Livv
Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. civ., 9 janvier 2017, n° 15-03500

BORDEAUX

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Patrigel (SAS)

Défendeur :

Eurofroid 46 (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chelle

Conseillers :

Mme Fabry, M. Pettoello

TGI Bergerac, du 29 mai 2015

29 mai 2015

EXPOSE DU LITIGE :

La société Patrigel, créée en 1989, commercialise des légumes, fruits et herbes aromatiques surgelés auprès des grossistes. Elle a entretenu dès sa création et pendant de nombreuses années des relations commerciales avec la société Eurofroid, producteur notamment de légumes surgelés.

Le 20 juin 2008, la société Eurofroid a notifié à la société Patrigel la rupture immédiate du contrat les liants.

Par exploit d'huissier en date du 25 mai 2009, la société Patrigel a assigné la société Eurofroid devant le tribunal de grande instance de Bergerac, sur le fondement des articles L.134-11 et L.134-12 du Code de commerce, aux fins d'obtenir, au principal, le paiement de diverses sommes au titre du préavis non effectué et de l'indemnité de résiliation de ce qu'elle considérait être un contrat d'agent commercial. Elle produisait notamment un document intitulé accord commercial, daté du 29 avril 2003, dont la société Eurofroid a contesté l'authenticité de la signature apposée sous le nom de son président M.L. Par ordonnance en date du 02 avril 2010, le juge de la mise en état a ordonné une expertise graphologique de la signature portée sur le document. M.J. a déposé son rapport le 20 novembre 2010 et a conclu que la signature n'était pas celle de M.L. La société Eurofroid ayant déposé plainte pour faux et usage de faux à l'encontre de la société Patrigel et de son président M.G., le tribunal de grande instance de Bergerac, par jugement du 28 juin 2011, a ordonné un sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pénale.

Suivant jugement en date du 18 décembre 2012, le tribunal correctionnel de Bergerac a condamné la société Patrigel et M.G. pour faux et usage de faux. Cette décision a été infirmée par la cour d'appel de Bordeaux qui, dans son arrêt du 04 mars 2014, a relaxé les prévenus, au regard notamment des conclusions d'un rapport privé établi par Mme N..

L'affaire a été rappelée à la mise en état du 12 septembre 2014.

Par jugement contradictoire en date du 29 mai 2015, le tribunal de grande instance de Bergerac a :

Dit que le contrat liant la société Patrigel à la société Eurofroid dans les années précédant la rupture de leurs relations n'était pas un contrat d'agent commercial

-débouté la société Patrigel de ses demandes fondées sur l'application des règles relatives au statut des agents commerciaux

-s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Bordeaux pour connaître des demandes formées subsidiairement par la société Patrigel à l'encontre de la société Eurofroid sur le fondement de l'article L.442-5 I 5° du Code de commerce ;

-dit qu'à l'issue des délais de recours le dossier serait transmis au tribunal de commerce de Bordeaux à la diligence du greffe.

La société Patrigel a relevé appel de cette décision par déclaration en date du 10 juin 2015.

Les parties ayant donné leur accord, une médiation a été ordonnée le 23 février 2016 par le conseiller de la mise en état. Le médiateur a adressé le 21 avril 2016 à la cour un courrier l'informant de l'échec de la médiation.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 24 août 2016, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions, elle demande à la cour de :

À titre principal,

-vu les dispositions des articles 122, 568 et 914 du Code de procédure civile,

La dire et juger recevable en son appel

-vu les dispositions des articles L-134-11 et L-134-12 du Code de commerce,

-infirmer le jugement en ce qu'il a dit qu'elle n'était pas l'agent commercial de la société Eurofroid et l'a déboutée en conséquence de sa demande fondée sur les dispositions précitées

Statuant à nouveau,

-dire et juger que les sociétés Patrigel et Eurofroid étaient bien liées depuis 1989 par un contrat d'agent commercial

