CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 18 janvier 2017, n° 14-08828
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
CDAF Formation (SAS)
Défendeur :
Premium (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Luc
Conseillers :
Mme Mouthon Vidilles, M. Thomas
Avocats :
Mes Etevenard, Baltazard, Andrès, Gauclère
La société Premium, qui exerce une activité de marketing opérationnel et d'ingénierie commerciale, a pour gérant M. Marc Neyrand. Depuis 2007, elle a réalisé pour le compte de la société EIPM Services European Institute of Purchasing Management Services (EIPM) et de la société CDAF Formation (sa filiale à 100 %), dirigées par Bernard Gracia, et ayant toute deux pour activité la formation continue pour adultes, diverses prestations de télémarketing par Internet sur la base de données Zoe implantées auprès de la société EIPM ; le support administratif de la société CDAF Formation est assuré par Guy Bulit, gérant de la société Integral, filiale à 35 % de la société EIPM.
Le 3 février 2010, la société CDAF Formation a signé avec la société Premium un contrat intitulé " Plan d'action 2010 " décrivant la mission confiée par la première à la seconde en contrepartie d'un coût fixe de 7 000 euros HT par mois et d'une partie variable liée aux résultats commerciaux des salariés, et ce, pour une durée d'un an, renouvelable par tacite reconduction, résiliable moyennant un préavis de 6 mois ; ce contrat a été renouvelé en 2011, le forfait mensuel passant à 8 000 euros HT.
Le 12 janvier 2012, la société EIPM a informé la société Premium de son souhait de mettre un terme à leurs relations commerciales.
Le 16 juillet 2012, la société Premium a fait assigner la société EIPM en indemnisation pour rupture brutale de la relation commerciale devant le Tribunal de commerce de Lyon, lequel par jugement du 10 février 2014, l'a déboutée de sa demande en retenant que la fin de leur relation résultait d'un consentement mutuel. Selon arrêt du 14 octobre 2016, la Cour d'appel de Paris a confirmé ledit jugement.
Le 19 juillet 2012, la société Premium a fait assigner la société CDAF Formation aux mêmes fins devant le Tribunal de commerce de Lyon, qui par jugement du 10 février 2014 :
- s'est déclaré compétent,
- a constaté que la fin des relations commerciales entre les sociétés Premium et CDAF Formation résultait d'un consentement mutuel,
- a débouté la société Premium de ses demandes sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,
- a condamné la société CDAF Formation à payer à la société Premium la somme de 188 460 euros correspondant à l'engagement pris par M. Bulit pour une rupture des relations au 30 juin 2012,
- a débouté la société Premium de sa demande en paiement de la somme de 112 923,26 euros TTC au titre des factures de février et mai 2012 assortie des intérêts au taux contractuel ainsi que d'une pénalité de 1200 euros pour les factures impayées et de toutes ses prétentions complémentaires,
- a condamné la société CDAF Formation à verser à la société Premium la somme de 3 000 euros en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile.
