CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 20 janvier 2017, n° 15-13822
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Technature (SAS)
Défendeur :
Lessonia (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
Mmes Nerot, Renard
Avocats :
Mes Vautier, Pailler, Fisselier, Bazire
Faits et procédure
La société Technature, fondée le 15 janvier 1996, comporte deux branches d'activité, la fabrication, d'une part, de matières premières pour l'industrie à partir d'algues, d'autre part, de cosmétiques à base d'alginates.
Par contrat du 26 juin 2002, Monsieur Le Fur, dirigeant de la société Technature, a conclu un contrat de location-gérance portant sur l'activité de fabrication de matières premières pour l'industrie avec la société Lessonia.
Par acte de cession du 28 novembre 2003, la société Technature a cédé à la société Lessonia la branche de ventes d'algues et sa transformation pour l'industrie, à l'exclusion de la branche alginates.
Un différend portant sur le règlement d'une facture a opposé les deux sociétés ; par courriel du 20 juin 2011, la société Lessonia a informé la société Technature, en ces termes: "Nous arrêtons simplement de travailler pour le compte de Technature et nous en informons séance tenante le client ".
Le 12 août 2011, Monsieur Vouriot, assistant chef de produits de la société Lessonia jusqu'au 21 septembre 2010 et Monsieur Roger dont l'épouse a occupé un poste de cadre commerciale au sein de la société Lessonia dont elle a démissionné le 20 octobre 2011, ont créé la société Greenphyt ayant pour activité la fabrication de poudre à base de plantes et sa commercialisation, développant un produit dénommé " Rhyolite " qui serait concurrent de celui de la société Lessonia.
Par exploit du 12 novembre 2012, la société Lessonia a assigné les sociétés Greenphyt et Technature en concurrence déloyale.
La société Technature a formé une demande reconventionnelle pour rupture abusive d'une relation commerciale établie sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce et en concurrence déloyale à l'encontre de la société Lessonia.
Par jugement du 29 mai 2015, le Tribunal de commerce de Brest a :
- dit que les pièces du dossier de Lessonia sont recevables ;
- dit et jugé les demandes présentées par la société Lessonia non fondées et par voie de conséquence l'en a déboutée ;
- débouté les sociétés Greenphyt et Technature de leurs demandes reconventionnelles ;
- condamné la société Lessonia à verser à chacune des sociétés Greenphyt et Technature la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles et aux entiers dépens ;
La société Technature a interjeté appel devant la Cour d'appel de Paris par déclaration en date du 25 juin 2015, limitant son appel au chef du jugement l'ayant déboutée de sa demande de condamnation dirigée contre la société Lessonia sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce.
Par dernières conclusions, notifiées le 11 octobre 2016, la société Technature demande à la cour, au visa des articles 75 et suivants, 100 et suivants et 771 du Code de procédure civile, L. 442-6 du Code de commerce de :
- réformer le jugement dont appel ;
- se déclarer incompétente pour statuer sur les exceptions d'incompétence, de litispendance et de connexité soulevées par la société Lessonia, et ce au profit du conseiller de la mise en état de la cour d'appel de Paris, à tout le moins, dire et juger lesdites demandes irrecevables et en débouter la société Lessonia ;
- dire et juger la SAS Technature recevable et bien fondée en son appel principal limité au chef du jugement du Tribunal de commerce de Brest du 29 mai 2015 l'ayant déboutée de sa demande de dommages-intérêts à l'encontre de la société Lessonia fondée sur les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce ;
- dire et juger que la SAS Lessonia a violé les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce en rompant brutalement le 20 juin 2011 la relation commerciale établie avec elle depuis 2002, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale ;
- fixer à 12 mois la durée du préavis ;
En conséquence,
- réformer le jugement dont appel de ce chef et condamner la société Lessonia à lui régler la somme de 850 426 euros à titre de dommages-intérêts,
- condamner la SAS Lessonia à lui régler la somme de 30 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel.
Par dernières conclusions notifiées le 2 novembre 2016, la société Lessonia demande à la cour de :
A titre principal,
- dire et juger irrecevables les demandes présentées par la société Technature à l'encontre de la société Lessonia fondées sur les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce, devant le Tribunal de commerce de Brest, avec toutes conséquences de droit, subsidiairement, au fond,
- débouter la société Technature de l'ensemble des demandes dirigées contre elle,
en tout état de cause,
- condamner la société Technature à lui verser la somme de 8 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
- condamner la société Technature aux entiers dépens d'instance et d'appel dont distraction pour ceux d'appel au profit de la SCP AFG, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
MOTIFS
Sur la saisine de la cour d'appel de Paris par voie d'appel limité
Considérant que la société Lessonia soutient que la demande de la société Technature est irrecevable car le Tribunal de commerce de Brest a statué sur la demande en rupture de relation commerciale, alors qu'il n'était pas compétent.
