CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 18 janvier 2017, n° 14-08437
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Euro Media Diffusion (SARL)
Défendeur :
ITM Alimentaire International (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Luc
Conseillers :
Mme Mouthon-Vidilles, M. Thomas
Avocats :
Mes Teytaud, Mergui, Olivier, Beaumont
Faits et procédure
La société Euro Media Diffusion (ci-après "EMD") assure la commande en gros de produits cosmétiques et accessoires de beauté d'une part, et de bougies d'autre part, essentiellement à destination de la grande distribution en France et en Europe.
Les sociétés SCA Produits d'entretien (ci-après SCA PE) et SCA Loisirs et Arts Ménagers (ci-après SCA LAM) sont deux centrales d'achat du groupement des Mousquetaires, spécialisée pour la seconde dans les produits de bazar et de décoration. Suite à une opération de restructuration, la société ITM Alimentaire International (ci-après "ITM") est venue aux droits de ces deux sociétés.
En 2006, la société EMD a commencé à travailler avec le groupement des Mousquetaires et ses différentes enseignes. Elle voyait ainsi ses produits référencés par la SCA Produits d'entretien et la SCA Loisirs et Arts Ménagers. Les produits acquis par ces deux centrales étaient diffusés auprès des différentes enseignes du groupe, à savoir Ecomarché, Intermarché et Netto. Il s'agissait d'achats saisonniers, pour la période de Noël, les centrales d'achat définissant des thèmes et sélectionnant leurs fournisseurs.
En application des dispositions de l'article L. 441-7 du Code de commerce, les sociétés EMD et SCA PE et SCA LAM ont conclu des contrats-cadres, dénommés "conventions d'affaires", chacun d'une durée limitée à une année, ainsi que le prescrit l'article précité. Ces contrats-cadres, complétés par des contrats d'application, ont notamment vocation à décrire les différents services que les SCA seraient susceptibles de rendre au fournisseur EMD dans le cadre d'opérations promotionnelles organisées et mises en œuvre par elles dans le réseau de points de vente arborant les enseignes Intermarché, Ecomarché et Netto, ainsi que la rémunération de ces services. Ces services consistent, notamment, dans la mise en avant des produits du fournisseur dans des prospectus publicitaires relayant les différentes opérations promotionnelles.
Un différend est apparu entre les sociétés EMD et SCA PE concernant la facturation de services rendus par la SCA au titre de l'année 2008. La société EMD a prétendu que la facture n° F0940700658 de la SCA PE d'un montant HT de 110 050,48 euros, correspondant à la rémunération des services rendus par la SCA PE au titre de la convention d'affaires 2008, devrait être réduite d'un montant HT de 43 674,44 euros pour être ramenée à une somme HT de 66 376,04 euros, se fondant sur un accord qui aurait été donné au téléphone par l'un des acheteurs de la SCA PE pour déroger à l'avenant à la convention d'affaires 2008 et réduire la rémunération de cette dernière (dans le cadre de l'insertion de la mallette de maquillage "Amour 814", commercialisée par EMD, dans des prospectus publicitaires diffusés pour les fêtes de fin d'année en 2008).
La SCA PE a proposé à EMD, en août 2011, de convenir d'un règlement amiable du différend les opposant. La SCA PE envisageait, dans ce cadre, de renoncer au règlement de ses factures pour les services rendus en 2008 à hauteur d'une somme TTC d'environ 80 000 euros, sous condition de la reprise des stocks de coffrets de Noël 2010 invendus. Cette proposition de la SCA PE d'août 2011 a été transposée dans un projet de protocole transactionnel qui a été discuté avec EMD lors d'une réunion qui s'est tenue le 6 septembre 2011. EMD a refusé de signer cet accord, par une lettre du 13 septembre 2011.
Entre temps, en avril 2011, la société EMD n'a pas été sélectionnée comme fournisseur par les centrales d'achat, pour Noël 2011.