-dire et juger que la société Eurofroid ne rapporte la preuve ni de la faute grave alléguée dans sa lettre du 20 juin 2008, ni d'aucune autre faute grave

-condamner en conséquence la société Eurofroid à lui payer à titre de dommages et intérêts conformément aux dispositions d'ordre public précitées : 37 427 euros au titre du préavis, 303 553 euros au titre de l'indemnité de résiliation prévue à l'article L-134-12 du Code de commerce

-dire et juger que ces sommes produiront intérêts au taux légal à compter de la première mise en demeure du 23 mars 2009 et seront capitalisées dans les conditions de l'article 1154 du Code civil, soit à compter du 23 mars 2010

À titre subsidiaire

Vu les dispositions de l'article 89 du Code de procédure civile,

Vu les dispositions de l'article 53 du Code de procédure civile et 2241 du Code civil,

Vu les dispositions de l'article L.442-6-I-5°) du Code de commerce,

-dire et juger que son appel est recevable

-dire et juger que son action sur le fondement de l'article L.442-6-I-5° n'est pas prescrite

-dire et juger que la cour d'appel de Bordeaux est compétente pour -statuer sur sa demande sur le fondement de l'article L.442-6-I-5° du Code de commerce,

-dire et juger que la société Eurofroid a engagé sa responsabilité en rompant sans aucun préavis les relations commerciales anciennes qui les liaient depuis 20 ans

-dire et juger que le préavis de résiliation aurait dû être d'au moins 2 ans

-condamner en conséquence la société Eurofroid à lui payer à titre de dommages et intérêts en compensation de l'absence de tout préavis, la somme de 308 683 euros

-débouter la société Eurofroid de l'ensemble de ses demandes

-condamner la société Eurofroid à lui payer la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile

-la condamner aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP Michel P., avocat au Barreau de Bordeaux.

Elle soutient que son activité entre 1989 et 2008 correspond absolument à celle d'un agent commercial, statut d'ordre public qui s'applique dès lors que l'activité du mandataire répond à cette définition ; que le fait qu'elle ait développé d'autres mandats portant sur des produits non concurrents de ceux vendus par la société Eurofroid et qu'elle ait exercé une activité propre d'acheteur/revendeur portant sur des produits non commercialisés par la société Eurofroid et donc distincts de ceux objet de son contrat d'agent commercial ne permet pas de disqualifier le contrat d'agent commercial ; que le contrat peut être verbal, de sorte qu'il peut être retenu même si l'accord du 23 avril 2003 est écarté, qui apportait simplement des précisions sur les modalités d'exécution du contrat mais ne constitue pas un contrat de novation ; que la commune intention des parties est un élément fondamental dans la qualification du contrat dont elle soutient qu'il n'a pas changé de nature au cours des dernières années, personne ne l'ayant dénoncé et le fonctionnement étant resté le même (commissions enregistrées quasi stables). Contestant par ailleurs toute déloyauté, elle soutient qu'elle est fondée à réclamer une indemnité de préavis et une indemnité de rupture par application des dispositions des articles L.134-11 al.2 et 3 du Code de commerce devis dont les dispositions sont d'ordre public et auxquelles il ne peut être dérogé sauf à démontrer une faute grave dont la société Eurofroid ne rapporte pas la preuve, aucun des griefs invoqués ne permettant de caractériser une telle faute. A titre subsidiaire, elle fait valoir que l'intimée a engagé sa responsabilité en rompant sans aucun préavis les relations commerciales anciennes qui les liaient depuis 20 ans, et qu'elle lui est redevable de dommages et intérêts, la cour d'appel de Bordeaux étant compétente pour statuer sur sa demande sur le fondement de l'article L.442-6-I-5° du Code de commerce.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 27 juin 2016, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions, la société Eurofroid demande à la cour de :