LA COUR,
Vu l'appel interjeté par la société CDAF Formation et ses conclusions déposées et notifiées le 21 juillet 2014, dans lesquelles elle sollicite :
- in limine litis, la réformation du jugement entrepris en ce que le tribunal s'est déclaré compétent pour statuer sur toutes les demandes de la société Premium,
- l'incompétence de cette juridiction au profit du Tribunal de commerce de Thonon Les Bains,
- la confirmation de la décision querellée en ce que le tribunal a constaté que la fin des relations commerciales résultait d'un consentement mutuel et en conséquence le rejet des demandes de la société Premium fondées sur l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,
- à titre subsidiaire, la constatation de l'absence de brutalité de la rupture des relations commerciales entre les parties,
- la réformation pour le surplus et le rejet de toutes les demandes de la société Premium,
- à titre infiniment subsidiaire, la diminution à de plus justes proportions de la prétention de cette dernière formée à titre de dommages et intérêts pour la perte de marge brute, le débouté de sa demande d'indemnisation complémentaire et de toutes ses autres prétentions,
- en tout état de cause, la condamnation de la société Premium à lui payer une indemnité de 8 000 euros en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu les conclusions déposées et notifiées le 18 septembre 2014, par lesquelles la société Premium, intimée, réclame :
- in limine litis, la confirmation du jugement entrepris en ce que le tribunal s'est déclaré compétent pour statuer sur toutes ses demandes,
- la confirmation dudit jugement en ce qu'il a condamné la société CDAF Formation à lui payer la somme de 188 460 euros correspondant à l'engagement pris par Guy Bulit dans son mail du 21 février 2012,
- subsidiairement la réformation du surplus,
- en conséquence, la constatation de la brutalité de la rupture notifiée par la société CDAF Formation le 12 mai 2012,
- la condamnation de la société CDAF Formation à lui verser les sommes de :
171 696 euros en réparation de son préjudice financier subi pendant la période de préavis non consenti et nécessaire à sa réorganisation,
6 675,44 euros en réparation de son préjudice complémentaire découlant directement de la rupture brutale et correspondant à la nécessité de procéder à un licenciement économique,
112 933,26 euros TTC en règlement des factures de février à mai 2012, avec intérêts au taux contractuel équivalent à 1,5 fois le taux d'intérêt légal à compter du 15 mai 2012, date de la mise en demeure de payer restée infructueuse jusqu'à parfait paiement outre une pénalité de 1 200 euros pour les quatre factures impayées,
- la condamnation de la société CDAF Formation à lui payer la somme de 8 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
SUR CE,
Sur l'exception d'incompétence formée par la société CDAF Formation
La société CDAF Formation soulève l'incompétence du Tribunal de commerce de Lyon au profit du Tribunal de commerce de Thonon Les Bains. A cet effet, elle soutient que la société Premium ne peut choisir comme fondement juridique de sa demande l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, dès lors que les conditions d'application de cet article ne sont pas réunies et que leurs relations ne relèvent que de la simple responsabilité contractuelle. Elle en déduit que le Tribunal de commerce de Thonon Les Bains était seul compétent, en tant que juridiction dans le ressort de laquelle se trouve le lieu d'exécution de la prestation fournie, la base de données Zoe étant localisée à Archamps, dans les locaux de la société EIPM.
La société Premium réplique que depuis le 1er décembre 2009 des règles d'attribution de juridiction particulières ont été fixées pour le contentieux relatif à la rupture brutale des relations commerciales et que Tribunal de commerce de Lyon, puis en appel la Cour d'appel de Paris, sont seuls compétents pour connaître de ce contentieux.
Il est constant que la société Premium, se plaignant de la rupture sans préavis de ses relations commerciales avec la société CDAF Formation, a introduit devant le Tribunal de commerce de Lyon une demande d'indemnisation à l'encontre de cette dernière société sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5 du Code de commerce. En conséquence, en application de l'article D. 442-3 du même Code, le Tribunal de commerce de Lyon et en appel la Cour d'appel de Paris ont été régulièrement saisis. Le moyen tiré de l'incompétence de ces juridictions est inopérant, le bien-fondé ou le mal fondé des prétentions de la société Premium étant sans incidence sur les règles de compétence.
Sur le fond
La société CDAF Formation sollicite, à titre principal, la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a retenu que la fin des relations commerciales entre les parties résultait d'un consentement mutuel et a, en conséquence, débouté la société Premium de ses demandes fondées sur l'article L. 442-6 du Code de commerce.
La société Premium rétorque que si le tribunal a considéré que la rupture des relations était intervenue par consentement mutuel, il n'en demeure pas moins qu'il a estimé que la société CDAF Formation s'était engagée à poursuivre ses relations jusqu'en juin 2012 et l'a condamnée à lui payer à ce titre la somme de 188 460 euros, sur le fondement des articles 1134 et 1147 du Code civil. Elle réclame en conséquence la confirmation du jugement querellé en ce qu'il a condamné la société CDAF Formation à lui payer cette somme, qui correspond à l'engagement contractuel pris par M. Bulit dans son courriel du 21 février 2012. Elle fait également valoir que si la cour n'entendait pas confirmer cette analyse, à titre subsidiaire, elle devrait juger brutale la rupture des relations commerciales, par application de l'article L. 442-6 du Code de commerce.
