CA Lyon, 1re ch. civ. B, 3 janvier 2017, n° 15-01036
LYON
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Rouillet Thierry (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Carrier
Conseillers :
Mme Guigue, M. Ficagna
EXPOSE DE L'AFFAIRE
Selon devis estimatif du 22 décembre 2004, M. Jean L. et Mme Christine B. épouse L. ont commandé à la société R. Thierry" électricité - chauffage - sanitaire - climatisation ", " l'installation d'un chauffage central par centrale d'eau glacée réversible ", de type pompe à chaleur, modèle " Aermec AN 1007 HAE ".
L'installation a été réalisée, mise en fonctionnement et réglée en totalité par les époux L. selon facture du 30 décembre 2005.
Se plaignant de l'incapacité de l'installation à chauffer leur habitation, les époux L. se sont adressés à leur assureur de protection juridique, la société Juridica, laquelle a désigné la société Cyndexia aux fins d'expertise amiable.
Ensuite des opérations qui se sont déroulées le 20 janvier 2012, les époux L. et la société R. ont conclu un protocole d'accord aux termes duquel ils ont convenu :
- que la société R. s'engageait à intervenir en réparation et réglage de l'installation pour une mise en service opérationnelle avant fin janvier 2012,
- qu'à l'issue de la remise en service du chauffage, un relevé des températures dans la maison serait être réalisé au quotidien jusqu'à fin mars 2012, la pompe à chaleur assurant seule le chauffage de la maison,
- qu'à l'issue de la période d'observation des températures, les maîtres d'ouvrage accorderaient, si les résultats étaient satisfaisants, un quitus d'intervention à l'entreprise R.,
- dans le cas où l'intervention de l'entreprise R. n'apporterait pas satisfaction, le protocole deviendrait caduc.
Par acte du 4 février 2013, M. Jean L. et Mme Christine B. épouse L. ont assigné la société R. Thierry devant le tribunal de grande instance de Villefranche-sur-Saône à l'effet d'obtenir à titre principal la nullité de la vente pour dol, en raison de la livraison d'un appareil de puissance inférieure à celui convenu initialement, et à titre subsidiaire sa condamnation pour manquement à son obligation contractuelle.
La société R. Thierry a conclu au débouté des prétentions adverses, faisant valoir qu'il avait été convenu en accord avec les époux L. de la livraison d'un appareil Aermec "AN 907 HAE" au lieu d'un appareil Aermec "AN 1007 HAE", le premier étant suffisamment puissant.
Par jugement du 23 octobre 2014, le tribunal de grande instance de Villefranche sur Saône a :
- prononcé la nullité de la vente de la centrale type pompe à chaleur avec station hydraulique et appoint électrique modèle Aermec AN 1007 HAE pour un prix de 12 751,00 euros hors taxe pour dol,
- condamné la société R. Thierry à restituer le prix de la vente à M. Jean L. et Mme Christine B. épouse L., soit la somme de 15 250,196 euros avec intérêts au taux légal, à compter de la signification de la présente décision,
- condamné la société R. Thierry à payer à M. Jean L. et Mme Christine B. épouse L. la somme de 2 500 euros au titre du trouble de jouissance,
- condamné la société R. Thierry à payer à M. Jean L. et Mme Christine B. épouse L. la somme de 4 000 euros au titre de l'indemnisation de la surconsommation d'électricité,
- condamné la société R. Thierry aux entiers dépens,
- condamné la société R. Thierry à payer à M. Jean L. et Mme Christine B. épouse L. la somme de 1 200 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire.
Le tribunal a retenu que la société R. Thierry, qui était un professionnel connaissant parfaitement les produits qu'elle vendait, avait trompé les acheteurs en installant sciemment un appareil avec des caractéristiques moins performantes que celui commandé initialement.
La société R. Thierry a relevé appel de ce jugement.
