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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 20 janvier 2017, n° 14-25756

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

ADT (SARL)

Défendeur :

Centre de formation d'apprentis de l'industrie ITII PACA, Association de formation professionnelle de l'industrie PACA

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mme Lis Schaal, M. Thomas

Avocats :

Mes Guerre, Lestournelle, Teytaud, Dossetto

T. com. Marseille, du 26 juin 2014

26 juin 2014

Faits et procédure

La société de formation et de conseil Adartes Management, créée par Monsieur Pierre Canovas et Madame Danièle Abela, en 2004, lorsque cette dernière a été licenciée de l'AFSEM Management, dont elle a été salariée de 1991 à 2003.

Le 5 janvier 2004, l'Institut des Techniques d'Ingénieur de l'Industrie (ITII) et la société Adartes Management, ont conclu deux contrats de prestations de services.

En 2008, l'ITII a décidé de la création de deux structures de formation :

- le centre de formation d'apprentis de l'industrie, dénommé par la suite "CFAI" ;

- l'association de formation professionnelle de l'industrie, dénommée par la suite "AFPI".

Le 1er septembre 2008, un contrat de prestations de services de formations a été conclu entre le centre de formation d'apprentis de l'industrie et la société Adartes Management, pour une durée de trois années prenant effet au 1er janvier 2009. Un second contrat a été conclu à la même date, pour la coordination et le suivi pédagogique.

L'association de formation professionnelle de l'industrie et la société Adartes Management ont conclu deux contrats identiques.

Dans le courant du 1er semestre 2009, Madame Danièle Abela a démissionné de ses fonctions de gérante de la société Adartes Management mais elle en restait associée et continuait à y exercer ses fonctions. Toutefois, elle constituait la société ADT, dont elle était l'associée unique, qui avait également une activité de formation et de conseil.

Le 30 janvier 2009, quatre nouveaux contrats de prestations de services, prenant effet au 1er janvier 2009, ont été conclus entre le Centre de formation d'apprentis de l'industrie et l'Association de formation professionnelle de l'industrie, représentés par Monsieur Michel Brisset, et la société ADT. Ces contrats ont été conclus pour une durée de trois ans, renouvelable par tacite reconduction pour une nouvelle durée de trois ans, sauf dénonciation par l'une ou l'autre des parties sous réserve d'un préavis de six mois.

Le 9 mars 2010, le Centre de formation d'apprentis de l'industrie et l'Association de formation professionnelle de l'industrie ont dénoncé les contrats de prestations de services portant sur les prestations de " coordination " et de " suivi pédagogique ". Le préavis de six mois étant respecté, ces contrats devaient donc se poursuivre jusqu'à leur échéance contractuelle du 31 décembre 2011.

Les deux autres contrats d'animation et de formation n'ayant pas été dénoncés par le Centre de formation d'apprentis de l'industrie et l'Association de formation professionnelle de l'industrie, la société ADT a considéré que ses prestations de formation étaient maintenues, pour une nouvelle période de trois années.

Le Centre de formation d'apprentis de l'industrie et l'Association de formation professionnelle de l'industrie ont toutefois contesté le renouvellement des contrats par tacite reconduction et ont mis un terme à leur relation commerciale avec ADT.

Le 11 juillet 2012, la société ADT a assigné le Centre de formation d'apprentis de l'industrie et l'Association de formation professionnelle de l'industrie devant le Tribunal de commerce de Marseille.

La procédure de médiation initiée par jugement du 20 juin 2013 n'ayant pas abouti, le Tribunal de commerce de Marseille a, par jugement rendu le 26 juin 2014 :

- donné acte au Centre de formation d'apprentis de l'industrie et l'Association de formation professionnelle de l'industrie PACA que l'exception d'incompétence n'est plus soutenue ;

- constaté que le Centre de formation d'apprentis de l'industrie et l'Association de formation professionnelle de l'industrie PACA, ont rompu leur relation commerciale avec la société ADT de façon brutale et abusive et qu'ils ont ainsi engagé leur responsabilité ;

- dit que la société ADT était bien fondée à réclamer au Centre de formation d'apprentis de l'industrie et l'Association de formation professionnelle de l'industrie, le paiement de dommages et intérêts du fait de cette rupture brutale et abusive de leurs relations commerciales ;