La société EMD soutient alors que par la suite, plus aucune commande n'a été passée par la SCA Produits d'entretien et par la SCA Loisirs et Arts Ménagers. Elle estime donc avoir été victime d'une rupture brutale des relations commerciales établies avec ces centrales d'achat du groupement des Mousquetaires. Après l'envoi d'une mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception du 13 septembre 2011, elle a assigné ITM, venant aux droits de ces deux sociétés, devant le Tribunal de commerce de Paris le 30 mai 2012, en paiement de factures, rupture brutale des relations commerciales établies et abus de dépendance économique.
Par jugement du 12 mars 2014, le Tribunal de commerce de Paris a, sous le régime de l'exécution provisoire :
- débouté la société EMD de toutes ses demandes d'indemnisation,
- condamné la société EMD à payer à la société ITM Alimentaire International venant aux droits de la société SCA Produits d'entretien ainsi qu'aux droits de la SCA Loisirs et Arts ménagers Ménagers la somme de 194 656,08 euros au titre des factures impayées de la SCA Produits d'entretien de 2010,
- condamné la société EMD à payer à la société ITM Alimentaire International venant aux droits de la société SCA Produits d'entretien ainsi qu'aux droits de la SCA Loisirs et Arts Ménagers 120 479,77 euros au titre des factures impayées de la SCA Loisirs et Arts Ménagers de 2010,
- condamné la société ITM Alimentaire International venant aux droits de la SCA Produits d'entretien ainsi qu'aux droits de la société SCA Loisirs et Arts Ménagers à payer la somme de 292 855,79 euros à la société EMD, au titre des factures impayées outre intérêts au taux légal à compter du 13 septembre 2011 jusqu'à parfait paiement, déboutant pour le surplus,
- débouté la société ITM Alimentaire International venant aux droits de la SCA Produits d'entretien ainsi qu'aux droits de la SCA Loisirs et Arts Ménagers de sa demande reconventionnelle de paiement des factures litigieuses de la SCA Produits d'entretien relatives à 2008 d'un montant de 80 334,80 euros,
- débouté la société ITM Alimentaire International venant aux droits de la SCA Produits d'entretien ainsi qu'aux droits de la société SCA Loisirs et Arts Ménagers de sa demande de compensation,
- débouté chaque partie de sa demande d'indemnisation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- dit les parties mal fondées en leurs demandes autres, plus amples ou contraires au présent jugement et les en déboute,
- condamné chaque partie, par moitié, aux dépens du présent jugement, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 105,84 euros dont 17,42 euros de TVA.
Le tribunal a souligné le caractère très particulier des relations commerciales entre les parties, matérialisées par une seule commande annuelle en fin d'année, le prestataire étant sélectionné après appel à la concurrence. Le tribunal de commerce relève qu'existait, de ce fait, un aléa sur la pérennité des relations commerciales et estime donc que celles-ci n'étaient pas "établies" au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce. Le tribunal juge par ailleurs que la dépendance économique de la société EMD à l'égard des deux groupements n'est pas démontrée, la condition tenant à l'absence de solution alternative n'étant pas remplie. Il fait ensuite un compte entre les parties relativement au paiement réciproque de factures.