Il convient de déduire de cette argumentation sibylline de la société Premium qu'à titre principal, elle ne conteste pas l'existence d'une rupture conventionnelle par les parties de leurs relations commerciales. Dans ces conditions, en l'absence de tout débat ou contestation sur une rupture d'un commun accord, la décision des premiers juges sera confirmée de ce chef et en conséquence, du chef du rejet de la demande fondée sur l'article L. 442-6 du Code de commerce.
En revanche, la société CDAF Formation réclame l'infirmation de la décision querellée en ce qu'elle l'a condamnée à payer à la société Premium la somme de 188 460 euros. Elle fait valoir que les engagements de M. Bulit n'ont fait l'objet d'aucune validation de M. Gracia, seul représentant légal des sociétés EIPM et CDAF Formation. Elle conteste l'existence d'un prétendu mandat apparent donné à M. Bulit par M. Gracia. Enfin, elle estime que l'intimée n'est pas fondée à former trois fois la même demande au titre du paiement d'un préavis de 8 mois, des factures de février à mai 2012 et d'un chiffre d'affaires qui aurait dû être réalisé entre juin et décembre 2012.
Pour sa part, la société Premium réclame, à titre principal, le paiement de la somme de 188 460 euros à titre de dommages et intérêts correspondant au chiffre d'affaires que l'appelante se serait engagée à lui procurer jusqu'à juin 2012, ainsi que le paiement des factures représentant des prestations réalisées de février à mai 2012.
Il ressort des échanges de courriels versés aux débats qu'après la rupture conventionnelle des relations entre les parties, les discussions n'ont pas cessé entre les sociétés CDAF Formation et Premium. Ainsi au mail du 21 janvier 2012 de M. Gracia adressé à M. Neyrand, aux termes duquel le premier demandait quel serait le préavis pour la société CDAF Formation, ce dernier lui répondait le 23 janvier 2012 que pour " la relation CDAF/Premium, j'en discuterai avec Guy, qui est en charge du contrat et avec qui la relation a toujours reposé, au-delà du simple aspect contractuel, sur un réel partenariat amical, équilibré et intelligent ". En outre, par courriel du 25 janvier 2012 adressé à M. Neyrand, M. Bulit l'informait : " en ce qui concerne CDAF/Premium je ferai une proposition au nom de CDAF pour la suite en 2012 ". Le 26 janvier 2012, M. Bulit écrivait à nouveau à M. Neyrand : " En ce qui concerne CDAF/Premium, je ferai une proposition au nom de CDAF pour les mois à suivre en 2012 ; je te remercie de nous confirmer ton accord ".
Il résulte des pièces 9, 10, 11, 12, 14 et 15 de la société Premium que les parties ont alors échangé diverses propositions contractuelles. Suivant mail du 12 février 2012, M. Bulit a répondu à M. Neyrand : " C'est toujours OK pour fin juin 2012 ", puis, par mail du 21 février 2012, le premier s'est encore engagé à conserver son prestataire jusqu'en juin 2012 en lui demandant d'établir des factures de manière à lui assurer un chiffre d'affaires de 21 395 euros en janvier 2012 et de 18 600 euros/mois + 5 000 euros/mois + 7 800 euros /mois, de février à juin 2012.