- condamné le Centre de formation d'apprentis de l'industrie à payer à la société ADT la somme de 14 580,13 euros en principal, à titre de dommages et intérêts du fait de la rupture brutale et abusive de leur relation commerciale ;

- condamné l'Association de formation professionnelle de l'industrie PACA à payer à la société ADT la somme de 2 625,96 euros en principal à titre de dommages et intérêts du fait de la rupture brutale et abusive de leur relation commerciale ;

- débouté la société ADT au titre de sa demande en dommage et intérêts à hauteur de 100 000 euros ;

- débouté le Centre de formation d'apprentis de l'industrie et l'Association de formation professionnelle de l'industrie PACA, de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

- condamné le Centre de formation d'apprentis de l'industrie PACA, à payer à la société ADT la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamné l'Association de formation professionnelle de l'industrie PACA à payer à la société ADT la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamné le Centre de formation d'apprentis de l'industrie et l'Association de formation professionnelle de l'industrie PACA, aux dépens toutes taxes comprises de la présente instance ;

- conformément aux dispositions de l'article 515 du Code de procédure civile, ordonné pour le tout l'exécution provisoire ;

- rejeté pour le surplus toutes autres demandes, fins et conclusions contraires aux dispositions du présent jugement.

La société ADT a interjeté appel de ce jugement.

Prétentions des parties

La société ADT, par conclusions signifiées par le RPVA le 24 juin 2016, demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a constaté la responsabilité du CFAI et de l'AFPI ;

- l'infirmer sur les quantums retenus ;

- condamner l'AFPI PACA et CFAI ITII, solidairement, à payer à la société ADT la somme de 408 000 euros au titre du préjudice résultant de la non-reconduction des contrats ;

Très subsidiairement,

- fixer le préjudice subi par la société ADT à la somme de 101 199 euros ;

En tout état de cause,

- débouter l'AFPI PACA et le CFAI ITII PACA de toutes leurs demandes, fins et conclusions en ce compris leur appel incident ;

- condamner l'AFPI PACA et le CFAI ITII PACA à payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Elle indique qu'elle entretient des relations commerciales bien établies avec le CFAI PACA et l'AFPI PACA puisqu'elles sont liées par un contrat de prestations de services conclu le 30 janvier 2009, prenant effet au 1er janvier 2009, pour une durée de trois ans renouvelable par tacite reconduction.

Elle indique que cette relation est stable, suivie et habituelle puisque la gérante de la société ADT avait des relations contractuelles avec ses cocontractants dès 2004 ; elle ajoute qu'au regard de l'ancienneté des relations, de leur régularité et de leur stabilité, la rupture a eu un effet de surprise considérable pour elle.

La société ADT poursuit en soulignant la mauvaise foi de l'AFPI PACA et du CFAI ITII PACA à son égard lorsqu'elles ont contesté la tacite reconduction des deux contrats alors même qu'elles ne les avaient pas dénoncés ; elle ajoute que le préavis de dénonciation fixé à six mois n'a absolument pas été respecté par l'AFPI PACA et le CFAI ITII PACA.

La société ADT s'estime légitime à invoquer les dispositions d'ordre public de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce et à demander réparation du préjudice entraîné par le caractère brutal de la rupture.

Sur l'indemnisation, elle soutient qu'il faut raisonner sur la base de trois années d'indemnisation puisque la CFAI et l'AFPI n'ont pas dénoncé les contrats portant sur la réalisation des formations, ce qui a alors eu pour effet de maintenir la relation commerciale pour les années 2012, 2013 et 2014, date d'expiration des contrats. Elle ajoute qu'elle se trouve dans une situation financière délicate en raison du comportement déloyal de ses cocontractants.