LA COUR,
Vu l'appel interjeté par la société EMD ;
Vu les dernières conclusions du 3 novembre 2016 de la société EMD, appelante, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- recevoir la société Euro Media Diffusion en son appel, la dire bien fondée en toutes ses demandes, fins et conclusions,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société ITM à régler à la société EMD sa facture impayée n°2166, à l'exception du point de départ du calcul des intérêts,
- confirmer le jugement du 12 mars 2014 en ce qu'il a jugé que la demande de la société ITM en paiement de ses factures de prestations commerciales pour l'année 2008 était infondée,
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté les demandes de la société EMD au titre de l'indemnisation de son préjudice du fait de la rupture brutale des relations contractuelles et de l'abus de dépendance économique subi,
- infirmer le jugement du 12 mars 2014 en ce qu'il a condamné EMD à régler les factures réclamées par la société ITM pour les prestations commerciales des SCA Produits d'entretien et SCA Loisirs et Arts ménagers en 2010,
en conséquence,
- débouter la société ITM Alimentaire international de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles, et les dire mal fondées, statuant à nouveau,
- dire que la société ITM Alimentaire international devra payer à la société EMD les intérêts sur la facture n° 2166 impayée à compter à compter de la date d'émission de la facture au 30 août 2010, ou à tout le moins à compter du 5 avril 2011, date de la première mise en demeure,
- constater que la société ITM Alimentaire international a rompu brutalement les relations commerciales établies qu'elles entretenaient depuis 5 ans avec la société EMD, sans respecter un quelconque préavis,
- constater que la société ITM Alimentaire international a abusé de la position de dépendance économique de la société EMD pour lui imposer des obligations injustifiées, en conséquence,
- condamner la société ITM Alimentaire international à verser à la société EMD la somme de 1 000 000 euros à titre de dommages et intérêts,
- ordonner la publication de la décision à intervenir dans 3 journaux, revues, ou magazines au choix de la société EMD et aux frais de la société ITM Alimentaire international, pour un coût global de 20 000 euros HT,
- condamner la société ITM Alimentaire international à verser à la société EMD la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître François Teytaud, Avocat, dans les conditions de l' article 699 du Code de procédure civile ;
Vu les dernières conclusions du 15 novembre 2016 de la société ITM Alimentaire International, intimée, par lesquelles il est demandé à la cour de :
à titre principal :
- dire que la société EMD est débitrice d'une somme en principal de 395 470,65 euros TTC, à l'égard de la société ITM Alimentaire International, venant aux droits de la SCA Produits d'entretien et de la SCA Loisirs et Arts Ménagers,
- dire que sur ce montant en principal de 395 470,65 euros TTC, il convient d'ajouter les intérêts de retard contractuellement prévus (au taux de 1,5 fois ou de 3 fois le taux d'intérêt légal figurant sur les factures) ainsi que prescrit par l'article L. 441-6 du Code de commerce prévoyant que ces intérêts de retard sont dus de plein droit sans qu'un rappel soit nécessaire dès le lendemain de la date d'échéance des factures,
en conséquence,
- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté la société ITM Alimentaire International, venant aux droits de la SCA Produits d'entretien et de la SCA Loisirs et Arts Ménagers, de sa demande reconventionnelle de paiement des factures de coopération commerciale de la SCA Produits d'entretien pour l'année 2008,
- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a condamné la société EMD à payer à la société ITM Alimentaire International les factures de coopération commerciale de la SCA Produits d'entretien et de la SCA Loisirs et Arts Ménagers pour l'année 2010,
y faisant droit,
- ordonner la compensation de la somme en principal de 395 470,65 euros TTC (augmentée des intérêts de retard aux taux figurant sur les factures) avec d'une part, la somme de 292 855,79 euros TTC due par ITM Alimentaire International à la société EMD et d'autre part, la somme de 21 425,49 euros TTC déjà versée par la société EMD,
- condamner la société EMD à verser le solde restant dû à la société ITM Alimentaire International.
sur la rupture de relations commerciales établies:
- constater que la société EMD a pris l'initiative de rompre ses relations commerciales avec la SCA Produits d'entretien et la SCA Loisirs et Arts Ménagers,
en conséquence,
- dire qu'elle est mal fondée à imputer cette rupture à la SCA Produits d'entretien et/ou la SCA Loisirs et Arts Ménagers,
en outre,
- constater que les relations commerciales nouées entre la société EMD et la SCA Produits d'entretien ne constituent pas de relations commerciales établies au sens de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce,
en conséquence,
- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté la société EMD de l'ensemble de ses demandes à ce titre,
sur l'abus de dépendance économique:
- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a dit la société EMD mal fondée en ses demandes au titre de l'article L. 420-2 du Code de commerce,
à titre subsidiaire, sur le préjudice allégué par la société EMD:
- constater que la société EMD ne justifie ni de l'existence ni du quantum des différents chefs de préjudice dont elle demande à être indemnisée,
en conséquence,
- débouter la société EMD en ses demandes,
en toute hypothèse:
- condamner la société EMD à verser la somme de 60.000 euros à la société ITM Alimentaire International en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société EMD aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP Lagourge Olivier, en application de l'article 699 du Code de procédure civile ;
SUR CE,
Sur la rupture brutale des relations commerciales établies
La société EMD soutient qu'elle n'a bénéficié d'aucune commande en 2011, ni de la part de la SCA Produit d'entretien, ni de la SCA Loisirs et Arts Ménagers et en déduit une rupture des relations commerciales avec ces centrales d'achat. Elle prétend que ces relations étaient bien établies au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et réfute l'argumentation d'ITM selon laquelle les commandes annuelles se seraient déroulées dans le cadre d'appels d'offres. En effet, selon l'appelante, les centrales d'achat faisaient seulement des demandes de propositions de produits figurant dans le catalogue de chaque fournisseur concerné, à l'exclusion d'appels d'offres. Ainsi, le fait pour la société EMD d'avoir obtenu des contrats cadres tous les ans depuis 2007 lui a permis de déduire le caractère stable et pérenne des relations commerciales. Elle demande donc une indemnité globale de 1 000 000 euros en réparation du préjudice subi du fait du caractère brutal de la rupture des relations commerciales avec les SCA Produits d'entretien et Loisirs et Arts Ménagers.