Elle demande à la cour de :
Vu les articles 1787 et 1792-6 du Code civil, 1109 et 1116 du Code civil, 12 et 564 du Code de procédure civile,
À titre principal,
- qu'elle ne présente aucune prétention nouvelle,
- de réformer le jugement déféré dans toutes ses dispositions,
- de débouter les époux L. de l'intégralité de leurs demandes.
À titre subsidiaire,
- de dire que les époux L. doivent restituer le matériel installé, en nature ou par équivalent monétaire, pour un montant de 16 000 euros,
- de débouter les époux L. de leurs demandes au titre de ces deux préjudices.
En tout état de cause,
- de condamner les époux L. au paiement d'une indemnité de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- de condamner les mêmes aux entiers dépens de première instance et d'appel en admettant pour ces derniers la SCP A.N., avocats, au bénéfice de l'article 699 du Code de procédure civile.
Elle soutient :
- que le contrat conclu est un contrat d'entreprise,
- que la réception de l'ouvrage a été faite sans réserve,
- que le type de l'appareil installé était apparent sur la carrosserie du matériel,
À titre subsidiaire,
- qu'aucune manœuvre dolosive n'a déterminé le consentement des époux L.,
- que la preuve d'un trouble de jouissance ou d'un préjudice financier n'est pas rapportée.
M. Jean Ludovic L. et Mme Christine B. épouse L. demandent à la cour:
Vu l'article 564 du Code de procédure civile , vu les articles 1116 et suivants du Code civil
In limine titis,
- de déclarer irrecevables les demandes nouvelles de la société R., en ce qu'elle sollicite, pour la première fois, en cause d'appel, la qualification du contrat en un contrat d'entreprise et non de vente et que soit constatée l'acceptation sans réserve du matériel par les époux L., afin de les débouter de l'ensemble de leurs demandes,
À titre principal,
- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé la nullité du contrat de vente en application de l'article 1116 du Code civil,
- de prononcer la restitution du prix de ce système du chauffage central- climatisation type pompe à chaleur avec station hydraulique et appoint électrique et de ses accessoires, pour une somme de 17 769, 365 euros TTC avec intérêts au taux légal, à compter de la délivrance de la présente,
À titre subsidiaire,
- de constater que la société R. Thierry a failli à son obligation contractuelle, en installant un chauffage central-climatisation type pompe à chaleur avec station hydraulique et appoint électrique modèle Aermec "AN 907 HA", alors qu'elle s'était engagée à installer un modèle Aermec "AN 1007 HAE" avec des caractéristiques supérieures, à l'appareil qu'elle a réellement installé, et en surfacturant un appareil moins coûteux et moins performant,
- de condamner la société Thierry R. à leur verser en réparation du système de chauffage climatisation Aermec "AN 907 HA", une somme de 15 000 euros,
En tout état de cause,
- de condamner la société R. Thierry à leur verser une somme de 12 000 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation de leur très grave trouble de jouissance, outre celle de 8 000 euros en réparation de leur préjudice financier en raison de leur surconsommation d'électricité, depuis la pose de la pompe à chaleur, et celle de 3 000 euro, en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- de condamner la société R. Thierry aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Ils soutiennent :
- que la demande de qualification du contrat pour la première fois, en cause d'appel en un contrat d'entreprise et non de vente est une demande nouvelle irrecevable au sens de l'article 564 du Code de procédure civile,
- que si une prestation de montage a été convenue entre les parties, elle se trouve particulièrement limitée au regard de la fourniture des éléments à monter, la société R. Thierry devant simplement fournir une prestation de pose, sans aucune particularité correspondant à une installation d'un appareil pompe à chaleur standard fabriqué en série, de sorte que le contrat est un contrat de vente,
- que s'ils avaient connu les performances et les caractéristiques du chauffage central-climatisation type pompe à chaleur avec station hydraulique et appoint électrique modèle Aermec " AN 907 HA ", réellement installé en lieu et place du modèle Aermec "AN 1007 HAE " ils n'auraient jamais acheté cet appareil à la société Thierry R.,
- qu'en effet les données techniques qu'ils se sont procurées donnent une puissance thermique de :
22,7 kW, pour le modèle Aermec "AN 907 HA",
29,5 kW, pour le modèle Aermec "AN 1007 HAE",
Un débit d'eau de :
3.900 l / h, pour le modèle Aermec "AN 907 HA",
5.070 l / h, pour le modèle Aermec "AN 1007 HAE".
