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Décisions

CA Saint-Denis de la Reunion, ch. civ., 7 avril 2015, n° 13-00184

SAINT-DENIS DE LA RÉUNION

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Danesekouman

Défendeur :

Kalfane (Consorts)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bergouniou-Gournay

Conseillers :

M. de Thevenard, Mme Monteil

Avocats :

Mes Ousseni, Hesler, Moulinas, Abla

TGI Mamoudzou, du 1er juill. 2013

1 juillet 2013

Faits, procédure, prétentions des parties:

Raoul Danesekouman et Mme Vina Danesekouman, sa mère, ont envisagé de constituer entre eux une SAS dénommée HO et CO, divisée en 1 000 actions de 10 euros chacune, ayant notamment pour objet l'exploitation ou la gestion de toute activité hôtelière.

Par acte sous seing privé du 23 novembre 2010, M. Raoul Danesekouman a passé avec MM. Al et Mo Kalfane, experts comptables, en présence de Mme Vina Danesekouman, une convention de portage, aux termes de laquelle MM. Mo et Al Kalfane font l'acquisition de 480 actions de la société HO et CO, et en conservent la propriété jusqu'à leur cession au donneur d'ordre, ou à un tiers désigné par lui, jusqu'à la date fixée pour lever l'option d'achat, soit le 31 décembre 2014.

La convention de portage prévoyait une rémunération de 200 000 euros, soit 100 000 euros pour chacun des porteurs, payable dans un délai maximum de 18 mois à compter de la signature de la convention de portage.

Raoul Danesekouman a fait part à MM. Kalfane de son souhait de lever l'option de rétrocession dès le 21 juin 2011, mais a refusé de s'acquitter de la rémunération des porteurs.

Par jugement du 15 juin 2012, le Tribunal de grande instance de Mamoudzou, saisi à la fois par M. Danesekouman d'une demande tendant à entendre juger que la vente d'actions était parfaite dès la signature du contrat de portage, et par MM. Kalfane d'une demande de condamnation du donneur d'ordre, avant toute rétrocession, à régler la somme de 200 000 euros convenue dans la convention de portage, a ordonné la jonction des deux instances et les a renvoyées devant la formation civile de droit commun du tribunal.

Par jugement du 1er juillet 2013, cette juridiction a :

- déclaré parfaite la vente des 480 titres sociaux de la société HO et CO objet de la convention de portage du 29 novembre 2010 en raison de la levée de l'option le 21 juin 2011 effectuée par Raoul Danesekouman;

- condamné M. Raoul Danesekouman à payer à chacun d'Al et de Mo Kalfane la somme de 100 000 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 27 octobre 2011, en rémunération de l'exécution de leur obligation de portage;

- dit que MM. Al et Mo Kalfane devront dès paiement de leur rémunération de porteur, délivrer à M. Raoul Danesekouman les actions de la société HO et CO, propriété de M. Danesekouman

- condamné M. Raoul Danesekouman à payer à chacun d'Al et de Mo Kalfane une somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Raoul Danesekouman a relevé appel de ce jugement par déclaration enregistrée au greffe de la chambre d'appel le 18 octobre 2013.

Par conclusions récapitulatives reçues au greffe le 28 mai 2014, il soutient, en premier lieu, que la vente d'actions est parfaite et que c'est de manière abusive que les frères Kalfane se sont opposés à la cession des parts sociales de la société HO et CO; que le raisonnement du tribunal, qui a estimé que les consorts Kalfane étaient fondés à retenir les actions de la société tant qu'ils n'avaient pas obtenu rémunération du portage, est erroné, dès lors que M. Danesekouman a payé le prix des actions retenues par Al et Mo Kalfane lors de la souscription au capital; qu'en visant les dispositions de l'article 2286-3° du Code civil qui n'étaient pas invoquées par les parties, le tribunal a statué ultra petita; en deuxième lieu, que le portage avait uniquement pour but de permettre à M. Danesekouman, alors âgé de seulement 26 ans, de ne pas apparaître aux yeux des tiers comme le titulaire de la quasi-totalité des actions de la société HO et CO; qu'il était de la commune intention des parties de lier la rémunération à la durée du portage, et que dès lors que le donneur d'ordre a levé l'option de rétrocession au bout de seulement quelques mois, la rémunération convenue doit être réduite à proportion de la durée du portage; en troisième lieu, que la lecture de la convention telle que proposée par les consorts Kalfane est contraire aux dispositions de l'article L. 442-6 I 2° du Code du commerce, qui sanctionne le fait de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties; qu'une rémunération de 200 000 euros est manifestement disproportionnée au regard de l'obligation à la charge des consorts Kalfane.

Raoul Danesekouman demande en conséquence à la Cour d'infirmer le jugement du tribunal de grande instance de Mamoudzou, de débouter les consorts Kalfane de leur demande en paiement de la somme de 200 000 euros, et, subsidiairement, de réduire le montant de la dite rémunération à la somme de 29 167 euros.