La société ITM soutient que c'est en réalité la société EMD qui a pris l'initiative de la rupture des relations commerciales avec la SCA Produits d'entretien en mettant fin aux discussions sur un protocole transactionnel entre les parties et en préférant imputer cette rupture à la société ITM. La société ITM rappelle qu'elle n'a jamais souhaité mettre fin aux relations commerciales dès lors qu'elle a proposé à la société EMD de participer à une procédure d'appel d'offre pour l'année 2012, moyennant l'apurement de la situation comptable entre les parties, ce que la société EMD n'a jamais accepté. Par ailleurs, elle prétend qu'en tout état de cause, les relations commerciales liant les parties n'étaient pas établies au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce car elle procède chaque année, au printemps, par appel d'offres auprès de plusieurs fournisseurs, concernant des "produits évolutifs" destinés à un public jeune, et il en résulte l'absence de caractère permanent et stable des relations commerciales avec ses fournisseurs.
Aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, "engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : (...) de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels".
L'application de ce texte suppose tout d'abord la démonstration du caractère suffisamment prolongé, régulier, significatif et stable du courant d'affaires existant entre les parties pour laisser augurer la poursuite des relations commerciales. C'est à l'aune de ce test de la croyance légitime à la pérennité des relations du partenaire qui se prétend évincé qu'il convient d'apprécier si la relation était ou non "établie" au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.
Or, en l'espèce, il ressort de l'instruction que la société EMD n'était pas en mesure de justifier de cette "croyance légitime" dès lors que les relations commerciales nouées entre les sociétés SCA PE et EMD revêtaient un caractère précaire et que leur poursuite était aléatoire, du fait, d'une part, de la mise en concurrence annuelle, par la SCA PE, de ses fournisseurs potentiels et d'autre part, de la nature même des produits développés par la société EMD.
En premier lieu, il ressort du courriel-type adressé aux fournisseurs contactés ainsi que des tableaux excel à remplir par eux pour répondre, que la société SCA PE sélectionnait ses fournisseurs chaque année, aux termes d'une véritable mise en concurrence se déroulant en quatre phases : la transmission par courriel aux fournisseurs des éléments à renseigner par ces derniers pour pouvoir soumissionner à l'appel d'offres (tableaux Excel, intitulés " Matrice Parfumerie Noël ", "Vrac Noël" ou encore "Box complémentaire", détaillant les produits, leur prix ainsi que les mécaniques promotionnelles pouvant être mises en place à destination des consommateurs, et "rétro-planning" de l'opération "Noël", indiquant la date des différents tours de sélection des fournisseurs) ; l'envoi des soumissions dans les délais du rétro-planning ; l'organisation de réunions avec les fournisseurs pour la présentation physique des produits à la SCA PE ; la sélection finale des différentes offres à partir de critères portant sur les caractéristiques du produit proposé, les mécaniques promotionnelles et les conditions tarifaires.
La société EMD avait bien conscience du risque de ne pas être sélectionnée et de la précarité de la situation, puisqu'elle répond en avril 2011 à la SCA PE dans un email où elle indique "j'ai bien reçu votre appel d'offres".