- que la société R. leur a fait croire qu'ils achetaient le modèle Aermec "AN 1007 HAE", alors même qu'elle ne leur fournissait que le modèle inférieur, Aermec "AN 907 HA",
- que la faute volontaire de la société R. Thierry est constitutive d'un dol,
- qu'ils ont subi un trouble de jouissance extrêmement grave, ne parvenant pas à faire fonctionner correctement ce système de chauffage et subissant des températures anormalement basses dans leur maison entre 10 et 15 °,
- qu'en tout état de cause, la société R. Thierry a failli à son obligation contractuelle,
- que c'est la société R. Thierry qui est intervenue pour raccorder les locaux professionnels par un ensemble de vanne pour chauffage cuve de vinification et tuyauterie cuivre polyéthylène et PVC avec tous accessoires" est le fait de la société R. elle-même pour un prix de 320 HT.
Motifs
Sur l'irrecevabilité soulevée par les époux L. sur le fondement de l'article 564 du Code de procédure civile :
La société R. Thierry qui demande en appel comme en première instance, le débouté des époux L., ne formule aucune prétention nouvelle, se bornant à développer de nouveaux moyens
En conséquence, les époux L. seront déboutés à cet égard.
Sur la qualification du contrat :
Le contrat au terme duquel un professionnel s'engage à livrer et poser un matériel "standard" n'ayant subi aucune modification pour répondre à une demande spécifique de l'acquéreur, comme en l'espèce, est un contrat de vente, surtout lorsqu'en l'espèce, le coût du matériel est près du double du coût de la main d'œuvre.
Sur le dol :
Le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des manœuvres ou des mensonges ou par la dissimulation intentionnelle d'une information déterminante pour l'autre partie.
Les époux L. font valoir que la société R. Thierry leur a fait croire qu'ils achetaient le modèle Aermec "AN 1007 HAE", alors même qu'elle ne leur fournissait que le modèle inférieur, Aermec "AN 907 HA".
Or les époux L. ne justifient d'aucune manœuvre ou ni de mensonges de la part de la société T. Thierry, au moment de l'échange des consentements.
Ainsi ils n'établissent pas que la société R. savait au jour de la vente, que l'appareil qui serait livré quelques mois plus tard ne serait pas conforme à la commande.
D'autre part, ils ne justifient aucunement que la performance de l'appareil livré soit insuffisante pour chauffer leur habitation.
Le rapport " d'expertise amiable" ne dit rien de la cause du dysfonctionnement et n'impute pas l'insuffisance des températures alléguée par les époux L. à une insuffisance de puissance de l'appareil.
Il d'ailleurs préférable de disposer d'un appareil adapté plutôt que sur dimensionné.
Le fait que l'appareil livré soit de type différent n'a pas été non plus déterminant du consentement.
En effet, aux termes du protocole d'accord conclu ensuite de la réunion d'expertise, il a été convenu une "réparation" et un "réglage' de l'installation livrée pour une mise en service opérationnelle avant fin janvier 2012", ce qui n'aurait pas été envisagé si le dysfonctionnement avait pour cause un manque de puissance de l'appareil.
L'expertise mentionne par ailleurs, qu'en ce qui concerne la "non-conformité de l'appareil installé par rapport à celui facturé, Mme et M. L. consentent à le conserver le matériel à "condition que celui-ci leur donne satisfaction" ce qui démontre bien que la référence de l'appareil n'était pas déterminante.