Il demande, en tout état de cause, la condamnation des intimés à lui payer une somme de 15000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par conclusions reçues au greffe le 9 juin 2014, les consorts Kalfane, qui font valoir que les dispositions de l'article 3 de la convention de portage sont claires et dépourvues d'ambiguïté en ce qu'elles prévoient que la convention est conclue à titre onéreux et que la somme de 200 000 euros est due aux porteurs soit dans un délai de dix-huit mois à compter de la signature de la convention, soit à la levée d'option par le donneur d'ordre si elle est antérieure, demandent à la Cour de confirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu'il les a déboutés de leurs demandes tendant à assortir les condamnations des intérêts au taux légal à compter du 27 octobre 2011; ils sollicitent en outre la condamnation de l'appelant à leur payer une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est en date du 14 octobre 2014.

SUR QUOI LA COUR:

Il y a lieu, au préalable, de relever que les intimés ont fait une lecture hâtive du jugement du Tribunal de grande instance de Mamoudzou, qui a assorti des intérêts au taux légal à compter du 27 octobre 2011 le montant des sommes que M. Danesekouman a été condamné à leur payer en exécution du contrat de portage du 23 novembre 2010. Leur appel incident est donc sans objet.

- Sur la validité de la convention de portage:

Les conventions de portage sont des conventions qui permettent de réaliser un transfert temporaire de titres. Un donneur d'ordre transfère des titres à un porteur ou lui donne l'ordre de souscrire ou d'acquérir des titres afin qu'il les détienne pour son compte pendant la durée du portage avant de les retransférer à un bénéficiaire qui peut être le donneur d'ordre lui-même ou un tiers que la convention désigne.

En l'espèce, les parties s'accordent sur la finalité de l'opération de portage, qui avait pour but de constituer un écran afin de conserver un caractère discret à la prise de participation, M. Raoul Danesekouman ne souhaitant pas apparaître immédiatement, aux yeux des tiers, comme titulaire de 96% du capital de la société HO et CO.

Pendant la durée de la convention de portage, les porteurs ont la qualité d'associés; le donneur d'ordre a, en outre, réglé au moment de la signature de la convention aux porteurs l'intégralité du prix de rachat des actions.

Dans son principe, la convention de portage est licite, sous réserve des dispositions de l'article 1844-1, alinéa 2 du Code civil, qui n'est pas invoqué par l'appelant, et qui prohibe les conventions léonines. En tout état de cause, la prohibition édictée par cet article ne concerne pas les clauses figurant dans les conventions qui n'ont pas pour objet la répartition des bénéfices et des pertes, en particulier celles qui ont pour seul objet d'assurer, moyennant un prix librement convenu, une transmission de droits sociaux, même si ces conventions sont conclues entre associés.

En contrepartie du service rendu, la convention de portage prévoit le versement au porteur d'une rémunération, laquelle peut soit être fixée au prorata temporis, soit être forfaitaire.

En l'espèce, les stipulations de la convention de portage sont parfaitement claires et dépourvues d'ambiguïté: la convention est conclue à titre onéreux, moyennant une rémunération forfaitaire de 200 000 euros (100 000 euros pour chaque porteur), laquelle doit être versée aux porteurs dans un délai maximum de dix-huit mois à compter de la signature de la convention, ou à la date de levée d'option si elle est antérieure.

Il s'ensuit que les parties ont d'un commun accord, convenu d'une rémunération forfaitaire, totalement indépendante de la durée de portage des actions.

M. Danesekouman invoque une prétendue violation de l'article L. 442-6 du Code du commerce, qui n'est pas applicable en l'espèce, les consorts Kalfane n'étant pas producteurs, commerçants ou industriels, ni immatriculés au répertoire des métiers.

C'est donc par une juste appréciation des circonstances de l'espèce que le Tribunal de grande instance de Mamoudzou a condamné M. Danesekouman à payer à chacun d'Al et de Mo Kalfane la somme de 100 000 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 27 octobre 2011, en rémunération de l'exécution de leur obligation de portage;

- Sur la rétrocession des actions:

La convention de portage prévoit, dans son article 5, un transfert de la propriété des titres au donneur d'ordre, au plus tard dans les 30 jours suivant la date de levée d'option.

L'article 7 dispose cependant que " les dispositions de la convention forment ensemble un tout indivisible, chacune d'elle étant acceptée et consentie en fonction de l'ensemble des autres. La présente convention n'est pas susceptible d'exécution partielle "; ce faisant, le portage des actions étant consenti à titre onéreux, le versement de la rémunération des porteurs est indissociable de la rétrocession des actions, l'opération formant un tout indivisible; le jugement déféré sera également confirmé de ce chef

Il serait en l'espèce inéquitable de laisser à la charge des consorts Kalfane les frais exposés non compris dans les dépens; il y a lieu de faire droit, en cause d'appel, à leur demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile à concurrence de la somme de 3000 euros.

Par ces motifs, LA COUR: Confirme en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de grande instance de Mamoudzou du 1er juillet 2013. Y ajoutant: Condamne M. Raoul Danesekouman à payer aux consorts Kalfane, en cause d'appel, une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Condamne M. Raoul Danesekouman aux dépens.