Considérant que, statuant sur incident, le conseiller de la mise en état a dit la cour d'appel de Paris compétente pour statuer sur l'appel interjeté le 25 juin 2016 par la société Technature dès lors que celui-ci a été limité à la demande fondée sur la rupture brutale d'une relation commerciale ; que cette ordonnance qui a été déférée à la cour a été confirmée par arrêt du 9 septembre 2016 ; que la demande de la société Lessonia ayant été tranchée, la société Technature est recevable à faire trancher le litige au fond de ce chef par la cour d'appel de Paris.
Considérant qu'il appartient dès lors à la cour d'appel de Paris qui a compétence exclusive en matière de rupture brutale des relations commerciales de connaître du litige en appel quand bien même la juridiction ayant statué en première instance était incompétente ; qu'en tout état de cause à raison de cette compétence et en application de son droit d'évocation, la cour retiendra sa compétence pour connaître du fond concernant la rupture brutale des relations commerciales.
Sur la rupture des relations commerciales
Considérant que la société Technature soutient que la société Lessonia a rompu brutalement une relation commerciale établie entre les deux sociétés.
Considérant que la société Technature ne conteste pas avoir passé en urgence le 27 mai 2011 une commande à la société Lessonia, qui l'a parfaitement exécutée, ayant travaillé à cette fin tout un week end, ni avoir néanmoins refusé de régler le montant de la facture établie par la société Lessonia au motif que son montant soit 1 500 euros était excessif.
Considérant que, si aucun devis estimatif n'avait été établi, la société Lessonia avait néanmoins chiffré le coût entre 400 et 500 euros au terme d'un courriel du 28 mai 2011 ; que par courrier du 31 août 2011, la société Lessonia a rappelé qu'elle avait dès la commande évoqué un surcoût résultant de l'intervention d'une équipe le samedi matin sans pouvoir alors le chiffrer ; que la société Technature a réglé la somme de 897 euros, reconnaissant l'existence d'un surcoût par rapport à l'estimation initiale.
Considérant qu'à la suite de ce différend, alors que la société Technature opposait un refus de paiement de la facture litigieuse, la société Lessonia lui a écrit le 20 juin 2011 "Nous arrêtons simplement de travailler pour le compte de Technature et nous en informons séance tenante le client".
Considérant qu'après règlement d'une somme de 897 euros acceptée par la société Lessonia, celle-ci a, par un courriel du 22 juillet 2011, écrit " Néanmoins comme je pense qu'il serait tout à fait dommageable de rompre les ponts entre les deux sociétés, nous continuerons à livrer Technature. J'aurais cependant apprécié que Technature revienne sur sa décision unilatérale de renoncer à travailler sur le principe de la LCR qui a été un geste restant toujours incompris " ; que ce courriel démontre que le dirigeant de la société Lessonia a, au contraire, affirmé sa volonté de poursuivre la relation contractuelle existant, quand bien même la société Technature avait pris la décision unilatérale de cesser de travailler avec elle ;
Considérant que dans ce contexte le courriel du 20 juin 2011 apparaît comme une réaction ponctuelle à une contestation de facture dont la société Technature ne pouvait tirer pour conséquence une rupture des relations commerciales entre les deux sociétés dès lors qu'elle a admis devoir un surcoût et que, après règlement, la société Lessonia l'a assuré qu'elle entendait continuer à la livrer.
Considérant que la société Lessonia a encore facturé en juillet 2011 une somme de 10 695 euros ; que dès lors que la société Technature a cessé de lui adresser de nouvelles commandes, la fin des relations commerciales en résultait nécessairement sans pouvoir être imputée à la société Lessonia.
Considérant qu'il résulte de ces éléments que la société Technature a pris prétexte d'un courriel concernant un différend ponctuel sur le montant d'une facture qui au demeurant a été partiellement payée pour prétendre que le courrier suivant un refus de paiement de sa part valait rupture des relations commerciales existantes.
Considérant de plus que la société Lessonia expose que le différend n'a été qu'un prétexte la société Technature ayant déjà à cette date réorienté ses activités pour se lancer sur le marché des " peel Off " à base d'Alginates, de sorte que, selon elle, la rupture a été préméditée car la mise sur le marché de ce type de produits nécessite une phase de recherche et de développement puis une phase de validation par les autorités sanitaires, procédures nécessairement entreprises avant le mois de mai 2011; que ce point importe peu dès lors qu'en tout état de cause, une société cliente ne saurait invoquer une rupture brutale de la part de son fournisseur dès lors qu'elle cesse de lui passer des commandes et qu'elle ne démontre aucun refus de son partenaire d'honorer une future commande.
Considérant qu'il y a lieu de confirmer la décision entreprise sur le fondement de la rupture des relations commerciales établies.
Sur l'article 700 du Code de procédure civile
Considérant que la société Lessonia a dû engager des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge, qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile dans la mesure qui sera précisée au dispositif.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, évoque les demandes au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies, déboute la société Technature de ce chef de demande, condamne la société Technature à payer à la société Lessonia la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, condamne la société Technature aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.