Enfin, il sera constaté que la notice technique produite par les époux L., montre que la gamme Aermec comprend des appareils AN "'907'", AN "'1017'" etc. et ne comprend pas d'appareil ayant pour référence AN 1007 de sorte que les performances de cet appareil, s'il a existé au catalogue, ne sont pas connues.
En conséquence, la preuve d'un dol n'est pas rapportée.
Sur la demande subsidiaire sur le fondement de l'article 1147 du Code civil
Les époux L. soutiennent que la société R. Thierry avait une "obligation de résultat", que l'appareil livré est différent, que les températures sont insuffisantes et ils en déduisent que la cour "ne pourra qu'allouer" des dommages et intérêts.
Toutefois les obligations du vendeur sont définies par les dispositions spéciales des articles 1603 et suivants du Code civil (obligation de délivrance conforme ou vice caché) qui ne sont pas invoquées spécifiquement par les époux L.
Ils n'invoquent pas explicitement de manquements de la société R. à ses obligations d'information ou de conseil.
En tout état de cause, s'il est exact que l'appareil livré n'est pas conforme à celui mentionné dans la commande, il convient de constater que cet appareil comportait une plaque d'identification mentionnant sa référence de sorte que le défaut de conformité était apparent.
D'autre part, les attestations produites par les époux L. émanent de connaissances et de membres de leur famille ayant constaté des températures basses à leur domicile.
Cependant, ces attestations sont datées de 2012 à 2015, soit près de 7 ans après l'installation et ne sont pas suffisamment précises sur la période 2005 à 2011 et le relevé ponctuel des températures par des personnes de passage ne permet pas de pallier l'absence de tests techniques sur l'appareil.
Il sera relevé que l'installation a fonctionné pendant 6 hivers sans que les époux L. ne justifient pendant cette période de courriers de doléances qu'ils auraient adressés à la société R..
Les époux L. produisent également le rapport de l'expert qui indique que la pompe à chaleur ne parvient pas à chauffer l'habitation, que les caractéristiques du matériel installé sont inférieures à celles du matériel facturé et qu' "en l'état des éléments recueillis et des constats réalisés, la société R. n'a pas réalisé son obligation de résultat"
Ces conclusions expertales, très sommaires, sont insuffisantes pour imputer les dysfonctionnements allégués à un manque de puissance de l'appareil installé, en l'absence de tests de fonctionnement.
Cette "expertise" ne permet pas de dire si l'appareil est défectueux, si sa pose comporte des malfaçons, si l'installation était adaptée ou non à l'usage auquel il était destiné au reagard de ses performances, et ce alors que la société R. Thierry fait observer que les époux L. ne justifient pas d'un entretien régulier de leur appareil après 7 années de fonctionnement.
Par ailleurs, l'expert ne fait état d'aucun manquement à une obligation d'information ou de conseil sur le choix de l'installation.
Enfin, il convient de relever que les époux L. demandent l'allocation de dommages et intérêts :
- pour la "réparation de la pompe à chaleur", alors qu'ils ne rapportent pas la preuve d'une défectuosité de l'appareil, qu'ils ne fournissent aucun devis, et qu'ils soutiennent que cette pompe à chaleur n'est pas suffisamment performante,
- pour un surcoût de dépense d'électricité, alors que ce surcoût n'est pas évaluable par le seul examen des factures d'électricité qu'ils produisent.
Au vu de ces éléments, les époux L. ne rapportent pas la preuve d'un préjudice.
Sur l'article 700 du Code de procédure civile
L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : La Cour, Infirme le jugement déféré, statuant de nouveau, - Déboute M. Jean Ludovic L. et Mme Christine B. épouse L. de leurs prétentions, - Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile, - Condamne M. et Mme L. aux dépens de première instance et d'appel, distraits au profit de la société A.-n., avocate, sur son affirmation de droit.