Par ailleurs, la société ITM verse aux débats des exemples de propositions commerciales effectuées dans le cadre de l'appel d'offres mis en place par la SCA PE concernant les coffrets d'articles de parfumerie pour les fêtes de fin d'année 2010 et 2011, par les sociétés L'Oréal, Henkel, Unilever ou encore Coty.
La société EMD ne démontre pas que ces appels à la concurrence seraient fictifs ni qu'elle serait un fournisseur incontournable de coffrets sous des licences dont elle aurait l'exclusivité.
Cette mise en concurrence annuelle des fournisseurs exclut que la relation commerciale en cause soit qualifiée d'"établie", dès lors que la société EMD, qui soumissionnait en pleine connaissance de cause à ces appels d'offres, ne pouvait raisonnablement escompter que cette relation se poursuivrait nécessairement dans l'avenir, la circonstance qu'elle ait été sélectionnée dans le cadre d'appels d'offres pour les années précédentes étant indifférente.
En second lieu, et de façon surabondante, la nature particulière des produits concernés, visant principalement les enfants et adolescents, s'agissant de parfums et palettes de maquillage commercialisés sous des appellations empruntant à des programmes de télévision tels que, par exemple, "Hannah Montana" ou "High School Musical", ne se prête pas à la reconduction systématique et pérenne des achats auprès des fournisseurs. Ce sont des produits soumis à la mode éphémère ou au succès de tel ou tel programme télévisé auprès des adolescents. Les fournisseurs de ces produits dérivés sont donc appelés à renouveler constamment le contenu de leurs offres et leurs relations avec les distributeurs sont nécessairement précaires en raison de ces caractéristiques.
La société EMD ne peut tirer de la conclusion annuelle des conventions-cadres la nécessaire pérennité des relations, ces conventions étant rendues obligatoires par la loi et n'augurant en rien de la vente effective des produits. Elle ne peut davantage exciper de l'"absence de transparence" le défaut de véritable mise en concurrence entre les fournisseurs, la concurrence présupposant précisément que chaque opérateur détermine de façon autonome son comportement sur le marché, sans disposer d'informations sur les intentions ou le comportement des autres.
En conséquence, il convient de confirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a exclu, sur la base de "ce double aléa structurel", l'existence de relations commerciales établies entre les parties, et, par voie de conséquence, rejeté l'action de la société EMD fondée sur l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.
Sur l'abus de dépendance économique
La société EMD allègue que la société ITM a abusé de sa situation de dépendance économique à son égard, en obtenant des remises importantes de prix, sous la promesse fallacieuse de diminutions de marges arrières, en imposant, sous la menace de l'arrêt des relations contractuelles, la reprise de certaines marchandises invendues alors qu'aucun accord en ce sens n'avait jamais été conclu et, enfin, en bloquant abusivement le paiement d'une facture du 30 août 2010, mettant ainsi en péril la trésorerie de l'entreprise.
La société ITM soutient que la société EMD n'est pas en situation de dépendance économique vis à vis de la SCA Produits d'entretien. Elle rappelle en effet que selon la jurisprudence, l'absence de solution de remplacement équivalente est une condition essentielle de caractérisation de la dépendance économique. Or, il ressort des comptes annuels de la société EMD que le chiffre d'affaires réalisé avec la SCA Produits d'entretien ne correspond qu'à une faible partie de son activité totale et que le chiffre d'affaires total de la société EMD en 2011 est resté stable malgré l'absence de commandes de la part de la SCA Produits d'entretien.
La dépendance économique d'un fournisseur à l'égard d'un distributeur, au sens de l'article L. 420-2, alinéa 2, du Code de commerce, résulte de la notoriété de la marque, de l'importance de la part de marché du distributeur, de l'importance de la part du distributeur dans le chiffre d'affaires du fournisseur et, enfin, de la difficulté pour le fournisseur de trouver d'autres canaux de distribution, ces conditions devant être simultanément vérifiées pour entraîner cette qualification.