Vu les dispositions des articles 122, 568, et 914 du Code de procédure civile

Vu les dispositions des articles 1134 et 1156 du Code civil,

Vu les dispositions des articles L.134-12, L.134-13, L.442-6-1 5 e, L.110-4 du Code de commerce,

Vu enfin les pièces versées aux débats,

À titre incident

-déclarer l'appel de la société Patrigel irrecevable

À titre principal et au fond

-dire et juger l'appel de la société Patrigel mal fondé, celle-ci ne rapportant par la preuve de l'existence d'un contrat d'agent commercial

En conséquence, confirmer intégralement le jugement

Subsidiairement

-dire et juger qu'elle justifie de manquements graves de la société Patrigel à son obligation de loyauté, de nature à justifier la rupture immédiate et sans délai de préavis de leurs relations contractuelles

-débouter en conséquence la société Patrigel de sa demande d'indemnité de rupture à hauteur de 303 553 euros, outre celle de 37 427 euros à titre de préavis, ces demandes n'étant ni justifiées ni fondées

Plus subsidiairement encore,

-dire et juger qu'elle est fondée à opposer à la société Patrigel la prescription quinquennale issue de l'application de l'article L.442-6-1 5° du Code de commerce

-dire et juger, en tout état de cause, qu'elle justifie à l'encontre de la société Patrigel d'une faute grave de nature à justifier une rupture sans préavis de leurs relations contractuelles

-dire et juger enfin que le délai de préavis de résiliation invoqué par la société Patrigel ne saurait s'établir à deux ans

En conséquence,

-débouter la société Patrigel de sa demande d'indemnité à hauteur de 308.683 euros

-condamner en revanche la société Patrigel à lui verser la somme de 20.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile

-la condamner aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP T. B. O.-F. D., avocat, sur son affirmation de droit.

Elle conteste à titre principal la qualité d'agent commercial en soutenant qu'il n'existe aucun mandat écrit ; que même si l'accord contesté d'avril 2003 devait être retenu, ses termes ne sont pas clairs, et qu'il appartient au juge du fond de rechercher la commune intention des parties ; que l'activité exercée par la société Patrigel en qualité de commerçant n'est pas étrangère à son activité de mandataire. Elle explique qu'elle s'est aperçue peu à peu que la société Patrigel négligeait la représentation de ses produits auprès de la clientèle et se comportait en fait comme un concurrent direct ; que des échanges sur les problèmes de déloyauté sont intervenus plusieurs mois avant la rupture (14 décembre 2007 ' 18 janvier 2008) ; que les ventes étaient en baisse constante ; qu'elle savait certes que la société Patrigel se présentait comme importateur exclusif pour le compte d'autres mandants mais ignorait qu'elle entendait importer des produits directement concurrents pour les commercialiser elle-même auprès de ses clients ; que l'appelante ne peut donc prétendre qu'il s'agit d'une activité purement complémentaire. Elle conteste le contrat d'avril 2003 et soutient que le seul fait que des pourparlers aient été entamés démontre que le contrat d'agent commercial n'était plus adapté, mais aussi qu'il s'était nové en un contrat de distribution qui a été brutalement remis en cause du jour où la société Patrigel s'est transformée en concurrent direct en achetant un entrepôt et en proposant ses propres produits ; que le tribunal a fait une exacte analyse des faits en relevant que les relations avaient considérablement évolué, au point que la société Patrigel avait décidé de devenir elle-même un acheteur/revendeur, de sorte qu'elle n'avait plus le statut d'agent commercial à la date de rupture du contrat. A titre subsidiaire, elle soutient que l'appelante a commis une faute grave (actes de déloyauté réitérés, désaffection délibérée de la société Patrigel dans l'exercice de son mandat, agissements frauduleux) qui justifie la rupture sans indemnités. Elle fait valoir enfin qu'elle est fondée à opposer à la société Patrigel la prescription quinquennale issue de l'application de l'article L.442-6-1 5° du Code de commerce.