Mais, en définitive, la négociation pour définir les modalités de la poursuite des relations n'a pas abouti, puisque par courrier du 5 avril 2012, la société CDAF Formation a pris la décision de résilier le contrat établi le 3 février 2011, en rappelant que " le contrat a été prorogé pour la période entre le 1er janvier 2012 et le 30 juin 2012, soit pour 6 mois ", que " la période entre le 1er juillet 2012 et le 31 décembre 2012 doit faire l'objet d'un avenant qui devra définir les modalités d'application relatives à cette période. Cet avenant devra être établi et validé d'ici le 30 juin 2012 au plus tard ", qu' "au 31 décembre 2012, le contrat de 2011, sa reconduction pour 6 mois en 2012 et son avenant pour les 6 derniers mois de 2012 seront résiliés et non reconduits ", " sans indemnité ou dédommagement au titre de ces contrats pour non reconduction en 2013 ".
Enfin, selon lettre recommandée du 12 mai 2012, M. Gracia, déclarant reprendre l'administration de la société CDAF, a confirmé la résiliation du contrat et a refusé de payer toutes les factures de février et mars 2012.
Dans ces conditions, si l'avenant qui devait " être établi et validé d'ici le 30 juin 2012 " pour la période du 1er juillet au 31 décembre 2012 n'a finalement pas été signé par les parties, en revanche l'accord en vue d'un maintien des relations commerciales jusqu'au 30 juin 2012 et pour un volume d'affaires défini est clairement démontré par les courriels des 12, 21 février 2012 et la correspondance du 5 avril 2012 susmentionnés.
Le chiffre d'affaires promis était le suivant :
- en janvier 2012 : 21 395 euros ;
- de février à juin 2012 : (18 600 euros/mois + 5 000 euros/mois + 7 800 euros = 31 400 euros/mois) x 5 mois = 157 000 euros, soit au total une somme de 178 395 euros jusqu'au 30 juin 2012.
A juste titre, les premiers juges ont retenu que M. Bulit avait tous pouvoirs à l'égard de la société Premium pour engager la société CDAF Formation. En effet il a seul signé les contrats intitulés " CDAF Formation' en 2010, puis en 2011. Par courrier du 5 avril 2012, il a seul résilié le contrat établi le 3 février 2011 ", apparaissant ainsi comme le seul interlocuteur de la société Premium ; par ailleurs, M. Gracia était parfaitement informé des négociations conduites par M. Bulit au nom de la société CDAF Formation pour les mois à suivre en 2012, ainsi qu'il ressort de l'analyse des mails des 23 janvier 2012 (pièce 22 de la société Premium) et 26 janvier 2012 (pièce 6 de la société Premium), qui lui ont été transmis, sans provoquer la moindre contestation de sa part. Enfin, il ressort de son courriel du 23 avril 2012 (pièce 16 de la société Premium) qu'il connaissait l'existence des pourparlers et accords entre les sociétés CDAF Formation et Premium, puisqu'il demandait à M. Bulit de lui " faire parvenir les contrats Premium/CDAF 2011 et 2012 ".
En conséquence, la société Premium a démontré la réalité de l'engagement de la société CDAF Formation de procurer à sa prestataire un volume d'affaires pendant une période déterminée, de sorte qu'à bon droit les premiers juges ont prononcé une condamnation de cette dernière, sauf à rectifier la somme de 188 460 euros en une somme de 178 395 euros et ont également débouté l'intimée de sa demande en paiement de factures, dès lors que les parties n'ont trouvé aucun autre accord que celui mentionné ci-dessus, n'ont signé aucun contrat à l'issue de leurs pourparlers, et n'ont évoqué l'accomplissement d'aucune prestation pendant la période de février à juin 2012.
Enfin, la société CDAF succombant, elle sera condamnée à payer à la société Premium une indemnité complémentaire de 6000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : Statuant contradictoirement, confirme le jugement rendu le 10 février 2014 par le Tribunal de commerce de Lyon en toutes ses dispositions, sauf à rectifier le quantum de la condamnation principale, Statuant à nouveau de ce seul chef, condamne la société CDAF Formation à payer à la société Premium la somme de 178 395 euros, condamne la société CDAF Formation à payer à la société Premium la somme de 6000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, rejette toutes autres demandes, condamne la société CDAF Formation aux dépens avec droit de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.