé.

La société Manège réclame des dommages intérêts à hauteur de 50 000 euros sans nullement s'expliquer sur ce montant.

Si la concurrence déloyale exercée par M. X a généré un préjudice pour la société Manège, au regard de la brève durée de la concurrence déloyale, de juillet à novembre 2012, du nombre de départements concernés (trois : 67, 68, et 88 pour les magasins Leclerc uniquement), et de l'absence d'explications chiffrées de la société Manège sur sa demande notamment par comparaison des commissions facturées par M. X avant et après le 1er juillet 2012, et du chiffre connu de celles-ci (1763,23 euros pour la période septembre novembre 2012) par l'effet des demandes reconventionnelles de M. X, la cour fixera à 3 000 euros les dommages intérêts dus par M. X à la société Manège.

Sur la rupture du contrat d'agent commercial

La société Manège a notifié à M. X par lettre recommandée avec accusé de réception du 4 décembre 2012 la rupture de son contrat d'agent commercial pour faute grave après l'avoir mis en demeure par lettre du 22 novembre 2012, après avoir eu confirmation le même jour par la société Tifany industrie de ce que M. X était agent commercial pour son compte depuis juillet 2012, de s'expliquer sur ce point, M. X ayant répondu par un mail du 26 novembre 2012 qui n'est pas produit.

Au regard des motivations qui précèdent relatives à la concurrence déloyale exercée par M. X, qui s'analyse en un manquement à l'obligation de loyauté constitutif d'une faute grave au sens de l'article L134-13 du Code de commerce, privative du droit à réparation prévu par l'article L134-12 du même code, M. X n'est pas fondé à solliciter l'indemnité compensatoire de rupture ; la faute grave est également privative du droit à préavis.

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a fait droit à ces demandes de M. X.

M. X demeure en revanche fondé à obtenir le paiement des commissions pour la période de septembre à novembre 2012, correspondant à une prestation effectuée, dont le montant de 1763,23 euros n'est pas en tant que tel contesté ; le jugement sera confirmé de ce chef.

Dès lors que la rupture du contrat d'agent commercial pour faute grave est fondée, M. X est sans droit à obtenir le remboursement de la valeur d'achat du contrat d'agent commercial ; le jugement sera confirmé de ce chef, et il ne sera pas fait droit à son appel incident.

La compensation entre les créances des parties sera ordonnée.

Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile

Les dépens de première instance et d'appel seront mis à la charge de M. X, partie succombante pour l'essentiel de ses prétentions, qui sera débouté de sa demande en application de l'article 700 du Code de procédure civile et condamné à payer à la société Manège une somme de 2000 euros sur ce même fondement.

Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a condamné la société Manège à payer à M. X la somme de 1763,23 euros en paiement des commissions acquises et restant dues pour les mois de septembre, octobre et novembre 2012 ; Statuant à nouveau pour le surplus, Dit que M. X a commis au préjudice de la société Manège des actes de concurrence déloyale et des manquements au devoir de loyauté ; Condamne en conséquence M. X à payer à la société Manège la somme de 3000 euros à titre de dommages intérêts ; Dit que la rupture du contrat d'agent commercial de M. X par la société Manège pour faute grave est fondée ; Déboute en conséquence M. X de ses demandes d'indemnité de préavis et d'indemnité compensatrice ; Ordonne la compensation entre les créances respectives des parties ; Condamne M. X à payer à la société Manège la somme de 2000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne M. X aux dépens de première instance et d'appel.