La société Eurofroid a notifié le 28 octobre 2016 de nouvelles conclusions dont la société Patrigel, par conclusions notifiées le 31 octobre 2016, soutient l'irrecevabilité en raison de leur tardiveté.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 31 octobre 2016.

Motifs :

Sur l'irrecevabilité des dernières conclusions de la société Eurofroid :

Selon l'article 15 du Code de procédure civile, les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense.

L'appelante fait valoir que les nouvelles conclusions et pièces de la société Eurofroid, notifiées par l'intimée le 28 octobre 2016 alors que la clôture était fixée de longue date au 31 octobre 2016, sont tardives.

La société Eurofroid ne fournit aucune explication sur la tardiveté de ces conclusions, qui comportent, sinon des prétentions, au moins des moyens nouveaux par rapport à celles qui leur ont précédé, et auxquelles surtout sont jointes plusieurs nouvelles pièces sur lesquelles l'appelante n'a pas été en mesure de faire des observations. Ces conclusions et pièces, déposées le vendredi 28 octobre 2016 alors que la clôture était fixée au lundi 31 octobre 2016 à 09 heures, et auxquelles la partie adverse n'a pas pu répondre, ne l'ont donc pas été en temps utile au sens de l'article 15. Elles seront en conséquence déclarées irrecevables.

Sur la demande principale en paiement :

Le litige pose à la fois la question de la nature du contrat unissant les parties et celle de l'indemnisation du préjudice subi par la société Patrigel du fait de la rupture des relations.

Sur la nature du contrat :

L'appelante soutient à titre principal que le contrat qui la liait à la société Eurofroid depuis 1989, et jusqu'à la rupture des relations, était un contrat d'agent commercial.

La société Eurofroid le conteste en faisant valoir qu'il n'existe aucun mandat écrit ;que même si l'accord contesté d'avril 2003 devait être retenu, ses termes ne sont pas clairs, de sorte qu'il appartient au juge du fond de rechercher la commune intention des parties ; que l'activité exercée par la société Patrigel en qualité de commerçant n'est pas étrangère à son activité de mandataire ainsi qu'en atteste son attitude équivoque vis à vis du client Toupargel.

Selon l'article L.134-1 du Code de commerce, l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et éventuellement de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux.

Le contrat d'agent commercial est un contrat de nature civile, dont l'existence n'est pas subordonnée à un écrit. L'application de ce statut ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties dans le contrat (lorsqu'il existe), ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions dans lesquelles l'activité est effectivement exercée. Ainsi le statut d'agent commercial, d'ordre public, s'applique-t-il dès lors que l'activité du mandataire répond à cette définition. Tout intermédiaire qui reçoit des commandes de clients et qui perçoit une commission sur les ventes réalisées est un agent commercial.

En l'espèce, les parties s'accordent sur le fait qu'aucun contrat n'a été signé au début de leurs relations. Quant à l'accord tant controversé du 23 avril 2003, dont l'authenticité reste contestée et incertaine, il sera écarté, aucune conclusion ne pouvant en être tirée quant à la nature du contrat à la date de la rupture des relations.

Il ressort des pièces versées aux débats que pendant de 1989 et jusqu'en 2008, la société Patrigel a démarché pour la société Eurofroid et vendu pour le compte de la société Eurofroid des produits Eurofroid. Sur sa carte de visite, le directeur de la société Patrigel se présentait comme agent commercial de la société Eurofroid. Les factures étaient émises au nom des clients par la société Eurofroid, laquelle versait ensuite à la société Patrigel des commissions calculées en pourcentage du chiffre d'affaires facturées par la société Patrigel à partir des états de facturation clients communiqués par la société Eurofroid. Ce fonctionnement correspond strictement à celui de l'agence commerciale.