S'agissant de la part de marché réalisée par la société EMD avec la société ITM, venant aux droits des sociétés SCA PE et SCA LAM, il convient, à titre liminaire, de relever que seule la SCA PE, et non la SCA LAM, est visée par le grief, dans la mesure où l'assignation d'EMD n'impute aucun comportement "abusif" à la SCA LAM et, que, par conséquent, seul le chiffre d'affaires réalisé par la société EMD avec la société SCA PE, aux droits de laquelle vient ITM, est ici pertinent. Or, il résulte des comptes de la société EMD qu'elle a réalisé en 2010 un chiffre d'affaires total de 4 109 775 euros, dont 381 186 euros au titre de sa relation avec la SCA PE (selon une attestation du commissaire aux comptes d'ITM, nullement remis en cause par la société EMD).
La société EMD ne démontre pas davantage que devant les premiers juges l'absence de débouchés alternatifs aux achats de la société SCA PE, le chiffre d'affaires réalisé par elle en 2012, relativement stable par rapport à celui de 2011, venant attester du contraire.
Il convient donc de confirmer le jugement entrepris également sur ce point.
Sur les factures
La société EMD estime que la société ITM ne peut lui réclamer le paiement de factures au titre des comptes de l'année 2008, dès lors que cette dernière a pris un engagement clair d'annulation de toutes les factures de 2008 dans un mail du 2 août 2011. Concernant les factures de 2010, la société EMD estime qu'il n'existe aucune raison pour qu'elles soient réclamées dès lors que les conventions d'affaires ont été signées, sous la contrainte, hors des délais légaux et antidatées.
La société ITM réplique que la société EMD reste débitrice d'une somme en principal de 395.470,65 euros TTC à l'égard de la société ITM Alimentaire International, venant aux droits de la SCA Produits d'entretien et de la SCA Loisirs et Arts Ménagers. La société ITM demande que cette somme soit majorée des intérêts de retard contractuellement prévus (au taux de 1,5 fois ou de 3 fois le taux d'intérêt légal figurant sur les factures) tels que prévus par l'article L. 441-6 du Code de commerce. Enfin, la société ITM demande que soit ordonnée la compensation de la somme en principal de 395 470,65 euros TTC (majorée des intérêts de retard aux taux figurant sur les factures) avec d'une part, la somme de 292 855,79 euros TTC due par la société ITM à la société EMD et d'autre part, la somme de 21 425,49 euros TTC qu'elle a déjà versée à la société EMD.
Sur les sommes dues à la SCA PE
Sur l'année 2008
La société ITM verse aux débats quatre factures de prestations de services émises par la SCA PE, qui sont demeurées partiellement impayées par EMD, de telle sorte que le solde restant à régler à la SCA PE s'élève à la somme de 80 334,80 euros TTC (soit 67 169,57 euros HT) :
- facture n° F0940700046 du 14 janvier 2009 d'un montant de 538,20 eurosTTC et relative à la prestation de service "animation d'un produit Hannah Montana (3 vernis, 1 brillant lèvre et 1 lime) dans le cadre d'une opération carte de fidélité relayée sur prospectus du 25 novembre au 13 décembre 2008 " ;
- facture n° F0940700047 du 14 janvier 2009 d'un montant de 191,36 euros TTC et relative à la prestation de service " animation d'un produit High School Musical (4 vernis, 2 limes) dans le cadre d'une opération carte de fidélité relayée sur prospectusdu 25 novembre au 13 décembre 2008 " ;
- facture n° F0940700658 du 10 février 2009 d'un montant de 131 620,37 euros TTC et relative à la prestation de service " présence de 3 produits sur prospectus du 2 au 13 décembre 2008 et du 25 novembre au 13 décembre 2008", minorée de deux avoirs n° A1040701985 du 9 novembre 2010 d'un montant de 6 631,83 eurosTTC et n° A1040702165 du 24 novembre 2010 d'un montant de 3 162,07 euros TTC ainsi que du versement de la somme de 62 122,02 euros TTC par EMD au titre d'un règlement partiel de cette facture ;
- facture n° F0940700659 du 10 février 2009 d'un montant de 19 900,79 euros TTC et relative à la prestation de service " conception et diffusion d'un catalogue de commande saisonnier mettant en avant un produit du fournisseur".