La CFAI ITII PACA et l'AFPI PACA, par conclusions signifiées par le RPVA le 28 septembre 2016, demandent à la cour de :

A titre principal,

- recevoir le CFAI ITII PACA et l'AFPI PACA en leur appel incident ;

- dire qu'il n'existait aucune relation commerciale établie entre les concluantes et la société ADT ;

- dire que les contrats étaient à durée déterminée, que deux d'entre eux ont été dénoncés et que la rupture pour les deux autres n'a pas été brutale ;

- infirmer en toutes ses dispositions de la décision entreprise ;

- débouter ADT de toutes ses demandes ;

A titre subsidiaire, si la cour d'appel estimait ne pas devoir faire droit à cette argumentation et retenait une rupture brutale :

- débouter la société ADT de ses nouvelles demandes de condamnation en cause d'appel tant infondées en fait qu'en droit et confirmer alors en toutes ses dispositions la décision de première instance ;

- la condamner à verser à chacune des associations concluantes la somme de 2 000 euros en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner ADT aux entiers dépens.

Les associations CFAI ITII PACA et AFPI PACA indiquent que l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ne peut recevoir application en l'espèce puisque les quatre premières conventions signées avec la société ADT étaient à durée déterminée et que la rupture était anticipée par les deux parties sur une date fixée à l'avance. Elles ajoutent que les parties avaient consenti à l'absence d'indemnisation dans le cadre de la non-poursuite des relations commerciales ; elles soulignent que le tribunal n'a pas pris en considération le fait que les parties n'avaient pas d'accord-cadre et qu'en l'espèce, aucun chiffre d'affaires n'était garanti, ce qui démontre qu'il ne pouvait y avoir de relation commerciale établie entre elles et ADT.

A titre subsidiaire, CFAI et AFPI indiquent qu'elles ont respecté le préavis pour la mission de coordination et de formations générale et que ADT n'est donc pas fondée à réclamer une quelconque somme à ce titre puisque les contrats portant sur cet objet n'ont pas été reconduits et cela, sans aucune contestation possible. Elle ajoute que l'article 5 des contrats ne prévoit pas une forme spéciale pour la dénonciation, l'exigence d'une lettre recommandée n'étant pas requise, et qu'il ne peut y avoir de condamnation pour absence de préavis puisque la société ADT était pleinement informée de l'arrêt des contrats.

Les associations indiquent également que les dommages et intérêts demandés par ADT ne peuvent être accordés dès lors que la mauvaise foi n'est pas caractérisée, que c'est la Région qui n'a pas voulu prendre en compte les charges constituées par les rémunérations importantes d'ADT pour fixer le montant des subventions de fonctionnement, que leur responsabilité au titre de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce n'est donc pas engagée.

SUR CE

Sur la rupture brutale des relations commerciales

Considérant que l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce dispose qu' " engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à préparer le préjudice causé, le fait, par tout producteur, commerçant, industriel de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels " ; que ces dispositions ont vocation à s'appliquer lorsqu'il existe une relation commerciale, qui s'entend d'échanges commerciaux entre les parties, revêtant un caractère suivi, stable et habituel, laissant raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires entre les partenaires sociaux ;

Considérant qu'il appartient à la société ADT d'établir que les relations commerciales qui la liaient aux sociétés AFPI PACA et CFAI PACA étaient établies et que la rupture a été brutale ;

Considérant qu'il est établi que les parties sont liées par quatre contrats de prestations de services portant sur la coordination et le suivi pédagogique, conclus le 30 janvier 2009 avec effet au 1er janvier 2009, d'une durée de trois ans renouvelables par tacite reconduction, sauf dénonciation par l'une ou l'autre des parties sous réserve d'un préavis de six mois ;

Que, le 9 mars 2010, les sociétés CFAI et AFPI ont dénoncé les contrats de prestations de services portant sur les prestations de coordination et de suivi pédagogique ; que le terme était fixé au 31 décembre 2011 en application du préavis de six mois ; que les contrats portant sur l'animation et la formation n'ayant pas été dénoncés, la société ADT a pu légitimement croire qu'ils se poursuivaient pour une nouvelle période de trois années ; que les sociétés AFPI et CFAI ont contesté ce renouvellement ; qu'elles y ont mis fin sans préavis ;