C'est à bon droit que l'appelante soutient que le fait qu'elle ait développé par ailleurs d'autres mandats portant sur des produits non concurrents de ceux vendus par Eurofroid, et qu'elle ait exercé une activité propre d'acheteur/revendeur portant sur des produits non commercialisés par Eurofroid et donc distincts de ceux objet de son contrat d'agent commercial, ne porte pas nécessairement atteinte à ce statut. En effet, rien n'interdit à l'agent commercial, dont l'activité est civile, d'avoir par ailleurs une activité commerciale dès lors que cette activité demeure étrangère à l'activité civile. Il n'existe aucune incompatibilité de plein droit.

Il convient de relever par ailleurs que jusqu'à la fin des relations, et y compris dans le courrier de rupture de la société Eurofroid, les parties ont utilisé le terme de représentant pour désigner la société Patrigel, terme figurant tant sur les facturations de la société Patrigel que dans les courriers de la société Eurofroid qui parle elle-même de représentant, mandataire, agent commercial, dans ses courriers des 18 janvier et 03 juin 2008 et 20 juin 2008 où elle rompt le contrat d'agent commercial au visa de l'article L.134-13 du Code de commerce. Il en est de même dans sa lettre circulaire aux clients du 25 juin 2008, et dans ses conclusions devant le tribunal où elle invoquait des manquements graves de nature à justifier la rupture à effet immédiat de son contrat d'agent commercial. Si ces considérations ne sont pas de nature à emporter la qualification du contrat, elles ont néanmoins le mérite d'éclairer la commune intention des parties tout au long de leurs relations.

Ces éléments, non contestés par l'intimée, permettent de caractériser le statut d'agent commercial de la société Patrigel qui reproche à bon droit au tribunal d'avoir considéré que le contrat avait changé de nature au cours des dernières années alors que personne ne l'a dénoncé et que le fonctionnement est resté le même. Jusqu'à l'incident de mai 2008 qui a déclenché la rupture, aucun incident sérieux n'est rapporté qui soit susceptible de remettre en cause la nature du contrat. Même si les rapports avaient évolué et que la société Patrigel, depuis fin 2007 au moins, avait donné une nouvelle ampleur à sa propre activité de négoce, le phénomène était récent et n'avait pas encore véritablement impacté les relations entre les deux sociétés qui revêtaient encore, en juin 2008, les caractéristiques de l'agence commerciale. Le jugement qui en a décidé autrement sera donc infirmé.

Sur les indemnités dues :

L'appelante soutient qu'elle est fondée à réclamer une indemnité de préavis et une indemnité de rupture par application des dispositions des articles L.134-11 al.2 et 3 du Code de commerce devis dont les dispositions sont d'ordre public et auxquelles il ne peut être dérogé sauf à démontrer une faute grave dont la société Eurofroid ne rapporte pas la preuve. Elle allègue que des fautes ponctuelles concernant le cas particulier de quelques clients ne constituent pas une faute grave au sens de ces articles. Elle conteste toute déloyauté en relevant que l'intimée lui reproche un fait unique dans le courrier de résiliation, fait qu'elle avait porté à sa connaissance en toute transparence et qui a donné lieu à plusieurs échanges, de sorte que la société Eurofroid ne peut prétendre avoir été mise devant le fait accompli ni qualifier ces contacts de cas flagrants de concurrence déloyale ; que la position adoptée par l'intimée est d'autant plus fautive que la société Eurofroid s'est prévalue du même fait dans sa mise en garde du 02 juin 2008 que dans son courrier de résiliation du 20 alors qu'aucun élément nouveau n'était intervenu entretemps. Elle soutient qu'en tout état de cause, ce fait unique en 20 ans de relations commerciales ne saurait être qualifié de faute grave. Elle fait valoir par ailleurs qu'en l'absence d'objectifs de vente convenue, la baisse du chiffre d'affaires, qu'au demeurant elle conteste, ne constitue pas une faute grave.

Selon les articles L.134-11 al.2 et 3 du Code de commerce, lorsque le contrat d'agence est à durée indéterminée, chacune des partie peut y mettre fin moyennant un préavis dont la durée est d'un mois pour la première année du contrat, de deux mois pour la deuxième année commencée, et de trois mois pour la troisième année commencée et les années suivantes.