La société EMD a contesté les conditions de la rémunération du service rendu par la SCA PE et a stoppé par la suite tout règlement à la SCA PE et à la SCA LAM.
Si la société EMD soutient qu'un accord verbal aurait été donné par un acheteur de la SCA PE pour modifier au téléphone les conditions de la rémunération de ce service convenue par écrit entre les parties, ces assertions ne sont étayées par aucun élément probant et sont contraires aux prescriptions de l'article L. 441-7 du Code de commerce, qui prévoit que les conditions commerciales sont écrites ainsi qu'à celles de l'article 4.6 de la convention d'affaires 2008 signée entre les parties prévoyant que "Elle (la présente convention) ne peut faire l'objet d'une modification sans l'accord exprès, prélable et écrit des deux parties".
Par ailleurs, dans sa proposition de règlement amiable, la SCA PE n'a jamais consenti à l'abandon du paiement, par la société EMD, des factures de 2008 de manière inconditionnelle et définitive, mais soumettait cet abandon au rachat, par la société EMD, des stocks d'invendus de coffrets de Noël. EMD ayant refusé cette proposition par lettre du 13 septembre 2011, dans laquelle elle expliquait qu'il n'était pas question pour elle de récupérer les stocks, cette condition n'est pas remplie.
Dès lors, les premiers juges ne pouvaient se fonder sur cette renonciation conditionnelle de la SCA PE pour annuler les dettes de 2008 de la société EMD, qui sera donc condamnée à payer à la société ITM la somme de 80 334, 80 euros TTC, majorée des intérêts au taux de 1,5 fois le taux d'intérêt légal, tel que figurant sur les factures et ainsi qu'il est prescrit par l'article L. 441-6 du Code de commerce en vigueur au moment des faits, prévoyant que ces intérêts de retard sont dus de plein droit sans qu'un rappel soit nécessaire dès le lendemain de la date d'échéance des factures.
Sur l'année 2010
La société EMD ne conteste pas sérieusement les factures de prestations de service de la SCA PE pour 2010, d'un montant total de 194 656,08 euros, restées impayées :
- facture n° F1040702235 du 7 décembre 2010 d'un montant de 125 580 euros TTC et minorée d'un avoir n°A1140700277 du 31 janvier 2011 d'un montant de 778,24 euros TTC ;
- facture n° F1040702284 du 14 décembre 2010 d'un montant de 41 970,03 euros TTC ;
- facture n° F1140700096 du 26 janvier 2011 d'un montant de 27 884,29 euros TTC.
Sa seule contestation porte sur la facture n° F0940700056 du 16 janvier 2009 d'un montant de 291 162,96 euros HT, qui a été annulée par un avoir émis le 19 janvier 2009 versé aux débats.
Il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné EMD à payer à la SCA PE pour 2010, la somme de 194 656,08 euros, et y ajoutant, d'assortir cette somme des intérêts au taux de 3 fois le taux d'intérêt légal, tel que figurant sur les factures.
Sur les sommes dues à la société SCA LAM
La société EMD a reconnu devoir la somme de 120 479,77 euros TTC (soit 100 735,59 euros HT), au titre de cinq factures de prestation de services rendues par la SCA LAM, restées impayées par EMD et qu'elle s'était engagée à régler à la SCA LAM début juin 2011. Elle ne conteste pas devoir ces sommes.
Il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société EMD à payer à la SCA LAM la somme de 120 479,77 euros TTC, et y ajoutant, d'assortir cette somme des intérêts au taux de 3 fois le taux d'intérêt légal, tel que figurant sur les factures.
Sur les sommes dues à la société EMD
La société ITM, qui vient aux droits de la SCA PE, ne conteste pas devoir la facture réclamée par EMD d'un montant HT de 244 862,70 euros, soit 292 855,79 euros TTC.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a condamné la société ITM à payer à la société EMD la somme de 292 855,79 euros TTC. Il sera en revanche infirmé en ce qu'il a fait partir les intérêts à compter du 13 septembre 2011, la première mise en demeure étant du 5 avril 2011. Les intérêts partiront donc de cette date.