Considérant que les dénonciations par les sociétés CFAI et AFPI faites par courriers du 9 mars 2010 concernent le contrat de prestations de services du 30 janvier 2009 portant sur les missions de coordination de la formation générale et de suivi pédagogique opérationnel, facturées 12 000 euros HT par an conclu par l'AFPI, et le contrat conclu par le CFAI le 30 janvier 2009 portant sur les missions de coordination de la formation générale " et de suivi pédagogique opérationnel ", facturées 63 000 euros HT par an ; que les courriers de rupture sont clairs et précis ; que ces dénonciations n'évoquent pas la résiliation des deux contrats portant sur " une mission d' animation de modules de droit social " ; que, les conventions en cause étant autonomes, les intimées n' établissent aucune interdépendance de ces contrats ; qu'elles n'établissent pas davantage de manquements d'ADT pouvant justifier une absence de préavis de rupture ; qu'à cet égard, le courrier du 27 mai 2011 émanant de Monsieur Dos Santos ès qualités de directeur du CFAI, évoquant des comportements de la société ADT qualifiés de contraires aux articles 2.2 et 2.3 du contrat de prestations de service et qui " portent gravement préjudice à (son) entité " n'est nullement circonstancié et est postérieur aux lettres de dénonciation du 9 mars 2010 ;

Qu'il ne peut donc être contesté que la résiliation unilatérale de ces deux contrats est intervenue sans préavis, les courriels des 22 novembre 2001 et du 20 janvier 2012 ne pouvant en tenir lieu ;

Que la société ADT pouvait légitimement croire à la poursuite des relations commerciales générant un flux d'affaires ; qu'en effet, par lettre recommandée AR du 31 janvier 2012, ADT interrogeait CFAI et AFPI sur l'avenir de ces contrats ;

Qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que les relations commerciales entre les parties (ayant débuté en janvier 2009 avec la société ADT, et non avec la société Adartes Management) ont présenté un caractère stable, suivi et habituel, et étaient donc établies depuis trois ans ; que la rupture sans préavis desdits contrats portant sur une mission d'animation de modules de droit social a donc été brutale au sens de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, peu important que ces contrats aient été des contrats à durée déterminée ; que ces contrats prévoyaient un préavis de six mois qui n'a pas été respecté ; que le préavis de six mois est adapté à la durée de la relation (de trois années) ; que la société ADT agissant sur le fondement de la responsabilité délictuelle issue de la rupture brutale des relations commerciales ne saurait soutenir qu'elle demande l'application du contrat avec une reconduction de ce dernier pendant trois ans ; qu'il y a lieu en conséquence de confirmer le jugement entrepris ;

Sur le préjudice

Considérant qu'en matière de rupture brutale des relations commerciales, seule la brutalité est indemnisée, et non la rupture ;

Considérant qu'il résulte des pièces produites par la société ADT que, dans le cadre du contrat avec l'AFPI, elle réalisait, au titre de la formation en droit social, un chiffre d'affaires de 6 638,76 euros, 4 058,48 euros et 5 058,52 euros respectivement au titre des années 2009, 2010 et 2011, soit une moyenne annuelle de 5 251, 92 euros HT ; que, dans le cadre du contrat avec le CFAI, elle a réalisé, pour la formation en droit social, un chiffre d'affaires de respectivement 25 678,74 euros, 31 397,52 euros et 30 394,48 euros au titre des années 2009, 2010 et 2011, soit une moyenne annuelle de 29 160,25 euros HT ; que les parties ne contestent pas le montant de 33 733 euros comme moyenne annuelle globale des prestations facturées par ADT en matière de formation en droit social ;

Que la non-observation du préavis de six mois dont la société ADT a été irrégulièrement privée a généré pour celle-ci un préjudice constitué par la perte de la marge brute bénéficiaire qu'elle eut été en droit d'escompter ; que, s'agissant d'une société de prestations de services, les premiers juges ont estimé à juste titre qu'une telle société dégageait une marge brute comptable voisine de 100 % de son chiffre d'affaires et ont retenu les montants de 2 625,96 euros (5 251,92 euros /2) et de 14 580,13 euros (29 160,55 euros /2) ; qu'il convient donc de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a justement apprécié le montant du préjudice ;

Considérant que l'équité n'impose pas l'application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs, LA COUR statuant publiquement et contradictoirement, confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, déboute les parties de leurs plus amples prétentions, dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne les sociétés CFAI PACA et AFPI PACA aux dépens dont distraction au profit de la SCP CRDT avocats, en application de l'article 699 du Code de procédure civile.