L'article L.134-12 alinéa 1 du même Code dispose qu'en cas de cessation avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.

Cette indemnité, dont le montant est établi par référence aux commissions brutes perçues par l'agent, en général sur une durée de deux ans, est due à l'agent commercial sauf si la cession intervient sur son initiative ou si elle est provoquée par sa faute grave.

C'est au mandant qui l'invoque de rapporter la preuve non seulement de la faute mais de son extrême gravité, rendant impossible le maintien du lien contractuel.

La société Eurofroid, en l'espèce, s'oppose aux demandes indemnitaires en soutenant que la faute grave de la société Patrigel justifie la rupture immédiate, sans indemnités ni délai de préavis, de leurs relations contractuelles. Elle reproche à l'appelante à la fois des actes de déloyauté (activité concurrente déloyale cf incident Toupargel), une désaffection délibérée de la société Patrigel dans l'exercice de son mandat (cf baisse du chiffre d'affaires) et des agissements frauduleux (factures falsifiées). Elle soutient qu'en tout état de cause, l'appelante ne peut prétendre à aucune indemnisation dès lors qu'elle est à l'origine du fait générateur du droit à indemnité puisqu'en privilégiant la vente de ses produits, elle a rendu impossible la poursuite de l'activité développée initialement dans l'intérêt commun des parties. Elle allègue enfin que l'indemnité doit être calculée sur la base des montants des rémunérations acquises lors de l'activité développée dans l'intérêt commun des parties ; que le préjudice est inexistant si le mandataire continue à prospecter la même clientèle ; qu'en l'espèce, une part non négligeable du chiffre d'affaires de l'appelante est constituée par les ventes qu'elle réalisait elle-même tant auprès des clients de la société Eurofroid qu'auprès d'Eurofroid elle-même, de sorte que son préjudice est contestable.

Le grief tiré d'agissements frauduleux, est trop ancien, et insuffisamment caractérisé, pour caractériser une faute grave au sens de l'article L.134-12.

S'agissant de la baisse alléguée de son chiffre d'affaires, c'est à bon droit que la société Patrigel lui oppose que la baisse du chiffre d'affaires, qu'au demeurant elle conteste, ne constitue pas une faute grave en l'absence de clause fixant des objectifs de résultat. En tout état de cause, même si les chiffres confirment cette baisse (chiffre de commissions enregistrées en 2005 : 172 016,42 euros ; en 2006 : 148.789,86 euros ; en 2007 : 126 679,51 euros ; en 2008 : 75 672,78 euros), la preuve n'est pas rapportée que la société Patrigel aurait assuré prioritairement le placement de ses propres produits et que la baisse alléguée est la conséquence de son désintérêt pour les produits commercialisés par sa mandante.

Plus sérieux apparaît le grief tenant à des actes de déloyauté. Il ressort des débats, et des courriers échangés par les parties (notamment courriers des 14 décembre 2007 et 18 janvier 2008) que la société Patrigel a manifesté à partir de septembre 2007 l'ambition de développer et de diversifier son activité commerciale (achat d'un entrepôt frigorifique ; diversification des produits proposés à la clientèle etc), de sorte que l'activité exercée par elle en qualité de commerçant menaçait d'empiéter sur son activité de mandataire et était, à terme, incompatible avec son statut d'agent commercial. L'incident avec le client Toupargel constitue le révélateur de cette incompatibilité. La rupture est en effet intervenue à la suite d'une visite de la société Patrigel, en qualité d'agent commercial de la société d'Eurofroid, à la société Toupargel le 21 mai 2008. Au cours de cette visite, le client, invoquant des motifs économiques, a demandé à la société Patrigel de lui faire une offre directement, ce qu'elle a accepté. C'est à bon droit que l'intimée soutient qu'elle aurait dû refuser cette demande. Même si elle n'est pas à l'origine de cette demande, le simple fait qu'à l'occasion d'une visite pour le compte d'Eurofroid, un client de son mandant lui ait demandé de lui faire une offre directement, atteste du fait que sa propre activité s'exerçait au détriment de son activité d'agent commercial puisqu'elle se positionnait, aux yeux de ce client, comme un concurrent de son mandant. Et le fait qu'elle ait accepté de lui faire une offre, sans chercher à défendre les intérêts de son mandant, constitue un acte de déloyauté.