Sur la demande de compensation
La société ITM, qui détient une créance totale de 395 470,65 euros HT outre intérêts à l'encontre de EMD, en ce qu'elle vient aux droits de la SCA PE et de la SCA LAM, dont il conviendra de déduire les règlements effectués par EMD en suite du jugement entrepris qui s'élèvent à la somme de 21 425,49 euros, est bien fondée à demander que la cour de céans prononce la compensation entre cette créance et celle d'EMD sur ITM, de 292 855,79 euros TTC outre intérêts, et condamne la société EMD à lui régler le solde, sans qu'il y ait lieu de majorer ce solde d'intérêts de retard en application de l'article L. 441-6 du Code de commerce, contrairement aux demandes d'ITM, ces intérêts ayant déjà couru sur les créances respectives.
Les conventions d'affaires 2008 et 2010 (SCA PE et SCA LAM) prévoient expressément une telle compensation (article 4.3) dans les termes suivants: "Le Fournisseur autorise la Catégorie à opérer une compensation entre les sommes dues par le Fournisseur et les sommes dont la Catégorie est redevable envers le Fournisseur ou tout cessionnaire de ses factures afin d'éteindre leurs dettes réciproques jusqu'à concurrence de leur quotité respective ".
Sur la demande de publication de la société EMD
La société EMD ne démontrant pas de faute génératrice de préjudice, qui pourrait être réparée par une mesure de publication de l'arrêt à intervenir, sa demande de publication sera rejetée.
Sur les frais irrépétibles
La société EMD, succombant pour l'essentiel, sera condamnée aux dépens de l'instance d'appel et sera condamnée à payer la somme de 30 000 euros à la société ITM Alimentaire International en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : LA COUR, confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté la société ITM Alimentaire International de sa demande en paiement des factures de 2008 au titre de la SCA PE et sur le point de départ des intérêts courants sur la somme de 292 855,79 euros TTC, due par la société ITM à la société Euro Media Diffusion, l'infirme sur ces points, Et, statuant à nouveau, condamne la société Euro Media Diffusion à payer à la société ITM Alimentaire International la somme de 80 334, 80 euros TTC, majorée des intérêts au taux de 1,5 fois le taux d'intérêt légal, au titre des factures de 2008 de la SCA PE, FIXE au 5 avril 2011 le point de départ des intérêts courants sur la somme de 292 855,79 euros TTC, due par la société ITM Alimentaire International à la société Euro Media Diffusion, Y ajoutant, assortit le paiement de la somme de 194 656, 08 euros, auquel a été condamnée la société Euro Media Diffusion en faveur d'ITM au titre des factures de la SCA PE de 2010, des intérêts au taux de 3 fois le taux d'intérêt légal, tel que figurant sur les factures, à compter du lendemain des factures, assortit le paiement de la somme de 120 479,77 euros TTC, auquel a été condamnée la société Euro Media Diffusion en faveur d'ITM Alimentaire International (au titre des factures de la SCA LAM), des intérêts au taux de 3 fois le taux d'intérêt légal, tel que figurant sur les factures, ordonne la compensation entre ces créances réciproques, soit la créance totale de la société ITM Alimentaire International à l'encontre de EMD, en ce qu'elle vient aux droits de la SCA PE et de la SCA LAM, 395 470,65 euros HT, majorée des intérêts, dont il conviendra de déduire la somme de 21 425,49 euros d'ores et déjà réglée par Euro Media Diffusion à la suite du jugement entrepris et la créance de la société Euro Media Diffusion sur ITM Alimentaire International qui s'élève à la somme de 292 855,79 euros TTC majorée des intérêts, condamne la société Euro Media Diffusion à régler le solde résultant de cette compensation, rejette la demande d'ITM Alimentaire International tendant à ce que cette somme soit encore assortie des intérêts contractuels, rejette la demande de publication de la société Euro Media Diffusion, condamne la société Euro Media Diffusion aux dépens de l'instance d'appel, la condamne à payer la somme de 30 000 euros à la société ITM Alimentaire International en application de l'article 700 du Code de procédure civile.