Ce manquement, qui rend inéluctable la rupture des relations commerciales telles qu'elles existaient, ne revêt pas en revanche le caractère d'une faute suffisamment grave pour justifier une rupture sans indemnités ni préavis dans la mesure où la société Patrigel en a spontanément informé la société Eurofroid, et où c'est le premier incident grave de cette nature, les autres griefs invoqués apparaissant soit trop anciens soit trop anodins pour caractériser un comportement déloyal, et la société Eurofroid n'ayant jamais justifié des autres agissements similaires qu'elle prétend dans son courrier avoir découverts.

La société Patrigel est donc en droit de prétendre à une indemnité dont le montant doit cependant être minoré dans la mesure où elle a sa part de responsabilité dans cette rupture, conséquence inéluctable de sa volonté de développer une activité commerciale qui a rendu impossible la poursuite de l'activité développée initialement dans l'intérêt commun des parties.

Il y a lieu en conséquence de condamner la société Eurofroid à lui payer : la somme de 37 427 euros au titre du préavis, correspondant à trois mois de commissions moyennes sur la base des trois dernières années et demie de commissions perçues ; celle de 149 708 euros au titre de l'indemnité de résiliation prévue à l'article L-134-12 du Code de commerce, soit 50 % de l'indemnité calculée à partir de deux années de commissions versées par la société Eurofroid, prenant en compte tous les éléments de la rémunération pendant l'exercice du contrat sans qu'il y ait lieu de distinguer si elle provient de clients préexistants au contrat ou au contraire apportés par l'agent, outre 50 % du coût de réimpression de la plaquette publicitaire (2 068,50 euros), soit une somme totale de 151 776,50 euros.

Conformément à la demande de l'appelante, ces sommes produiront intérêts au taux légal à compter de la première mise en demeure du 23 mars 2009 et seront capitalisées dans les conditions de l'article 1154 du Code civil, soit à compter du 23 mars 2010.

Sur les demandes accessoires :

Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de la société Patrigel les sommes exposées par elle dans le cadre de la procédure de première instance et d'appel et non comprises dans les dépens. La société Eurofroid sera condamnée à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Eurofroid qui succombe en ses prétentions sera condamnée aux entiers dépens de l'instance d'appel.

Par ces motifs : La Cour, statuant, contradictoirement et en dernier ressort, Déclare irrecevables les conclusions de la société Eurofroid en date du 28 octobre 2016, Infirme le jugement du tribunal de grande instance de Bergerac en date du 29 mai 2015, Statuant à nouveau, Qualifie de contrat d'agent commercial le contrat liant la société Patrigel à la société Eurofroid jusqu'en juin 2008, Condamne la société Eurofroid à payer à la société Patrigel les sommes de : -37 427 euros au titre du préavis ; -151 776,50 euros au titre de l'indemnité de résiliation et du coût de réimpression de la plaquette publicitaire (149 708 euros + 2 068,50 euros), Dit que ces sommes produiront intérêts au taux légal à compter de la première mise en demeure du 23 mars 2009 et seront capitalisées dans les conditions de l'article 1154 du Code civil, soit à compter du 23 mars 2010, Condamne la société Eurofroid à payer à la société Patrigel la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Eurofroid aux entiers dépens de la procédure de première instance et d'appel dont recouvrement direct au profit de la SCP Michel P., avocat au Barreau de Bordeaux qui en fait la demande.